Intervention de Pascal Cherki

Séance en hémicycle du 17 septembre 2014 à 21h30
Lutte contre le terrorisme

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Cherki :

Même s’il est tardif, ce débat est intéressant car il concerne l’avenir. Il est important car internet étant un système relativement nouveau par rapport aux autres modes de publication, sa régulation s’opère progressivement, en particulier à coup de lois diverses, par l’Assemblée nationale. Il est normal que nous restions très vigilants.

Je comprends les arguments de principe de notre collègue Christian Paul, traditionnels et récurrents dans notre sensibilité politique, et en vertu desquels nous préférerons toujours que l’autorité qui veut interdire sollicite l’autorisation du magistrat plutôt que ne soit prise une mesure préventive susceptible d’être déférée devant le juge. D’un point de vue philosophique, j’approuve cette conception et je ne pense pas qu’il y ait de désaccord entre nous.

En l’espèce, le ministre de l’intérieur a besoin de pouvoir interdire la publication d’un certain nombre de sites parce qu’ils représentent l’un des principaux vecteurs de l’organisation de l’auto-recrutement des personnes qui partent ensuite faire le djihad en Syrie ou ailleurs. Dès lors qu’en l’occurrence deux principes semblent s’opposer, une question se pose. J’en profite pour souligner que les arguments du ministre ne m’ont que moyennement convaincu : c’est justement contre les pires ennemis de la liberté que le droit trouve toute sa justification à s’appliquer, sans régime différencié. Cela étant, la question se trouve en pratique résolue grâce à la mesure du référé. Parallèlement à la cohérence du droit par rapport à l’ordre juridique se trouve l’efficience du droit. Dès lors que nous voulons concilier la défense des libertés publiques et l’efficacité de la lutte contre le terrorisme, il ne faut pas que l’un prenne le pas sur l’autre.

Si une mesure préventive peut vous permettre d’être efficace mais que, par un simple recours pour excès de pouvoir, la procédure est retardée d’un an ou deux suite aux délais de la justice administrative, vous perdez sur le terrain des libertés. Le dispositif du référé, au contraire, du fait de la rapidité avec laquelle le juge doit se prononcer, permet que se rejoignent la volonté d’un contrôle a priori et la nécessité d’un contrôle a posteriori dans un instant presque fusionnel – vingt-quatre heures après.

Vous vous demandez sans doute pourquoi je vous dis tout cela. Soyons très clairs, il n’y a aucun risque. Ce n’est pas par rapport aux sites terroristes que nous nourrissons des préventions. Si aucun responsable de ces sites ne déposera un recours juridique pour se dénoncer auprès des autorités judiciaires et de la police, le problème, en revanche, se posera quand nous serons confrontés à des sites qui pourront être qualifiés d’apologie du terrorisme par les services de police : si ces derniers auront raison dans 99 % des cas, ils pourront avoir tort ne serait-ce qu’une fois parce que nous serons alors dans la zone grise de la frontière avec la liberté d’expression.

C’est dans ce sens que la notion d’efficience entre en cause et que la question du référé, de mon point de vue, règle le problème. Le juge administratif se prononçant suffisamment tôt, il pourra réparer les éventuelles erreurs commises par l’autorité policière – qui peut en commettre, comme toute institution. Or, le tissu des libertés ne doit pas être déchiré.

Nos principes ne sont pas incompatibles avec l’article 9 à condition de bien nous entendre sur les termes car sinon nous pourrions donner le sentiment que nous sommes totalement opposés les uns aux autres alors que finalement le référé permet, dans le temps très rapproché du délai, de fusionner ces deux impératifs qui ne doivent pas être contradictoires : la lutte contre le terrorisme et la défense scrupuleuse des libertés, corollaire de l’absence de régime différencié.

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