Intervention de Pierre Lellouche

Séance en hémicycle du 18 septembre 2014 à 15h00
Accord avec les États-unis sur le respect des obligations fiscales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

À mort la transparence !

Sauf que ce texte s’inscrit d’abord dans un mouvement d’extraterritorialisation de la loi américaine, que je juge extrêmement préoccupant depuis un certain nombre d’années. Il s’agit là d’une stratégie délibérée que l’un de mes anciens professeurs à Harvard, mon ami Joseph Nye, avait d’ailleurs conceptualisé sous un terme qui a fait florès : le soft power.

Par le biais de toute une série de lois internes, de normes imposées à l’étranger avec ou sans ce type de convention, l’économie américaine, l’industrie américaine, les États-Unis avancent ainsi systématiquement leurs pions sur l’échiquier international.

L’affaire BNP en est un exemple récent. Elle montre qu’en appliquant une loi ancienne qui remonte à la crise de Cuba, au début des années soixante, Trading with the Enemy Act, il est désormais possible pour la justice américaine – encore s’agit-il d’un simple tribunal à New York – de sanctionner extrêmement lourdement un établissement bancaire français présent sur le territoire américain, pour peu que celui-ci se livre à des transactions libellées en dollars pour le compte de clients basés dans des territoires placés sous embargo unilatéral par le gouvernement des États-Unis, alors même que nous, République française, ne reconnaissons ces embargos ni sur Cuba, ni sur le Soudan. Quant à l’Iran, les contraintes qui ont pu être imposées par les Européens, y compris la France, l’ont été en vertu de sanctions adoptées à l’échelon international à la suite de l’affaire nucléaire iranienne, mais n’avaient rien à voir avec ce qui a été reproché à la BNP.

Autrement dit, même lorsqu’un embargo résulte de la volonté du seul congrès des États-Unis, les opérateurs étrangers, y compris français, viennent donc à être soumis à des amendes, qui peuvent s’élever à plusieurs milliards de dollars, du seul fait de l’application de la loi américaine.

Au passage, je ne vous cache pas ma consternation devant le silence assourdissant des autorités françaises lors de cette affaire BNP, alors même que le principe fondamental de la réciprocité en droit international était bafoué de façon éclatante. Que je sache, l’Assemblée nationale n’a pas le pouvoir de poursuivre, par le biais de tribunaux français, des sociétés américaines, pourtant établies en Europe, qui gagnent des milliards d’euros chez nous et ne paient pas le moindre impôt. Et je passe sur l’inexistence des moyens de rétorsion contre les entreprises qui se livrent à des activités que nous pourrions considérer comme contraires à nos intérêts.

Autre exemple de cette tendance américaine à l’unilatéralisme, que d’aucuns auraient appelé impérialisme à l’époque, la fameuse loi Foreign Corrupt Practices Act, dite loi FCPA. Au nom de la moralisation des affaires et de la meilleure gouvernance, elle vise la corruption, pratique certes détestable mais souvent pratiquée à l’occasion des grands marchés publics, civils ou militaires, par toute une série de fournisseurs, sur tous les continents, y compris en Amérique.

Aux termes de cette loi, les filiales d’entreprises non américaines présentes sur le territoire des États-Unis qui ont pu avoir recours à des commissions versées à des décideurs étrangers en vue de l’obtention de contrats dans les pays tiers, hors territoire américain, peuvent faire l’objet de poursuites aux États-Unis par le Department of Justice ou par la Securities and Exchange Commission.

Les enquêtes sont diligentées par les « services » spécialisés américains – vous voyez de qui je veux parler –, puis obligeamment transmises à la justice américaine. Elles peuvent aboutir soit à des amendes extrêmement lourdes, soit même à l’arrestation de dirigeants de l’entreprise, pour peu qu’ils se trouvent sur le sol des États-Unis, y compris en vacances ou en transit. Les amendes s’élèvent alors à des centaines de millions, voire à des milliards de dollars, sans parler des peines de prison pour les cadres dirigeants des entreprises concernées, purgées dans les geôles américaines.

Comme par hasard, ces actions ne sont pas totalement étrangères à la concurrence de groupes américains sur les mêmes marchés ou à des OPA plus ou moins hostiles de groupes américains sur les mêmes sociétés étrangères, notamment européennes, dans un environnement où le nombre d’OPA d’entreprises américaines en Europe ne cesse d’augmenter.

À titre d’exemple, les tentatives d’OPA hostiles cette année atteignent plus de 426 milliards d’euros du côté américain, contre 72 milliards dans l’autre sens. Ces amendes, qui s’élèvent à plusieurs centaines de millions d’euros et nuisent à la réputation de l’entreprise, s’avèrent très efficaces au moment de procéder à la due diligence avant d’acquérir l’entreprise ou pour affaiblir la concurrence dans le cadre de marchés civils ou militaires.

J’ajoute au passage que les cabinets d’avocats américains, qui comprennent souvent parmi leurs collaborateurs des anciens procureurs spécialisés dans ce type de poursuite contre les sociétés cibles, sont également l’un des vecteurs privilégiés de cette stratégie. Il suffit de se reporter à certaines acquisitions récentes, sur lesquelles je n’ai pas le temps de m’étendre aujourd’hui, pour mesurer la portée de mes propos.

La loi FATCA qui nous intéresse aujourd’hui procède exactement de la même philosophie que ce véritable rouleau compresseur normatif, pour reprendre l’expression d’un bon connaisseur français de ces pratiques américaines.

Au nom de la lutte contre la fraude fiscale, il ne s’agit ni plus ni moins que d’obliger les institutions financières étrangères à communiquer annuellement et automatiquement au fisc américain tout renseignement sur les comptes détenus à l’étranger par des entités ou des citoyens américains. La sanction est d’une extrême sévérité : un prélèvement à la source de 30 % appliqué aux institutions et établissements non coopératifs.

Le dispositif voté en 2010, repris dans cet accord franco-américain, est donc parfaitement unilatéral et complètement extraterritorial, méthode « cavalière », selon l’expression fort diplomatique et douce du rapporteur pour avis de la commission des finances, M. Galut, dont pourtant le parcours altermondialiste cadre assez mal avec la déférence ainsi manifestée à l’imperium américain...

Concrètement, cet accord, qui sera désormais la loi de la République, va donc obliger nos institutions financières – compagnies d’assurances, courtiers et autres – à déclarer tous les comptes détenus par les citoyens américains en France, dès lors que le solde sera supérieur à 50 000 dollars. Ces déclarations seront ensuite obligeamment et automatiquement transmises par l’administration fiscale française à l’Internal Revenue Service. Cela concerne la quasi-totalité de nos institutions financières et environ 100 000 citoyens américains résidant en France.

La lourdeur des sanctions et des procédures a déjà abouti à plusieurs conséquences : 300 millions de surcoûts pour les entreprises financières françaises et, dans certains cas, la fermeture des comptes du fait de la lourdeur et du coût de la procédure.

Ce qui est parfaitement choquant dans cette affaire, c’est d’abord que les données techniques d’échange d’informations ne figurent pas dans cet accord, car elles feront l’objet d’un accord séparé non soumis à la ratification et à l’examen du Parlement. Surtout, la réciprocité entre les engagements souscrits par les deux parties – États-Unis et France –, principe fondamental du droit international, est tout simplement inexistante en l’espèce : l’accord ne fait que traduire littéralement la loi américaine dans le droit français, sans donner à la France l’accès aux mêmes informations sur les comptes détenus par les quelque 130 000 citoyens français résident aux États-Unis.

Outre que la sanction de 30 % n’est pas réciproque, les États-Unis ne fourniront pas à la France, malgré les dispositions de l’article 6 de la déclaration d’intention annexée, toute une série d’informations qui, elles, seront transmises par la France : solde du compte, valeur de rachat des contrats d’assurance-vie, montant des contrats d’assurance-vie, montant des dividendes, etc.

Ce constat est partagé par l’excellent secrétaire d’État au budget, ici présent, dans une lettre du 16 septembre 2014 adressée à Mme Guigou, notre présidente de commission, qui a bien voulu le saisir à ma demande. Il écrit que les États-Unis ne sont actuellement pas en mesure de fournir à la France les informations également concernées par l’accord concernant le solde des comptes ou la valeur de rachat des contrats d’assurance-vie. Le ministre ajoute cependant que, s’agissant du reste des informations, la France pourra toujours les demander au cas par cas en s’appuyant sur la convention fiscale de 1994.

Dans sa grande bonté, le Trésor américain, cosignataire de l’accord, s’engagera à améliorer davantage la transparence, « à renforcer la relation d’échange avec la France » – c’est joliment dit –, « en continuant à adopter des mesures de nature réglementaire et en soutenant l’adoption de lois appropriées afin d’atteindre ces niveaux automatiques réciproques d’échanges de renseignements. »

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