Intervention de Éric Alauzet

Séance en hémicycle du 18 septembre 2014 à 15h00
Accord avec les États-unis sur le respect des obligations fiscales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Alauzet :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, le 2 avril 2009, alors que la bulle financière avait explosé quelques mois plus tôt, le G20 annonçait dans son communiqué final que l’ère du secret bancaire était révolue.

L’adoption de l’accord bilatéral avec les États-Unis d’Amérique, dit FATCA, en est une déclinaison concrète qu’il faut saluer, et pour laquelle il faut rendre hommage au président Obama, qui a enclenché le processus en 2010.

Si personne ne croit au coup de baguette magique, il faut bien reconnaître que, d’une manière générale, la régulation financière avance trop lentement : trop lentement au regard des urgences de justice sociale, de dynamisme économique et d’équilibre des budgets des États.

Nous savons tous que la volonté politique peut être empêchée par divers obstacles. Heureusement, cette affirmation n’est toujours pas entièrement exacte. J’en veux pour preuve la volonté politique de s’attaquer aux paradis fiscaux et à la fraude.

Pendant trop longtemps, les États ont fermé les yeux sur le développement de ces États et territoires à fiscalité privilégiée, qu’ils ont même parfois encouragés afin d’abriter certaines négociations et les transactions financières afférentes. Désormais, cette attitude passive prend fin. La communauté internationale, l’OCDE, l’Europe, et la France en premier, s’engagent résolument dans cette bataille.

Qu’est-ce qui a changé ? C’est bien entendu la dépression économique et l’augmentation inexorable des dettes des États en Occident, sous l’effet de la crise bancaire.

Chacun mesure un peu plus avec le temps, et les expériences des pays du sud de l’Europe, que le seul levier de la baisse de la dépense publique ne suffira pas à rétablir la situation, pas plus que l’augmentation massive des impôts, qui a lourdement pesé sur les ménages en France, sur les classes moyennes, en amputant parfois sévèrement leur pouvoir d’achat. Ce sont en réalité deux mauvaises solutions qui, si elles sont trop exclusives, mal ciblées ou poussées trop loin, aggravent la situation en asséchant l’économie, non pas qu’il ne faille pas mettre en oeuvre des réformes fiscales ou baisser la dépense publique, mais cela ne suffit pas.

Il était donc plus que temps de tracer une troisième voie : faire en sorte que chacun soit mis à contribution au pot commun à due proportion de ses moyens, qu’il s’agisse des personnes ou des entreprises.

Dès le début du mandat, la majorité a progressivement amplifié l’arsenal des mesures propres à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Dans le cadre de la loi bancaire, puis de la loi contre la fraude et la grande délinquance financière en 2013 et, enfin, dans la loi de finances de 2014, nous avons adopté des dispositions audacieuses nous permettant de mieux combattre l’évasion fiscale.

La première d’entre elles fut l’obligation de transparence des banques sur leur activité bancaire pays par pays, afin de limiter leur implantation dans les paradis fiscaux et de révéler aux grands jours les filiales, coquilles vides, servant à la fraude ou à l’optimisation fiscale. Nous avons ensuite alourdi les peines en direction des fraudeurs, et créé un parquet financier dédié à la lutte contre la fraude.

Notre engagement est couronné de succès : le contrôle fiscal a permis, avec d’autres mesures, de détecter au total des fraudes représentant 18 milliards d’euros en 2013 et d’engranger 10 milliards d’euros dans les caisses de l’État, soit un milliard de plus qu’en 2012. Et c’est bien cette politique qui contribuera à assurer une partie du pacte de solidarité au profit de nos concitoyens les plus modestes. Nous avons ici la démonstration qu’il est possible de réduire les déficits publics tout en préservant les plus modestes. On ne souligne pas assez ce lien et l’intérêt de cette loi pour rééquilibrer les richesses.

Lutter contre la fraude, c’est agir pour plus de justice sociale. Le montant moyen des avoirs détenus à l’étranger par les fraudeurs repentis était de 900 000 euros. À raison d’une imposition moyenne de 25 %, avec 30 000 ménages, c’est un potentiel sur plusieurs années de 6 milliards d’euros de recettes supplémentaires pour la solidarité.

Lutter contre la fraude, c’est agir pour la justice morale et contre l’idée que les plus riches peuvent se permettre de déroger aux lois de la République et à la solidarité nationale.

Lutter contre la fraude, c’est réhabiliter l’impôt comme outil de redistribution des richesses.

C’est pourquoi je me réjouis de la ratification du traité mettant en oeuvre le FATCA, clé de voûte de la lutte contre la fraude aux États-Unis. En effet si la France agissait, elle n’agissait pas seule. Depuis 2009 les États-Unis ont mis en oeuvre une politique ambitieuse de lutte contre la fraude reposant sur trois piliers : la sanction des banquiers coupables d’organiser les comportements fiscaux frauduleux des contribuables américains – les USA n’ont pas hésité à condamner Bank of America à une amende de plus de 16 milliards de dollars en raison de sa responsabilité dans la crise des subprimes, ce qui permet de mettre à sa juste place l’amende infligée à BNP-Paribas – ; des programmes de dénonciations volontaires ; enfin, la fameuse loi FATCA, qui fait tache d’huile en Europe, où elle devrait être mise en place en 2017.

Cette loi oblige les établissements financiers qui souhaitent être présents sur le sol américain à révéler au fisc l’identité de leurs clients américains en France. Cette loi est radicale, mais nécessaire. Elle a su faire plier les pays les plus résistants tels que la Suisse, l’Autriche ou le Luxembourg. C’est d’ailleurs grâce au FATCA américain que notre loi sur la fraude a eu une réelle efficacité avec les 30 000 ressortissants français qui ont rapatrié leurs biens.

La fraude se joue des frontières, se cache derrière le secret et l’opacité, prospère dans le silence et les cercles avertis. Il est donc crucial d’instaurer une coopération étroite et solide entre tous les États afin que chaque fraudeur sache qu’il n’est plus à l’abri.

Le travail en ce qui concerne les particuliers, les ménages, est aujourd’hui bien avancé. Il est efficace, même si le nombre d’évadés fiscaux dépasse bien entendu les 30 000, et de loin. Nous n’avons pourtant fait qu’une partie du chemin, la plus facile. Depuis des décennies, les multinationales ont profité des failles du système économique mondial et inventé des dispositifs, s’inscrivant dans ce qu’on appelle pudiquement les schémas d’optimisation fiscale, de plus en plus complexes, afin de soustraire leurs bénéfices à l’impôt. Légaux, ils n’en demeurent pas moins des abus et des outrages à l’éthique.

L’imagination des grands groupes est aujourd’hui sans limite. Ils rivalisent d’inventivité. Leurs performances sont même saluées lors de grand-messes où les lauréats repartent avec des prix que la presse salue. Ces pratiques sont inacceptables.

On ne peut plus faire admettre à nos concitoyens qu’ils seront les seuls à supporter la consolidation budgétaire. C’est un enjeu important de la lutte contre les paradis fiscaux. En conséquence, il ne suffit pas de négocier au sein de l’Union européenne pour repousser les délais nécessaires à la réduction des déficits ; c’est moins utile que de provoquer l’engagement de l’Union en faveur de la consolidation des recettes des États. Autrement dit, l’Europe doit se préoccuper non plus simplement des dépenses des États, mais aussi de leurs recettes pour engager une trajectoire d’extinction de l’évasion fiscale, afin de donner une vraie crédibilité à l’autre trajectoire, celle de la réduction des déficits publics.

Le temps de l’impunité est aujourd’hui révolu. Une dynamique mondiale émerge pour mettre à bas ces pratiques. En début de semaine, l’OCDE a présenté les actions qu’elle préconise pour lutter contre l’optimisation fiscale des entreprises et des multinationales, la transparence sur les activités des filiales des multinationales, la fin de la localisation de la propriété intellectuelle et des revenus y afférant dans les paradis fiscaux ou encore la lutte contre les produits hybrides.

Ces propositions nourriront, je n’en doute pas, le travail du G20 à venir. Le groupe écologiste espère que la France accentuera encore ses efforts, déjà reconnus, pour soutenir les propositions de l’OCDE, notamment l’application d’une réelle transparence sur les activités des multinationales pays par pays.

Cet après-midi, nous avons défendu en séance des amendements visant à renforcer la transparence sur les flux financiers liés aux activités extractives ; j’espère, si le cadre est apparemment plus adapté, que nos amendements trouveront une concrétisation plus heureuse.

En 2013, dans le cadre de la loi bancaire, le Gouvernement avait accepté notre amendement imposant la transparence des activités bancaires. Nous poursuivrons dans ce sens avec vous, monsieur le ministre, et nos collègues de la gauche – puisque j’ai compris que, pour la droite, ce n’était pas un sujet passionnant –, pour promouvoir la transparence sur les activités des entreprises.

Je sais les craintes du Gouvernement en matière de concurrence, craintes qui se dissiperont au fur et à mesure que se généralisera cette transparence au niveau international. Mieux, la transparence devient un atout pour les entreprises, dont la réputation constitue désormais un facteur concurrentiel décisif.

En finir avec les pratiques de l’optimisation fiscale, c’est aussi mettre sur un pied d’égalité les petites et les grandes entreprises et lutter contre la concurrence déloyale et le dumping fiscal à l’intérieur d’un même pays. Il en va en matière de concurrence comme de sport : le dumping fiscal comme le dopage sportif doivent être traqués et punis.

La loi de finances de 2015 nous permettra, j’en suis sûr, d’aborder une nouvelle étape. J’espère qu’à vos côtés, nous pourrons encore avancer.

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