Intervention de Frédéric Lefebvre

Séance en hémicycle du 18 septembre 2014 à 15h00
Accord avec les États-unis sur le respect des obligations fiscales — Motion d'ajournement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Lefebvre :

Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, la motion d’ajournement que je défends aujourd’hui devant vous est une motion particulière, puisqu’elle n’émane pas, comme c’est le cas habituellement dans cet hémicycle, d’un groupe parlementaire. C’est de ma propre initiative, dans un esprit constructif et sans volonté polémique, que j’ai souhaité déposer cette motion, car cet accord est loin d’être sans incidences sur le quotidien de ceux que j’ai l’honneur de représenter dans cette assemblée et qui m’ont fait part de leurs préoccupations.

Cette motion n’est donc pas un artifice destiné à ralentir le débat comme c’est trop souvent le cas, mais traduit le souhait d’attirer une nouvelle fois l’attention du Gouvernement et de notre assemblée sur les conséquences concrètes de cet accord pour nos compatriotes résidant aux États-Unis, pour les Français binationaux nés aux États-Unis et résidant en France, et même pour les Américains établis dans notre pays.

Dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale entreprise par l’administration Obama, le Congrès américain a voté une loi connue sous l’acronyme de « FATCA ».

Cette loi impose aux banques étrangères, sous peine de lourdes sanctions, de renseigner les autorités américaines sur les avoirs et transactions de leurs clients imposables aux États-Unis.

Afin de faciliter l’application de ce texte, les États-Unis ont négocié des accords d’échange d’informations avec un certain nombre de pays alliés.

Tel est le sens de l’accord dont le présent texte nous demande l’approbation.

En vertu de cet accord, tout ressortissant de l’un des deux pays détenant des avoirs financiers dans l’autre pays fera l’objet d’une note d’information relative à son solde bancaire, ses revenus financiers et le montant de ses actifs aux autorités fiscales de son pays d’origine.

On passe donc d’un système d’information sur demande à un système d’information automatique.

Si l’accord FATCA n’interdit pas aux expatriés français résidant aux États-Unis de posséder un compte en France, il impose aux banques françaises de se soumettre à la réglementation américaine.

Les banques françaises servant des clients imposables aux Etats-Unis devront en effet respecter la législation financière américaine.

Les règles américaines étant différentes des règles françaises et européennes, s’assurer de leur respect nécessitera la création d’un département administratif spécialisé.

Il est clair que les frais supportés en conséquence par l’établissement français sont hors de proportion avec le profit réalisé sur le portefeuille de la plupart des clients concernés.

En réaction à ces nouvelles contraintes et afin de se soustraire à la lourdeur administrative qui s’ensuit, des établissements français, considérant que la gestion des comptes des expatriés présentait un intérêt économique limité, ont commencé à notifier à leurs clients imposables aux États-Unis la fermeture pure et simple de leurs comptes.

Nombre de nos concitoyens résidant aux États-Unis mais conservant des avoirs en France sont donc priés de retirer leurs actifs, et ce sans possibilité de recours. Certains se trouvent tout simplement dans l’impossibilité d’ouvrir un compte en banque en France – je pense notamment à certains Français naturalisés américains qui décident de revenir en France pour y prendre leur retraite.

De même, un Français établi aux États-Unis mais ayant conservé un patrimoine mobilier en France peut se trouver dans l’obligation de le liquider en dépit de toute planification fiscale légitimement effectuée en amont.

En outre, certains Français nés aux États-Unis, mais vivant et exerçant une activité professionnelle en France et n’ayant plus de liens avec les États-Unis, pourraient être considérés comme fraudeurs faute de déclarer des revenus au fisc américain.

Tout le monde comprend la nécessité de lutter contre la fraude fiscale et l’absence de déclaration de comptes étrangers. Personne ne plaindra les fraudeurs pris dans les mailles du filet, d’autant que ce sont eux qui sont dans la ligne de mire. Il faut cependant prendre garde, je le dis avec gravité, aux effets pervers du dispositif tel qu’il nous est proposé.

Notre devoir n’est-il pas, monsieur le secrétaire d’État, de veiller à la protection de nos ressortissants, de combattre les injustices dont ils pourraient être victimes ?

Je souhaitais déposer un amendement dont l’objet était de prévoir la production par le Gouvernement, avant le 31 juillet 2015, d’un rapport sur les conséquences de cet accord pour nos compatriotes afin de pouvoir garantir leurs droits et nous permettre de réagir en prenant des mesures destinées à protéger leurs intérêts.

L’interprétation des contraintes constitutionnelles a conduit les services de la séance à considérer qu’il s’agissait d’une réserve à la convention et qu’en conséquence cet amendement était irrecevable. J’en prends acte.

Cet amendement aurait dû nous permettre d’évoquer les conséquences pratiques de cet accord pour nos compatriotes.

Ce débat aurait été d’autant plus nécessaire que contrairement à ce qui s’est passé au Sénat, la commission des affaires étrangères de notre assemblée n’a pas du tout évoqué cette question lors de ses travaux. De même, depuis le début de l’examen de ce texte en séance, je n’ai entendu aucun orateur, de quelque banc que ce soit, soulever ce problème.

Il s’agit pourtant, mesdames et messieurs, d’un problème on ne peut plus concret.

Permettez-moi de vous lire quelques témoignages de nos compatriotes qui m’ont transmis leur dossier, dont le cabinet du ministre de l’économie a d’ailleurs été saisi.

Un Français de Miami m’a ainsi sollicité dès le mois de mars par ces mots : « Monsieur le député, je souhaitais vous informer du fait suivant. Ma banque – Cortal chez BNP Paribas – a décidé unilatéralement de vendre tous mes produits financiers et de m’envoyer un chèque par courrier, prétextant la réglementation FATCA.

Je suis expatrié en bonne et due forme, habitant à Miami, et j’avais proposé à la banque de payer des frais supplémentaires si nécessaire, mais rien n’y a fait et la banque a procédé à la vente contre ma demande expresse.

Je me posais la question de savoir si la France avait bien mesuré l’impact sur la gestion des économies des Français qui habitent aux USA en acceptant de suivre cette loi. »

Le constat d’un compatriote de Floride va dans le même sens : « Monsieur le député, une filiale de Natixis du groupe Banque Populaires-Caisses d’épargne vient de m’informer de la fermeture de mes deux comptes, titres et chèques, dans les trente jours en raison du refus de cette banque de se soumettre aux exigences de contrôle des autorités américaines.

Si je comprends la préoccupation des banques françaises face aux intrusions américaines, je trouve cavalière cette pure et simple expulsion de clients sans que leur soit fourni le moindre modus operandi pour en limiter les conséquences fâcheuses, en particulier pour les comptes de titres.

Faudra-t-il vendre les portefeuilles ou pourra-t-on les transférer dans des établissements étrangers ? Payer au fisc français, suite à cette vente forcée, des taxes sur des placements de long terme ? Que deviennent les cartes de crédit et les autorisations de prélèvement liées à ces comptes ? »

Un autre témoignage d’un français de l’Ohio est des plus éclairants : « Monsieur le député, j’ai récemment appris dans la presse le dépôt à l’Assemblée nationale d’un projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et les États-Unis d’Amérique pour la mise en oeuvre de la loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers, dite loi FATCA.

Il est nécessaire d’exclure certains Français pris dans ce filet et dont la vie privée doit être protégée. Je pense spécifiquement à trois catégories de personnes dont les données ne devraient pas être transférées : les Français mariés à des Américains qui ont un compte en banque joint – l’accord intergouvernemental prévoit de transférer les données des conjoints – ; les Français qui ont eu une carte verte parce qu’ils ont travaillé aux États-Unis mais sont retournés en France ; les Français qui sont considérés Américains « accidentels », qui sont nés aux USA de parents français et retournés en France dans leur jeunesse. Ces personnes, qui ne sont pas dans le système américain, et n’ont certainement pas de numéro de sécurité sociale américain, doivent être protégés, de façon à éviter d’autres victimes similaires à celle dont un récent article du Point se fait l’écho. »

Idéalement, monsieur le ministre, tous les résidents français devraient être protégés. Il faut souligner à ce propos que cette façon de clôturer unilatéralement des comptes est un moyen pour les banques de refuser d’appliquer l’accord, donc le contrôle, ce qui devrait interpeller chacun de nous.

Je poursuis : « Transférer les données des personnes concernées, c’est les exposer à des problèmes certains avec l’IRS dans le futur, problèmes qui sont difficiles et coûteux à résoudre.

Le gouvernement français a avant tout le devoir de protéger ses citoyens.

Il est irresponsable et contraire au devoir du Gouvernement de faire voter des lois qui sont contraire à d’autres lois sur la vie privée et la protection des données. C’est prendre le risque de s’exposer, comme c’est en train de se passer au Canada, à des actions légales, financées par les personnes impactées ».

Permettez-moi de citer le courriel d’un Français né aux Etats-Unis et vivant à Paris depuis bien longtemps :« Monsieur le député, le problème principal de FATCA est l’assujettissement à l’impôt qui repose sur un statut légal qui est beaucoup plus large que la nationalité.

La définition d’une personne imposable aux USA inclut, non seulement ceux qui

ont la nationalité américaine – c’est-à-dire les personnes nées aux Etats-Unis ou de parents américains –, mais aussi les détenteurs d’une carte verte qui sont retournés dans leurs pays d’origine, ainsi que les personnes qui séjournent aux USA durant plus d’un certain nombre de mois sur plusieurs années.

Le filet qui est tendu par FATCA a les mailles beaucoup trop fines et est basé sur ce statut, au lieu de la norme d’imposition internationale basée sur la résidence.

Il n’est pas normal que les Américains « accidentels », qui sont nés aux USA mais sont retournés très jeunes dans le pays d’origine de leurs parents, voient leurs données transmises. De même pour les personnes qui ont travaillé temporairement là-bas, ainsi que les conjoints français d’Américains qui ont ouvert des comptes joints.

Pourquoi la France n’a-t-elle pas insisté sur le fait que cette loi s’applique uniquement aux non-résidents ?

La discrimination qui s’ensuit pour détecter toutes ces personnes est inacceptable. Dans mon précédent courrier, je citais l’exemple d’ING Direct et d’AXA, mais d’autres établissements ont la même politique et discriminent ouvertement. »

Je pourrais citer nombre de courriers et de courriels similaires, mais je terminerai par cet échange avec un représentant de l’association des américains résidant à Paris.

« Monsieur le député, comme de nombreuses autres personnes certainement, je suis contraint de fermer mon compte au motif que je suis né aux USA. Ma banque est Boursorama. Je suis vraiment embarrassé par cela. Je sais que vous avez alerté le Gouvernement à ce sujet et je vous en remercie.

L’Assemblée nationale examinera un projet d’approbation de l’accord FATCA le 18 septembre. J’espère que les membres de l’Assemblée nationale se rendent compte qu’il n’y aura aucune réciprocité pour les Français expatriés aux Etats-Unis.

L’Association des banquiers américains est totalement contre cette mesure.

De plus, j’espère qu’ils comprendront qu’ils créeront des « citoyens de seconde classe ». Je parle des ressortissants possédant la double nationalité nés aux État-Unis, travaillant en France et qui, bien que n’ayant aucun lien avec les Etats-Unis, sont concernés par FATCA ».

Les binationaux tirent d’ailleurs d’eux-mêmes les conséquences de FATCA puisque, comme le soulignait récemment un expert comptable franco-américain dans Le Courrier de Floride, « la seule manière d’échapper à ce système pour un Américain résidant à l’étranger, c’est de renoncer à sa nationalité américaine. Selon les dernières statistiques, 9000 d’entre eux l’ont déjà fait en cinq ans, dont 1577 qui ont cessé d’être américains au premier semestre 2014 ».

Monsieur le secrétaire d’État, après avoir obtenu du Gouvernement, par la voix de Benoit Hamon, l’assurance que ces questions seraient réglées, j’ai saisi le ministère de l’économie de tant d’autres situations comparables à celles que j’ai décrites, et vous connaissez l’ampleur du phénomène.

D’après mes informations, et contrairement à ce qui avait été affirmé en séance en février dernier, l’ensemble des banques françaises, y compris la Banque de France, qui gère encore quelques comptes de particuliers, fermeraient aujourd’hui les comptes des expatriés.

Seuls quelques-unes, moyennant une hausse des frais de gestion de ces comptes, n’ont pas encore pris la décision de fermer les comptes de nos ressortissants vivant aux Etats-Unis.

Monsieur le secrétaire d’État, ce sont près de 50 000 comptes bancaires qui sont aujourd’hui susceptibles d’être fermés unilatéralement à cause de FATCA.

Ce sont des dizaines de milliers de Français qui sont menacés de voir couper le lien avec leur patrie. Des dizaines de milliers de Français, menacés de voir couper ce lien !

Ces comptes bancaires, monsieur le secrétaire d’État, répondent à de vrais besoins. Ils servent à payer la prestation de l’EHPAD pour un ascendant résidant en France, à honorer la pension alimentaire de l’ex-épouse demeurée en France, à payer la taxe foncière, la CSG-CRDS de l’appartement loué en France à un étudiant.

Même vos services, monsieur le secrétaire d’État, finiront par en subir les conséquences, lorsqu’un citoyen ne sera plus en mesure de régler l’impôt qu’il doit.

Lors de la discussion de la proposition de loi sur les comptes bancaires inactifs, votre ancien collègue Benoît Hamon m’avait dit, au sujet de ces fermetures de comptes, que seul un certain nombre d’établissements bancaires, qui ne sont pas les plus importants, pouvaient considérer que les investissements désormais nécessaires pour renseigner le fisc américain étaient très élevés au regard du faible nombre de Français titulaires d’un compte et résidents fiscaux aux États-Unis.

Le ministre avait ajouté que, d’après les informations dont il disposait, les gros établissements, ceux qui ont suffisamment de clients, n’avaient pas pris ce chemin et qu’il veillerait à ce qu’il en soit ainsi.

Pourtant les banques que j’ai citées – BNP-Paribas, le Crédit agricole, Axa, ING Direct, voire la Banque de France où certains ont encore leur compte – ne sont pas de petits établissements.

Votre ancien collègue m’avait également assuré que le Gouvernement serait particulièrement vigilant concernant les petits établissements et qu’il prendrait contact avec les banques pour éviter les fermetures de comptes. Je constate – et c’est une des raisons du dépôt de cette motion – que cet engagement n’est pas suivi d’effet.

Je n’ai aucun retour tangible, s’agissant des situations dont j’ai fait part à vos services. Je connais, monsieur le secrétaire d’État, votre volonté d’informer la représentation nationale. Je ne doute pas que j’aurai des réponses, mais on voit bien qu’aujourd’hui un certain nombre de familles françaises se retrouvent dans des situations inextricables.

Permettez-moi de signaler que ces fermetures sont en contradiction totale avec l’alinéa premier de l’article L. 312-1 du code monétaire et financier, résultant de la loi bancaire du 24 janvier 1984, qui dispose que toute personne physique de nationalité française résidant hors de France et dépourvue d’un compte de dépôt bénéficie du droit à l’ouverture d’un tel compte dans l’établissement de crédit de son choix.

J’ai d’ailleurs déposé aujourd’hui même une proposition de loi tendant à rendre obligatoires les sanctions financières de l’autorité de contrôle prudentiel pour violation du droit au compte bancaire.

Dans cette enceinte, lors de nos échanges de février dernier, j’avais également demandé à M. Benoît Hamon s’il pouvait s’engager, au nom du Gouvernement, à soulever cette question dans le cadre des relations bilatérales entre la France et les États-Unis, afin de trouver un arrangement qui permette d’alléger les contraintes pesant sur les banques françaises. J’avais suggéré l’établissement de seuils et j’avais proposé que le Gouvernement veille à ce que les intérêts de nos compatriotes, et par là même de notre pays, soient respectés.

Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, j’ai publiquement regretté la précipitation mise à ratifier cet accord. Notre discussion, aujourd’hui, prouve que j’avais raison. J’ai même demandé publiquement que soit envisagée l’hypothèse d’une renégociation de l’accord FATCA.

Accepter FATCA en l’état, c’est accepter le système américain d’imposition fondé sur la nationalité et non sur la résidence, comme c’est le cas dans le reste du monde. Une solution alternative pourrait être proposée aux États-Unis : participer à la nouvelle plate-forme de l’OCDE sur les échanges automatiques de données fondés sur la résidence.

Pour terminer, monsieur le secrétaire d’État, j’ai invité le Gouvernement de la France à prendre l’initiative d’une réaction européenne. Car vous le savez, la situation en Allemagne, par exemple, est identique. Défendons le modèle européen, tout en participant activement à la lutte contre la fraude.

C’est pour ces motifs, mesdames les présidentes, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, que je vous demande d’ajourner ce texte, pour travailler à trouver une solution qui soit juste et équilibrée, et qui ne laisse pas un certain nombre de nos compatriotes sur le bord de la route.

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