Alors que nous sommes censés discuter de la transition énergétique, on se focalise parfois – comme vient de le faire M. Aubert – sur la question de savoir si ce texte est pro-EDF ou anti-EDF. C'est assez révélateur de la confusion faite pendant des années entre la politique énergétique et les décisions prises par l'opérateur EDF, voire entre le rôle du ministre chargé de l'énergie et celui du président-directeur général d'EDF. Les intérêts de cette entreprise jalouse de son intervention univoque en France, mais qui agit comme un opérateur dans bien d'autre pays, ont longtemps été assimilés à l'intérêt national.
À vous entendre, monsieur le président-directeur général, l'électricité française est l'une des moins chères, elle est compétitive et sans CO2, nous en avons beaucoup exporté cet été… Bref, tous les poncifs qui nous ont menés dans l'impasse où nous nous trouvons aujourd'hui : celle d'un pays très dépendant de l'électricité produite par le nucléaire, ce qui est presque sans équivalent dans le monde. Cette électricité n'a d'ailleurs de « française » que le nom, puisque plus un gramme d'uranium n'est produit sur le sol national depuis 1989. Et, comme le montre un récent rapport de notre Assemblée, elle n'est pas si bon marché, pour peu que l'on ose réintégrer les coûts financés par les impôts des Français et les coûts à venir du fait de l'augmentation des exigences de sûreté.
Nous nous inscrivons au début d'une histoire qui rompt avec l'impossibilité du débat autour du nucléaire en France. Sans doute vous rappelez-vous le 9 novembre 2011 : alors que ma famille politique travaillait à un accord politique sur un projet énergétique, le président-directeur général d'EDF faisait la une d'un des plus grands quotidiens français pour affirmer que, si ce choix démocratique était fait, la France compterait un million de chômeurs en plus. Même si personne, pas même vous, ne pouvait prendre ce chiffre au sérieux, il s'agissait d'une intervention extrêmement virulente dans le débat démocratique.
Aujourd'hui, l'objet de notre discussion est la politique énergétique de la France et non les intérêts commerciaux ou financiers d'EDF. Entendons-nous : EDF est une entreprise fabuleuse qui s'est montrée capable de faire prendre un virage énergétique considérable à la France en quelques années : après les recommandations de la commission pour la production d'électricité d'origine nucléaire (PEON), notre territoire, jusqu'alors vierge de toute centrale, s'est trouvé en moins de dix ans doté d'un des patrimoines nucléaires les plus importants au monde. Eh bien, utilisons ces compétences fabuleuses pour engager le pays dans une révolution énergétique absolument nécessaire !
Mais considérez-vous, monsieur le président-directeur général, que votre rôle est de mettre en oeuvre une politique énergétique démocratiquement décidée par la représentation nationale, ou de défendre les intérêts, de mon point de vue court-termistes, d'une entreprise ?
Le 12 septembre 2012, lors de la première conférence environnementale, le Président de la République a annoncé la fermeture de la plus vieille centrale française, celle de Fessenheim, avant la fin de l'année 2016. L'entreprise que vous dirigez est-elle disposée à mettre en oeuvre cette décision ? Considérez-vous comme légitime que la puissance publique puisse décider d'une telle fermeture ?
Dans votre introduction, je n'ai rien entendu qui concerne la mise en oeuvre de l'objectif de réduction de 75 à 50 % de la part du nucléaire dans la production d'électricité 2025. En retenant le scénario d'une consommation étale, combien de réacteurs cela conduirait-il à fermer ? Votre autre scénario, dont d'aucuns ont entendu parler, consisterait à maintenir la puissance installée actuelle à 63,2 gigawatts et à tabler sur l'augmentation de la consommation, que l'électricité soit produite en France ou importée. Quelle en serait la traduction en termes de consommation électrique ?
Enfin, estimez-vous que la volonté de voir le nucléaire dominer dans notre pays a eu des effets négatifs sur le développement des énergies renouvelables ? Très en avance dans les années 1970 en matière de production solaire, la France a pris beaucoup de retard. Les freins, volontaires ou non, se sont multipliés. L'opérateur historique entend-il désormais les lever ?