Nous entamons notre dernière série d'auditions avant d'en venir, la semaine prochaine, à la discussion des amendements. Je profite de cette occasion pour rappeler qu'il appartient aux députés de rédiger eux-mêmes leurs amendements, et non de « copier-coller » les rédactions que pourraient leur transmettre les différents acteurs – particulièrement nombreux s'agissant de ce projet de loi parfois qualifié, monsieur le président-directeur général, de texte « électrique », voire de texte « pro-EDF »…
Il n'y aurait rien de déshonorant à ce que ce texte soit « électrique », monsieur le président ! Mais je ne pense pas que ce soit sa caractéristique première, ni même l'intention de ses auteurs.
La transition énergétique doit être une chance pour la France, d'abord parce qu'elle est susceptible de valoriser nos atouts : notre indépendance en énergie électrique, qui fait de la France le principal exportateur d'électricité en Europe – en juin et en juillet dernier, nous avons d'ailleurs battu tous les records d'exportation depuis la création d'EDF, ce qui atteste à la fois notre capacité à participer aux exportations de notre pays et la bonne disponibilité du parc nucléaire – ; une électricité parmi les moins chères d'Europe, ce qui est un avantage considérable pour la compétitivité de notre pays ; une électricité déjà décarbonée au niveau que doivent atteindre nos voisins dans quarante ans, grâce à notre parc hydraulique et nucléaire.
Ces atouts, comme le tissu industriel d'excellence qui leur est associé, sont autant de leviers pour sortir de la crise, soutenir l'emploi et la compétitivité, exporter notre savoir-faire.
La transition énergétique doit être une chance, ensuite, parce qu'elle lance une dynamique autour d'un enjeu clé pour notre pays : la réduction de notre consommation d'énergies fossiles dans nos bâtiments et dans nos transports.
Deux chiffres parlent d'eux-mêmes : les bâtiments et les transports représentent 70 % de notre consommation d'énergie ; plus des deux tiers de l'énergie que nous consommons sont des énergies fossiles, dont les importations sont quasiment égales au déficit de notre commerce extérieur, soit environ 70 milliards d'euros.
On mesure dès lors tout l'intérêt, à la fois économique et stratégique, de réduire notre dépendance à ces importations et de permettre leur substitution par des usages performants d'une électricité produite en France, compétitive et sans CO2.
L'enjeu, dans ces deux secteurs du bâtiment et des transports, est de réunir les conditions pratiques qui fondent cette « excellence française » : élaborer des solutions abordables, efficaces et qui apportent durablement à notre territoire des emplois et des savoir-faire industriels reconnus.
L'équilibre d'ensemble du projet de loi va dans ce sens.
On le voit clairement dans les titres II et III, consacrés respectivement à la rénovation énergétique des bâtiments et au développement des transports propres.
On le voit aussi avec l'objectif, rappelé au titre Ier, de réduire de 30 % la consommation d'énergies fossiles d'ici à 2030. En tant qu'industriel, nous estimons néanmoins qu'il pourrait être utile, pour faciliter l'action, de distinguer les fins – sécurité d'approvisionnement, compétitivité, environnement et préservation du climat – des moyens mis en oeuvre pour les atteindre au travers d'objectifs portant sur telle ou telle technologie.
Pour sa part, EDF est mobilisée pour faire de la transition énergétique une réussite.
Mobilisée, d'abord, pour être un vecteur d'emploi et de compétitivité permettant de sortir de la crise. L'entreprise est aujourd'hui le premier investisseur industriel de France, avec près de 9 milliards d'euros en 2013, et un des tout premiers recruteurs, puisque nous embauchons chaque année 6 000 collaborateurs et accueillons près de 4 000 jeunes en alternance, soit 1 % du total des alternants.
Avec ses 175 000 collaborateurs, sa position de référence mondiale en matière d'électricité, son rôle d'animation de l'ensemble de la filière française, EDF constitue un atout industriel au service de l'emploi et de la compétitivité de notre pays.
Nous devons aussi cette situation à un « modèle français » de service public intégré – production, réseaux, en particulier de distribution, commercialisation –, que la France a su faire valoir face à des visions extrêmes de la dérégulation. Ce système intégré garantit efficacité et solidarité, tant au plan technique qu'au plan économique, sur le territoire national.
Pour maintenir dans la durée cet avantage compétitivité et emploi pour le pays, EDF est engagée dans la maîtrise industrielle de ses projets et dans le développement de ses compétences et savoir-faire sur l'ensemble de ses métiers et technologies : hydraulique, nucléaire, énergies renouvelables, thermique, réseaux.
L'entreprise est également mobilisée en matière d'efficacité énergétique. Elle propose d'ores et déjà aux industriels des services énergétiques efficaces qui améliorent les process industriels ainsi que la gestion du froid et de la chaleur. Nous sommes à même de répondre aux industriels qui souhaitent des contrats de performance énergétique où la rémunération de l'investissement se fasse sur les économies réalisées. L'État peut faciliter ce mouvement en donnant de la visibilité à long terme et en labellisant les actions efficaces.
Chez les particuliers, le remplacement des chaudières au fioul en fin de vie par des renouvelables thermiques comme les pompes à chaleur procure de vraies économies d'énergie, réduit les émissions de CO2 et mobilise une filière industrielle française que des incitations minimales de la part de l'État permettraient de dynamiser.
S'agissant enfin de l'enjeu clé de la rénovation thermique des logements, je suis convaincu que l'on doit et que l'on peut être ambitieux si l'on parvient à articuler trois actions : cibler les logements énergivores et les gestes efficaces grâce à un diagnostic lisible et « parlant », chiffré en euros par mètre carré ; renforcer les efforts de formation en direction des artisans et des PME de la filière ; prévoir des incitations qui soient plutôt liées au résultat – par exemple le gain de classe énergétique et à la baisse des émissions de CO2 – et tournées vers les « réflexes énergétiques » – par exemple l'isolation externe lors d'une réfection de façade.
EDF est aussi mobilisée pour l'innovation au service des territoires. Il s'agit de répondre aux nouveaux besoins locaux qui émergent avec une exigence renouvelée de solidarité entre les territoires urbains et ruraux, entre la métropole et l'outre-mer.
Parce que l'électricité est un bien essentiel à la vie de la cité et de ses habitants, EDF est aux côtés des collectivités territoriales pour les accompagner dans leurs projets d'efficacité énergétique des bâtiments, dans l'identification et la valorisation des potentiels d'énergies renouvelables locales, en particulier la chaleur renouvelable – biomasse, déchets agricoles ou ménagers, géothermie –, dans le développement des éco-quartiers et des nouvelles mobilités.
De ce point de vue, le concept de « territoire à énergie positive » est intéressant, mais gagnerait sans doute à être précisé dans la mesure où l'objectif est à la fois d'être « CO2 positif », « emploi positif » et d'inciter à de vraies économies d'énergie.
Enfin, EDF est mobilisée pour l'innovation, élément clé de la transition énergétique dans un secteur qui est celui du temps long. Cette innovation doit nous permettre de créer des filières industrielles françaises dans la durée.
Avec 2 000 personnes et plus de 400 millions d'euros par an investis dans la recherche, EDF est déjà fortement engagée pour permettre à l'électricité décarbonée de jouer le rôle clé qui lui est dévolu dans cette transition et de faire émerger des solutions industrielles durables.
En matière d'énergies renouvelables, EDF est aujourd'hui un des tout premiers opérateurs. L'enjeu est de développer des filières industrielles pour créer de l'emploi en France et viser l'export là où les ressources en vent et en soleil sont abondantes et où il y a des besoins en nouveaux moyens de production. Le photovoltaïque est un exemple : en France, des entreprises innovent malgré un contexte difficile de concurrence asiatique et de surcapacité mondiale. La procédure d'appel d'offres doit leur permettre de tester ces innovations et de vérifier la pertinence des choix technologiques en lien avec les expérimentations sur les smart grids, afin de permettre l'insertion des moyens intermittents dans le système.
En matière de mobilité électrique – un enjeu clé dans toutes les villes et tous les territoires du monde –, notre électricité décarbonée abordable nous donne un temps d'avance : pour les particuliers, avec le développement adapté de bornes de recharge, mais aussi pour les flottes des entreprises et des collectivités, les bus et les transports en commun électriques. Un effort de recherche est engagé sur les techniques de charge comme l'induction, les systèmes intelligents associés concernant par exemple les parkings et le trafic, et sur l'enjeu majeur que constituent les batteries.
S'agissant enfin de l'innovation au niveau des usages, tous les scénarios de préservation du climat montrent que l'électricité décarbonée est un élément clé du développement des usages efficaces de l'électricité en substitution des énergies fossiles. Avec l'installation d'appareils de gestion énergétique, la domotique, les « maisons intelligentes », les consommateurs peuvent agir sur leur consommation et leur production d'énergie.
Nous disposons, en France, d'un capital précieux de compétences en matière de technologie et de gestion intégrée des systèmes énergétiques. À nous de protéger, promouvoir et valoriser ce capital en trouvant notre « modèle français » dans le cadre de ce projet de loi : faire levier de nos atouts, conserver notre longueur d'avance et créer les filières pour l'emploi et la relance industrielle du pays.
Quel est votre avis sur le complément de rémunération prévu en soutien du développement des énergies renouvelables ? Pensez-vous que la prime doit accompagner l'investissement de départ ou la production elle-même ? Le dispositif doit-il privilégier certaines filières ?
Que pensez-vous également de la possibilité ouverte aux collectivités et aux habitants d'entrer au capital des sociétés anonymes de production d'énergies renouvelables, et de la participation citoyenne ?
Doit-on conserver le système de l'acheteur obligé ? Quels en sont, selon vous, les avantages et les inconvénients ? Que pensez-vous de l'idée de replacer EDF par Réseau de transport d'électricité (RTE) comme acheteur obligé ?
Le texte ouvre plusieurs possibilités pour créer des sociétés d'économie mixte (SEM) hydroélectriques. Que pensez-vous du dispositif proposé ? Existe-t-il un risque de régionalisation de l'hydroélectricité et de concurrence entre les régions « productrices » ?
S'agissant du renouvellement des concessions, êtes-vous favorable à la « méthode des barycentres » et au principe de prolongation sous condition d'investissement ou d'introduction de nouvelles redevances ?
Enfin, êtes-vous favorable à l'élargissement de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) ? Si oui, selon quel principe ?
J'aimerais connaître votre opinion sur les dispositions du texte en matière de pilotage de la politique énergétique : budgets carbone et stratégie bas carbone, programmation pluriannuelle de l'énergie, obligation faite à tout exploitant produisant plus du tiers de la production nationale d'électricité d'élaborer un plan stratégique.
Que pensez-vous, en particulier, du plafonnement de la production nucléaire, destiné à faire descendre progressivement cette production à 50 % de la production totale d'électricité, conformément à l'engagement du Président de la République ?
Dans le cadre de la commission d'enquête relative aux coûts de la filière nucléaire, nous avons déjà abordé avec vous la question de la prolongation des centrales après quarante ans, du « grand carénage », de la pertinence ou non de lancer différents travaux en fonction de la durée de vie des installations. Outre le nouveau référentiel, l'Autorité de sûreté nucléaire a indiqué qu'elle souhaitait une concertation renforcée sur les décisions concernant la prolongation de réacteurs au-delà de quarante ans. Quelles dispositions EDF entend-elle prendre en ce sens ?
L'hypothèse a été formulée d'une modification des statuts d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF) pour permettre à la Commission de régulation de l'énergie (CRE) de mieux suivre la courbe d'investissement de l'entreprise, comme elle le fait déjà pour RTE, pour que le président soit nommé selon les mêmes modalités que celui de RTE, et pour que les collectivités territoriales, en tant qu'autorités organisatrices de la distribution, soient représentées au sein du conseil d'administration. Quel est votre avis sur ces propositions ?
Lors du débat national sur la transition énergétique, les collectivités territoriales ont demandé d'avoir un accès aux données des distributeurs après anonymisation, afin d'améliorer leur politique en matière d'efficacité énergétique, de lutte contre la précarité, etc. Quelle est la doctrine d'ERDF et d'EDF à ce sujet ?
Enfin, le texte prévoit l'instauration d'un chèque énergie destiné à lutter contre la précarité énergétique. Le financement de ce dispositif, qui se substituerait aux tarifs sociaux, n'est pas encore très bien défini : seules la CSPE et la contribution au tarif spécial de solidarité gaz (CTSSG) sont mentionnées. Quel est votre avis sur la pertinence de cette mesure et sur son financement ?
Permettez-moi d'ajouter deux questions.
Quel taux de participation publique au capital des SEM hydroélectriques vous paraît-il le plus pertinent du point de vue de la gouvernance et de la gestion de la production ?
Par ailleurs, contrairement à ce que vous affirmez, les industriels électro-intensifs ne sont pas toujours satisfaits des tarifs négociés avec EDF. Quelles seraient les solutions pour améliorer la situation ?
Les électro-intensifs disent surtout qu'ils paient leur électricité 30 % plus cher que leurs concurrents allemands.
Un des syndicalistes que nous recevions hier affirmait haut et fort que le texte n'était peut-être pas une loi « anti-EDF », mais certainement pas non plus une loi « pro-EDF ». Le groupe UMP, pour sa part, est convaincu que plusieurs dispositions de ce projet de loi auront des conséquences profondes sur l'entreprise dont vous avez la responsabilité.
Pensez-vous qu'un alignement de la gouvernance d'ERDF sur celle de RTE est susceptible de freiner le développement de l'entreprise à l'étranger, notamment en Europe ? Pour mieux associer les collectivités territoriales aux investissements réalisés sur le réseau, ne pourrait-on donner aux conseils généraux – qui ont regretté ici même de ne pas être mentionnés dans le texte – la possibilité de donner un avis sur les plans locaux de déploiement des infrastructures ? Cette forme d'association à la gouvernance aurait pour avantage de ne pas alourdir le fonctionnement d'ERDF.
La fixation d'un plafond de 63,2 gigawatts à la capacité de production nucléaire risque-t-elle de poser des difficultés juridiques ou techniques ? EDF se trouverait-elle obligée d'arrêter des centrales pour permettre à d'autres d'entrer sur le marché ? D'un point de vue technique, est-il possible de démanteler une centrale tout en installant, sur le même site, un EPR ? En tout état de cause, la position de l'UMP est plutôt de sanctuariser le potentiel des filières nucléaires.
Selon une évaluation de l'Union française de l'électricité, le coût du remplacement de 20 gigawatts de potentiel nucléaire installé par de l'éolien et du photovoltaïque serait de 210 milliards d'euros, contre 35 milliards pour la prolongation du fonctionnement de la vingtaine de centrales délivrant la même puissance. Avez-vous, pour votre part, des éléments chiffrés à ce sujet ?
Enfin, quel sera l'impact du texte sur la valeur d'EDF ? Si vous disposiez d'éléments actualisés sur la nature de l'indemnisation qu'EDF devrait recouvrer en cas de fermeture anticipée d'une centrale, cela permettrait au Parlement de décider de manière éclairée de l'avenir du parc.
Je suis tout à la joie de siéger dans cette commission, monsieur le président ! Mais les actionnaires minoritaires, que j'ai rencontrés, s'inquiètent des effets du texte sur l'évolution de l'action EDF.
Permettez-moi de vous remercier une fois encore, monsieur le président-directeur général, pour votre implication dans la vallée de la Maurienne et, en particulier, pour le beau travail que vous réalisez avec Trimet. Les industries électro-intensives voisines, vous vous en doutez bien, nous posent des questions. Elles ont besoin d'une électricité qui leur coûte moins cher, bien sûr, mais surtout de coûts stables et lisibles. Que pensez-vous, à cet égard, des mesures figurant aux articles 43 et 44 ? Quels dispositifs EDF pourrait-elle mettre en place dans ce cadre ?
Alors que nous sommes censés discuter de la transition énergétique, on se focalise parfois – comme vient de le faire M. Aubert – sur la question de savoir si ce texte est pro-EDF ou anti-EDF. C'est assez révélateur de la confusion faite pendant des années entre la politique énergétique et les décisions prises par l'opérateur EDF, voire entre le rôle du ministre chargé de l'énergie et celui du président-directeur général d'EDF. Les intérêts de cette entreprise jalouse de son intervention univoque en France, mais qui agit comme un opérateur dans bien d'autre pays, ont longtemps été assimilés à l'intérêt national.
À vous entendre, monsieur le président-directeur général, l'électricité française est l'une des moins chères, elle est compétitive et sans CO2, nous en avons beaucoup exporté cet été… Bref, tous les poncifs qui nous ont menés dans l'impasse où nous nous trouvons aujourd'hui : celle d'un pays très dépendant de l'électricité produite par le nucléaire, ce qui est presque sans équivalent dans le monde. Cette électricité n'a d'ailleurs de « française » que le nom, puisque plus un gramme d'uranium n'est produit sur le sol national depuis 1989. Et, comme le montre un récent rapport de notre Assemblée, elle n'est pas si bon marché, pour peu que l'on ose réintégrer les coûts financés par les impôts des Français et les coûts à venir du fait de l'augmentation des exigences de sûreté.
Nous nous inscrivons au début d'une histoire qui rompt avec l'impossibilité du débat autour du nucléaire en France. Sans doute vous rappelez-vous le 9 novembre 2011 : alors que ma famille politique travaillait à un accord politique sur un projet énergétique, le président-directeur général d'EDF faisait la une d'un des plus grands quotidiens français pour affirmer que, si ce choix démocratique était fait, la France compterait un million de chômeurs en plus. Même si personne, pas même vous, ne pouvait prendre ce chiffre au sérieux, il s'agissait d'une intervention extrêmement virulente dans le débat démocratique.
Aujourd'hui, l'objet de notre discussion est la politique énergétique de la France et non les intérêts commerciaux ou financiers d'EDF. Entendons-nous : EDF est une entreprise fabuleuse qui s'est montrée capable de faire prendre un virage énergétique considérable à la France en quelques années : après les recommandations de la commission pour la production d'électricité d'origine nucléaire (PEON), notre territoire, jusqu'alors vierge de toute centrale, s'est trouvé en moins de dix ans doté d'un des patrimoines nucléaires les plus importants au monde. Eh bien, utilisons ces compétences fabuleuses pour engager le pays dans une révolution énergétique absolument nécessaire !
Mais considérez-vous, monsieur le président-directeur général, que votre rôle est de mettre en oeuvre une politique énergétique démocratiquement décidée par la représentation nationale, ou de défendre les intérêts, de mon point de vue court-termistes, d'une entreprise ?
Le 12 septembre 2012, lors de la première conférence environnementale, le Président de la République a annoncé la fermeture de la plus vieille centrale française, celle de Fessenheim, avant la fin de l'année 2016. L'entreprise que vous dirigez est-elle disposée à mettre en oeuvre cette décision ? Considérez-vous comme légitime que la puissance publique puisse décider d'une telle fermeture ?
Dans votre introduction, je n'ai rien entendu qui concerne la mise en oeuvre de l'objectif de réduction de 75 à 50 % de la part du nucléaire dans la production d'électricité 2025. En retenant le scénario d'une consommation étale, combien de réacteurs cela conduirait-il à fermer ? Votre autre scénario, dont d'aucuns ont entendu parler, consisterait à maintenir la puissance installée actuelle à 63,2 gigawatts et à tabler sur l'augmentation de la consommation, que l'électricité soit produite en France ou importée. Quelle en serait la traduction en termes de consommation électrique ?
Enfin, estimez-vous que la volonté de voir le nucléaire dominer dans notre pays a eu des effets négatifs sur le développement des énergies renouvelables ? Très en avance dans les années 1970 en matière de production solaire, la France a pris beaucoup de retard. Les freins, volontaires ou non, se sont multipliés. L'opérateur historique entend-il désormais les lever ?
Contrairement à Mme Duflot, je me réjouis que vous ayez remis les pendules à l'heure en soulignant l'atout que représente EDF dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Dans un contexte économique de désindustrialisation, notre pays se doit de maintenir ses fleurons, au rang desquels se trouve l'entreprise que vous dirigez. EDF est un opérateur au service de la puissance publique.
De mon point de vue, la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre devrait figurer en tête des objectifs énoncés au titre Ier. Pour qui se soucie de la préservation de la planète, c'est la priorité des priorités !
Aussi le nucléaire est-il un atout, pour peu qu'il reste sous le contrôle de la puissance publique et n'est pas pris dans des logiques libérales et privées qui sacrifient les investissements et la maintenance aux bénéfices immédiats. À cet égard, j'aimerais connaître votre point de vue sur le plafonnement de la production d'origine nucléaire. D'après votre expérience, et sachant que l'entreprise est également engagée dans les énergies renouvelables, cette disposition est-elle raisonnable ? Compte tenu de l'augmentation continue de la consommation – avec une amplification en cas de retour de la croissance –, l'objectif de ramener à 50 % la proportion d'électricité d'origine nucléaire est-il atteignable ?
L'article 32 du projet dispose que, si une installation nucléaire de base cesse de fonctionner pendant deux ans, son arrêt est réputé définitif. Cette disposition résulte-t-elle de réflexions et de propositions qu'EDF ou un autre opérateur aurait faites ? Pour ma part, il me semble juridiquement contestable que le Parlement puisse décider de ce point par une sorte de clause d'automaticité.
Je vous sais gré, monsieur le président-directeur général d'avoir mis en exergue les savoir-faire d'EDF, auxquels nous sommes nombreux à être très attachés. Les compétences acquises de longue date en matière de réalisation de grands barrages hydroélectriques s'exportent partout dans le monde. Le Centre national d'équipements hydrauliques (CNEH), devenu Centre d'ingénierie hydraulique (CIH) et basé en Savoie, en est la brillante illustration.
Comment voyez-vous l'avenir de la grande hydroélectricité et de l'activité de ce centre à l'étranger et en France ? Les barrages au fil de l'eau et les stations de transferts d'énergie par pompage (STEP) constituent-ils une chance pour EDF ? Les contraintes, on le sait, sont nombreuses. Faut-il les lever ?
Si la bataille pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre – donc pour la réduction de la consommation des énergies carbonées – est au coeur du projet de loi, le titre Ier n'en pose pas moins l'objectif de réduction de la part de l'énergie nucléaire dans la production totale d'électricité. Il ne faut ni chercher à occulter cet objectif ni en faire le point central du texte. Dans ces conditions, comment imaginez-vous la construction d'un mix énergétique qui renforce la part des énergies renouvelables – domaine dans lequel EDF joue un rôle – et réduise celle des énergies carbonées ? Dans l'hypothèse du retour de la croissance économique et de l'augmentation de la consommation, comment faire que ces objectifs soient cohérents entre eux et non pas contradictoires ?
De par ses entreprises, ses capacités, ses savoir-faire, la France est un grand pays nucléaire, et elle le restera grâce à des champions comme EDF. Le vrai changement qu'imprime ce texte, c'est que la France sera aussi un grand pays dans le domaine des énergies renouvelables.
Il faut que le nouveau mix soit à la fois efficace contre le changement climatique, utile à la compétitivité des entreprises et pourvoyeur d'emplois. C'est tout le sens de l'expression « croissance verte ». J'aimerais donc savoir ce que peut représenter le plafonnement de la production nucléaire à 63,2 gigawatts en termes d'emploi.
M. Julien Aubert ayant demandé quelle perte de valeur ce projet de loi pourrait éventuellement provoquer pour l'entreprise, je voudrais poser une question complémentaire sur la perte de valeur et de clients qu'a représenté la séparation entre EDF et Gaz de France (GDF) réalisée il y a quelques années. Pourquoi n'a-t-on pas pensé, à cette époque, à remettre à zéro les compteurs des concessions hydrauliques ? Pourquoi n'a-t-on pas clarifié les relations avec les collectivités territoriales, qui pèsent pour 30 milliards d'euros dans les réseaux de distribution ? Voilà une loi qui bouleversait bien autrement le champ de l'entreprise ! Pour ma part, j'ai mené un long combat pour dénoncer l'absurdité de la fusion entre GDF et Suez, dont nous payons encore les conséquences.
Cela dit, EDF vit toujours et a évolué dans ses métiers. Peu avant le rachat de l'usine Rio Tinto avec Trimet, vous avez repris, sans grand enthousiasme semble-t-il, l'entreprise Photowatt. Où en êtes-vous de cette diversification industrielle ?
Alors que nous examinons un texte national parfois à l'avant-garde par rapport aux dispositions européennes dans lesquelles il s'inscrit, EDF est un groupe international présent notamment en Grande-Bretagne, en Asie, en Afrique, en Arabie Saoudite, en Amérique du Sud. Si nous nous focalisons sur le seul plan national, notre raisonnement sur l'entreprise risque de se trouver faussé. J'aimerais donc que vous fassiez le point sur vos activités nationales.
Par ailleurs, qu'en est-il prévisions de consommation ? Car là est le vrai sujet, dont dépendent les pourcentages divers et variés du mix énergétique ! On a constaté une baisse de la consommation industrielle, essentiellement due, hélas, à des fermetures d'entreprises. La consommation des ménages, quant à elle, est très dépendante des aléas climatiques. Elle le restera tant que l'on n'aura pas mené, grâce à ce texte, une large réhabilitation thermique des logements. Nous entendrons tout à l'heure le président du directoire de RTE – filiale sur laquelle, en application de la directive européenne, vous n'avez ni autorité ni droit de gestion. Pourriez-vous nous indiquer ce que vous pensez de ses prévisions ? Sont-elles volontairement alarmistes ?
Enfin, pensez-vous que le marché de capacité est un instrument satisfaisant ? Lorsque GDF-Suez doit fermer une quinzaine de centrales thermiques destinées à équilibrer le réseau à certains moments, ne nous mettons-nous pas en danger ? Je rappelle que le marché de capacité est issu de la loi du 7 décembre 2010 portant organisation du marché de l'électricité, dite « loi NOME », dont il faudrait aussi se demander quels ont été ses effets sur la valeur d'EDF !
L'important est de savoir comment avancer dans un contexte de grands changements au niveau mondial. Qui pouvait prévoir, il y a deux ou trois ans, que le gaz de schiste envahirait à ce point le marché du gaz et bouleverserait le marché européen de l'énergie en revalorisant la production électrique au charbon ?
Je crois qu'un éclairage assez large sur ces questions, monsieur le président-directeur général, nous permettra ensuite de mieux aborder le détail du texte.
Je commencerai par remettre en perspective ce qu'est EDF, en France et dans le monde.
Résumons d'abord son histoire, qui est une belle histoire industrielle. C'est la loi de nationalisation de 1946 qui donné naissance à cette entreprise, qui fut d'abord un monopole national, puis un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), puis une société anonyme cotée en bourse, dont l'État est le principal actionnaire et qui a la particularité en France d'être investie d'une mission de service public.
Sur le plan international, elle est le premier électricien au Royaume-Uni, le deuxième en Italie et en Belgique, le troisième en Pologne, ce qui la situe au premier rang européen. Elle est vraisemblablement l'un des premiers électriciens au plan mondial. Elle est le plus grand investisseur en Europe, avec un plan d'investissement colossal, et le plus grand donneur d'ordres en France et en Europe.
Forte de ses 175 000 collaborateurs, c'est une entreprise intégrée qui va de l'amont à l'aval, de la production à la distribution en passant par les réseaux, l'optimisation, le trading et les services énergétiques.
Pour toutes ces raisons, elle peut porter haut les couleurs de la France partout dans le monde, où elle constitue une référence.
Les intérêts d'EDF sont, par définition, ceux de ses actionnaires, dont le premier est l'État, qui détient 85 % de son capital. Il lui revient de définir les contours de la mission qui nous a été confiée en tant qu'opérateur de service public et de fixer les composantes de la politique énergétique du pays. Rappelons ici que nous sommes le premier contributeur au budget de l'État, à hauteur de 13 milliards d'euros. Personne ne saurait donc prétendre que nous vivions aux crochets de l'Etat…
Ma responsabilité est de défendre l'entreprise, ses missions, ses atouts, ses actionnaires et ses collaborateurs et rien ne me fera jamais céder dans ma détermination, qui m'a parfois amené à prendre des décisions à contre-pied.
Nous évoluons dans un paysage européen de l'énergie marqué par plusieurs types de bouleversements.
Bouleversements liés aux coûts des énergies primaires, notamment des énergies fossiles. Le développement du gaz de schiste américain a eu un fort impact sur le marché du gaz en Europe et sur les prix du charbon, dont le cours s'est effondré, ce qui a accru son utilisation déjà très développée : 70 % de l'électricité mondiale est produite à partir du charbon et il se construit une centrale à charbon chaque jour dans le monde.
Bouleversements relevant de facteurs géopolitiques qui auront une incidence, cet hiver plus que jamais, sur les prix de marché et les capacités d'alimentation.
Bouleversements dus aux subventions titanesques versées en faveur des énergies renouvelables. La formidable spéculation qu'elles ont engendrée a créé des surcapacités de production, qui ont provoqué l'effondrement des budgets de certains États, en Europe du Sud notamment, et des séismes chez les industriels. Aujourd'hui, EDF est le seul électricien européen à afficher des bons résultats.
C'est en prenant en compte cet environnement en pleine évolution que nous devons anticiper les besoins et donc les capacités.
De nombreux pays encouragent les économies d'énergie pour aller vers une sobriété énergétique justifiée à la fois par la compétitivité, la rationalité économique et la préservation de l'environnement. Dans cette perspective, ils ont mis au point des dispositifs d'incitation qui reposent avant tout sur les énergies fossiles, pour lesquelles la dépendance à l'égard d'autres pays est forte. Dans le même temps, la part d'électricité dans l'ensemble des énergies consommées a tendance à se renforcer d'année en année, car les processus de modernisation économique reposent sur un recours accru à cette source d'énergie.
Nombre des acteurs de l'électricité à l'échelon européen ont dû annoncer des baisses drastiques de leurs investissements car leur situation financière est extrêmement fragile. Et il est vraisemblable que ces sous-investissements se traduiront par des tensions considérables sur les capacités de production car sans maintenance et modernisation, les outils lourds nécessaires à la filière électrique se dégradent. RTE a ainsi tiré le signal d'alarme pour les hivers 2015 et 2016, et les inquiétudes sont encore plus fortes chez nos voisins d'outre-Quiévrain.
Beaucoup de questions ont porté sur le nucléaire.
Il faut rappeler tout d'abord que l'industrie nucléaire est le troisième secteur industriel de notre pays derrière l'aéronautique et l'automobile et compte 150 000 emplois directs, chiffre qui n'est un mystère pour personne. Fort de son expertise internationalement reconnue, elle a vocation à gagner des marchés à travers le monde. Et ce développement fait partie des missions qui m'ont été confiées. Nous sommes le premier opérateur nucléaire au monde et constituons une référence, même si nous ne sommes pas les seuls. La Chine est en train de se doter d'un parc plus important que le parc français : elle construit dix centrales nucléaires par an et 47 réacteurs sont en cours de construction.
Le projet de loi de transition énergétique entend réduire la part du nucléaire dans la production de l'électricité. Est-ce compatible avec la vision d'EDF ? La réponse est oui, je le répète. Sommes-nous disposés à accompagner cette évolution ? La réponse est oui. Avons-nous l'ambition de le faire ? La réponse est oui. Avons-nous les moyens de le faire ? La réponse est oui, puisque cela dépend des capacités existantes – je ne me prononcerai pas sur le plafonnement : s'il est adopté par le Parlement, il sera appliqué. Cela empêche-t-il de développer d'autres capacités ? La réponse est non dès lors, qu'EDF se porte bien et examine avec lucidité les enjeux liés à l'investissement.
Autre aspect dont il faut tenir compte : le coût de revient de l'électricité par rapport au prix de vente. Nous sommes en concertation constante avec les pouvoirs publics pour optimiser le mix énergétique de manière à éviter une explosion des coûts de revient qui serait incompatible avec le bon accomplissement de notre mission de service public, laquelle suppose d'assurer accessibilité à tous et efficacité.
Il m'a été demandé s'il était possible de démanteler une centrale et d'installer un réacteur sur le même site. La réponse est oui, mais pas exactement au même emplacement, bien entendu : c'est la raison pour laquelle les centrales nucléaires occupent de vastes emprises.
M. Baupin m'a interrogé sur la prolongation de la durée de vie d'une centrale au-delà de quarante ans. Il connaît la réponse, puisque nous avons déjà largement débattu de cette question au sein de diverses commissions. Il sait que nous devons prendre en compte l'amortissement des investissements et que nous sommes en étroite concertation avec l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Je ne peux donner de réponse définitive à ce sujet puisque les discussions sont en cours. Il reviendra d'ailleurs à l'ASN de l'apporter, puisqu'il lui appartient de se prononcer sur la sûreté des sites et l'extension de leur durée de vie. Mais, rassurez-vous, ce sujet fait partie des questions prioritaires que nous abordons avec elle.
S'agissant du pilotage de la politique énergétique, nous pouvons déplorer que l'absence de concertation au niveau européen ait abouti à un paysage marqué par les divergences. Que chaque pays ait le contrôle de sa politique énergétique tient toutefois d'une évidence que nous ne pouvons remettre en cause.
La discussion est ouverte avec l'État. Je n'ai pas aujourd'hui d'annonce à faire sur cette centrale. Ma responsabilité est d'assurer un haut niveau de sûreté et d'efficacité. Il ne m'appartient pas de faire d'autres commentaires.
J'en viens aux énergies renouvelables : énergie hydraulique – la plus importante des énergies renouvelables en France et dans le monde – photovoltaïque et éolien terrestre ou en mer, énergie marine, biomasse, géothermie. Certaines relèvent d'ailleurs davantage de la maille locale ou régionale que de la maille nationale, d'où la nécessité pour une entreprise comme EDF de donner plus de place dans son organisation au local et de l'adosser au système national pour la production comme pour l'optimisation.
L'optimisation et les services énergétiques n'ont pas été beaucoup évoqués dans les questions alors que c'est l'un des grands enjeux auxquels EDF veut apporter une contribution forte. Elle s'en est d'ailleurs donné les moyens.
Sur les mécanismes de primes qui doivent venir compléter la vente sur les marchés, les discussions sont en cours et mobilisent beaucoup d'experts afin d'établir une règle du jeu qui soit la plus pertinente possible.
S'agissant de l'obligation d'achat, j'aimerais qu'il existe une pluralité d'acteurs. Sans doute du fait de la mission de service public qui nous a été confiée, nous avons eu le privilège, si je puis dire, de nous voir attribuer l'essentiel des fardeaux.
Il est toujours possible de lancer un appel d'offres : nous sommes prêts à laisser la place à d'autres.
S'agissant de l'hydroélectricité, je suis clairement favorable à la prolongation des concessions sous condition d'investissements. Il me faut rappeler ici que l'hydroélectricité, plus qu'un moyen de production, est un outil d'optimisation du système électrique. La valeur essentielle des barrages tient à leur capacité à stocker l'électricité, ce qui permet de la distribuer au moment opportun : pointes, arrêt des grandes centrales. Dès lors que l'optimisation du système est respectée, toutes les formes peuvent être envisagées, y compris les sociétés d'économie mixte, qui me paraissent avoir plus de défauts que de qualités. L'une des questions majeures, qui est d'ailleurs du ressort des pouvoirs publics et non de l'opérateur, est de savoir jusqu'où aller dans la désoptimisation. Des cas se sont déjà produits : la marginalisation de RTE a ainsi clairement désoptimisé le système électrique français, et nous n'avons pu qu'en prendre acte puisqu'il s'agissait pour notre pays d'appliquer une règle européenne.
À combien estimez-vous les investissements qui accompagneraient, à court terme, la prolongation des concessions ?
Pour chaque installation, nous avons fourni aux pouvoirs publics des plans d'investissement portant sur les extensions de capacités et la maintenance : ils s'élèvent à plusieurs milliards.
Et quel serait, selon vous, le pourcentage pertinent pour un bon fonctionnement des sociétés d'économie mixte (SEM), même si vous estimez qu'elles constituent une mauvaise solution ?
Cette solution restera mauvaise quel que soit le pourcentage. Nous considérons que, s'agissant d'une activité industrielle, c'est à un opérateur de la gérer, sous le contrôle, bien sûr, de son actionnaire principal.
Vous pourrez toujours poser la même question trois fois de suite, vous aurez toujours la même réponse, madame la rapporteure…
Suis-je favorable à un élargissement de la CSPE ? Oui.
Rien d'étonnant !
Est-ce que j'y crois ? Non. Comme il est pratique de faire porter à EDF cette responsabilité !
Je dirais qu'il s'agit plutôt d'un privilège pour le client d'EDF, appelé à payer pour compte de tiers. Compte tenu du fait qu'EDF, monopole national, devait assurer une mission de solidarité nationale, il a été très facile aux pouvoirs publics de nous demander de couper l'électricité en cas d'impayé.
Qu'il faille élargir la CSPE me paraît logique. Je ne vois pas pourquoi il reviendrait aux seuls consommateurs de supporter une part significative du coût de la solidarité nationale. En revanche, il me paraît moins logique d'avoir étendu son champ aux énergies nouvelles car cela revient à faire payer à l'énergie décarbonée l'essentiel de la décarbonation de l'énergie carbonée. Il serait plus pertinent de mettre à contribution l'énergie carbonée.
Vous évoquez encore la possibilité de remplacer EDF par RTE. Cela risquerait d'amoindrir l'efficacité du système, car c'est tout de même EDF qui envoie la facture. Et cela n'a rien à voir avec une question de prérogatives.
La question des industries électro-intensives se heurte à un champ de contraintes, au premier rang desquelles la contrainte économique.
L'Allemagne a décidé de faire payer aux consommateurs les subventions accordées aux industriels : la péréquation se fait en sens inverse de la France, où le prix payé par les ménages a toujours été régulé alors que le prix payé par les industriels s'est situé à des niveaux supérieurs. Une procédure est en cours auprès d'un tribunal allemand pour condamner cette pratique. Il n'est pas invraisemblable qu'elle soit sanctionnée. De surcroît, l'Allemagne permet de ne pas facturer les coûts de transport. Ainsi, les tarifs finaux sont compétitifs avec les tarifs français, malgré le différentiel de coût économique. Cela dit, le système français reste très largement compétitif par rapport à tous les systèmes européens.
Deuxième contrainte : Bruxelles nous interdit d'appliquer des tarifs privilégiés. Nous ne pouvons donc pas consentir de ristournes à tel ou tel consommateur, fut-il électro-intensif. Toute la difficulté est de respecter la réglementation tout en se montrant solidaires des industriels concernés.
Cet accord a en effet été béni par Bruxelles, mais en contrepartie de mécanismes assez lourds. Nous avons d'ailleurs montré beaucoup de bonne volonté – notamment avec un avenant récent au contrat. Mais pour autant cela n'a rien de miraculeux car le miracle est condamné. Dans le cas de Saint-Jean-de-Maurienne, nous avons dû choisir d'entrer dans le capital de l'entreprise puisqu'il nous était interdit de l'aider à travers des ristournes. C'est maintenant une belle réussite. Mieux vaut agir au coup par coup, car il ne peut y avoir de réponse globale.
EDF est devenue un grand acteur mondial des énergies nouvelles à travers EDF Énergies nouvelles dont nous avons pris le contrôle il y a maintenant trois ans. Nous sommes le premier développeur européen d'énergies nouvelles – éolien et photovoltaïque – en flux, et menons une politique délibérément agressive en ce domaine. Nous tentons de développer les technologies nécessaires. Pour l'éolien, nous avons dû nouer des partenariats européens. Pour le photovoltaïque, sans que l'on m'ait forcé la main – ce qui assez difficile du reste –, EDF a repris Photowatt, unique fabricant français de cellules ayant résisté à la vague chinoise. Ce n'est malheureusement pas une réussite car l'hétérojonction sur laquelle le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) s'était engagé, très officiellement, à travailler, n'est pas au point. Nous sommes donc obligés d'en rester à la technologie d'origine, l'homojonction, en lui apportant des améliorations progressives sans toutefois pouvoir être compétitifs avec les industries chinoises, régulièrement condamnés. Nous perdons donc un peu d'argent avec cette activité malgré les efforts de rationalisation et de performance consentis.
Quant à l'hydraulique, formidable source d'énergie, son développement nous a placés au premier rang en Europe et au cinquième rang mondial, derrière la Chine, la Russie, le Canada, le Brésil, pays qui bénéficient de gigantesques ressources en eau. EDF a une ambition forte sur le plan international avec divers projets au Brésil, en Afrique et en Asie où se trouve notre plus belle référence, le barrage de Nam Theun au Laos, salué par la Banque mondiale comme l'un des plus beaux exemples de développement durable. En France, les possibilités de développement sont moins nombreuses : la plupart des sites sont déjà équipés et l'équipement de nouveaux sites poserait des difficultés, notamment d'ordre politique.
Loi anti-EDF ou pro-EDF ? Au fond, cela n'a pas grande importance. C'est une loi à laquelle EDF apporte sa contribution : nos équipes y ont beaucoup travaillé en amont et continueront de travailler une fois qu'elle sera adoptée. Nous sommes totalement engagés dans cette transition énergétique.
Je terminerai par les questions sur ERDF.
Dans le système électrique, la distribution est un élément essentiel d'optimisation et son importance sera accentuée par le développement des réseaux intelligents. Ma conviction, largement partagée, est que l'intégration du système est un élément clef de son efficacité, ce qui n'interdit pas la concurrence, bien évidemment. La réglementation impose d'ailleurs qu'ERDF laisse tous les producteurs accéder librement à ses services, sous contrôle des autorités de tutelle et de la CRE.
Quelle organisation pour ERDF ? Filiale à 100 % d'EDF, ERDF est l'opérateur délégataire des syndicats intercommunaux. Ce sont en effet les collectivités locales qui ont la propriété des infrastructures de distribution, et non pas l'État, ce qu'il a eu tendance à oublier, y compris lors de l'ouverture du capital d'EDF en 2006.
Dans le cadre d'un contrat – quelque peu chaotique – de délégation de service public, ERDF doit assurer la qualité et la continuité du service, la maintenance des installations, leur développement et leur adaptation, les investissements d'extension avec l'ensemble des opérations industrielles, financières et commerciales qui s'y rattachent.
La mission d'ERDF est un élément important du système électrique. Il est de nécessité absolue qu'elle soit en contact constant avec les collectivités concédantes et qu'elle soit à leur écoute en matière d'investissements. Les arbitrages doivent se faire au niveau national mais aussi régional, dès lors qu'il y aura un important développement des énergies nouvelles, qui exigeront une adaptation du système de distribution et d'investissement, notamment du fait de l'intermittence.
Nous avons beaucoup travaillé, encore récemment avec le président Brottes, pour savoir comment adapter le système sans casser la logique sur laquelle il repose. Nous étudions la possibilité d'intégrer plus de proximité à sa gouvernance afin d'y associer les collectivités territoriales.
Quant au chèque énergie, nous n'y sommes pas hostiles, mais il nous paraît compliqué qu'il vienne se substituer aux tarifs sociaux. Cela suppose de mener une réflexion avec les pouvoirs publics.
Monsieur Proglio, permettez-moi de vous rappeler mes questions sur la possibilité d'une consultation départementale autour d'ERDF et sur la valeur de l'entreprise.
Le président Brottes a évoqué la scission entre EDF et GDF mais il ne faut pas oublier qu'une contrainte européenne s'imposait.
Absolument pas, il s'agissait d'un choix national. La contrainte européenne imposait de séparer les fonctions mais pas les entités.
Aucune contrainte ne justifie aujourd'hui que l'État remette pour partie la main sur la gouvernance et les investissements d'EDF. Nous avons changé d'époque : l'État socialiste ne privatise plus Rothschild, c'est plutôt Rothschild qui privatise l'État socialiste. (Sourires.) Adaptons-nous !
Cette loi a bel et bien un impact sur la valeur de l'entreprise et j'aimerais avoir votre éclairage à ce sujet, monsieur le président directeur général, en particulier sur l'indemnisation qui est un élément très concret. Si la fermeture d'une centrale est décidée, des questions financières se poseront or l'étude d'impact n'en dit rien.
La question de l'indemnisation, dont il a déjà été question ici, mérite d'être actualisée en fonction de l'évolution des discussions sur le nucléaire. Il n'y a pas de réponse couperet.
La concertation départementale se heurte à une difficulté : comment s'accorder sur une règle du jeu très complexe à établir avec une entité qui n'est pas propriétaire ? Il faudra mettre beaucoup d'huile dans les rouages alors qu'il n'est déjà pas aisé de mener une concertation entre l'opérateur, l'État et les collectivités propriétaires. Je crains que l'ajout d'une dimension départementale voire régionale ne soit très complexe, même s'il est toujours possible de l'envisager. Il faudrait déjà convenir d'une optimisation entre les syndicats intercommunaux et l'entité géographique la plus pertinente, que cela soit la région, le département ou les grandes métropoles.
Monsieur Aubert, comme je me suis permis de m'exprimer en votre absence sur l'ouverture du capital d'EDF que vous aviez évoquée, je tiens à vous faire part de mes propos, qui ne relèvent en rien de la politique politicienne.
Dans les comptes d'EDF, le changement de statut pèse encore de trois façons.
Premièrement, le dédoublement de l'action commerciale d'EDF et de GDF, provoqué par la séparation des réseaux, a contribué à accroître les prix, comme la CRE l'a constaté, sans parler de la zizanie dans les fichiers qu'il a engendrée.
Deuxièmement, le coche a été manqué en ce qui concerne les concessions hydrauliques : si les compteurs avaient été mis à zéro en considérant qu'il s'agissait de nouvelles structures, nous ne connaîtrions pas aujourd'hui les problèmes que nous avons à démêler en « bidouillant », avouons-le, des solutions comme le calcul barycentrique. Tout cela se chiffre en milliards d'euros !
Troisièmement, l'entreprise a été valorisée avec un actif de 30 milliards qui appartenait aux collectivités.
Voilà trois conséquences d'une décision politique prise il n'y a pas si longtemps de cela. Vous n'étiez pas député à l'époque, je ne peux vous en faire grief. Mais je vous appelle à un peu de prudence et d'humilité. Vous ne pouvez esquiver ainsi ces lourdes incidences sur les comptes de l'entreprise, que la commission d'enquête sur les tarifs ne manquera pas de mettre au jour, vous le verrez.
Monsieur le président, avec cette loi, nous sommes confrontés à une décision tout aussi politique, qui met également en jeu des milliards d'euros. Ce n'est pas parce que des erreurs ont été commises que l'on est condamné à les reproduire. Et, en toute logique, si l'on suit votre raisonnement, nous devrions être encore plus prudents à l'égard d'une entreprise qui remplit un rôle social en matière de coût de l'énergie.
Membres présents ou excusés
Commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte
Réunion du jeudi 18 septembre 2014 à 15 heures
Présents. - M. Julien Aubert, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Denis Baupin, M. Christophe Borgel, M. Christophe Bouillon, M. François Brottes, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, Mme Cécile Duflot, M. Guy Geoffroy, Mme Bernadette Laclais, M. Jean-Luc Laurent, M. Alain Leboeuf, M. Patrice Prat, Mme Béatrice Santais
Excusés. - M. Jean-Michel Clément, M. Franck Reynier
Assistait également à la réunion. - M. Laurent Kalinowski