L'initiative citoyenne européenne, instituée par l'article 11 du traité de Lisbonne, vise à encourager une plus grande participation démocratique dans les affaires européennes : 1 million de citoyens d'au moins sept États membres – avec un nombre minimum de signataires requis dans chacun d'entre eux – peuvent inviter la Commission européenne à présenter une proposition législative dans n'importe lequel des domaines relevant des compétences de l'Union européenne.
Dans les trois mois suivant la présentation d'une ICE ayant recueilli le nombre requis de déclarations de soutien, la Commission européenne adopte une réponse officielle, sous forme d'une communication. Elle n'est cependant pas tenue de présenter une proposition législative.
L'initiative « L'eau et l'assainissement sont un droit humain ! L'eau est un bien public, pas une marchandise ! », dite « Right2Water », a été la première à satisfaire aux conditions requises et à aboutir. Elle a été transmise officiellement à la Commission européenne le 20 décembre 2013, après avoir recueilli le soutien de plus d'1 650 000 citoyens.
Ceux-ci invitaient la Commission européenne à proposer une législation faisant du droit à l'eau et à l'assainissement « un droit humain […] et à promouvoir la fourniture d'eau et l'assainissement en tant que services publics essentiels pour tous », à travers des mesures de trois types : contraindre les institutions européennes et les États membres à faire en sorte que tous les habitants jouissent du droit à l'eau et à l'assainissement ; préserver l'approvisionnement en eau et la gestion des ressources hydriques des règles du marché intérieur ; intensifier les efforts de l'Union européenne en faveur de l'accès universel à l'eau et à l'assainissement.
Ces propositions sont inspirées de la résolution adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 28 juillet 2010, qui érige l'accès à une eau potable, salubre et propre en « droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l'homme ».
Dans sa communication présentée consécutivement à la réussite de cette ICE, la Commission européenne compile l'ensemble des actions de l'Union européenne en faveur de la qualité de l'eau. En conclusion, elle y prend aussi une série d'engagements, qui risquent toutefois de ne déboucher sur aucune mesure contraignante : renforcement de la mise en oeuvre de la législation relative à la qualité de l'eau ; amélioration de la transparence de la gestion des données relatives aux eaux usées urbaines et à l'eau potable ; instauration d'un dialogue plus structuré entre les parties prenantes à propos de la transparence dans le secteur de l'eau ; coordination avec des initiatives existantes ; encouragement des approches innovantes pour l'aide au développement et le partage de bonnes pratiques entre États membres ; défense de l'accès universel à l'eau et à l'assainissement en tant que domaine prioritaire dans le cadre des futurs objectifs de développement durable ; lancement d'une consultation publique concernant la directive sur l'eau potable.
Cette réponse peut être considérée comme une occasion manquée. Il est en effet regrettable que la Commission européenne évacue clairement l'idée de la reconnaissance législative de l'accès à l'eau et à l'assainissement comme droit de l'homme au sens où l'entendent les Nations unies. Mais il est vrai que la troïka a imposé à la Grèce de privatiser la distribution de l'eau.
Signalons que le Comité économique et social européen (CESE), dans un avis de sa section spécialisée Agriculture, développement rural, environnement, soutient également la démarche de l'ICE « Right2Water ».
Comme le prévoyait sa communication, la Commission européenne a effectivement ouvert une consultation publique sur la qualité de l'eau potable dans l'Union européenne, qui court du 23 juin au 23 septembre 2014.
S'agissant des facteurs menaçant l'eau potable, des normes de qualité à faire respecter et de la surveillance à assurer, deux catégories de produits particulièrement pernicieux doivent faire l'objet d'une vigilance accrue : les herbicides et les pesticides, dont la combinaison peut provoquer des effets cocktails indésirables ; les médicaments, en particulier dans les eaux usées provenant des hôpitaux et des maisons de retraite, lesquelles devraient faire l'objet d'un traitement spécifique.
Il convient en outre de basculer d'une logique d'analyses physico-chimiques à une logique d'analyses biologiques, rendue possible par des progrès scientifique non encore valorisés dans le secteur de l'eau.
Une information doit être dispensée une fois par an à quiconque dispose d'un compteur à son nom. Mais les habitants de la plupart des immeubles collectifs, équipés d'un compteur unique, ne reçoivent aucune information. Il conviendrait que les syndics de copropriété aient l'obligation de relayer l'information reçue à l'ensemble des habitants de leurs copropriétés.
Enfin, une carte de France des dérogations aux normes de pollution de l'eau accordées localement a été publiée l'an dernier. Deux catégories doivent être distinguées : les dérogations ponctuelles, pour faire face à un problème temporaire exceptionnel, ne soulèvent aucune objection et sont même nécessaires ; en revanche, les dérogations pour trois ans, souvent renouvelées deux fois, interrogent quant à la réelle volonté des opérateurs impliqués à résoudre les problèmes de qualité de l'eau constatés.
En complément de ces éléments de réponse à la consultation publique de la Commission européenne, il importe de souligner qu'il s'agit d'une initiative « light », à l'instar de la communication qui l'annonçait. Le questionnaire soumis aux parties prenantes reflète le décalage profond entre la prudence des commissaires européens, réticents à s'immiscer dans les affaires des États membres sur ce sujet, et les aspirations des acteurs de terrain et des consommateurs.
La question de la qualité de l'eau se pose avec d'autant plus d'acuité pour notre pays, qui vient d'être condamné par la Cour de justice de l'Union européenne pour manquement à ses obligations en matière de lutte contre la pollution aux nitrates « dans une très grande partie » de son territoire.
Selon un rapport interministériel de juin 2014, plus de 8,5 % des 35 392 points de captage français présentent « un état qualitatif préoccupant », dans la mesure où les plafonds préconisés en matière de nitrates ou de pesticides y sont dépassés.
En réponse à la condamnation par la CJUE, le gouvernement français envisage de demander une modification de la directive nitrates, considérant, comme l'a dit le premier ministre Manuel Valls, que son « approche normative a clairement montré ses limites ». La logique suivante serait donc retenue : attention, la température du malade augmente ; alors cassons le thermomètre !
Cette nouvelle alerte sur la qualité de l'eau devrait plutôt inciter les pouvoirs publics à répondre aux attentes des acteurs de terrain et des consommateurs, d'autant que nombre de communes de notre pays, derrière Grenoble et Paris, peuvent faire valoir des expériences réussies de remunicipalisation de la distribution etou de l'assainissement, à travers des régies ou des sociétés publiques locales. Même là où ces services restent délégués à des entreprises oligopolistiques privées, les contrats de concession sont désormais moins chers, plus courts et mieux contrôlés. Résultat, la qualité de la ressource est améliorée, les réseaux sont entretenus plus convenablement et les familles retrouvent du pouvoir d'achat.
Une proposition de loi allant dans le sens de la résolution de 2010 des Nations unies est actuellement à l'étude. Si elle est adoptée, la France sera le premier pays du Nord à intégrer cette idée de « droit à l'eau » dans son corpus juridique. Alors que la loi Brottes de 2013 prévoit l'interdiction des coupures d'eau pour impayés, on en dénombre encore quelque 100 000 par an dans notre pays. Une mesure concrète consisterait à instaurer une taxe sur l'eau en bouteille, dont le produit serait affecté à des aides en faveur des 2,5 millions de ménages éprouvant des difficultés à s'acquitter de leur facture d'eau : un taux de prélèvement de 1 % dégagerait quelque 55 millions d'euros par an.
À l'échelon européen, une réponse similaire s'impose, en lieu et place de la réponse a minima proposée par la Commission européenne, manifestement conçue comme un enterrement de première classe de l'ICE « Right2Water ». L'Union européenne serait bien avisée d'amener les États membres, par le biais d'une directive, à inscrire le droit à l'eau dans leurs Constitutions nationales. Une telle mesure aurait une grande résonnance mondiale et contribuerait à anticiper le risque de « guérillas de l'eau » menaçant nombre de pays du Sud.
Je vous invite par conséquent à prendre acte de la consultation ouverte par la Commission européenne à propos de la qualité de l'eau potable en Europe, tout en regrettant que le questionnaire soumis aux parties prenantes n'évoque pas l'objectif de consacrer l'accès à l'eau et à l'assainissement comme des droits fondamentaux, essentiels au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l'homme.