Madame la ministre, nous sommes très honorés d'auditionner le troisième ministre de l'éducation nationale depuis le début de l'année 2014 ! Dans ce ministère régalien, la stabilité serait pourtant un facteur rassurant pour toute la communauté éducative.
La refondation devait être la grande loi qui redonnerait sens, dynamisme et performance à notre école. En réalité, de vos prédécesseurs, l'histoire retiendra une réforme ratée des rythmes scolaires. Celle-ci a totalement perturbé la vie des familles : les parents passent leur temps à jouer les chauffeurs souvent au détriment de leur travail ; les grands-parents sont privés de leurs petits-enfants dont ils s'occupaient le mercredi ; les frais de garderie supplémentaires grèvent le budget familial.
Cette réforme des rythmes laisse un goût amer à nos concitoyens. La carotte du fonds d'amorçage n'a pas suscité l'adhésion massive des maires à ce projet très inégalitaire et trop standardisé. Je ne peux comprendre qu'un gouvernement qui prône l'égalité des chances ait fait passer aux forceps une réforme dont l'efficacité pédagogique reste à démontrer.
Selon que l'on soit riche ou pauvre, que l'on soit de la ville ou de la campagne, les trois heures facultatives, payantes ou non, de garderie ou d'activité extrascolaire, sous la responsabilité du maire, sont une brèche dans l'égalité républicaine.
Un président de communauté de communes m'a confié son découragement devant cette réforme qui anéantit un patient travail d'élaboration d'un service périscolaire dont bénéficiaient les dix-huit communes de son établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Aujourd'hui, seule une commune a les moyens d'offrir les trois heures de nouvelles activités périscolaires à ses élèves. Une école plus juste disiez-vous ? La décision du tribunal administratif de Rouen, qui conforte celle du conseil municipal de Ganzeville, devrait vous inciter à revoir cette copie bâclée.
Une récente enquête de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) sur l'enseignement et l'apprentissage concluait à une revalorisation indispensable du métier d'enseignant en France. Nous avons des enseignants formidables qui aiment leur métier mais qui ne se sentent pas valorisés par la société. Il est important de souligner que les pays qui arrivent à concilier l'équité sociale avec de bons résultats éducatifs – au test PISA, par exemple – sont aussi ceux où les enseignants se sentent les mieux considérés.
Nous avons constaté une grave pénurie de professeurs au CAPES de mathématiques où à peine la moitié des places offertes au concours ont été pourvues, et le même phénomène se produit dans d'autres disciplines. Il ne suffit pas d'affirmer, injustement d'ailleurs, que désormais les professeurs sont mieux formés pour répondre à la crise des vocations. Qu'allez-vous proposer pour revaloriser le métier d'enseignant ?
Madame la ministre, je crois beaucoup à l'effet « chef d'établissement ». Depuis le début du quinquennat de François Hollande, la majorité martèle « priorité au primaire », un objectif que nous partageons. Pour donner une nouvelle impulsion à l'école primaire, pour mettre en place, le plus tôt possible, une politique plus efficace face à l'échec scolaire, pour éviter des redoublements souvent inutiles, pour consolider l'école du socle, pour coordonner les projets d'école, il faut que la fonction de directeur, véritable leader pédagogique de son école, soit reconnue à sa juste valeur. À quand un véritable statut pour les directeurs d'école ?
Deux questions pour terminer. Pourquoi avoir supprimé les bourses au mérite ? Les lycéens boursiers ayant obtenu une mention « très bien » au bac 2014 ne décolèrent pas et ont le sentiment d'une grande injustice après la parution de la circulaire du 24 juillet. C'était pourtant une belle façon d'aider des étudiants méritants, issus de familles modestes.
De quelle façon allez-vous prendre en compte le travail du Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO), l'organisme indépendant chargé d'évaluer le système scolaire qui a été créé, avec le Conseil supérieur des programmes, dans le cadre de la loi pour la refondation de l'école ? Le temps du ministre qui veut réformer immédiatement n'est pas le même que celui du chercheur qui doit étayer scientifiquement ses travaux. La relation entre l'école et les entreprises et la valorisation de l'enseignement professionnel, que vous venez d'évoquer, en sont d'excellentes illustrations.