Intervention de Isolde Devalière

Réunion du 16 septembre 2014 à 14h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Isolde Devalière, sociologue au Centre scientifique et technique du bâtiment, CSTB :

Je suis chargée du pilotage scientifique de l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), avec Bruno Maresca et d'autres experts.

La précarité énergétique est un sujet complexe car multiforme. En effet, elle concerne des ménages qui surconsomment, c'est-à-dire dont les dépenses d'énergie sont très élevées pour chauffer un logement défaillant, parce que celui-ci est soit mal isolé, soit doté d'un équipement de chauffage peu performant etou mal utilisé. Mais elle concerne également des ménages qui sous-consomment, c'est-à-dire qui se restreignent. Ce phénomène de restriction est très important, notamment chez les femmes.

L'indicateur officiel, le taux d'effort énergétique (TEE) – bien que simple et utilisé par de nombreuses collectivités – nous a semblé insuffisant. L'ONPE a alors construit l'indicateur « bas revenus dépenses élevées » (BRDE) et un troisième indicateur « froid » concernant les ménages qui déclarent avoir eu froid au cours de l'hiver précédent pendant au moins quarante-huit heures.

L'intérêt de ce second indicateur est qu'il est assez significatif de l'inconfort ressenti par les ménages et qu'il tient compte des phénomènes de restriction, ce que le taux d'effort énergétique ne fait qu'imparfaitement. Il a une limite dans le sens où il est déclaratif, donc plutôt subjectif. Néanmoins, depuis l'enquête « Performance de l'habitat, équipements, besoins et usages de l'énergie » (Phébus) réalisée en 2013, sur laquelle j'ai travaillé, il peut désormais être étayé car nous avons des données sur la qualité thermique du logement, notamment l'étiquette énergie.

J'ai donc précisément travaillé sur la question des ménages qui ont froid. C'est ainsi que 21 % des Français ont déclaré avoir eu froid dans leur logement au cours de l'hiver précédent l'enquête, et ce pour différentes raisons.

La première s'explique par leurs faibles ressources, puisque 45 % des « frileux » ont des revenus inférieurs à 12 000 euros par an, alors que cette tranche de revenus ne représente que 35 % des Français. La deuxième raison tient à l'inconfort de leur logement, doté d'une mauvaise isolation pour 31 % d'entre eux et d'une installation de chauffage insuffisante. Il faut savoir que 71 % des logements occupés par ces ménages déclarant avoir souffert du froid sont étiquetés E, F et G, contre 62 % du parc français.

La troisième raison invoquée concerne la difficulté à régler les températures intérieures, difficulté technique assez complexe. En effet, la plupart de ces personnes ne contrôle ni ne maîtrise la température, soit parce qu'il s'agit d'un chauffage collectif, soit parce que le chauffage est défaillant. Ces personnes n'ont donc pas la possibilité d'adapter la température à leurs besoins, ce qui pose un réel problème, en particulier pour les personnes âgées dont le besoin en confort thermique est plus élevé que la moyenne des Français. Une quatrième raison est liée au comportement de restriction, 11 % des ménages déclarant limiter leur consommation de chauffage pour des considérations financières.

Dans ce contexte, les femmes sont-elles davantage touchées par la précarité énergétique ? Un certain nombre d'hypothèses tendent à prouver qu'il s'agit là d'une réalité.

En effet, les femmes sont plus vulnérables à cause de leurs faibles ressources. On sait que 47 % d'entre elles font partie du premier quartile – c'est-à-dire des 25 % de ménages les plus pauvres –, ce qui constitue un motif de surexposition au risque d'avoir froid. Parmi elles, 53 % sont demandeurs d'emploi. Ces femmes sont fortement dépendantes d'un bailleur social ou privé, elles ont des charges élevées, a fortiori quand elles ont des enfants, et sont particulièrement sensibles au froid, surtout si elles sont âgées et très captives de leur logement.

Ainsi, à structure économique et logement donnés, les femmes se plaignent davantage du froid que les autres ménages.

Sur les 5,5 millions de ménages déclarant avoir eu froid, 2,1 millions sont des femmes isolées – elles représentent 38 % de notre échantillon. Dans cette population de femmes isolées, 1,47 million n'ont pas d'enfant – elles représentent un quart des ménages frileux – et 670 000 ont des enfants, ce sont les familles monoparentales.

Dans un premier temps, je vais aborder les familles monoparentales qui ont de faibles revenus, sont plutôt locataires du parc social, vivent dans des logements mal isolés et connaissent des situations de restriction permanentes.

Ces femmes sont actives pour 60 % d'entre elles – taux supérieur à la moyenne nationale –, mais elles occupent majoritairement des postes faiblement qualifiés. Ainsi, 62 % ont des revenus inférieurs à 12 000 euros par an et 11 % sont au chômage. On identifie donc une difficulté liée à des ressources insuffisantes pour faire face aux charges.

La précarité énergétique chez les familles monoparentales relève de cette problématique économique, mais également d'un mal-logement. Comme le montrent les nombreuses enquêtes que le CSTB a menées auprès des ménages en précarité énergétique, ces femmes ont à gérer des contraintes liées aux coupures d'eau et d'électricité, dont on peut imaginer les conséquences sur leurs relations sociales et familiales.

La majorité de ces familles monoparentales est locataire – à 80 %, contre 43 % des Français –, ce qui les rend très vulnérables. Elles sont 58 % à être logées dans le parc HLM et un tiers dans le parc privé. Ce parc locatif est ancien : un quart a été construit avant 1948 et 60 % entre 1949 et 1975.

Comme le montre l'enquête Phébus, 70 % de ces logements sont en mauvais état, puisqu'ils sont classés en étiquette E, F ou G, ce qui correspond à l'habitat le plus dégradé. Les deux tiers n'ont fait l'objet d'aucuns travaux, ce qui explique qu'un tiers de ces familles déclarent une mauvaise isolation de leur logement et – indicateur spécifique à ce groupe – des pannes durables de l'installation de chauffage, avec un taux supérieur à la moyenne nationale. Dans une moindre mesure, elles déclarent également un mauvais équipement de chauffage.

Ces locataires sont, en majorité, chauffés par le chauffage central, dont elles ne peuvent contrôler le niveau de température.

La mauvaise isolation et les défaillances du chauffage sont donc à l'origine de l'inconfort thermique déclaré. C'est ainsi que 58 000 femmes ont eu recours à un chauffage d'appoint comme chauffage principal.

En raison de la faiblesse de leurs ressources, 42 % d'entre elles éprouvent des difficultés à payer leurs factures, taux plus élevé que celui de l'ensemble des ménages déclarant avoir eu froid. Pour pouvoir faire face à leurs autres dépenses contraintes, comme le loyer, une sur deux restreint sa consommation de chauffage, soit en coupant le chauffage, soit en en réduisant la puissance ou la durée. Sept femmes sur dix déclarent privilégier l'économie d'électricité au confort, considéré dès lors comme un luxe, et un quart ne chauffe pas certaines pièces de leur logement.

On note également des pratiques de restriction sur leurs déplacements, puisqu'elles sont 67 % à déclarer les limiter pour des raisons de coût, contre 43 % au niveau national. Cela se traduit par une limitation de la distance parcourue pour une femme sur deux, alors même qu'elles ont besoin de se déplacer avec leurs enfants pour l'accès aux soins, aux services, aux équipements scolaires et sportifs, etc.

Voilà pour ce premier groupe : les familles monoparentales particulièrement pénalisées par des ressources très faibles et un logement de qualité très insatisfaisante.

Le second groupe que je veux évoquer est constitué de femmes isolées, actives ou retraitées, plutôt captives de leur logement et locataires du parc privé, dans des logements mal chauffés, qui ressentent donc un grand inconfort thermique.

Plus d'un tiers sont des femmes préretraitées et retraitées – ce sont les femmes âgées et seules. Un tiers sont actives, soit 35 % contre 49 % au niveau national. Et 10 % sont au chômage.

Au sein de ce groupe, la proportion d'étudiantes est trois fois élevée que la moyenne nationale.

Cette diversité de femmes isolées déclarant un inconfort thermique représente une grande diversité de catégories socioprofessionnelles (CSP), relativement proche de la moyenne nationale.

Leurs ressources sont également faibles : une femme sur deux perçoit moins de 12 000 euros par an.

Ce qui les distingue du groupe précédent est qu'elles sont majoritairement locataires du parc privé, à 62 % contre 38 % des femmes isolées avec enfants.

Elles sont plus souvent à leur domicile que celles du groupe précédent, ce qui s'explique par une part importante de femmes retraitées, plus dépendantes de leur logement et dont le niveau de consommation et d'exigence en termes de confort est plus élevé.

Comme elles le déclarent, le froid est lié à une mauvaise isolation, une installation de chauffage insuffisante et, dans une moindre mesure, à un hiver particulièrement rigoureux, ce qui peut s'expliquer encore une fois par le fait que les personnes âgées ont des besoins de confort élevés.

Elles habitent dans des logements anciens, de petite surface, qui n'ont pas fait l'objet de travaux. La plupart de ces logements sont classés en étiquette EFG, et en étiquette E pour 40 %.

Il s'agit donc plutôt pour ces ménages de problèmes liés à la qualité thermique du bâtiment, à l'équipement de chauffage, et bien sûr à des ressources insuffisantes. Elles s'imposent également des restrictions de chauffage, de la même façon que le groupe précédent, c'est-à-dire en coupant ou en réduisant la puissance et la consommation quand elles le peuvent, car 39 % d'entre elles ne peuvent pas régler la température.

Elles sont plus nombreuses que les familles monoparentales à privilégier le confort à l'économie – ce qui les distingue également du groupe précédent –, même si la majorité d'entre elles sont économes sur la consommation d'électricité et d'eau chaude.

Leurs dépenses d'énergie domestique sont relativement limitées, ce qui fait dire qu'elles ont vraiment des pratiques de restriction, puisqu'elles dépensent 813 euros par an, soit 430 euros de moins que la moyenne nationale. Cela peut s'expliquer par la taille du ménage – personne seule –, un comportement très économe, la faible surface du logement et le type de chauffage, individuel ou collectif.

Concernant les déplacements, six ménages sur dix freinent leur mobilité en raison du coût du carburant, notamment en limitant les distances parcourues. On peut donc penser qu'elles font leurs courses avec des amis, des connaissances, et pratiquent la marche à pied sur de courtes distances.

Ainsi, cette présentation permet d'identifier deux profils de femmes seules, avec ou sans enfant, touchées par la précarité énergétique. Elles ne déclarent pas tout à fait les mêmes difficultés, mais dans la plupart des cas, la problématique liée au chauffage et au bâti relève des bailleurs sociaux ou privés, sujet sur lequel nous pourrons revenir si vous le souhaitez.

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