La séance est ouverte à 14 heures.
Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.
La Délégation procède à l'audition de M. Bruno Maresca, responsable du département de l'évaluation des politiques publiques du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC), et de Mme Isolde Devalière, sociologue au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), sur la précarité énergétique.
Notre Délégation a souhaité se pencher sur le sujet de la précarité énergétique chez les femmes, passé sous silence dans l'étude d'impact du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
Selon les une note que vous nous avez communiquée, madame Devalière, il s'agit d'« étudier la population pauvre et modeste qui, pour atteindre un niveau de confort convenable, doit avoir des dépenses d'énergie qui la font basculer sous le seuil de pauvreté (60 % des revenus médians) ». Cette approche, autre que celle des 10 % de taux d'effort énergétique, nous semble intéressante.
Nous souhaitons donc connaître votre approche sur le sujet, ainsi que vos propositions visant à améliorer la situation des ménages pauvres et donc des femmes pauvres, propositions dont nous pourrons nous inspirer pour amender le projet de loi.
Je suis chargée du pilotage scientifique de l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), avec Bruno Maresca et d'autres experts.
La précarité énergétique est un sujet complexe car multiforme. En effet, elle concerne des ménages qui surconsomment, c'est-à-dire dont les dépenses d'énergie sont très élevées pour chauffer un logement défaillant, parce que celui-ci est soit mal isolé, soit doté d'un équipement de chauffage peu performant etou mal utilisé. Mais elle concerne également des ménages qui sous-consomment, c'est-à-dire qui se restreignent. Ce phénomène de restriction est très important, notamment chez les femmes.
L'indicateur officiel, le taux d'effort énergétique (TEE) – bien que simple et utilisé par de nombreuses collectivités – nous a semblé insuffisant. L'ONPE a alors construit l'indicateur « bas revenus dépenses élevées » (BRDE) et un troisième indicateur « froid » concernant les ménages qui déclarent avoir eu froid au cours de l'hiver précédent pendant au moins quarante-huit heures.
L'intérêt de ce second indicateur est qu'il est assez significatif de l'inconfort ressenti par les ménages et qu'il tient compte des phénomènes de restriction, ce que le taux d'effort énergétique ne fait qu'imparfaitement. Il a une limite dans le sens où il est déclaratif, donc plutôt subjectif. Néanmoins, depuis l'enquête « Performance de l'habitat, équipements, besoins et usages de l'énergie » (Phébus) réalisée en 2013, sur laquelle j'ai travaillé, il peut désormais être étayé car nous avons des données sur la qualité thermique du logement, notamment l'étiquette énergie.
J'ai donc précisément travaillé sur la question des ménages qui ont froid. C'est ainsi que 21 % des Français ont déclaré avoir eu froid dans leur logement au cours de l'hiver précédent l'enquête, et ce pour différentes raisons.
La première s'explique par leurs faibles ressources, puisque 45 % des « frileux » ont des revenus inférieurs à 12 000 euros par an, alors que cette tranche de revenus ne représente que 35 % des Français. La deuxième raison tient à l'inconfort de leur logement, doté d'une mauvaise isolation pour 31 % d'entre eux et d'une installation de chauffage insuffisante. Il faut savoir que 71 % des logements occupés par ces ménages déclarant avoir souffert du froid sont étiquetés E, F et G, contre 62 % du parc français.
La troisième raison invoquée concerne la difficulté à régler les températures intérieures, difficulté technique assez complexe. En effet, la plupart de ces personnes ne contrôle ni ne maîtrise la température, soit parce qu'il s'agit d'un chauffage collectif, soit parce que le chauffage est défaillant. Ces personnes n'ont donc pas la possibilité d'adapter la température à leurs besoins, ce qui pose un réel problème, en particulier pour les personnes âgées dont le besoin en confort thermique est plus élevé que la moyenne des Français. Une quatrième raison est liée au comportement de restriction, 11 % des ménages déclarant limiter leur consommation de chauffage pour des considérations financières.
Dans ce contexte, les femmes sont-elles davantage touchées par la précarité énergétique ? Un certain nombre d'hypothèses tendent à prouver qu'il s'agit là d'une réalité.
En effet, les femmes sont plus vulnérables à cause de leurs faibles ressources. On sait que 47 % d'entre elles font partie du premier quartile – c'est-à-dire des 25 % de ménages les plus pauvres –, ce qui constitue un motif de surexposition au risque d'avoir froid. Parmi elles, 53 % sont demandeurs d'emploi. Ces femmes sont fortement dépendantes d'un bailleur social ou privé, elles ont des charges élevées, a fortiori quand elles ont des enfants, et sont particulièrement sensibles au froid, surtout si elles sont âgées et très captives de leur logement.
Ainsi, à structure économique et logement donnés, les femmes se plaignent davantage du froid que les autres ménages.
Sur les 5,5 millions de ménages déclarant avoir eu froid, 2,1 millions sont des femmes isolées – elles représentent 38 % de notre échantillon. Dans cette population de femmes isolées, 1,47 million n'ont pas d'enfant – elles représentent un quart des ménages frileux – et 670 000 ont des enfants, ce sont les familles monoparentales.
Dans un premier temps, je vais aborder les familles monoparentales qui ont de faibles revenus, sont plutôt locataires du parc social, vivent dans des logements mal isolés et connaissent des situations de restriction permanentes.
Ces femmes sont actives pour 60 % d'entre elles – taux supérieur à la moyenne nationale –, mais elles occupent majoritairement des postes faiblement qualifiés. Ainsi, 62 % ont des revenus inférieurs à 12 000 euros par an et 11 % sont au chômage. On identifie donc une difficulté liée à des ressources insuffisantes pour faire face aux charges.
La précarité énergétique chez les familles monoparentales relève de cette problématique économique, mais également d'un mal-logement. Comme le montrent les nombreuses enquêtes que le CSTB a menées auprès des ménages en précarité énergétique, ces femmes ont à gérer des contraintes liées aux coupures d'eau et d'électricité, dont on peut imaginer les conséquences sur leurs relations sociales et familiales.
La majorité de ces familles monoparentales est locataire – à 80 %, contre 43 % des Français –, ce qui les rend très vulnérables. Elles sont 58 % à être logées dans le parc HLM et un tiers dans le parc privé. Ce parc locatif est ancien : un quart a été construit avant 1948 et 60 % entre 1949 et 1975.
Comme le montre l'enquête Phébus, 70 % de ces logements sont en mauvais état, puisqu'ils sont classés en étiquette E, F ou G, ce qui correspond à l'habitat le plus dégradé. Les deux tiers n'ont fait l'objet d'aucuns travaux, ce qui explique qu'un tiers de ces familles déclarent une mauvaise isolation de leur logement et – indicateur spécifique à ce groupe – des pannes durables de l'installation de chauffage, avec un taux supérieur à la moyenne nationale. Dans une moindre mesure, elles déclarent également un mauvais équipement de chauffage.
Ces locataires sont, en majorité, chauffés par le chauffage central, dont elles ne peuvent contrôler le niveau de température.
La mauvaise isolation et les défaillances du chauffage sont donc à l'origine de l'inconfort thermique déclaré. C'est ainsi que 58 000 femmes ont eu recours à un chauffage d'appoint comme chauffage principal.
En raison de la faiblesse de leurs ressources, 42 % d'entre elles éprouvent des difficultés à payer leurs factures, taux plus élevé que celui de l'ensemble des ménages déclarant avoir eu froid. Pour pouvoir faire face à leurs autres dépenses contraintes, comme le loyer, une sur deux restreint sa consommation de chauffage, soit en coupant le chauffage, soit en en réduisant la puissance ou la durée. Sept femmes sur dix déclarent privilégier l'économie d'électricité au confort, considéré dès lors comme un luxe, et un quart ne chauffe pas certaines pièces de leur logement.
On note également des pratiques de restriction sur leurs déplacements, puisqu'elles sont 67 % à déclarer les limiter pour des raisons de coût, contre 43 % au niveau national. Cela se traduit par une limitation de la distance parcourue pour une femme sur deux, alors même qu'elles ont besoin de se déplacer avec leurs enfants pour l'accès aux soins, aux services, aux équipements scolaires et sportifs, etc.
Voilà pour ce premier groupe : les familles monoparentales particulièrement pénalisées par des ressources très faibles et un logement de qualité très insatisfaisante.
Le second groupe que je veux évoquer est constitué de femmes isolées, actives ou retraitées, plutôt captives de leur logement et locataires du parc privé, dans des logements mal chauffés, qui ressentent donc un grand inconfort thermique.
Plus d'un tiers sont des femmes préretraitées et retraitées – ce sont les femmes âgées et seules. Un tiers sont actives, soit 35 % contre 49 % au niveau national. Et 10 % sont au chômage.
Au sein de ce groupe, la proportion d'étudiantes est trois fois élevée que la moyenne nationale.
Cette diversité de femmes isolées déclarant un inconfort thermique représente une grande diversité de catégories socioprofessionnelles (CSP), relativement proche de la moyenne nationale.
Leurs ressources sont également faibles : une femme sur deux perçoit moins de 12 000 euros par an.
Ce qui les distingue du groupe précédent est qu'elles sont majoritairement locataires du parc privé, à 62 % contre 38 % des femmes isolées avec enfants.
Elles sont plus souvent à leur domicile que celles du groupe précédent, ce qui s'explique par une part importante de femmes retraitées, plus dépendantes de leur logement et dont le niveau de consommation et d'exigence en termes de confort est plus élevé.
Comme elles le déclarent, le froid est lié à une mauvaise isolation, une installation de chauffage insuffisante et, dans une moindre mesure, à un hiver particulièrement rigoureux, ce qui peut s'expliquer encore une fois par le fait que les personnes âgées ont des besoins de confort élevés.
Elles habitent dans des logements anciens, de petite surface, qui n'ont pas fait l'objet de travaux. La plupart de ces logements sont classés en étiquette EFG, et en étiquette E pour 40 %.
Il s'agit donc plutôt pour ces ménages de problèmes liés à la qualité thermique du bâtiment, à l'équipement de chauffage, et bien sûr à des ressources insuffisantes. Elles s'imposent également des restrictions de chauffage, de la même façon que le groupe précédent, c'est-à-dire en coupant ou en réduisant la puissance et la consommation quand elles le peuvent, car 39 % d'entre elles ne peuvent pas régler la température.
Elles sont plus nombreuses que les familles monoparentales à privilégier le confort à l'économie – ce qui les distingue également du groupe précédent –, même si la majorité d'entre elles sont économes sur la consommation d'électricité et d'eau chaude.
Leurs dépenses d'énergie domestique sont relativement limitées, ce qui fait dire qu'elles ont vraiment des pratiques de restriction, puisqu'elles dépensent 813 euros par an, soit 430 euros de moins que la moyenne nationale. Cela peut s'expliquer par la taille du ménage – personne seule –, un comportement très économe, la faible surface du logement et le type de chauffage, individuel ou collectif.
Concernant les déplacements, six ménages sur dix freinent leur mobilité en raison du coût du carburant, notamment en limitant les distances parcourues. On peut donc penser qu'elles font leurs courses avec des amis, des connaissances, et pratiquent la marche à pied sur de courtes distances.
Ainsi, cette présentation permet d'identifier deux profils de femmes seules, avec ou sans enfant, touchées par la précarité énergétique. Elles ne déclarent pas tout à fait les mêmes difficultés, mais dans la plupart des cas, la problématique liée au chauffage et au bâti relève des bailleurs sociaux ou privés, sujet sur lequel nous pourrons revenir si vous le souhaitez.
Vous écrivez dans l'une de vos publications, monsieur Maresca, qu'« un tiers des ménages habitant les petites villes et la campagne se restreignent régulièrement sur le chauffage et le carburant. ». D'ailleurs, comme l'ont montré les « plans de déplacements entreprise » que j'ai réalisés dans ma circonscription il y a une dizaine d'années, les personnes qui habitaient à trente kilomètres de leur lieu de travail dépensaient plus de 500 euros par mois en carburant.
Effectivement, la mobilité est prise en compte aujourd'hui, notamment dans sa dimension contrainte que constituent les déplacements entre domicile et travail. Mais les actifs ne représentent que 50 % de la population. Or les inactifs doivent aussi pouvoir se déplacer pour se rendre dans les commerces et les services les plus élémentaires, comme La Poste ou la mairie. Aussi la mobilité contrainte est-elle encore mal cernée aujourd'hui, alors qu'elle constitue une problématique très importante. Il existe effectivement de grandes inégalités entre milieu rural et secteur périurbain en matière d'accès aux transports peu chers que sont les transports collectifs. De la même manière, un ménage rural doit le plus souvent recourir au fioul et utiliser sa voiture – donc des énergies fossiles, dont le prix est fluctuant –, alors qu'un ménage urbain bénéficie du gaz en réseau.
Avant l'enquête Phébus, réalisée par le ministère de l'écologie, nous nous basions sur l'enquête logement 2006, laquelle révélait déjà – à travers le taux d'effort énergétique (TEE), encore largement utilisé – de très grosses disparités liées aux types de ménages. Selon cette étude, les femmes seules sont en effet celles qui dépensent le plus en énergie pour leur logement : 26 % d'entre elles ont un taux d'effort énergétique supérieur à 10 % – elles sont 21 % pour les femmes avec enfants –, contre 14 % pour l'ensemble de la population. Comme l'a démontré Isolde Devalière, les femmes sont plus souvent en situation de précarité économique, à laquelle s'ajoutent de mauvaises conditions de logement. Ainsi, pauvreté et mal-logement vont de pair puisque, faute de ressources suffisantes, les gens n'ont d'autre choix que de vivre dans des logements de mauvaise qualité.
La précarité énergétique est un sujet multiforme, ce qui nécessite une adaptation des instruments de l'action publique.
Quand on parle de précarité énergétique, sont généralement évoquées des causes liées à un habitat très inconfortable – mauvaise qualité d'isolation et système de chauffage défaillant – ou aux sources d'énergie, le fioul coûtant nettement plus cher que le gaz de ville ou l'électricité pour atteindre la même température – sans compter qu'il ne bénéficie pas d'aide, d'où la question de l'inégalité territoriale que je viens de souligner.
Notre pays est mal placé par rapport aux pays d'Europe du Nord et même de l'Allemagne, car notre parc de logements est ancien et a été peu rénové au regard des critères d'efficacité énergétique. Les études menées par l'Union européenne sur la problématique de la précarité énergétique montrent que les pays les plus touchés ne sont pas les pays d'Europe du Nord, pour lesquels la dimension thermique est beaucoup plus essentielle, mais les pays du Sud et de l'Est de l'Europe, dont les parcs de logements sont anciens et peu rénovés.
Votre note indique d'ailleurs que 32 % des Français déclarent habiter un logement comportant au moins un défaut majeur de qualité, contre 19 % en Allemagne ou en Belgique ». Pourtant, ces pays sont proches. Vous écrivez également qu'en France, la notion de précarité [est devenue] une préoccupation des pouvoirs publics au milieu des années 2000, mais en 1970 au Royaume-Uni. La France n'a-t-elle pas pris suffisamment conscience de l'ampleur du phénomène ?
L'enquête européenne SILC sur les conditions de vie, en particulier de logement, aborde ces questions – sensation de froid déclarée, impossibilité de chauffer correctement, etc. Elle montre que certains pays, en particulier l'Allemagne, ont pris conscience – bien avant la France – de l'importance de la rénovation thermique.
Depuis quarante ans donc, le gouvernement britannique se préoccupe de la précarité énergétique, ce qui en fait un pionnier dans ce domaine. En effet, le Royaume-Uni, où les gens chauffent traditionnellement peu leur habitat, est le pays européen où le taux de mortalité hivernale est le plus élevé. C'est en faisant le lien entre chauffage insuffisant et problèmes de santé que ce pays a fait de la précarité énergétique une priorité de politique publique. En France, on ne fait pas suffisamment ce lien. Et pourtant, des études assez fines menées récemment par des économistes montrent que les mauvaises conditions de logement, en particulier de chauffage, ont un impact sur l'échec scolaire.
Au départ, la question de la précarité énergétique a été traitée uniquement sous l'angle social, puisque tous les ménages avec un impayé d'énergie étaient orientés vers les services sociaux, chargés de les aider à bénéficier d'une aide FSL (fonds solidarité logement) selon des critères d'éligibilité liés aux ressources.
La loi de décentralisation qui a permis aux conseils généraux de récupérer la compétence FSL a modifié la donne. En constatant que le fonds était épuisé dès le mois de mars, du fait de la présentation des factures d'hiver en commissions en début d'année, les conseils généraux ont réfléchi à la prévention et aux moyens d'aider plus de ménages. Puis la loi Grenelle 2 a rendu obligatoires les actions de prévention en matière de précarité énergétique, qui étaient jusque-là incitatives. Un grand nombre de campagnes de sensibilisation ont alors été menées sur le terrain pour une meilleure maîtrise de l'énergie.
Lorsque j'ai commencé à travailler sur ce sujet avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) il y a une quinzaine d'années, il était donc question de maîtrise de l'énergie et de lutte contre l'exclusion. Puis la notion de précarité énergétique a été introduite par la loi Grenelle 1 ; la loi Grenelle 2 lui a donné une définition, a prévu un outil d'observation – l'Observatoire national de la précarité énergétique – et un dispositif, le programme « Habiter mieux ».
Vos études sont très intéressantes.
Je voudrais attirer votre attention sur les communes rurales et les bourgs de moins de 20 000 habitants. Le paradoxe est terrible car, en s'éloignant des centres-villes pour aller vers la périphérie et trouver des logements moins chers, les gens voient leurs frais de transport et de chauffage augmenter.
La précarité énergétique touche particulièrement les personnes âgées et a un impact sur la santé des enfants. Disposez-vous de données en fonction du sexe et de l'âge ?
La notion de coût résidentiel, sur laquelle vous travaillez en partenariat avec GDF Suez, permet-elle d'établir une corrélation entre le fait d'être une femme et celui d'être confronté à la précarité énergétique ?
Les collectivités mettent en place, en partenariat avec l'État, le programme « Habiter mieux ». Il y a urgence à rénover un grand nombre de logements vétustes – 180 logements sociaux dans ma commune sont dans ce cas. Or la baisse de la dotation affectée aux collectivités rendra les choses encore plus compliquées.
Effectivement, l'habitat social n'est pas épargné par la précarité énergétique.
Les efforts de rénovation dans l'habitat social, via l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), sont plus significatifs que dans le secteur privé.
Avez-vous des propositions à nous faire ?
Nous sommes des analystes, et non des spécialistes des instruments de l'action publique. Néanmoins, nous distinguons trois types d'instrument.
Le premier est la rénovation du bâti, qui passe aujourd'hui par le programme « Habiter mieux », sur lequel le CREDOC réalise un travail d'évaluation qui nous permettra de vous donner prochainement des informations sur les publics bénéficiaires avec une approche sexuée. Jusqu'à présent, nous ne nous sommes pas focalisés sur l'aspect hommes- femmes, mais vos judicieuses demandes nous permettent de mettre en lumière des chiffres qui s'avèrent très parlants. Nous allons donc approfondir la question au regard de la situation spécifique des femmes.
Le deuxième instrument a trait aux moyens permettant de régler les problématiques d'impayés et de coupures d'énergie. En la matière, un préalable nécessaire est d'identifier plus précisément les ménages touchés.
Selon les énergéticiens, les coupures sont soumises à une procédure très précise visant à trouver des solutions, alors que la Fondation Abbé Pierre et la Croix-Rouge nous ont indiqué qu'un grand nombre de familles en étaient victimes. Connaît-on le nombre de coupures opérées chaque année ? Sait-on si elles augmentent ou pas ?
Selon un rapport du Médiateur national de l'énergie sur la précarité énergique, le nombre de coupures a augmenté.
Le problème est que l'on ne sait pas quels types de familles sont concernés, car on se heurte à un blocage des fournisseurs.
Aujourd'hui, on considère que la précarité énergétique commence quand le taux d'effort des dépenses consacrées à l'énergie est supérieur à 10 % – soit deux fois plus que la moyenne nationale. Or ce taux ne représente qu'une fraction de la population concernée par la précarité énergétique. L'autre fraction, ce sont les gens qui se restreignent – au point d'être largement en dessous de ce taux – et qui, de ce fait, vivent dans des logements très inconfortables et connaîtront des problèmes de santé.
En tant qu'analystes, nous considérons la réponse économique insuffisante, au regard des montants consacrés au tarif social et bientôt au chèque énergie.
Le troisième instrument de l'action publique est la norme. La piste selon laquelle un logement doit pouvoir être chauffé à 19 degrés me semble intéressante. Cette température de référence pourrait être prévue dans la conception et la construction des logements. Or actuellement, il n'existe aucune norme qui rende le logement impropre à l'habitation en cas de non-respect de telle ou telle caractéristique de bâtiment ou de conditions minimum d'existence dans un logement.
La réponse économique est centrale. Il s'agit de permettre aux ménages de disposer d'un reste à vivre suffisant.
La voie réglementaire est une autre réponse. Sans doute les associations ont-elles plaidé pour ce levier, puisque la Fondation Abbé Pierre demande l'introduction de critères de confort dans le décret sur le logement décent. Actuellement, il existe un flou sur la notion de logement décent, mais une fois qu'un logement pourra être déclaré officiellement inconfortable, sur la base de normes, la précarité énergétique pourra être combattue plus efficacement.
L'autre levier serait d'exiger la réalisation de travaux dans le parc ancien. La question est de savoir comment le faire tout en soutenant financièrement ces travaux, sachant que des propriétaires bailleurs n'en ont pas les moyens. L'étiquette énergie est une piste intéressante. On peut imaginer, par exemple, d'imposer une étiquette énergie minimale lors de toute transaction – vente ou location.
S'il est impossible de louer ou de vendre tant que les travaux ne sont pas réalisés, n'y a-t-il pas un risque d'abandons de logements ?
Certes, mais on ne peut pas s'abriter derrière cet argument.
En fait, il faudrait aider ceux qui n'en ont pas les moyens à mettre aux normes, et l'exiger de ceux qui peuvent le faire.
La simplification des aides est très importante. En effet, les procédures administratives et les critères d'attribution s'enchevêtrent, et il est compliqué de savoir quelles aides existent pour rénover son logement. En outre, les guichets, tels que les plateformes de rénovation, constituent un outil intéressant. Par ailleurs, l'achat d'équipements domestiques performants et économes pourrait être davantage soutenu. Il existe des aides de la CAF, très peu connues, qui permettent par exemple d'acheter un réfrigérateur classe A plutôt, ou d'aller en chercher un dans un dépôt. Le but est de diminuer la facture pour les ménages.
Enfin, il faut rendre le coût de la mobilité plus abordable. Une réflexion devrait être menée sur des règles d'urbanisme raisonné entre zones résidentielles et zones d'activité pour encourager la mobilité des plus modestes, notamment pour ceux à la recherche d'un emploi.
Je retiens de nos auditions que l'une des priorités est de rénover le bâti, et d'abord celui des plus pauvres, et qu'en attendant, il faut une aide au paiement des factures de toutes les sources d'énergie, mais aussi fixer des normes. Autrement dit, il faudrait, dans un premier temps, encourager et aider, en distinguant ceux qui ont les moyens et ceux qui ne les ont pas, et dans un second temps, prévoir un couperet – on peut imaginer un impôt foncier plus important ou un loyer moins élevé lorsque les gens continuent à louer des logements vétustes.
La Fondation Abbé Pierre et d'autres associations nous ont indiqué que les coupures d'électricité étaient nombreuses, alors que les distributeurs prétendent agir pour les éviter. En fait, certaines personnes ne regardent pas le courrier qu'elles reçoivent à cet effet, elles ne sont pas du tout dans l'optique d'une négociation. De la même manière, les femmes âgées en secteur rural ne demandent pas d'aide, elles ne pensent pas pouvoir en bénéficier et a fortiori elles n'envisagent pas de souscrire un prêt sur quinze ans.
Il semble que les artisans soient parfois réticents à rénover ces logements, car les travaux sont compliqués, peu valorisants, sans compter le problème de solvabilité.
Tout à fait, ce levier est nécessaire.
Au surplus, il est demandé aux artisans d'être qualifiés par des formations RGE (reconnu garant de l'environnement), ce qui est une contrainte supplémentaire pour des chantiers pas très valorisants ni rémunérateurs.
La séance est levée à 15 heures.