Intervention de Alain Calmette

Réunion du 13 novembre 2012 à 18h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Calmette, rapporteur pour avis :

À l'occasion de la discussion des crédits de la mission « Politique des territoires », j'ai déjà pu dire mon attachement à un aménagement du territoire équilibré, solidaire, écologique et durable. Cet attachement, je le porte en tant qu'élu de la préfecture la plus enclavée de France, Aurillac, comme en tant qu'élu de la nation souhaitant défendre avec détermination la cohésion territoriale de notre République.

Nombre d'entre nous, je le sais, partagent cette volonté. C'est le cas des auteurs de cette proposition de loi, et je tiens à les remercier ici.

L'inscription de ce texte, adopté par le Sénat le 14 février 2012, à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale nous offre l'occasion d'engager le débat sur l'aménagement numérique du territoire, enjeu majeur pour notre pays, notamment pour ses territoires les plus enclavés : nous devons mener une politique volontariste à moyen et long terme.

Cette proposition de loi pose, par son existence même, un constat d'échec de l'ancien Gouvernement – qui, là comme ailleurs, ne nous laisse pas grand-chose de concret. Je ne citerai que le fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT), créé en 2009, qui a tardé à être modestement alimenté, et pour lequel aucun financement pérenne n'a été prévu. L'exposé des motifs initial de ce texte relevait à juste titre que l'idée d'une France en pointe sur le numérique est un mirage : les indicateurs sont trompeurs. Il soulignait également avec pertinence qu'au rythme de déploiement actuel, il faudrait un siècle pour que tous les foyers soient raccordés à la fibre. Il y a un an, cette proposition de loi servait donc à envoyer un message à l'exécutif : la politique de l'État manquait de volontarisme et de lisibilité.

Or le contexte a changé : le nouveau Gouvernement a ouvert une nouvelle phase, plus constructive, avec la volonté de restaurer une relation plus apaisée entre tous les acteurs, mais aussi de mener une politique plus déterminée, avec un retour de l'État aux commandes.

Le 10 octobre dernier, dans sa présentation - en conseil des ministres - de la stratégie du Gouvernement pour le numérique, Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée, a rappelé que l'État entend reprendre le pilotage de la couverture intégrale du territoire en très haut débit. Elle a indiqué un choix industriel clair, la fibre optique, et une méthode, le volontarisme d'État.

Ce même 10 octobre, Mme Fleur Pellerin a également souligné, à Palaiseau, à l'occasion du lancement du projet de déploiement « Palaiseau 100 % fibre » qui vise à basculer du cuivre vers la fibre d'ici fin 2014, le besoin d'un certain « dirigisme étatique » pour rompre avec le tâtonnement et le « laisser-faire » qui ont prévalu jusqu'à maintenant. Le Gouvernement travaille actuellement sur le chiffrage du déploiement du très haut débit, afin de répondre aux besoins de financement de ce chantier colossal, et sera présent auprès des collectivités pour l'aménagement solidaire de leurs territoires afin de résoudre la fracture territoriale et sociale. Mme la ministre déléguée a clairement indiqué que ce sont les territoires les plus périphériques et les moins bien couverts qui doivent aujourd'hui être notre cible prioritaire. Devant l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (AVICCA), elle a précisé : « la fibre pour tous doit être la règle et le mix technologique, l'exception », la fibre offrant une solution durable à la question du déploiement du très haut débit pour tous et partout. Le lancement d'un plan « Delta fibre » a été annoncé ; dans ce cadre, une task force a été mise en place : elle a vocation à devenir la structure de pilotage capable de planifier le déploiement du très haut débit, de faire le lien avec les collectivités territoriales pour recueillir et diffuser leurs retours d'expérience, ou encore d'organiser le cofinancement des projets ou enfin le suivi de l'avancement du déploiement.

L'État stratège et péréquateur, l'État qui garantit et organise la solidarité, est de retour : le Gouvernement travaille aujourd'hui selon un calendrier précis. Au début du mois de décembre, sera lancée la consultation des acteurs sur les grands axes de la politique du Gouvernement en matière de très haut débit ; en février 2013, le Gouvernement dévoilera sa feuille de route, qui inclura notamment les modalités de financement et la nouvelle doctrine d'investissement, tous éléments indispensables aux collectivités locales. Enfin, un projet de loi devrait arriver au Parlement au début du printemps prochain.

C'est dans ce nouveau contexte qu'il faut aborder cette proposition de loi. Ce texte, déposé il y a de cela un an, peut apparaître séduisant sur plusieurs points ; il prend en considération les inquiétudes légitimes des collectivités locales, qui devront être prises en compte, et exprime des principes généraux qui méritent notre attention.

Notre commission doit pourtant se montrer prudente et le rejeter.

D'abord, le contexte a changé : le Gouvernement a changé, et la situation des opérateurs s'est dégradée depuis le début de cette année.

Ensuite, ce texte est juridiquement fragile, et il comporte des éléments susceptibles d'aller à l'encontre de la stratégie du Gouvernement – je pense par exemple à la différence d'approche de la relation entre les collectivités territoriales et les opérateurs privés.

Par ailleurs, différents textes portant sur le numérique sont à l'étude : en France – je pense en particulier au texte sur la décentralisation – mais aussi en Europe, avec la négociation en cours sur le « mécanisme pour l'interconnexion en Europe », pour les années 2014-2020. Il est essentiel de prendre en compte ces évolutions avant de légiférer.

Enfin, et c'est capital, cette proposition de loi ne résout pas la question du financement du déploiement du très haut débit.

Laissons donc le Gouvernement travailler ; n'ajoutons pas de la confusion quand nous avons justement besoin de visibilité et de choix clairs. Il ne serait pas responsable pour notre assemblée de court-circuiter le travail du Gouvernement et de faire fi de la concertation de tous les acteurs : collectivités territoriales, opérateurs privés, opérateur historique et industrie.

Le Parlement sera associé en temps voulu et pourra prendre alors toute sa place dans l'élaboration d'une politique publique garantissant l'égalité de tous et partout devant le numérique.

Notre assemblée a une haute idée de l'égalité territoriale. Nous serons intransigeants tant nous avons conscience, sur nos territoires, de l'importance du numérique dans le monde d'aujourd'hui et de demain. À offre technique comparable, la question des usages est d'ailleurs un enjeu encore plus crucial pour la vie en zone rurale qu'en milieu urbain : rien, bien sûr, ne remplacera une présence physique, mais les nouveaux usages numériques en milieu rural peuvent nous faire réaliser des progrès considérables. C'est pourquoi je propose au Gouvernement que se mette en place dès maintenant un groupe de travail sur cette question ; il pourrait s'appuyer sur l'imagination et la créativité des territoires ruraux, auxquelles rendait hommage hier notre collègue Thierry Benoit dans le débat sur la mission « Politique des territoires ».

Nous avons, vous le voyez, les moyens d'apporter notre contribution à la feuille de route du Gouvernement, et de l'améliorer lorsqu'elle nous aura été présentée, en février prochain. D'ici là, et en l'absence d'arbitrages concernant un certain nombre de points fondamentaux, il serait prématuré et contre-productif de voter cette proposition de loi. C'est dans cet esprit responsable et constructif que je propose le rejet de ce texte.

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