Je commencerai par une présentation générale du secteur associatif – son poids et le rôle qu'y jouent les départements.
Vous connaissez les chiffres : 1 300 000 associations ; 85,1 milliards de budget consolidé, dont les associations du secteur social de la santé représentent 45 % avec 38 milliards d'euros, celles du secteur du sport 11 % avec 9,3 milliards d'euros, et celles du secteur de la culture 10 % avec 8,3 milliards d'euros. Les départements se sont particulièrement investis dans ces trois secteurs.
Parmi les 1 300 000 associations, il convient de distinguer les 183 000 associations employeuses, dont la masse salariale peut être conséquente.
Les financements publics dont elles bénéficient proviennent à la fois des départements (23 %), de l'État (15 %), des organismes sociaux (à 11 %), des communes (à 7,5 %) et des régions (à 0,5 %). Elles peuvent toucher d'un côté une subvention – laquelle a été redéfinie par la loi sur l'économie sociale et solidaire – et de l'autre une tarification administrée, qui répond à une autre logique et relève d'un système d'autorisation. Cette différence de nature se retrouve dans le fait que la subvention est au compte 74 dans le plan comptable, tandis que la tarification administrée est au compte 73. Une association intervenant dans le secteur soumis à tarification bénéficie d'une autorisation pour 15 ans et se trouve donc dans une situation moins précaire que si elle était financée par subvention ou dans le cadre d'une convention triennale.
21 % des associations employeuses appartiennent au secteur santésocialmédico-social, ce qui représente 54 % de la masse salariale de toutes les associations et 53 % des employeurs du secteur associatif. 28 % appartiennent au secteur du sport et 19 % au secteur de la culture.
Dans ces trois secteurs, on constate qu'entre 1999 et 2011, la part des départements dans le financement des associations, hors tarification administrée, est passée de 9,3 % à 12,3 %. Les départements se sont donc davantage investis. Il ne semble pas qu'ils se soient désengagés en 2011-2012, malgré une situation financière tendue.
En revanche, l'État s'est désengagé dans le secteur associatif, puisque sa part de financement est passée de 15 % en 1999, à 11,3 % en 2011. Il en a été de même pour les organismes sociaux, dont la part est passée de 8,6 % à 6,7 %, et pour les communes, dont la part est passée de 15,2 % à 11,5 %. Les départements ont pallié en partie ces désengagements, mais on peut se demander s'ils pourront le faire dans les années qui viennent.
Enfin, les régions se sont davantage investies, même si leur part reste modeste : 2,9 % en 1999 et 3,5 % en 2011.
J'observe qu'avec la nouvelle définition de la subvention issue de la loi sur l'économie solidaire, c'est l'association qui propose à l'organisme de financer son projet associatif. Bien sûr, dans la pratique, le processus est beaucoup plus itératif : l'association contacte les départements ou les collectivités locales pour leur présenter son projet et leur demander s'il a des chances d'aboutir. Le maire ou le président du conseil général ne découvre pas le dossier sur son bureau au dernier moment.
Cette définition est intéressante en ce qu'elle devrait permettre de garantir l'autonomie du projet associatif, ce qui n'est pas le cas avec la tarification administrée, qui répond à une logique de schéma et de planification. Cela dit, les co-constructions sont possibles – et je ne voudrais pas être dans la caricature en prétendant que les associations font tout et que les pouvoirs publics suivent, ou à l'inverse que les pouvoirs publics s'imposent et instrumentalisent l'association.
L'ADF est bien placée pour le dire puisque, s'agissant de la refondation de l'aide à domicile, nous construisons un projet complet avec 15 fédérations. De même, sur l'ESAT famille et sur la notion de « parcours résidentiel » pour l'aide aux handicapés, nous pouvons parler d'une co-construction entre les associations et les collectivités, au niveau local comme au niveau national.
Je voudrais m'arrêter sur un autre élément important : il est actuellement envisagé de supprimer la clause de compétence générale. Or si les départements sont obligés, de par la loi, de se concentrer sur leurs compétences obligatoires, on est en droit de se demander s'ils ne vont pas se désengager vis-à-vis des associations.
On pourrait peut-être améliorer l'article 28 du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui précise que les compétences en matière de culture, de sport et de tourisme sont partagées entre les communes, les départements et les régions. Certes, il serait difficile de confier de telles compétences à une seule collectivité – d'autant que les départements se sont fortement engagés – ou d'empêcher telle ou telle collectivité d'intervenir. Mais ne pourrait-on pas étendre le champ de ces compétences partagées, par exemple à l'éducation populaire, à l'égalité et la défense des droits et des causes, ou au respect de l'environnement ?
Pour notre part, si la clause de compétence générale n'était pas maintenue, nous insisterons, en tant qu'ADF, sur le fait que le département se trouve au coeur des solidarités sociales et territoriales. Dans ce cadre, le département conservera-t-il peut-être, au moins, le droit de s'engager au-delà du domaine des prestations d'aide sociale proprement dites.
Un exemple : à l'heure actuelle, la politique départementale de protection de l'enfance ne se limite pas aux foyers de l'enfance, aux maisons d'enfants à caractère social, à l'AEMO (action éducative en milieu ouvert) et aux secours. Elle s'intègre à une politique plus globale sur la jeunesse, qui va bien au-delà du public de l'aide sociale à l'enfance. Et c'est heureux : la prévention contre le suicide concerne aussi bien les jeunes en difficulté que ceux de certains quartiers ou de certaines écoles où la pression de la performance entraîne, notamment, des addictions.
Dans les mois qui viennent, nous lancerons un véritable débat sur les conséquences qu'aurait la suppression de la clause de compétence générale pour les départements, notamment dans le secteur associatif, et dans des domaines très importants comme la culture, le développement, le sport, qui relèvent également du développement social. Des inquiétudes se sont fait jour. À quel compromis va-t-on aboutir ?
Mais il s'agissait là de subventions. Venons-en à la tarification administrée qui, je le répète, répond à une logique de planification, de schéma, mais aussi de co-construction. Or là encore, il y a de quoi s'inquiéter pour la compensation des charges des départements au titre des allocations de solidarité, pour la part d'« établissement », l'APA (allocation personnalisée d'autonomie) à domicile et l'aide sociale à l'hébergement.
Ainsi, la rétractation de la ressource et l'augmentation de la dépense risquent d'entraîner, pour les départements, une certaine difficulté à assumer, non seulement leurs compétences non obligatoires – comme l'aide aux associations – mais aussi leurs compétences plus traditionnelles.
Par ailleurs, nous avions beaucoup espéré du rapport sur le CICE publié l'année dernière par plusieurs députés, Yves Blein, Laurent Grandguillaume, Jérôme Guedj et Régis Juanico. Celui-ci comportait une vingtaine de propositions. Or celles-ci ont été assez peu reprises dans les PLFSS et PLF.
Pour notre part, nous souhaiterions que l'on reconnaisse les missions d'intérêt général dans le secteur social et médico-social, notamment dans le champ tarifé. Les dispositions législatives qui ont été votées en ce sens au Sénat à plusieurs reprises depuis le début de 2010 n'ont pas prospéré ; nous ne les avons pas retrouvées, comme nous le pensions, dans le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement.
Nous vous laisserons les amendements de l'ADF portant sur la refondation de l'aide à domicile, secteur associatif très important mais très en difficulté. Nous avons fait des propositions très concrètes : faire reconnaître la logique du contrat pluriannuel d'objectif et de moyens (CPOM) valant mandatement – au sens du droit communautaire – du département vis-à-vis des partenaires de l'aide à domicile, qui peuvent d'ailleurs ne pas être des partenaires associatifs – CCAS, organismes agréés relevant du code du travail dans la mesure où ils acceptent les missions d'intérêt général ; promouvoir la « bientraitance » ; prévenir la précarité énergétique. Ces propositions, que nous avons faites dans le cadre du projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement n'ont pas plus prospéré. Mme Rossignol a annoncé qu'au Sénat, on reviendrait peut-être dessus. Mais pour l'instant, nous restons en deçà des ambitions qui étaient celles de l'ADF sur la refondation de l'aide à domicile.
Il en est même des appels à projets, qui amènent à s'interroger, notamment, sur les risques d'instrumentalisation que vous avez évoqués.
Le projet de loi d'adaptation au vieillissement a introduit quelques assouplissements en la matière. C'est de bon augure, mais nous regrettons que l'on ne soit pas allé assez loin – en matière d'extension ou de recomposition de l'offre par le biais du changement des agréments, faut-il nécessairement passer par des appels à projets ? La création des structures expérimentales, qui sont au coeur du secteur associatif, est soumise à appel à projet. Pourtant, « par définition », on n'est pas dans une logique d'appel à projet lorsqu'il s'agit de structures expérimentales : le porteur du projet et l'autorité dialoguent pour apprécier le caractère effectivement expérimental de celui-ci, puis seulement peut venir l'appel à projet qui, dans la mesure où l'on connaît déjà la structure expérimentale, sera construit en fonction du dossier que l'on aura travaillé en commun. D'ailleurs, le cahier des charges national des appels à projets pour les structures expérimentales n'a jamais été publié…
Il y a donc toute une série de dispositions à prendre pour faire évoluer la législation sur les appels à projet, la refondation de l'aide à domicile ou la reconnaissance des missions d'intérêt général – comme c'est le cas dans le sanitaire.
Ensuite, l'analyse des difficultés financières nécessiterait sans doute de passer à la création d'une centrale des bilans des associations. Un amendement de l'ADF, soutenu par plusieurs groupes politiques, a été voté en ce sens à deux reprises au Sénat.
Aujourd'hui, une association qui touche plus de 153 000 euros de subventions doit déposer ses comptes certifiés par le commissaire aux comptes sur un site du Journal officiel. On pourrait améliorer la présentation de ce site, avec des « bibliothèques », en faisant apparaître les associations sociales, voire celles qui interviennent majoritairement dans le champ du handicap, de la protection de l'enfance, de la politique de la ville, etc.
Aujourd'hui ne sont concernées que les associations touchant plus de 153 000 euros de subventions. Les associations du champ médico-social autorisées, agréées pour quinze ans, tarifées en tarification administrative, ne sont pas obligées de déposer leurs comptes certifiés, puisqu'elles ne touchent pas de subventions – au titre du compte 74. C'est en tout cas ce que leur ont suggéré malicieusement certaines fédérations. Il semble malgré tout un peu dommage que soient exonérées de cette obligation des associations qui gèrent parfois plusieurs dizaines d'établissements et peuvent employer de 300 à 3 000 salariés – associations du type ADPEI (association départementale pour l'emploi intermédiaire), APAJH (association pour adultes et jeunes handicapés), UDAF (union départementale des associations familiales). Si elles étaient inscrites au greffe du tribunal du commerce, ces associations feraient partie des cinq premiers employeurs du département !
Certaines d'entre elles publient leurs comptes, parce qu'elles reçoivent par ailleurs des subventions – de l'AGEFIPH (Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées), au titre de la politique de la ville, etc. Au lieu d'entrer par la grande porte parce qu'elles touchent 40 millions de produits de la tarification, elles entrent par la petite porte parce qu'elles dépassent un certain seuil de subventions.
Nous souhaiterions donc la mise en place d'une vraie centrale des bilans. Cela nous donnerait une vision pluriannuelle et consolidée de la situation des associations. Nous connaîtrions celles qui sont en difficulté, notamment dans le champ du handicap. Nous connaîtrons leur mode de financement – tarification administrée ou de subventions. Nous saurions si elles font de plus en plus souvent appel à leurs adhérents ou à la vente de prestations. On sait par exemple que les associations sportives, qui touchent peu de subventions, touchent les adhésions du club et font appel au sponsoring.
Nous aurions ainsi une vision plus globale de la situation des associations, que l'on pourrait ainsi analyser dans la transparence. Cela me paraît être la contrepartie légitime du fait que nous devons nous pencher sur leurs difficultés.
Je terminerai sur une inquiétude. Nous nous réjouissons de la nouvelle définition de la subvention, qui permettra à des associations qui ont un projet d'obtenir une décision rapide sans passer par les arcanes des appels d'offre du médicosocial. Mais cette définition fait que de très nombreux d'organismes financés par des subventions d'équilibre ne pourront plus l'être. Je pense notamment aux CREAI (Centres régionaux d'études d'actions et d'informations, au service des personnes en situation de vulnérabilité), aux groupements d'entraide mutuelle ou aux MAIA (maisons pour l'autonomie et l'intégration des malades d'Alzheimer).
Cette subvention d'équilibre est quasiment automatiquement reconduite tous les ans, mais n'est pas demandée par les organismes eux-mêmes. Par ailleurs, ce ne sont pas des organismes autorisés pour quinze ans. La nouvelle définition, favorable pour toutes les associations de quartier engagées dans des actions de proximité, pourrait ne pas l'être pour celles qui vivent de subventions d'équilibre. Mieux vaudrait faire passer ces organismes dans une logique de tarification, et les inscrire dans la nomenclature des établissements et structures sociales et médicosociales, pour qu'ils puissent émarger à un financement non plus par subvention, mais par forfait. Nous avons donc alerté les ministères sur ces risques de déstabilisation.