L'audition débute à seize heures cinq.
Mes chers collègues, nous avons entendu le 9 septembre dernier la voix des communes et celle des régions. Nous allons entendre aujourd'hui celle des départements. J'ai en effet le plaisir d'accueillir M. Jean-Pierre Hardy, directeur des politiques sociales de l'Assemblée des départements de France.
Monsieur, comme vous le savez, les relations entre les collectivités territoriales et les associations sont au coeur des réflexions de notre commission d'enquête. Nous cherchons, en particulier, à savoir si elles se sont transformées dans les années récentes et si elles font toujours une place suffisante à l'autonomie du projet associatif.
S'agissant des départements, l'équation est peut-être compliquée par le fait que ceux-ci mettent en oeuvre de nombreuses politiques sociales obligatoires, et que nombre d'entre elles sont soumises à une tarification contrôlée par la puissance publique. Peut-on aller jusqu'à dire que les associations sont devenues de simples prestataires des collectivités ?
Mais avant de vous entendre et conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demanderai de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Jean-Pierre Hardy prête serment.)
Je commencerai par une présentation générale du secteur associatif – son poids et le rôle qu'y jouent les départements.
Vous connaissez les chiffres : 1 300 000 associations ; 85,1 milliards de budget consolidé, dont les associations du secteur social de la santé représentent 45 % avec 38 milliards d'euros, celles du secteur du sport 11 % avec 9,3 milliards d'euros, et celles du secteur de la culture 10 % avec 8,3 milliards d'euros. Les départements se sont particulièrement investis dans ces trois secteurs.
Parmi les 1 300 000 associations, il convient de distinguer les 183 000 associations employeuses, dont la masse salariale peut être conséquente.
Les financements publics dont elles bénéficient proviennent à la fois des départements (23 %), de l'État (15 %), des organismes sociaux (à 11 %), des communes (à 7,5 %) et des régions (à 0,5 %). Elles peuvent toucher d'un côté une subvention – laquelle a été redéfinie par la loi sur l'économie sociale et solidaire – et de l'autre une tarification administrée, qui répond à une autre logique et relève d'un système d'autorisation. Cette différence de nature se retrouve dans le fait que la subvention est au compte 74 dans le plan comptable, tandis que la tarification administrée est au compte 73. Une association intervenant dans le secteur soumis à tarification bénéficie d'une autorisation pour 15 ans et se trouve donc dans une situation moins précaire que si elle était financée par subvention ou dans le cadre d'une convention triennale.
21 % des associations employeuses appartiennent au secteur santésocialmédico-social, ce qui représente 54 % de la masse salariale de toutes les associations et 53 % des employeurs du secteur associatif. 28 % appartiennent au secteur du sport et 19 % au secteur de la culture.
Dans ces trois secteurs, on constate qu'entre 1999 et 2011, la part des départements dans le financement des associations, hors tarification administrée, est passée de 9,3 % à 12,3 %. Les départements se sont donc davantage investis. Il ne semble pas qu'ils se soient désengagés en 2011-2012, malgré une situation financière tendue.
En revanche, l'État s'est désengagé dans le secteur associatif, puisque sa part de financement est passée de 15 % en 1999, à 11,3 % en 2011. Il en a été de même pour les organismes sociaux, dont la part est passée de 8,6 % à 6,7 %, et pour les communes, dont la part est passée de 15,2 % à 11,5 %. Les départements ont pallié en partie ces désengagements, mais on peut se demander s'ils pourront le faire dans les années qui viennent.
Enfin, les régions se sont davantage investies, même si leur part reste modeste : 2,9 % en 1999 et 3,5 % en 2011.
J'observe qu'avec la nouvelle définition de la subvention issue de la loi sur l'économie solidaire, c'est l'association qui propose à l'organisme de financer son projet associatif. Bien sûr, dans la pratique, le processus est beaucoup plus itératif : l'association contacte les départements ou les collectivités locales pour leur présenter son projet et leur demander s'il a des chances d'aboutir. Le maire ou le président du conseil général ne découvre pas le dossier sur son bureau au dernier moment.
Cette définition est intéressante en ce qu'elle devrait permettre de garantir l'autonomie du projet associatif, ce qui n'est pas le cas avec la tarification administrée, qui répond à une logique de schéma et de planification. Cela dit, les co-constructions sont possibles – et je ne voudrais pas être dans la caricature en prétendant que les associations font tout et que les pouvoirs publics suivent, ou à l'inverse que les pouvoirs publics s'imposent et instrumentalisent l'association.
L'ADF est bien placée pour le dire puisque, s'agissant de la refondation de l'aide à domicile, nous construisons un projet complet avec 15 fédérations. De même, sur l'ESAT famille et sur la notion de « parcours résidentiel » pour l'aide aux handicapés, nous pouvons parler d'une co-construction entre les associations et les collectivités, au niveau local comme au niveau national.
Je voudrais m'arrêter sur un autre élément important : il est actuellement envisagé de supprimer la clause de compétence générale. Or si les départements sont obligés, de par la loi, de se concentrer sur leurs compétences obligatoires, on est en droit de se demander s'ils ne vont pas se désengager vis-à-vis des associations.
On pourrait peut-être améliorer l'article 28 du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui précise que les compétences en matière de culture, de sport et de tourisme sont partagées entre les communes, les départements et les régions. Certes, il serait difficile de confier de telles compétences à une seule collectivité – d'autant que les départements se sont fortement engagés – ou d'empêcher telle ou telle collectivité d'intervenir. Mais ne pourrait-on pas étendre le champ de ces compétences partagées, par exemple à l'éducation populaire, à l'égalité et la défense des droits et des causes, ou au respect de l'environnement ?
Pour notre part, si la clause de compétence générale n'était pas maintenue, nous insisterons, en tant qu'ADF, sur le fait que le département se trouve au coeur des solidarités sociales et territoriales. Dans ce cadre, le département conservera-t-il peut-être, au moins, le droit de s'engager au-delà du domaine des prestations d'aide sociale proprement dites.
Un exemple : à l'heure actuelle, la politique départementale de protection de l'enfance ne se limite pas aux foyers de l'enfance, aux maisons d'enfants à caractère social, à l'AEMO (action éducative en milieu ouvert) et aux secours. Elle s'intègre à une politique plus globale sur la jeunesse, qui va bien au-delà du public de l'aide sociale à l'enfance. Et c'est heureux : la prévention contre le suicide concerne aussi bien les jeunes en difficulté que ceux de certains quartiers ou de certaines écoles où la pression de la performance entraîne, notamment, des addictions.
Dans les mois qui viennent, nous lancerons un véritable débat sur les conséquences qu'aurait la suppression de la clause de compétence générale pour les départements, notamment dans le secteur associatif, et dans des domaines très importants comme la culture, le développement, le sport, qui relèvent également du développement social. Des inquiétudes se sont fait jour. À quel compromis va-t-on aboutir ?
Mais il s'agissait là de subventions. Venons-en à la tarification administrée qui, je le répète, répond à une logique de planification, de schéma, mais aussi de co-construction. Or là encore, il y a de quoi s'inquiéter pour la compensation des charges des départements au titre des allocations de solidarité, pour la part d'« établissement », l'APA (allocation personnalisée d'autonomie) à domicile et l'aide sociale à l'hébergement.
Ainsi, la rétractation de la ressource et l'augmentation de la dépense risquent d'entraîner, pour les départements, une certaine difficulté à assumer, non seulement leurs compétences non obligatoires – comme l'aide aux associations – mais aussi leurs compétences plus traditionnelles.
Par ailleurs, nous avions beaucoup espéré du rapport sur le CICE publié l'année dernière par plusieurs députés, Yves Blein, Laurent Grandguillaume, Jérôme Guedj et Régis Juanico. Celui-ci comportait une vingtaine de propositions. Or celles-ci ont été assez peu reprises dans les PLFSS et PLF.
Pour notre part, nous souhaiterions que l'on reconnaisse les missions d'intérêt général dans le secteur social et médico-social, notamment dans le champ tarifé. Les dispositions législatives qui ont été votées en ce sens au Sénat à plusieurs reprises depuis le début de 2010 n'ont pas prospéré ; nous ne les avons pas retrouvées, comme nous le pensions, dans le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement.
Nous vous laisserons les amendements de l'ADF portant sur la refondation de l'aide à domicile, secteur associatif très important mais très en difficulté. Nous avons fait des propositions très concrètes : faire reconnaître la logique du contrat pluriannuel d'objectif et de moyens (CPOM) valant mandatement – au sens du droit communautaire – du département vis-à-vis des partenaires de l'aide à domicile, qui peuvent d'ailleurs ne pas être des partenaires associatifs – CCAS, organismes agréés relevant du code du travail dans la mesure où ils acceptent les missions d'intérêt général ; promouvoir la « bientraitance » ; prévenir la précarité énergétique. Ces propositions, que nous avons faites dans le cadre du projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement n'ont pas plus prospéré. Mme Rossignol a annoncé qu'au Sénat, on reviendrait peut-être dessus. Mais pour l'instant, nous restons en deçà des ambitions qui étaient celles de l'ADF sur la refondation de l'aide à domicile.
Il en est même des appels à projets, qui amènent à s'interroger, notamment, sur les risques d'instrumentalisation que vous avez évoqués.
Le projet de loi d'adaptation au vieillissement a introduit quelques assouplissements en la matière. C'est de bon augure, mais nous regrettons que l'on ne soit pas allé assez loin – en matière d'extension ou de recomposition de l'offre par le biais du changement des agréments, faut-il nécessairement passer par des appels à projets ? La création des structures expérimentales, qui sont au coeur du secteur associatif, est soumise à appel à projet. Pourtant, « par définition », on n'est pas dans une logique d'appel à projet lorsqu'il s'agit de structures expérimentales : le porteur du projet et l'autorité dialoguent pour apprécier le caractère effectivement expérimental de celui-ci, puis seulement peut venir l'appel à projet qui, dans la mesure où l'on connaît déjà la structure expérimentale, sera construit en fonction du dossier que l'on aura travaillé en commun. D'ailleurs, le cahier des charges national des appels à projets pour les structures expérimentales n'a jamais été publié…
Il y a donc toute une série de dispositions à prendre pour faire évoluer la législation sur les appels à projet, la refondation de l'aide à domicile ou la reconnaissance des missions d'intérêt général – comme c'est le cas dans le sanitaire.
Ensuite, l'analyse des difficultés financières nécessiterait sans doute de passer à la création d'une centrale des bilans des associations. Un amendement de l'ADF, soutenu par plusieurs groupes politiques, a été voté en ce sens à deux reprises au Sénat.
Aujourd'hui, une association qui touche plus de 153 000 euros de subventions doit déposer ses comptes certifiés par le commissaire aux comptes sur un site du Journal officiel. On pourrait améliorer la présentation de ce site, avec des « bibliothèques », en faisant apparaître les associations sociales, voire celles qui interviennent majoritairement dans le champ du handicap, de la protection de l'enfance, de la politique de la ville, etc.
Aujourd'hui ne sont concernées que les associations touchant plus de 153 000 euros de subventions. Les associations du champ médico-social autorisées, agréées pour quinze ans, tarifées en tarification administrative, ne sont pas obligées de déposer leurs comptes certifiés, puisqu'elles ne touchent pas de subventions – au titre du compte 74. C'est en tout cas ce que leur ont suggéré malicieusement certaines fédérations. Il semble malgré tout un peu dommage que soient exonérées de cette obligation des associations qui gèrent parfois plusieurs dizaines d'établissements et peuvent employer de 300 à 3 000 salariés – associations du type ADPEI (association départementale pour l'emploi intermédiaire), APAJH (association pour adultes et jeunes handicapés), UDAF (union départementale des associations familiales). Si elles étaient inscrites au greffe du tribunal du commerce, ces associations feraient partie des cinq premiers employeurs du département !
Certaines d'entre elles publient leurs comptes, parce qu'elles reçoivent par ailleurs des subventions – de l'AGEFIPH (Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées), au titre de la politique de la ville, etc. Au lieu d'entrer par la grande porte parce qu'elles touchent 40 millions de produits de la tarification, elles entrent par la petite porte parce qu'elles dépassent un certain seuil de subventions.
Nous souhaiterions donc la mise en place d'une vraie centrale des bilans. Cela nous donnerait une vision pluriannuelle et consolidée de la situation des associations. Nous connaîtrions celles qui sont en difficulté, notamment dans le champ du handicap. Nous connaîtrons leur mode de financement – tarification administrée ou de subventions. Nous saurions si elles font de plus en plus souvent appel à leurs adhérents ou à la vente de prestations. On sait par exemple que les associations sportives, qui touchent peu de subventions, touchent les adhésions du club et font appel au sponsoring.
Nous aurions ainsi une vision plus globale de la situation des associations, que l'on pourrait ainsi analyser dans la transparence. Cela me paraît être la contrepartie légitime du fait que nous devons nous pencher sur leurs difficultés.
Je terminerai sur une inquiétude. Nous nous réjouissons de la nouvelle définition de la subvention, qui permettra à des associations qui ont un projet d'obtenir une décision rapide sans passer par les arcanes des appels d'offre du médicosocial. Mais cette définition fait que de très nombreux d'organismes financés par des subventions d'équilibre ne pourront plus l'être. Je pense notamment aux CREAI (Centres régionaux d'études d'actions et d'informations, au service des personnes en situation de vulnérabilité), aux groupements d'entraide mutuelle ou aux MAIA (maisons pour l'autonomie et l'intégration des malades d'Alzheimer).
Cette subvention d'équilibre est quasiment automatiquement reconduite tous les ans, mais n'est pas demandée par les organismes eux-mêmes. Par ailleurs, ce ne sont pas des organismes autorisés pour quinze ans. La nouvelle définition, favorable pour toutes les associations de quartier engagées dans des actions de proximité, pourrait ne pas l'être pour celles qui vivent de subventions d'équilibre. Mieux vaudrait faire passer ces organismes dans une logique de tarification, et les inscrire dans la nomenclature des établissements et structures sociales et médicosociales, pour qu'ils puissent émarger à un financement non plus par subvention, mais par forfait. Nous avons donc alerté les ministères sur ces risques de déstabilisation.
Merci monsieur Hardy. Je souhaiterais vous interroger sur le contenu des appels à projets. Ceux-ci peuvent-ils réellement être considérés comme une co-construction de réponses encore plus adaptées aux besoins de la population ? Selon vous, comment pourraient-ils s'inscrire dans le cadre de l'innovation sociale ? Il me semble important, à l'aube de la prochaine réforme territoriale, de pouvoir prendre en compte la qualité des projets et la façon dont ils peuvent s'inscrire dans l'avenir.
La position de l'ADF est que les appels à projets se justifient lorsque, sur un territoire, on n'a pas pu répondre à certains besoins, soit parce qu'il n'y a pas d'« opérateurs » pour le faire, soit parce que les pouvoirs publics estiment que la réponse d'un opérateur n'est pas ou plus satisfaisante. Dans ce cas, inutile de continuer à contractualiser avec cet opérateur, qui vit peut-être sur une sorte de « monopole historique ». Mieux vaut alors recourir à l'appel à projets après avoir défini le type d'équipements ou de prestations dont on a besoin. On a déjà vu les initiatives d'opérateurs répondre à leur rationalité propre plutôt qu'aux besoins effectifs du territoire sur lequel ils opèrent.
En revanche, les appels à projet nous semblent inutiles lorsque les partenaires travaillent bien ensemble. Autant entrer dans une logique de contractualisation. D'ailleurs, dès avant la loi Hôpital, patients, santé et territoire, l'outil CPOM permettait de contractualiser sur la recomposition de l'offre.
Nous sommes donc plutôt favorables à ce que, dans le cadre d'un contrat, on puisse intégrer la recomposition de l'offre (à la fois quantitative et qualitative) ou son extension – bien évidemment dans la limite des enveloppes du financeur. On peut alors entrer dans une logique de filière.
Par exemple, dans les foyers de vie ou dans les foyers occupationnels, il est possible de faire des appartements partagés ou de la résidence sociale, qui ne relèvent pas du code de l'action sociale et de la famille, mais du code de la construction.
Nous avons beaucoup travaillé avec certains partenaires sur ce que l'on appelle le « parcours résidentiel ». Admettons qu'il faille répondre, sur un territoire, aux besoins d'une file active de 100 à 120 personnes – 100 si elles sont lourdement handicapées, et 120 si elles le sont moins et nécessitent donc un moindre accompagnement. Peut-être que dans trois ou quatre ans, le vieillissement fera qu'il faudra abandonner des appartements qui étaient en colocation et refaire une structure un peu plus encadrée.
Par rapport à l'appel à projet, la contractualisation a l'avantage de la souplesse. Elle pourrait remplacer celui-ci, sur un territoire où l'on travaille depuis des années avec le même partenaire. Si on a autorisé l'établissement, voire la chaîne d'établissements et de services, c'est que l'on a plutôt confiance en ce partenaire.
Enfin, comme je le disais tout à l'heure, tout ce qui est innovation doit échapper à l'appel à projet. En tant que professionnel, je me souviens que dans le passé, il était difficile de mener à bien des projets innovants. La composition des CROSS, les anciens comités régionaux d'organisation sociale et médico-sociale, faisait qu'il fallait se battre contre des conservatismes, alors même que le projet avait été discuté au niveau local. Pour ma part, je considère donc que les projets innovants doivent plutôt relever du gré à gré et de la contractualisation, ce qui permet d'éviter de les dénaturer.
À propos de notre rapport sur la fiscalité du secteur privé non lucratif qui a été remis au Premier ministre en décembre 2013, j'observe qu'il est encore trop tôt pour dire que les propositions qu'il contient sont peu nombreuses à avoir été mises en oeuvre. Des mesures ont déjà prises et j'espère que d'autres suivront, notamment dans le cadre du PLF 2015. Ce premier volet de mesures porte sur la simplification des obligations fiscales et administratives des associations – notamment dans la loi sur l'économie sociale et solidaire.
J'observe aussi, même si des difficultés ponctuelles peuvent se poser dans tel ou tel secteur, que la nouvelle définition de la subvention est de nature à sécuriser, sur le plan financier et juridique, aussi bien les associations que les collectivités territoriales. En outre, pour la première fois dans notre histoire, cette définition de la subvention est maintenant inscrite dans la loi.
Nous avons avancé sur un certain nombre de sujets, comme la sécurisation du périmètre du versement transport – même s'il reste sans doute quelques ajustements à faire dans les prochaines semaines à l'occasion du projet de loi de finances. Nous espérons avancer sur l'augmentation des seuils de lucrativité.
Reste une question majeure, qui est davantage d'ordre budgétaire et financier : la distorsion de concurrence entre le secteur privé lucratif d'un côté, et le secteur privé non lucratif de l'autre. En particulier, nous devrons nous pencher sur la taxe sur les salaires qui s'applique d'abord au secteur associatif et le pénalise tout particulièrement. En effet, dans ce secteur, beaucoup de bas salaire. Une première mesure a fait passer le seuil d'abattement de 6 000 à 20 000 euros. Peut-on encore aller un peu plus loin ? Mais surtout, est-il possible aujourd'hui de revoir ce système et de le moduler en faveur du secteur associatif ?
Ce sont des sujets sur lesquels nous sommes amenés à discuter et à travailler avec le Gouvernement.
Ma question porte sur le deuxième volet de la réforme territoriale, avec la disparition de la clause de compétence générale pour les départements et les régions, et le maintien de compétences partagées, notamment dans les secteurs du tourisme, du sport et de la culture.
Avec la mention des secteurs du sport et de la culture, de nombreuses associations seront concernées. Mais comme les compétences propres et spécifiques du département tournent autour de la solidarité, comme vous l'avez fait remarquer, de nombreuses associations à caractère social pourraient être réintégrées. Et on pourrait mettre en avant l'action du département envers la jeunesse et la famille pour en réintégrer d'autres.
Je pense toutefois que nous devons éviter de dresser une liste à la Prévert, car nous risquerions d'en oublier. Mais ne pourrions-nous pas rajouter, parmi les compétences partagées, « vie associative » à « sport, culture et tourisme » ? Cela définirait un périmètre tout à fait cohérent, qui permettrait encore à la collectivité départementale d'accompagner de très nombreux projets sur le terrain, à ce niveau de collectivité. Pensez-vous que ce soit une bonne idée ? Cela ne nous dispensera pas, bien évidemment, de clarifier les compétences entre les différents échelons.
Nous savons que depuis des décennies, l'État s'est défaussé sur les associations pour faire de la politique sociale. Si l'on ne fait pas rentrer le secteur associatif dans le champ des compétences départementales, il n'y aura plus personne pour accompagner certains publics fragiles. Je m'inquiète tout particulièrement pour les femmes victimes de violences conjugales, qui sont déjà très précarisées. Qu'en pensez-vous ?
En février dernier, l'Assemblée des départements de France a signé avec l'État la Charte sur la vie associative. Selon vous, quels sont les apports et quelles sont les faiblesses de cette charte ? Comment a-t-on commencé à l'appliquer ? Constitue-t-elle un atout ?
S'agissant des compétences obligatoires du département, je m'interroge. Par exemple, l'action sociale en faveur de l'enfance, la protection de l'enfance et la prévention spécialisée, qui sont des compétences très proches, sont exercées à la fois par le secteur associatif, où figurent notamment des structures porteuses qui remplissent des missions directes de service public mais seront toujours à la marge entre le local et le national, et par les collectivités territoriales. Cette situation particulière a-t-elle été envisagée ?
Notre point de vue est qu'il ne faut pas en rester à l'article 28 du projet de loi, qui fait du tourisme, du sport et de la culture, les seuls domaines de compétence partagée.
Nous avions quelques idées, mais c'est bien sûr à la représentation parlementaire d'y travailler et de voir ce qu'il serait possible de rajouter. Nous pensions à : « éducation populaire » ; « égalité, défense des droits et des causes », « respect de l'environnement ». M. Juanico proposait : « vie associative », mais c'est un champ très large. Il faut sans doute trouver un point d'équilibre, en tenant compte des contraintes financières, actuelles ou à venir. On voit bien en effet que l'on se dirige vers une volonté de maîtrise des dépenses des collectivités territoriales – on parle même de faire, à l'image de l'ONDAM, des « enveloppes » limitatives pour les conseils des collectivités territoriales. Une autorité financière ou de l'État pourrait dire au président du conseil général que l'association qu'il a accepté de subventionner n'intervient pas, par exemple, dans le secteur de la culture. Il faut que l'on fasse attention.
Je pense que cela répond à votre question, madame la rapporteure. Il faut pouvoir laisser ouverts ces financements. Évidemment, ce ne sont pas des dépenses obligatoires. Reste que la collectivité s'est engagée sur quinze ans en autorisant une association à gérer un dispositif et qu'elle ne peut pas retirer le financement – même si elle peut en débattre et discuter du tarif.
Sur la Charte qui a été signée, j'ai lu que le rôle de l'ADF avait été très important. D'ailleurs, son chef de file, M. Michel Dinet, le président du conseil général de Meurthe et Moselle, était très versé sur le sujet. Cette charte a évolué par rapport à celle de 2001 : les droits et les engagements des uns et des autres sont mieux équilibrés. Ce n'est donc pas un « objet non identifié » pour l'ADF. C'est même un document très important.
Sur tout une série de sujets que j'ai déjà évoqués, comme la refondation de l'aide à domicile ou l'aide à domicile vis-à-vis des familles en difficulté particulière, des projets ont été signés par ADF et les fédérations nationales – 15 fédérations pour l'aide à domicile, et 4 pour les problèmes des familles en difficulté particulière.
Sur les parcours résidentiels, notre projet a été repris dans un document qui a été adopté à l'unanimité des membres de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) : syndicats, organismes représentatifs des personnes en situation de handicap et des personnes âgées.
Je pense donc que l'on est bien dans la co-construction, même s'il s'agit d'un partenariat où l'on doit respecter la position de l'autre sans forcément chercher le plus petit dénominateur commun.
Ensuite, la reconnaissance rapide de ce que l'on appelle les « missions d'intérêt général » nous semble particulièrement importante. Ce serait le moyen de mettre fin à une fausse concurrence entre le secteur privé commercial et les services d'aide à la personne. Bien sûr, beaucoup d'institutions essaient de s'investir dans ce domaine. Quand il s'agit d'aide à la vie quotidienne, la prestation est la même. Une heure d'aide à domicile assurée par un service commercial équivaut à celle assurée par un CCAS. En revanche, dans le cadre des missions d'intérêt général, le service à domicile pourrait faire autre chose (par exemple, de la prévention de la maltraitance) qui n'aurait d'ailleurs pas à rentrer dans le calcul d'un tarif horaire. C'est ce que nous expérimentons dans les départements.
Il faudrait donc que tous les services à domicile emploient non seulement des aides à domicile, mais aussi d'autres professionnels. Je pense, par exemple, à un ergothérapeute qui irait régulièrement au domicile d'une personne âgée pour la convaincre de quitter sa chambre située au nord pour s'installer dans une autre, mieux exposée, ou d'enlever la baignoire dans la salle de bain. Et cela ne se fait pas en un jour.
Nous souhaitons donc que l'on reconnaisse les missions d'intérêt général dans le secteur médicosocial et social, comme on l'a fait dans secteur sanitaire. En 2010-2012, Yves Daudigny avait soutenu au Sénat des amendements en ce sens. On lui avait alors expliqué qu'on n'allait pas reconnaître les missions d'intérêt général dans le secteur médicosocial et social, puisqu'on voulait les supprimer dans le secteur sanitaire, les tarifs de T2A devant s'appliquer partout. Maintenant, des rapports du Sénat ont abouti à la conclusion qu'on ne pouvait pas fonctionner à 100 % de T2A, en raison de certaines contraintes particulières – par exemple, la précarité du public, la nécessité d'une formation, etc.
Voilà des années que nous essayons de faire passer cette idée. La reconnaissance des missions d'intérêt général apporterait de la souplesse et du financement.
Mais je reviens à vos questions. Dans les 55 propositions formulées par l'ADF en 2011 sur la perte d'autonomie, nous avions proposé la suppression de la taxe sur les salaires – pour réduire le reste à charge – et l'application du même régime de TVA que dans les autres établissements. Aujourd'hui en effet, il y a une distorsion de concurrence entre le secteur associatif et public et le secteur commercial qui facture ses tarifs avec une TVA à 5,5 % et récupère la TVA sur l'alimentation. Ainsi, les tarifs « hébergement, restauration » dans une maison de retraite commerciale sont potentiellement moins élevés que dans le secteur public et associatif. Un alignement permettrait, soit d'améliorer la qualité de prise en charge, soit de réduire le reste à charge. Comme quoi la distorsion de concurrence n'est pas forcément dans le sens que l'on pense.
Telles sont nos propositions. Je terminerai sur une des mauvaises nouvelles qui peuvent inquiéter les départements : l'application de la taxe transport, dont étaient exonérés de nombreux établissements sociaux et médicosociaux et d'associations financées par le département. Il faut revoir la loi. Selon nous, les associations qui ont des structures habilitées « aide sociale » devraient être exonérées. Sinon, elles seront obligées – par le juge de la tarification ou par la négociation – de revaloriser leurs tarifs en 2015, ce qui se répercutera sur le reste à charge.
Il est vrai que certains, qui voulaient que seules les fédérations reconnues d'utilité publique et les associations adhérant à une fédération reconnue d'utilité publique soient exonérées, ont joué un jeu un peu dangereux. C'était une manière un peu maladroite de gagner des adhérents. Il faut rappeler qu'une association ou une fédération reconnue d'utilité publique ne peut pas franchiser sa reconnaissance d'utilité publique à ses adhérents – dans le passé, cela a causé de grosses difficultés à certaines associations. Le pouvoir de contrôler la reconnaissance d'utilité publique relève du Conseil d'État.
Ce qui va se jouer dans les semaines qui viennent, dans le cadre du PLF, est important. Cette taxe sur les transports peut fortement impacter les finances départementales, mais aussi le reste à charge des personnes, notamment âgées. Les départements financent 3 milliards d'APA en établissement, à peu près 2 milliards d'aide sociale à l'hébergement. Mais les personnes âgées paient 8 milliards d'euros de tarifs, la participation de l'aide sociale n'étant que de 20 %. Voilà pourquoi nous nous inquiétons des conséquences de cette taxe.
L'audition s'achève à seize heures cinquante.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d'avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social.
Réunion du 30 septembre 2014 à 16 h 05
Présents. – M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Françoise Dumas, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Régis Juanico, Mme Bernadette Laclais.
Excusés. – M. Jean-René Marsac.