Quand j'entends dire que les centraliens ont tendance à prendre le pas sur les polytechniciens dans un certain nombre d'activités, cela me rappelle de vieux souvenirs. Quand, en 1966, le général de Gaulle a nommé Edgar Pisani – ce « réformateur vocationnel », comme disait Edgar Faure – à la tête d'un grand ministère de l'équipement réunissant les transports et la construction, cela a abouti, un an plus tard, à la création des directions départementales de l'équipement. À l'époque, les polytechniciens et les centraliens se livraient une concurrence farouche pour travailler au service des DDE – alors même que les conditions de travail n'y étaient pas celles d'aujourd'hui, ces services étant souvent logés dans des bâtiments vétustes ou des préfabriqués !
Pour ce qui de la pantoufle, j'y vois moi aussi un scandale. Quand un inspecteur des impôts décide, après quelques années de cette activité, de rejoindre un cabinet fiduciaire, il a l'obligation de rembourser ce dont il a bénéficié, et c'est bien normal – ce qui l'est moins, c'est qu'un polytechnicien menant carrière dans le secteur privé dès sa sortie de l'École ait été exonéré de cette obligation.
Cela étant, cette pratique n'est pas nouvelle, et son observation nous renseigne également sur le niveau des enseignements dispensés par l'X. Il paraît que, depuis quelque temps, on reproche aux polytechniciens désireux de travailler pour les banques londoniennes une formation mathématique insuffisante s'ils n'ont pas suivi le séminaire de mathématiques financières de Paris VI. Il y a là de quoi se poser des questions.
De même, le fait pour les polytechniciens de prendre part à la compétition mondiale, notamment dans le secteur pétrolier, a mis en évidence le fait que la France pouvait être vue, de l'étranger, comme un pays de castes. François-Xavier Ortoli, ancien ministre de l'économie et des finances, et PDG de Total de 1984 à 1990, m'a ainsi rapporté que les Américains présents sur les plates-formes pétrolières indonésiennes s'étonnaient que constater que le directeur régional de Total était polytechnicien, tandis que son subordonné immédiat était centralien, et les directeurs de plates-formes souvent issus des Arts et Métiers ! Peut-être notre pays a-t-il grandi trop vite, et insuffisamment évolué sur certains points.
En conclusion, je dirai que le rapport de notre collègue est intéressant dans la mesure où il ne stigmatise pas, mais appelle à un réveil. Je rappelle qu'à l'âge de quarante ans, le polytechnicien Alfred Dreyfus n'était que capitaine.