Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure générale, mes chers collègues, 1964-2014, l’on fête les cinquante ans de la loi sur l’eau, qui a donné à notre pays ce qu’on appelle le modèle français de l’eau, qui est largement transposé dans d’autres pays.
Si j’évoque cette date – et mon propos sera centré, vous l’avez compris, sur le prélèvement envisagé sur les budgets des agences de l’eau –, c’est bien parce que ce modèle anticipait à la fois la décentralisation et la directive-cadre sur l’eau, avec la notion de bassin-versant.
Ces agences de l’eau sont des établissements publics de l’État, des opérateurs de l’État. Vous avez décidé, pour résoudre les difficultés de nos finances publiques, que je ne sous-estime pas, et je partage la nécessité de les résoudre, de mettre les opérateurs à contribution, parmi lesquels les agences.
La pratique avait déjà été employée l’an dernier, à hauteur de 220 millions d’euros, et, dans la loi de programmation des finances publiques pour trois ans, c’est trois fois 175 millions d’euros que vous envisagez de prélever. Les prélèvements s’accélèrent donc. Nous les avions déjà condamnés lorsque Roselyne Bachelot en avait fait en son temps car c’est le principe selon lequel l’eau paie l’eau qui est battu en brèche.
Un tel prélèvement, c’est finalement prendre dans la poche du consommateur d’eau lorsqu’il règle sa facture, alors même que l’État reçoit déjà au passage la TVA sur ces factures d’eau, ce qui, si mes renseignements sont bons, représente 500 millions d’euros.
Fonds de roulement, ce n’est pas pour moi un gros mot car, même si l’argent doit circuler, il faut un fonds de roulement minimal puisque les redevances servent à financer des dépenses d’intervention, des investissements portés par des maîtres d’ouvrage locaux. Après le prélèvement de l’an dernier, certaines agences, car leur situation n’est pas uniforme, ont déjà dû revoir leur dixième programme d’intervention.
C’est donc l’investissement public local dans le domaine de l’eau qui est ainsi affecté. Vous qui, en tant qu’élu local, étiez impliqué dans l’agence de bassin Rhin-Meuse, monsieur le secrétaire d’État, vous devinez toutes les conséquences économiques que cela peut avoir sur les entreprises de ce secteur. Elles étaient probablement hier à Paris avec ceux du secteur du bâtiment et des travaux publics qui manifestaient. Je suis convaincu qu’en réduisant les possibilités d’intervention de l’investissement public local, dans ce domaine en particulier, nous accentuons le risque de récession.
Au-delà, il y a un débat plus profond, et je le dis en qualité de président du Comité national de l’eau. J’ai pris mon bâton de pèlerin après le prélèvement de 2014 pour tenter de convaincre le Premier ministre et le ministre du budget de l’époque ainsi que leurs conseillers budgétaires de ne pas renouveler un tel prélèvement. J’ai proposé d’autres solutions, en premier lieu l’élargissement des missions des agences de l’eau. À la faveur du texte relatif à la modernisation de l’action publique territoriale et à l’affirmation des métropoles, j’ai porté des amendements introduisant la GEMAPI, la gestion de l’eau des milieux aquatiques et la prévention des inondations.
Cela constitue déjà une évolution notoire, certes contestée par certains. Je considérais que c’était une extension du principe selon lequel l’eau paie l’eau et que, avec cette nouvelle compétence GEMAPI, nous introduisions le grand cycle de l’eau au-delà du petit cycle qui concerne l’eau et l’assainissement stricto sensu. Je continue de plaider pour cet élargissement, sans toutefois aller au-delà. Demain, nous ouvrirons le débat sur la biodiversité. Elle peut être aquatique et, partant, supportable par les agences, dans le cadre de l’élargissement de leurs missions. Ce n’est pas le cas toutefois de la biodiversité sèche. Nous aurons ce débat prochainement, mais il est déjà là en filigrane.
Avec ce prélèvement et l’élargissement des missions, c’est in fine la double peine qui va s’imposer aux agences et les mettre en difficulté. Les risques, je le répète et le regrette, sont doubles : de véritables difficultés économiques pour les entreprises du secteur ; un recul quant à l’atteinte des objectifs que nous impose la directive-cadre sur l’eau, laquelle, par ailleurs, nous laisse, dans un certain nombre de domaines, sous la menace d’astreintes de l’Union européenne. Ce serait un comble qu’en n’assumant pas nos dépenses dans ce secteur nous soyons obligés de verser des pénalités à l’Europe. Voilà qui serait tout à fait contre-productif pour nos finances publiques.