Nos textes financiers – projet de loi de programmation des finances publiques, projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale – forment un tout dont la cohérence est fondée sur des objectifs communs, justifiés par le contexte économique général : maîtrise des dépenses publiques et baisse des prélèvements obligatoires.
Le projet de loi de financement pour 2015 s'inscrit dans le cadre de l'engagement pris par le Gouvernement d'économiser 50 milliards d'euros d'ici à 2017, dont 21 milliards portant sur les dépenses de protection sociale.
Il convient donc de retracer ici la trajectoire financière de la protection sociale. À la fin de l'année 2013, les dépenses des administrations de sécurité sociale représentaient près de 563 milliards d'euros, soit 46,6 % de l'ensemble de la dépense publique et 26,6 % du PIB. En termes de pourcentage des dépenses sociales par rapport au PIB, la France se situe au premier rang des pays européens, où ce taux est en moyenne de 20,6 %.
Sur le long terme, il apparaît que l'essentiel de l'accroissement des dépenses publiques est dû à la croissance des dépenses de protection sociale, lesquelles représentent les deux tiers de cette augmentation en points de PIB depuis 1978. Nous connaissons les causes de ce phénomène : vieillissement de la population, évolutions technologiques, augmentation du revenu par habitant. Les dépenses de santé qui ne représentaient en 1960 que 4 % du PIB atteignent 11 % aujourd'hui ; la part des dépenses de retraite dans le PIB est passée de 10 % en 1980 à 14 % aujourd'hui. Depuis les années 1980, comme je l'ai souligné dans mon rapport sur la fiscalité des ménages, l'augmentation de près de 6 points des prélèvements obligatoires a été intégralement supportée par les ménages : elle a permis de financer 4 points de PIB de dépenses de retraites et 1,5 point de PIB de dépenses d'assurance maladie, dépenses représentant respectivement 45 % et 40 % de l'accroissement des dépenses sociales.
Nos régimes de protection sociale n'ont plus été excédentaires depuis 2001. Dans la décennie précédente, seuls trois exercices l'ont été, sous le gouvernement Jospin : 1999, 2000, 2001. Dans les années 1990, les déficits cumulés des organismes de sécurité sociale étaient si faibles qu'ils étaient gérés grâce à des avances de la Caisse des dépôts et consignations plafonnées à 5 milliards de francs. Depuis le début des années 2000, ils ont été déficitaires pour des montants, à de rares exceptions près, supérieurs à 10 milliards d'euros. Cela a généré ce que l'on doit qualifier de dette quasi structurelle. Depuis 1996, nous avons transféré à la Caisse d'amortissement de la dette sociale – CADES – 226,7 milliards d'euros de dette sociale, dont 89,3 milliards sont amortis. Évoquons ici un chiffre peu souvent cité : depuis 1996, la dette sociale a généré 42,8 milliards d'euros d'intérêts financiers, soit l'équivalent du budget annuel de l'Éducation nationale.
Alors qu'il n'y a aucune raison pour que les régimes sociaux ne soient pas équilibrés à moyen et long termes, il convient de s'attaquer à cette dette sociale, d'autant qu'elle revient à reporter sur les générations futures le coût de prestations dont bénéficient les générations actuelles.
L'évolution des recettes a été marquée par un mouvement de fiscalisation partielle, qui renvoie à la question de l'articulation entre projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale. L'origine de ce mouvement est clairement identifiée : l'alourdissement des dépenses a entraîné un besoin de ressources complémentaires, dont le financement est passé par l'augmentation des cotisations sociales, car la croissance de la masse salariale n'a pas suffi. En 2010, la part des cotisations sociales représentait en France 17 % du PIB contre 14 % en Allemagne et en Italie, 11 % en Suède et 9 % en moyenne dans l'OCDE.
Cette fiscalisation a été marquée par la création en 1990 de la contribution sociale généralisée – CSG –, assise sur la quasi-totalité des revenus. Son produit – 91,5 milliards d'euros, soit un montant supérieur aux recettes de l'impôt sur le revenu – a été affecté pour l'essentiel à la Caisse nationale de l'assurance maladie – 55 milliards d'euros –, tandis que 11 milliards sont allés à la branche famille et 11 milliards au Fonds de solidarité vieillesse – FSV. La CSG représente aujourd'hui 16 % des recettes des régimes de base de protection sociale, tandis que la part des cotisations s'élève à 55 %.
Par ailleurs, les allégements successifs des cotisations sociales, à commencer par les « allégements Balladur » en 1993, ont donné lieu à des compensations financées par des impôts et taxes affectés – ITAF –, représentant 12 % du financement de la protection sociale.
Avec la crise économique, le chômage structurel persistant pèse sur les comptes de la protection sociale. Même si une baisse de son taux peut laisser espérer un accroissement des ressources issues de la masse salariale, nous voyons bien que nous atteignons les limites d'un système.
L'efficience de notre système socio-fiscal pose aujourd'hui question. Certes, il constitue l'un des plus redistributifs au monde : il a permis de réduire les écarts de revenus – division par quatre entre le premier et le dernier déciles –, d'améliorer les conditions de vie de ménages en situation de précarité et d'assurer un bon accès aux soins. Toutefois, certaines inégalités augmentent, alors même que les dépenses sociales progressent plus vite que le PIB.
Je terminerai cette introduction générale en évoquant les évolutions tendancielles des différentes branches de la protection sociale.
La branche famille, qui ne devrait jamais être en déséquilibre, connaît un ralentissement du rythme d'évolution de ses dépenses, dont l'augmentation se situe désormais à un niveau faible, de l'ordre de 1 % à 1,5 %.
En matière de retraites, les réformes successives ont conduit à un rythme d'évolution des dépenses beaucoup plus modéré et permettent d'envisager un retour progressif des régimes à l'équilibre.
S'agissant de l'assurance maladie, pour diverses raisons liées au vieillissement de la population, aux innovations technologiques, au fonctionnement même du système, l'augmentation des dépenses se situe aux environs de 2 %. Au-delà du débat sur les modes de calcul de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie – ONDAM –, il faut souligner que, si rien n'était entrepris en termes de régulation des dépenses, l'accroissement serait plutôt de 4 %. Pour 2015 et les années suivantes, la tendance est cependant plus à une augmentation de 2 % qu'à une stabilisation.
Quant au régime d'assurance chômage, la loi de programmation va parfaire l'information du Parlement sur sa situation. Avec 4 milliards d'euros de déficit et 20 milliards de déficit cumulé, la question se pose de savoir quelle réforme structurelle entreprendre pour ramener ses comptes à l'équilibre.
Pour contribuer aux 21 milliards d'économies de dépenses sociales d'ici à 2017, le déficit du régime général poursuit sa décrue : 13,3 milliards d'euros en 2012, 12,5 milliards en 2013, 11,6 milliards en 2014, 10,3 milliards pour 2015. L'effort prévu par le PLFSS porte sur 5,6 milliards d'euros par rapport à la tendance, selon des prévisions macroéconomiques qui établissent à 2 % la croissance de la masse salariale, sachant qu'un point représente 2 milliards de recettes supplémentaires. C'est dire le caractère extrêmement sensible de la question de l'activité pour la réduction du déficit.
Pour ce qui est des recettes, les mesures déjà votées permettront en 2015 d'obtenir 1,2 milliard d'euros de ressources supplémentaires pour la sécurité sociale. L'examen des financements croisés entre l'État et la sécurité sociale fait apparaître une compensation intégrale des 6,3 milliards d'euros au titre des allégements de cotisations, grâce à l'affectation de l'intégralité du produit de la fiscalisation des majorations de pensions – 1,2 milliard – ainsi que des recettes fiscales liées au plafonnement du quotient familial au bénéfice de la branche famille, comme le prévoyait son plan de rééquilibrage.
Dans ce PLFSS, s'affirme la volonté de simplifier les financements croisés entre l'État et la sécurité sociale. Le financement des aides personnelles au logement revient désormais entièrement à l'État, ce qui représente un transfert de 4,75 milliards d'euros. La retenue à la source des cotisations versées par les caisses de congés payés bénéficiera à la sécurité sociale pour 1,52 milliard d'euros en 2015 et 500 millions en 2016 – notons toutefois qu'il s'agit là d'une ressource non pérenne puisque le bénéfice lié à l'accélération du calendrier de versement ne vaut qu'une fois. Est également prévu le transfert de la totalité du produit des prélèvements de solidarité portant sur les revenus du patrimoine et de placement à la Caisse nationale d'assurance maladie – CNAM – pour un montant de 2,53 milliards d'euros. Enfin, des ressources issues d'ajustements de taux de TVA sont transférées à la sphère sociale pour assurer l'équilibre des comptes.
Les 6,3 milliards d'allégements sont bel et bien compensés, ce qui rassurera ceux qui ont exprimé des inquiétudes l'été dernier. Il faudra toutefois trouver d'autres mesures de financement en 2016.
Pour ce qui est de la dette, rappelons que la durée de vie de la CADES n'est plus limitée. La loi organique fixe le principe selon lequel tout transfert de dettes doit être compensé par des ressources nouvelles affectées à cette caisse. Son fonctionnement repose sur le schéma établi par la loi de financement pour 2011 : le plafond de reprise de dette globale est fixé à 62 milliards d'euros et le plafond annuel des transferts à 10 milliards d'euros. Il faut y ajouter la dette sociale portée par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale – ACOSS –, d'un montant de 28 milliards d'euros – le PLFSS prévoit de remonter le plafond d'autorisation à 36 milliards d'euros. Certains se demandent s'il convient que l'ACOSS joue un rôle de banquier, à côté de son rôle de collecteur. Le taux d'intérêt très faible auquel elle emprunte, voisin de 0,15 %, lui permettra de venir en aide à la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA). Quant au transfert de sa dette à la CADES, il ne se justifie pas. Outre le fait qu'il impliquerait, en vertu de la loi organique, de transférer les recettes correspondantes, il ne permettrait aucun bénéfice sur le plan financier, puisque la CADES emprunte à un taux bien supérieur – 2,4 % – à l'ACOSS. Reste que, si nous voulons espérer une extinction de la dette sociale au milieu des années 2020, il faudra un jour régler ces problèmes.
Le PLFSS et les mesures réglementaires qui suivront permettront de dégager 4,4 milliards d'euros d'économies. Sont attendus 3,2 milliards d'économies au titre de l'assurance maladie, avec un ONDAM fixé à 2,1 % pour 2015 et à 2 % en moyenne pour les années suivantes, limitation qui ne s'est jamais vue ces dernières années. Par ailleurs, 700 millions d'euros d'économies sont prévus au titre de la branche famille – 1,5 milliard à l'horizon de 2017. Les mesures retenues par le Gouvernement font débat à droite comme à gauche. À mes yeux, ces économies sont pleinement justifiées, car il est impératif de parvenir au rééquilibrage de la branche famille. Reste qu'il est légitime de s'interroger sur la meilleure façon de répartir cet effort. À titre personnel, j'estime qu'il est possible de le faire plus justement que ne le propose le Gouvernement. Nos collègues de la commission des Affaires sociales travaillent à cette question et j'aimerais aussi avoir votre avis, chers collègues de la commission des Finances.
Ce PLFSS comporte de nombreuses avancées sociales, notamment en matière d'accès aux soins des personnes vulnérables et isolées et d'élargissement du tiers payant, mesure que nous pouvons saluer, car nous savons que l'avance des frais est un facteur de renoncement aux soins. La politique d'incitations financières à l'installation des médecins en zone sous-dense est poursuivie. Elle permettra de répondre à cette contradiction qui veut que les dépenses de santé augmentent de manière continue alors que l'accès aux soins est rendu difficile par la désertification médicale dans certaines parties de notre territoire, en milieu rural, mais aussi en grande couronne. Enfin, sont prévues des mesures en faveur du pouvoir d'achat des retraités : revalorisation exceptionnelle de l'allocation de solidarité aux personnes âgées – ASPA – au 1er octobre, versement d'une prime de 40 euros début 2015 pour les retraités touchant moins de 1 200 euros de pension. L'indexation des pensions avait fait débat au mois de juillet, mais une analyse chronologique montre que, au regard d'une très faible inflation, elle n'a pas d'effet marqué. Je vous renvoie aux tableaux du rapport.
Ce projet de loi s'inscrit dans une volonté de rééquilibrage des comptes de la protection sociale, qui doit se faire à un rythme compatible avec les exigences sociales, mais aussi répondre aux besoins de retour à la croissance.