Monsieur Goua, dans mon propos liminaire j'ai mis en regard l'évolution tendancielle des dépenses de protection sociale dans notre pays et la question de l'efficience. Le système de protection sociale est d'autant plus nécessaire que les inégalités primaires sont importantes. La meilleure manière de diminuer les dépenses de protection sociale et de transfert consiste à oeuvrer pour la réduction des inégalités primaires. La question se posera tant que le chômage structurel sera élevé. Je ne peux que vous renvoyer aux excellents propos tenus par notre prix Nobel d'économie, M. Jean Tirole, sur le fonctionnement du marché du travail dans les pays d'Europe du Sud et d'Europe du Nord.
On sait comparer les niveaux de revenus disponibles et les niveaux de pauvreté suivant les différents pays. Les exemples étrangers montrent qu'il est possible de réduire par d'autres moyens les inégalités de revenus disponibles. En termes d'inégalité devant les soins, la France a des ratios tout à fait intéressants, mais on voit bien que le système pourrait être plus efficace. Si nous n'abordons pas frontalement les questions évoquées par Marc Goua et Jean-Pierre Gorges, nous aurons beaucoup de mal à stabiliser la dépense sociale. Le Premier ministre l'a dit, la France vit au-dessus de ses moyens. Il faut donc créer davantage de richesse et mieux utiliser la dépense.
Comment envisager les conséquences des perspectives macroéconomiques sur la masse salariale ? On connaît en général les taux de croissance un à deux ans après la fin de l'exercice : l'art de la prévision est donc extrêmement difficile. Les prévisions de croissance retenues sont celles du FMI, de l'OCDE et de la Commission européenne. Fixer un taux plus bas reviendrait soit à afficher des déficits plus importants, soit à augmenter les prélèvements obligatoires pour réduire les déficits, soit à accentuer la maîtrise de la dépense. À cet égard, j'entends nos collègues de l'opposition contester les mesures d'économie sur la branche famille et sur la branche maladie, et celles à venir sur la revalorisation des retraites, mais je ne les entends proposer aucune mesure d'économies structurelles, à l'exclusion de l'assurance maladie et du tiers payant.
Madame Berger, j'ai tenté de faire un propos introductif accessible aux esprits non scientifiques, mais je peux comprendre que les esprits scientifiques aient été quelque peu perdus. Bien évidemment, le tableau qui vous avait été présenté l'année dernière sera actualisé. Un autre tableau vous sera transmis qui vous montrera, d'un côté, comment 6,3 milliards d'euros sont compensés par l'État et, de l'autre, comment on obtient 1,2 milliard de recettes complémentaires. On connaît l'histoire qui a conduit à reclasser toutes ces petites recettes en fonction d'équilibres ponctuels et précaires de telle ou telle branche. Il faudrait remettre à plat le système de financement de la protection sociale.
Monsieur de Courson, vous faites, je crois, une erreur de raisonnement. Je rappelle que nous devons compenser 6,3 milliards d'euros d'allégements. Le système proposé – retenue à la source des cotisations sociales dues sur les indemnités de congés payés – est intelligent. Actuellement, cette ressource est thésaurisée dans les caisses des congés payés, alors qu'elle devrait être directement affectée à la sécurité sociale. Toutefois, cette ressource n'étant pas pérenne, il faudra trouver – nous n'en faisons pas mystère – d'autres mesures de compensation pour assurer, en 2016, la compensation intégrale des allégements votés au mois de juillet 2014.
Madame la rapporteure générale, la dette de l'ACOSS est sous contrôle ; elle coûte moins cher que celle de la CADES. La loi prévoit un transfert de 10 milliards d'euros par an à la CADES, et c'est bien ce qui va se passer. Il ne faut pas évacuer le débat, la dette est parfaitement connue et gérée avec un faible coût à l'ACOSS. Je rappelle que le transfert à la CADES oblige le transfert de ressources nouvelles. D'autres ont essayé de le faire avant nous. Selon la théorie du sapeur Camember, on comblait un trou en en creusant un autre.
Les discussions que j'avais eues en 1989 avec le président de la Confédération des syndicats médicaux français – CSMF – sont de même nature que celles que nous avons aujourd'hui. En matière d'assurance maladie, il y a un prescripteur, un payeur et un usager. Or, chacun sait qu'un ménage à trois ne fonctionne jamais. On sait aussi que les comportements liés à la maladie sont peu rationnels. En la matière, rien ne vaut le débat qui s'était déroulé, au début des années 1980, entre Edmond Maire et Michel Foucault sur la manière dont les sociétés contemporaines gèrent la question de l'assurance maladie par rapport à l'évolution de notre rapport à la mort.
La responsabilisation des usagers est un poncif. La prise en charge des dépenses d'assurance maladie par le régime général a baissé parallèlement à l'augmentation de la part prise par les mutuelles. Tout cela permet de faire comme si les prélèvements obligatoires augmentaient moins rapidement. Lorsque je suis arrivé au Québec, en 1984, la première chose que l'on m'ait remise est la « carte-soleil », qui m'a permis de ne rien payer. Dans les pays où le tiers payant est généralisé, les dépenses de santé ne sont pas plus importantes que dans les pays où il ne l'est pas. Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales – IGAS – du mois de juillet 2013 rappelle que le tiers payant dans les consultations de médecine de ville n'a pas conduit à un gonflement de la dépense. En réalité, plus qu'un effet inflationniste, le tiers payant a un réel effet de justice sociale, puisqu'il limite le renoncement aux soins pour des raisons financières, c'est-à-dire qu'il rapproche le niveau de consommation de soins des personnes les plus pauvres et des personnes aisées. Les personnes aisées ont un meilleur usage du système, soit parce qu'elles le connaissent mieux, qu'elles sont orientées vers tel ou tel médecin ou tel ou tel hôpital, soit parce qu'elles ont la capacité à supporter sur leurs propres ressources une part des dépenses de santé. Quand je vais à la pharmacie, je suis surpris de ne jamais rien payer, alors que je pourrais faire l'avance.
Les questions sont toujours les mêmes : liberté de prescription du médecin, paiement à l'acte, etc. Mais, au bout de la chaîne, c'est la sécurité sociale qui paye. Si l'on estime que le patient doit changer de comportement en mettant en place des mécanismes de régulation et des sanctions financières, il faut appliquer le même modèle, et plus durement qu'on ne le fait aujourd'hui, aux professions libérales de santé qui hurleront à la mort, crieront au libre choix du médecin, à l'atteinte à la médecine libérale. Ce sont bien les mécanismes de régulation que l'on met en place qui fonctionnent.
Pascal Terrasse a rappelé, à juste titre, que le débat sur la manière de faire évoluer les dépenses de la branche famille était en cours. Le Gouvernement a eu le mérite de porter des propositions dont on connaît les objectifs d'économies. Le débat est ouvert sur la manière de les atteindre.