Intervention de Jean-Louis Destans

Réunion du 15 octobre 2014 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Destans, rapporteur :

Nous sommes saisis du projet de loi autorisant l'adhésion de la France à l'accord portant création de la Facilité africaine de soutien juridique. Cette institution internationale, créée en 2008, a pour but d'apporter une assistance aux pays africains pour tenter d'éliminer l'asymétrie existant entre les compétences juridiques qu'ils peuvent mobiliser et celles que leur opposent d'une part, les entreprises avec lesquelles ils sont en négociation et d'autre part, leurs créanciers privés dans le cadre de contentieux.

Trois sujets sont concernés. Le premier est celui des fonds vautours qui spéculent sur les dettes des pays en développement, en achetant à bas prix des créances que leurs détenteurs ne peuvent voir honorées et, en refusant ensuite de participer aux négociations internationales d'allègement de la dette, ils en exigent le paiement à la valeur nominale, augmentée d'indemnités de retard et autres pénalités, le plus souvent au contentieux. Le procédé est juridiquement inattaquable et les fonds vautours obtiennent ainsi des sommes considérables car, faute de compétences suffisantes, les pays africains sont dans l'incapacité de se défendre à armes égales dans les procès qui leur sont intentés. La RDC a ainsi été condamnée à payer une somme de 120 millions de dollars à un fonds vautour qui avait acheté une dette d'une valeur nominale de 30 millions qu'elle n'avait cependant payée qu'1,8 million. Ces fonds ne reculent devant aucun moyen pour exiger leur dû, au point qu'ils ont parfois réussi à obtenir que les dons de l'aide au développement leur soient versés. Leur action est dramatique : en 2007, le cumul des actions qu'ils avaient intentées contre douze des pays les plus pauvres leur avaient déjà rapporté 1,2 milliard de dollars, et leurs exigences représentent jusqu'à 13 % du PIB des pays concernés.

C'est cependant en matière contractuelle que les incidences de l'asymétrie juridique sont les plus importantes et les plus dommageables. Il s'agit en premier lieu des contrats portant sur l'extraction des matières premières, qui rendent l'Afrique si attractive. Le déséquilibre des moyens en présence est extrême : le dernier rapport de l'Africa Panel Progress souligne par exemple que le revenu annuel de Shell est plus de 27 fois supérieur au PIB du Gabon, et le double de celui du Nigeria, première puissance économique du continent ; de la même manière, le chiffre d'affaires d'Areva dépasse 9 milliards d'euros, à mettre en regard avec les 2,9 milliards de dollars du budget annuel du Niger.

Ce déséquilibre des moyens a des effets très concrets, et le manque de capacités juridiques des pays africains se traduit par la signature de contrats léonins : on évalue que les pertes annuelles cumulées de ce fait par les pays africains sont supérieures aux 38 milliards de dollars que le continent reçoit en aide au développement. Du fait de contrats mal négociés, la RDC a par exemple perdu plus de 1,6 milliard entre 2010 et 2012, soit le double des budgets qu'elle consacre à la santé et à l'éducation.

Le troisième sujet justifiant un appui aux capacités juridiques des pays africains porte sur les négociations complexes. Le développement de l'Afrique passe par un effort considérable sur les infrastructures en électricité, transports, urbanisme, télécommunications, eau potable, etc., dramatiquement insuffisantes. Les États africains n'ont ni les moyens ni les capacités de réaliser eux-mêmes les grands travaux que cela suppose, et doivent négocier avec des groupes internationaux, notamment dans le cadre de partenariats public-privé, modalité contractuelle de plus en plus utilisée pour les opérations de construction et de gestion à long terme. Or, le manque de compétences en Afrique se traduit par des cadres juridiques, fiscaux, réglementaires, souvent inappropriés pour les intérêts des pays concernés et les dénonciations, a posteriori, de contrats, lorsqu'ils prennent conscience, tardivement, de la signification et de l'incidence de diverses clauses, sont sources de litiges souvent extrêmement coûteux.

La réflexion internationale sur les réponses à apporter à ces questions a été lancée il y a un peu plus de dix ans. La France s'y intéresse depuis longtemps et, dans le cadre de sa politique d'aide au développement, elle a défini en mai 2008 une stratégie spécifique, portant sur les ressources minérales ; elle vient de s'associer avec la Banque mondiale pour créer un « Fonds pour les industries extractives en Afrique », qui traite de l'ensemble des insuffisances, juridiques et techniques, qui handicapent les pays dans leurs négociations, aussi bien en amont, au niveau des cadres législatifs, qu'en aval, sur les questions de retombées économiques, sociales et environnementales. D'autres institutions, comme le FMI ou le PNUD, ainsi que diverses associations internationales de juristes, se sont également saisies de ces questions et proposent leur assistance aux pays en développement, africains ou non.

La Facilité africaine de soutien juridique, dédiée à ces problématiques, a pour but de mettre à disposition des pays africains des services et des conseils juridiques dans leurs litiges avec leurs créanciers, ainsi qu'une assistance technique « afin de renforcer leur expertise juridique et leur capacité à négocier dans les domaines liés à la gestion de la dette, aux contrats relatifs aux ressources naturelles et aux activités extractives, aux accords d'investissement ainsi qu'aux transactions touchant aux commerces et aux affaires. » Elle identifie l'expertise juridique requise et met à disposition des États qui lui en font la demande des ressources financières en vue de les soutenir, dans les procès contre leurs créanciers comme dans les négociations complexes dans lesquelles ils sont engagés.

Dans les premières années, l'institution s'est attachée à identifier les cabinets juridiques et experts disponibles qu'elle pourrait mettre à disposition des pays membres, à identifier les problèmes communs et à promouvoir une approche commune des problèmes liés aux litiges avec les fonds vautours ou aux transactions commerciales complexes. Elle a aussi travaillé à la définition des compétences juridiques nécessaires aux pays africains pour soutenir les efforts des administrations impliquées dans le processus de dette souveraine et elle a enfin investi dans la formation et l'équipement de cabinets d'avocats africains pour leur permettre d'atteindre le niveau d'expertise nécessaire. La Facilité a défini une stratégie pour la période 2013-2017, qui précise qu'en matière de contentieux, son assistance sera prioritairement en faveur des États fragiles et en sortie de crise. L'activité de conseil sera avant tout axée sur des questions liées à la gestion de la dette et aux contentieux, à la gestion des ressources naturelles et des industries extractives et aux processus de passation de marchés, ainsi qu'aux accords d'investissement et aux PPP et autres transactions commerciales complexes. En matière de renforcement des capacités, la stratégie prévoit d'exiger des cabinets d'avocats qui sont recrutés qu'ils transfèrent leur savoir-faire aux pays. Elle met aussi en oeuvre des actions de formation de juristes, et l'on peut notamment citer un cycle de trois ans, itinérant, conduit par l'AFD et l'ADETEF, sur les partenariats public-privé. La première édition de ce programme a permis de former près de 80 juristes de 22 pays, et il vient d'être renouvelé.

Dans la logique de sa mission, la Facilité a vocation à être temporaire : lorsque les capacités des pays africains auront suffisamment monté en puissance, il est prévu qu'elle disparaisse, mission accomplie ; une durée de vie de quatorze ans lui a été fixée, qui pourra selon les besoins être réduite ou augmentée.

Aux termes de l'article 3, la Facilité est une institution internationale possédant l'entière personnalité juridique. Peuvent y adhérer tous les États membres de la Banque africaine de développement et tout autre État, ainsi que la BAD elle-même et toute autre organisation internationale. A l'heure actuelle, après l'adhésion du Lesotho, 57 États en sont membres, dont cinq ne sont pas africains : la Belgique, le Brésil, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Six organisations internationales sont aussi membres : la Banque africaine de développement ; la Banque d'investissement et de développement, qui relève de la CEDEAO ; la Banque islamique de développement ; la Banque ouest-africaine de développement ; l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), ainsi que l'Union africaine. L'article 6 précise que les ressources financières sont constituées de contributions volontaires des États participants et des organisations internationales signataires de l'Accord, sauf la BAD, qui lui verse une dotation ; peuvent aussi contribuer les entités privées approuvées par le Conseil de gouvernance, de même que des États non participants. Pour le reste, le texte de l'Accord reprend l'ensemble des dispositions classiques relatives aux immunités, exemptions, privilèges, facilités et concessions sur le territoire des États participants. Les articles 16 à 26 en précisent le détail, s'agissant des actions en justice pour lesquelles la Facilité bénéficie de l'immunité de juridiction, de l'insaisissabilité de ses biens et avoirs. L'article 22 détaille les immunités, privilèges et exemptions dont jouissent l'ensemble des personnels de la Facilité et les experts et consultants qu'elle est amenée à recruter. Tout cela n'appelant pas de commentaire particulier.

S'agissant des structures internes de l'institution, on relève un Conseil de gouvernance, composé de douze membres nommés par les États et organisations internationales participant à la Facilité. C'est l'organe auquel sont dévolus tous les pouvoirs de la Facilité. Un Conseil de gestion est institué, qui est l'instance chargée de conduire les opérations générales de la Facilité. Il désigne le Directeur de l'institution, approuve le budget annuel et les programmes de travail, le règlement intérieur et autres procédures et soumet les propositions de reconstitution des fonds. Il est composé de cinq personnes de bonne moralité possédant des compétences dans les domaines juridique et financier ainsi qu'en matière de développement, qui sont désignées par le Conseil de gouvernance.

Le Directeur de la Facilité est choisi par le Conseil de gestion pour cinq ans ; il est assisté par une équipe encore restreinte, de six conseillers juridiques à plein temps, dont un mis à disposition par la France, et de deux assistants sous l'autorité du directeur. Cette organisation permet à la Facilité de garantir des capacités institutionnelles et organisationnelles adéquates et d'assurer la réactivité opérationnelle nécessaire.

La charge de travail de la Facilité est en constante augmentation, puisque 17 projets ont été approuvés par le Conseil de gestion en 2013 contre onze en 2012, et que quarante autres étaient à l'étude à la fin de l'année dernière contre vingt en 2012. Au mois d'août dernier, la Facilité avait des projets en cours dans 35 pays. Cette montée en puissance traduit l'adéquation de la réponse qu'elle apporte aux besoins de ses membres sur des créneaux qu'elle est parfois seule à occuper, comme celui de la lutte contre les fonds vautours. Elle est devenue une institution incontournable aux yeux des pays africains cherchant à négocier ou à renégocier des contrats commerciaux complexes. L'évolution des contributions volontaires qu'elle reçoit témoigne aussi du bilan considéré comme très positif, puisque certains bailleurs la financent sans en être membres, comme la Norvège ou les États-Unis.

Je vous invite à vous prononcer sans réserve en faveur de l'adoption du projet de loi qui nous est présenté, en vous précisant que la France n'y adhère qu'aujourd'hui parce que la rédaction initiale de l'Accord donnait au seul Conseil de gouvernance la possibilité d'amender le texte. Notre pays a plaidé, avec succès, pour une révision de cette disposition afin de redonner compétence aux États parties, ce qui a été fait en 2012. L'article 26 prévoit maintenant que l'accord ne peut être modifié que par approbation de la majorité des parties. Rien ne s'oppose plus à ce que la France rejoigne cette institution.

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