Adhésion de la France à l'accord portant création de la Facilité africaine de soutien juridique (n° 2057)
La séance est ouverte à neuf heures trente.
La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Louis Destans, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'adhésion de la France à l'accord portant création de la Facilité africaine de soutien juridique (n° 2057).
Nous sommes saisis du projet de loi autorisant l'adhésion de la France à l'accord portant création de la Facilité africaine de soutien juridique. Cette institution internationale, créée en 2008, a pour but d'apporter une assistance aux pays africains pour tenter d'éliminer l'asymétrie existant entre les compétences juridiques qu'ils peuvent mobiliser et celles que leur opposent d'une part, les entreprises avec lesquelles ils sont en négociation et d'autre part, leurs créanciers privés dans le cadre de contentieux.
Trois sujets sont concernés. Le premier est celui des fonds vautours qui spéculent sur les dettes des pays en développement, en achetant à bas prix des créances que leurs détenteurs ne peuvent voir honorées et, en refusant ensuite de participer aux négociations internationales d'allègement de la dette, ils en exigent le paiement à la valeur nominale, augmentée d'indemnités de retard et autres pénalités, le plus souvent au contentieux. Le procédé est juridiquement inattaquable et les fonds vautours obtiennent ainsi des sommes considérables car, faute de compétences suffisantes, les pays africains sont dans l'incapacité de se défendre à armes égales dans les procès qui leur sont intentés. La RDC a ainsi été condamnée à payer une somme de 120 millions de dollars à un fonds vautour qui avait acheté une dette d'une valeur nominale de 30 millions qu'elle n'avait cependant payée qu'1,8 million. Ces fonds ne reculent devant aucun moyen pour exiger leur dû, au point qu'ils ont parfois réussi à obtenir que les dons de l'aide au développement leur soient versés. Leur action est dramatique : en 2007, le cumul des actions qu'ils avaient intentées contre douze des pays les plus pauvres leur avaient déjà rapporté 1,2 milliard de dollars, et leurs exigences représentent jusqu'à 13 % du PIB des pays concernés.
C'est cependant en matière contractuelle que les incidences de l'asymétrie juridique sont les plus importantes et les plus dommageables. Il s'agit en premier lieu des contrats portant sur l'extraction des matières premières, qui rendent l'Afrique si attractive. Le déséquilibre des moyens en présence est extrême : le dernier rapport de l'Africa Panel Progress souligne par exemple que le revenu annuel de Shell est plus de 27 fois supérieur au PIB du Gabon, et le double de celui du Nigeria, première puissance économique du continent ; de la même manière, le chiffre d'affaires d'Areva dépasse 9 milliards d'euros, à mettre en regard avec les 2,9 milliards de dollars du budget annuel du Niger.
Ce déséquilibre des moyens a des effets très concrets, et le manque de capacités juridiques des pays africains se traduit par la signature de contrats léonins : on évalue que les pertes annuelles cumulées de ce fait par les pays africains sont supérieures aux 38 milliards de dollars que le continent reçoit en aide au développement. Du fait de contrats mal négociés, la RDC a par exemple perdu plus de 1,6 milliard entre 2010 et 2012, soit le double des budgets qu'elle consacre à la santé et à l'éducation.
Le troisième sujet justifiant un appui aux capacités juridiques des pays africains porte sur les négociations complexes. Le développement de l'Afrique passe par un effort considérable sur les infrastructures en électricité, transports, urbanisme, télécommunications, eau potable, etc., dramatiquement insuffisantes. Les États africains n'ont ni les moyens ni les capacités de réaliser eux-mêmes les grands travaux que cela suppose, et doivent négocier avec des groupes internationaux, notamment dans le cadre de partenariats public-privé, modalité contractuelle de plus en plus utilisée pour les opérations de construction et de gestion à long terme. Or, le manque de compétences en Afrique se traduit par des cadres juridiques, fiscaux, réglementaires, souvent inappropriés pour les intérêts des pays concernés et les dénonciations, a posteriori, de contrats, lorsqu'ils prennent conscience, tardivement, de la signification et de l'incidence de diverses clauses, sont sources de litiges souvent extrêmement coûteux.
La réflexion internationale sur les réponses à apporter à ces questions a été lancée il y a un peu plus de dix ans. La France s'y intéresse depuis longtemps et, dans le cadre de sa politique d'aide au développement, elle a défini en mai 2008 une stratégie spécifique, portant sur les ressources minérales ; elle vient de s'associer avec la Banque mondiale pour créer un « Fonds pour les industries extractives en Afrique », qui traite de l'ensemble des insuffisances, juridiques et techniques, qui handicapent les pays dans leurs négociations, aussi bien en amont, au niveau des cadres législatifs, qu'en aval, sur les questions de retombées économiques, sociales et environnementales. D'autres institutions, comme le FMI ou le PNUD, ainsi que diverses associations internationales de juristes, se sont également saisies de ces questions et proposent leur assistance aux pays en développement, africains ou non.
La Facilité africaine de soutien juridique, dédiée à ces problématiques, a pour but de mettre à disposition des pays africains des services et des conseils juridiques dans leurs litiges avec leurs créanciers, ainsi qu'une assistance technique « afin de renforcer leur expertise juridique et leur capacité à négocier dans les domaines liés à la gestion de la dette, aux contrats relatifs aux ressources naturelles et aux activités extractives, aux accords d'investissement ainsi qu'aux transactions touchant aux commerces et aux affaires. » Elle identifie l'expertise juridique requise et met à disposition des États qui lui en font la demande des ressources financières en vue de les soutenir, dans les procès contre leurs créanciers comme dans les négociations complexes dans lesquelles ils sont engagés.
Dans les premières années, l'institution s'est attachée à identifier les cabinets juridiques et experts disponibles qu'elle pourrait mettre à disposition des pays membres, à identifier les problèmes communs et à promouvoir une approche commune des problèmes liés aux litiges avec les fonds vautours ou aux transactions commerciales complexes. Elle a aussi travaillé à la définition des compétences juridiques nécessaires aux pays africains pour soutenir les efforts des administrations impliquées dans le processus de dette souveraine et elle a enfin investi dans la formation et l'équipement de cabinets d'avocats africains pour leur permettre d'atteindre le niveau d'expertise nécessaire. La Facilité a défini une stratégie pour la période 2013-2017, qui précise qu'en matière de contentieux, son assistance sera prioritairement en faveur des États fragiles et en sortie de crise. L'activité de conseil sera avant tout axée sur des questions liées à la gestion de la dette et aux contentieux, à la gestion des ressources naturelles et des industries extractives et aux processus de passation de marchés, ainsi qu'aux accords d'investissement et aux PPP et autres transactions commerciales complexes. En matière de renforcement des capacités, la stratégie prévoit d'exiger des cabinets d'avocats qui sont recrutés qu'ils transfèrent leur savoir-faire aux pays. Elle met aussi en oeuvre des actions de formation de juristes, et l'on peut notamment citer un cycle de trois ans, itinérant, conduit par l'AFD et l'ADETEF, sur les partenariats public-privé. La première édition de ce programme a permis de former près de 80 juristes de 22 pays, et il vient d'être renouvelé.
Dans la logique de sa mission, la Facilité a vocation à être temporaire : lorsque les capacités des pays africains auront suffisamment monté en puissance, il est prévu qu'elle disparaisse, mission accomplie ; une durée de vie de quatorze ans lui a été fixée, qui pourra selon les besoins être réduite ou augmentée.
Aux termes de l'article 3, la Facilité est une institution internationale possédant l'entière personnalité juridique. Peuvent y adhérer tous les États membres de la Banque africaine de développement et tout autre État, ainsi que la BAD elle-même et toute autre organisation internationale. A l'heure actuelle, après l'adhésion du Lesotho, 57 États en sont membres, dont cinq ne sont pas africains : la Belgique, le Brésil, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Six organisations internationales sont aussi membres : la Banque africaine de développement ; la Banque d'investissement et de développement, qui relève de la CEDEAO ; la Banque islamique de développement ; la Banque ouest-africaine de développement ; l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), ainsi que l'Union africaine. L'article 6 précise que les ressources financières sont constituées de contributions volontaires des États participants et des organisations internationales signataires de l'Accord, sauf la BAD, qui lui verse une dotation ; peuvent aussi contribuer les entités privées approuvées par le Conseil de gouvernance, de même que des États non participants. Pour le reste, le texte de l'Accord reprend l'ensemble des dispositions classiques relatives aux immunités, exemptions, privilèges, facilités et concessions sur le territoire des États participants. Les articles 16 à 26 en précisent le détail, s'agissant des actions en justice pour lesquelles la Facilité bénéficie de l'immunité de juridiction, de l'insaisissabilité de ses biens et avoirs. L'article 22 détaille les immunités, privilèges et exemptions dont jouissent l'ensemble des personnels de la Facilité et les experts et consultants qu'elle est amenée à recruter. Tout cela n'appelant pas de commentaire particulier.
S'agissant des structures internes de l'institution, on relève un Conseil de gouvernance, composé de douze membres nommés par les États et organisations internationales participant à la Facilité. C'est l'organe auquel sont dévolus tous les pouvoirs de la Facilité. Un Conseil de gestion est institué, qui est l'instance chargée de conduire les opérations générales de la Facilité. Il désigne le Directeur de l'institution, approuve le budget annuel et les programmes de travail, le règlement intérieur et autres procédures et soumet les propositions de reconstitution des fonds. Il est composé de cinq personnes de bonne moralité possédant des compétences dans les domaines juridique et financier ainsi qu'en matière de développement, qui sont désignées par le Conseil de gouvernance.
Le Directeur de la Facilité est choisi par le Conseil de gestion pour cinq ans ; il est assisté par une équipe encore restreinte, de six conseillers juridiques à plein temps, dont un mis à disposition par la France, et de deux assistants sous l'autorité du directeur. Cette organisation permet à la Facilité de garantir des capacités institutionnelles et organisationnelles adéquates et d'assurer la réactivité opérationnelle nécessaire.
La charge de travail de la Facilité est en constante augmentation, puisque 17 projets ont été approuvés par le Conseil de gestion en 2013 contre onze en 2012, et que quarante autres étaient à l'étude à la fin de l'année dernière contre vingt en 2012. Au mois d'août dernier, la Facilité avait des projets en cours dans 35 pays. Cette montée en puissance traduit l'adéquation de la réponse qu'elle apporte aux besoins de ses membres sur des créneaux qu'elle est parfois seule à occuper, comme celui de la lutte contre les fonds vautours. Elle est devenue une institution incontournable aux yeux des pays africains cherchant à négocier ou à renégocier des contrats commerciaux complexes. L'évolution des contributions volontaires qu'elle reçoit témoigne aussi du bilan considéré comme très positif, puisque certains bailleurs la financent sans en être membres, comme la Norvège ou les États-Unis.
Je vous invite à vous prononcer sans réserve en faveur de l'adoption du projet de loi qui nous est présenté, en vous précisant que la France n'y adhère qu'aujourd'hui parce que la rédaction initiale de l'Accord donnait au seul Conseil de gouvernance la possibilité d'amender le texte. Notre pays a plaidé, avec succès, pour une révision de cette disposition afin de redonner compétence aux États parties, ce qui a été fait en 2012. L'article 26 prévoit maintenant que l'accord ne peut être modifié que par approbation de la majorité des parties. Rien ne s'oppose plus à ce que la France rejoigne cette institution.
Croyez-vous que la mise en oeuvre effective de cet accord soit possible, compte-tenu de la situation institutionnelle fragile de la plupart des États africains ? Par ailleurs, Madagascar est-elle partie à cet accord ?
C'est évidemment une longue marche pour les États africains. Mais j'ai bon espoir que l'accord soit susceptible d'atténuer un peu l'asymétrie observée entre les multinationales et les États africains. D'ailleurs, la République démocratique du Congo vient de remporter un procès contre un fonds vautour, c'est une première ! Quant à Madagascar, elle a adhéré à l'accord le 5 septembre 2008.
Si j'ai bien compris, nous adhérons par cet accord à un organisme qui est susceptible de conseiller un État étranger contre une société française : c'est un peu ironique. Comment les cabinets d'experts sont-ils choisis ? En ce qui concerne les signataires non africains, cinq pays sont cités ; la Chine et les États-Unis ont-ils eux-aussi vocation à en faire partie ? Y a-t-il un Français au sein du Conseil de gestion ? Enfin, quel est le montant des cotisations ?
Votre première remarque est pertinente ; mais à vrai dire, cela ne me choque pas que nous soutenions des États africains dans leurs contentieux contre des entreprises françaises. S'agissant d'Areva au Niger, la négociation s'est faite sous l'égide du Gouvernement français, et l'on peut espérer le Niger ne sollicitera pas la Facilité pour réexaminer les conditions de l'accord qui a été trouvé. Quant aux États-Unis, ils ne sont pas dans la Facilité mais la financent, tout comme la Norvège, depuis 2013. Comme je l'ai évoqué, il n'y a pas de cotisations mais seulement des contributions volontaires. Vous trouverez la liste de celles qui ont été annoncées dans mon rapport.
Il me semble que nous confondons le mal et la cause du mal avec cet accord. La cause du mal est avant tout le problème de la corruption, qui gangrène de nombreux pays africains non signataires de cet accord. Nous sommes toujours à l'avant-garde sur ces sujets, mais nous nous auto-pénalisons. Dans le même registre, je serais curieux de savoir quel droit sera privilégié pour l'action de la Facilité, du droit romain ou du droit anglo-saxon. Enfin, j'ai des inquiétudes au sujet du financement de cette Facilité : comme aucun engagement n'est prévu dans la durée, les contributions reposeront sur le bon-vouloir des États.
Au sujet de la corruption, nous ne pouvons que souscrire à cette réalité. Mais en prévoyant des instruments pour sécuriser les contrats, nous allons dans le bon sens. Au sujet du financement, la BAD fait une dotation annuelle qui permet de sécuriser le dispositif. Et de fait, les financements ont plutôt tendance à augmenter. Si la Facilité fait la preuve de son efficacité, ses financements s'accroîtront avec son activité, du moins à ce qu'il me semble.
Il y a dans cet accord des choses étranges. Par exemple, l'article 28 porte sur sa durée de validité, que le Conseil est censé pouvoir étendre. Comment va-t-il procéder pour le faire ? Cela n'est pas précisé. Il s'agit là d'une règle piège : lorsqu'un accord peut être modifié de la sorte, certains de ses membres risquent d'être laissés sur le bord de la route. L'accord relatif au Fonds monétaire international le montre bien. J'ai aussi une question de fond : comment allons-nous intéresser nos cabinets à cette structure ? C'est important pour faire prévaloir notre droit en Afrique, où il est concurrencé par le common law.
Mais ce règlement est adopté par le Conseil, et l'on ne sait pas comment il prend ses décisions !
Je vous présente ce que le Gouvernement a négocié ; il a dû estimer que les garanties étaient suffisantes.
Areva est détenue à 80 % par la France, et pourtant il a fallu plusieurs mois pour obliger l'entreprise à restituer une partie de ce qu'elle extrait du pays, davantage grâce à l'action d'Oxfam qu'à celle de notre Gouvernement. De manière générale, ce problème de l'avidité des multinationales qui prélèvent les ressources minières des pays pauvres est très grave, et à cet égard, il ne semble pas que la Facilité ait permis de modérer l'asymétrie des contrats. Le phénomène de land grabbing est très préoccupant : plusieurs pays, à l'image du Costa Rica ou de l'Éthiopie, ont vendu des centaines de milliers d'hectares à des multinationales ou à des États comme la Chine, mais aussi l'Indonésie. Quand on voit que les dirigeants sont prêts à vendre le territoire national pour s'enrichir sur le dos de leur peuple, on peut avoir quelques doutes sur l'efficacité de la Facilité, tant les problèmes de gouvernance sont prégnants.
Vous décrivez là une réalité objective. C'est pour y faire face que la Facilité a été créée. L'avenir nous dira si cet outil permet de réduire une asymétrie que nous ne pouvons que déplorer.
Lorsqu'on connaît l'Afrique, on mesure à quel point l'asymétrie entre les grands groupes et les États africains est forte, en matière de négociations commerciales, a fortiori lorsque des fonds vautours sont impliqués. Cet accord est donc une excellente initiative. Je m'interroge toutefois sur la politique d'influence de la France : il faut que nous déployions des experts de qualité et des cabinets d'avocats, sinon nous serons supplantés. Le droit minier est déjà totalement inspiré du droit anglo-saxon. Je crains que nos juristes aient quelque peine à faire prévaloir nos règles de droit, y compris en Afrique francophone. Avons-nous mené la réflexion à ce sujet ?
J'observe que le présent accord est rédigé en français et en anglais : c'est déjà un bon point. Mais cela ne nous dit pas quel droit sera appliqué.
Je le répète, le droit des contrats afférents sera appliqué. Par ailleurs, un expert français est mis à disposition du Conseil, et nous menons d'importantes actions de formation itinérantes sur le continent africain : l'influence de la France me semble donc préservée. Je rappelle que nous avons été le contributeur le plus important de la Facilité.
Jacques Myard et moi-même avions la même question : où la Facilité va-t-elle s'installer ? En termes de stratégie d'influence, c'est aussi intéressant.
La Facilité est hébergée au sein de la BAD ; elle était provisoirement à Tunis et vient de regagner la Côte d'Ivoire.
Toutes les précisions me semblent avoir été apportées. Le débat a plutôt porté sur les rapports de force entre multinationales et États africains que sur le principe de la Facilité en lui-même.
Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 2057).
Andorre : éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu (n° 2026)
La commission examine, sur le rapport de M. François Rochebloine, le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu (n° 2026).
Nous sommes aujourd'hui appelés à examiner une convention fiscale signée le 2 avril 2013 avec la Principauté d'Andorre, en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir la fraude fiscale. Le texte de la convention est en apparence des plus classiques, tant par sa forme que pas son contenu. Il vient compléter le réseau des quelque 130 conventions fiscales de ce type conclues par notre pays de par le monde.
L'originalité de cette convention tient à son cosignataire : l'Andorre, ce micro-Etat de 76 000 habitants, enclavé dans les Pyrénées, héritier d'une tradition historique multiséculaire, et pourtant bien mal connu. En effet, pour beaucoup, l'Andorre évoque un paradis fiscal ou encore un grand supermarché discount. Et pourtant, les institutions de l'Andorre remontent à 1278, date où fut instaurée une souveraineté partagée entre le Comte de Foix, en France, et l'évêque d'Urgell, en Catalogne. Cette coprincipauté perdure aujourd'hui, et le titre a été transmis, côté français, au Président de la République en exercice, François Hollande.
Il est incontestable que l'Andorre a longtemps été une oasis financière au coeur de l'Europe, en raison de ses dispositions fiscales très favorables. Traditionnellement, l'Andorre ne pratiquait aucune imposition directe des revenus ou bénéfices. Par ailleurs, la législation andorrane imposait un secret bancaire très large. Dans ce contexte, le secteur financier andorran avait pu prospérer, sans toutefois devenir dominant. En effet, le principal secteur de l'économie andorrane a toujours été le tourisme, tourisme de passage ou tourisme blanc en hiver. Il faut donc avoir sur l'Andorre une vision nuancée : la Principauté n'a jamais constitué le stéréotype du paradis fiscal, à l'image de certaines îles du Pacifique.
Les dispositions de sa législation fiscale en faisaient toutefois une juridiction non coopérative, selon la définition de l'OCDE, notamment parce que la Principauté n'avait pas conclu suffisamment d'accords d'échange de renseignements fiscaux avec d'autres pays.
L'Andorre a été durement touchée par la crise économique, dans un contexte où la communauté internationale se mobilisait contre les paradis fiscaux. La Principauté s'est alors résolue à changer complètement de modèle, jouant la carte de la normalisation fiscale et de l'ouverture économique. La France a encouragé et accompagné ce mouvement dès le départ. En 2009, nous avons signé un accord d'échange de renseignements fiscaux avec l'Andorre. A partir de 2010, la Principauté a commencé à se doter d'un cadre fiscal moderne, avec des impôts sur les bénéfices, sur les plus-values, sur les revenus des activités économiques et des non-résidents, ainsi qu'un impôt général indirect, équivalent de notre TVA. Un impôt sur le revenu des personnes physiques viendra parachever ce dispositif à compter de janvier prochain. Cet effort de normalisation a porté ses fruits : l'Andorre a pu sortir de la liste grise de l'OCDE.
La présente convention répond à une demande répétée de la Principauté d'Andorre. Les doubles impositions sont en effet un frein puissant à son effort de diversification et d'ouverture économique. La Principauté veut attirer des investisseurs étrangers et des entreprises pour développer les secteurs de son économie en lien avec le tourisme. Il s'agit donc de sécuriser les interventions des acteurs économiques. Mais la France doit y trouver son compte aussi. La part de marché de la France en Andorre n'a cessé de reculer depuis le début des années 2000 ; elle occupe à présent la deuxième place, avec 16% des importations, bien loin derrière l'Espagne, qui en assure 63%. Cette convention nous donne ainsi l'occasion de renforcer notre présence en Andorre. Par ailleurs, c'est un moyen de densifier les échanges entre les administrations fiscales des deux pays, et ainsi de mieux lutter contre la fraude fiscale.
Entrons à présent dans le détail des stipulations. La convention est bâtie sur le modèle de l'OCDE, qui est le principal vecteur d'organisation de la fiscalité internationale. Elle s'applique à l'impôt sur le revenu, à l'impôt sur les sociétés et à ses contributions en France, et à l'ensemble des impôts directs andorrans. La convention se fonde sur la définition de la notion de résident fiscal pour déterminer les règles d'imposition par catégorie de revenus, lorsque les deux Etats se partagent un même revenu ou un même contribuable.
Grosso modo, deux situations peuvent être identifiées. Soit la convention transfère exclusivement le droit d'imposer à l'un des deux Etats contractants. C'est par exemple le cas pour les salaires, qui sont par principe imposés dans l'Etat d'exercice de l'activité, même si leur bénéficiaire est un résident de l'autre Etat contractant.
Soit, deuxième situation, les Etats se partagent le droit d'imposer : le bénéficiaire des revenus pourra alors obtenir, dans l'Etat dont il est résident, l'application d'un crédit d'impôt correspondant aux sommes acquittées pour l'imposition des mêmes revenus dans l'autre Etat contractant. C'est le cas, par exemple, des dividendes, des intérêts ou des redevances. Ceux-ci sont en principe imposés dans l'Etat de résidence de leur bénéficiaire ; mais si ces revenus ont leur source sur le territoire de l'autre Etat contractant, ce dernier conserve la possibilité d'opérer un prélèvement à la source dont le taux, fixé par la convention, varie de 5 à 15%. Quant aux bénéfices, ils sont en principe imposés dans l'Etat de résidence de l'entreprise bénéficiaire, même s'ils sont tirés d'activités exercées sur le territoire de l'autre Etat contractant, à moins que cette activité n'y soit exercée par l'intermédiaire d'un établissement stable.
La convention précise ensuite les modalités d'élimination des doubles impositions, lorsque les deux Etats conservent tous deux le droit d'imposer un même revenu. La France généralise la pratique du crédit d'impôt, même lorsque la convention a transféré exclusivement le droit d'imposer un revenu à l'Andorre. Dans cette situation, il était auparavant de coutume d'exempter d'impôt en France. Mais l'exemption ne permet pas d'appréhender les revenus globaux des contribuables pour l'application du barème progressif. A l'inverse, la méthode du crédit d'impôt permet à la France de préserver cette progressivité en prenant en compte l'ensemble des revenus globaux pour déterminer le taux, l'impôt acquitté en Andorre étant ensuite retranché de l'impôt dû en France, dans la limite du montant de l'impôt français sur ces revenus. Les contribuables ne sont ainsi ni lésés, ni privilégiés.
La matière fiscale est complexe et sans doute un peu aride aussi. C'est pourquoi je ne vous imposerai pas le détail des stipulations ce matin ; vous le trouverez dans mon rapport. Somme toute, ces stipulations sont habituelles dans les conventions fiscales signées par la France, sous réserve de quelques adaptations liées aux spécificités du système fiscal andorran. La fiscalité andorrane demeure en effet nettement plus légère qu'en France, et ne couvre pas l'ensemble des domaines couverts par les impôts français similaires. Il convient donc d'éviter que les bénéficiaires ne fassent un usage abusif de la convention, qui conduirait à des situations de non imposition ou au développement de schémas d'optimisation. Pour cette raison, la convention comporte de nombreuses clauses anti-abus, qui permettent d'apporter des garanties suffisantes à la partie française.
Dans ces conditions, la convention pourra être d'application mutuellement bénéfique, et je vous encourage à l'adopter. Le Parlement andorran l'a ratifiée à l'unanimité jeudi dernier. Il s'agit de la première convention fiscale conclue par la Principauté. J'ai été surpris de constater, en m'entretenant avec l'Ambassadrice d'Andorre, à quel point les Andorrans attendent notre approbation – presque avec une certaine fébrilité : il ne faut pas sous-estimer qu'il s'agit d'une étape essentielle de leur nouvelle stratégie d'ouverture économique.
Je me félicite de cette volonté de favoriser des dispositifs réduisant l'opacité qui résulte du blanchiment d'argent et de la fraude fiscale. Toute action améliorant les possibilités d'investissement, dans l'intérêt de l'aménagement et du développement du pays, doit aussi être saluée.
Je m'en réjouis également. Il y a une vraie attente de la part d'Andorre, mais aussi de la part d'investisseurs français qui sont pénalisés lorsqu'ils investissent en Andorre.
Je comprends que l'article 24, relatif aux modalités d'échange de renseignements, déroge au modèle de l'OCDE, et qu'il renvoie à une convention de 2009. Est-ce parce que l'on ne souhaite pas aller aussi loin que la convention de l'OCDE, qui est très importante en matière d'échange automatique de données, ou bien cette convention de 2009 est-elle au contraire plus rigoureuse ?
L'Andorre n'est pas contre l'échange automatique de données, et elle y viendra. Je vous apporterai plus de précisions par écrit si vous le souhaitez.
La question est aussi de savoir si l'Espagne a signé le même accord que nous avec Andorre.
S'il y a une dyarchie au sommet de l'Etat en Andorre, je constate qu'elle existe aussi au sein du ministère des finances de notre pays. Je suis étonné qu'un ministre délégué co-signe un accord avec le ministre de l'économie et des finances, qui signe lui-même avec les pouvoirs du ministre des affaires étrangères et engage la République française. C'est encore une traduction de l'impérialisme du budget !
Les négociations sont en cours entre l'Andorre et l'Espagne pour établir une convention fiscale. C'est très important pour l'Andorre. Avant les années 2000, elle importait à peu près autant depuis la France que depuis l'Espagne. L'Espagne représente désormais 63 % du total, et la France 12 %.
La remarque de Jacques Myard est tout à fait justifiée. C'est une aberration au regard du droit international.
J'aimerais savoir quel est le statut fiscal des Français résidant en Andorre, en comparaison avec Monaco. Sont-ils considérés comme des contribuables français ?
Andorre est un Etat souverain et indépendant. Le fait que, pour des raisons historiques, la fonction très formelle de chef de l'Etat soit exercée par l'évêque d'Urgell et par le Président de la République française, en tant que successeur des Rois de France et du Comte de Foix, n'y change rien. Ce sont les règles fiscales générales qui s'appliquent. La situation de Monaco est plus complexe au plan juridique.
Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 2026).
Informations relatives à la commission
Au cours de sa réunion du mercredi 15 octobre 2014 à 9h30, la commission des affaires étrangères a nommé :
- Mme Chantal Guittet, rapporteure pour avis du projet de loi relatif à la réforme de l'asile (n° 2182) ;
- Mme Chantal Guittet, rapporteure pour avis du projet de loi relatif au droit des étrangers en France (n° 2183) ;
- M. Michel Vauzelle, rapporteur du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du traité d'extradition entre la République française et la République d'Argentine (n° 785), du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du traité d'extradition entre la République française et la République du Pérou (n° 1799) et du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela (n° 1883).
- M. Jean-René Marsac, rapporteur du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord interne entre les représentants des Gouvernements des États membres de l'Union européenne, réunis au sein du Conseil, relatif au financement de l'aide de l'Union européenne au titre du cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020 conformément à l'accord de partenariat ACP-UE et à l'affectation des aides financières destinées aux pays et territoires d'outre-mer auxquels s'appliquent les dispositions de la quatrième partie du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (n° 2147) ;
- M. Michel Destot, rapporteur du projet de loi, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu (sous réserve de son dépôt à l'Assemblée nationale).
La séance est levée à dix heures trente.