Nous sommes aujourd'hui appelés à examiner une convention fiscale signée le 2 avril 2013 avec la Principauté d'Andorre, en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir la fraude fiscale. Le texte de la convention est en apparence des plus classiques, tant par sa forme que pas son contenu. Il vient compléter le réseau des quelque 130 conventions fiscales de ce type conclues par notre pays de par le monde.
L'originalité de cette convention tient à son cosignataire : l'Andorre, ce micro-Etat de 76 000 habitants, enclavé dans les Pyrénées, héritier d'une tradition historique multiséculaire, et pourtant bien mal connu. En effet, pour beaucoup, l'Andorre évoque un paradis fiscal ou encore un grand supermarché discount. Et pourtant, les institutions de l'Andorre remontent à 1278, date où fut instaurée une souveraineté partagée entre le Comte de Foix, en France, et l'évêque d'Urgell, en Catalogne. Cette coprincipauté perdure aujourd'hui, et le titre a été transmis, côté français, au Président de la République en exercice, François Hollande.
Il est incontestable que l'Andorre a longtemps été une oasis financière au coeur de l'Europe, en raison de ses dispositions fiscales très favorables. Traditionnellement, l'Andorre ne pratiquait aucune imposition directe des revenus ou bénéfices. Par ailleurs, la législation andorrane imposait un secret bancaire très large. Dans ce contexte, le secteur financier andorran avait pu prospérer, sans toutefois devenir dominant. En effet, le principal secteur de l'économie andorrane a toujours été le tourisme, tourisme de passage ou tourisme blanc en hiver. Il faut donc avoir sur l'Andorre une vision nuancée : la Principauté n'a jamais constitué le stéréotype du paradis fiscal, à l'image de certaines îles du Pacifique.
Les dispositions de sa législation fiscale en faisaient toutefois une juridiction non coopérative, selon la définition de l'OCDE, notamment parce que la Principauté n'avait pas conclu suffisamment d'accords d'échange de renseignements fiscaux avec d'autres pays.
L'Andorre a été durement touchée par la crise économique, dans un contexte où la communauté internationale se mobilisait contre les paradis fiscaux. La Principauté s'est alors résolue à changer complètement de modèle, jouant la carte de la normalisation fiscale et de l'ouverture économique. La France a encouragé et accompagné ce mouvement dès le départ. En 2009, nous avons signé un accord d'échange de renseignements fiscaux avec l'Andorre. A partir de 2010, la Principauté a commencé à se doter d'un cadre fiscal moderne, avec des impôts sur les bénéfices, sur les plus-values, sur les revenus des activités économiques et des non-résidents, ainsi qu'un impôt général indirect, équivalent de notre TVA. Un impôt sur le revenu des personnes physiques viendra parachever ce dispositif à compter de janvier prochain. Cet effort de normalisation a porté ses fruits : l'Andorre a pu sortir de la liste grise de l'OCDE.
La présente convention répond à une demande répétée de la Principauté d'Andorre. Les doubles impositions sont en effet un frein puissant à son effort de diversification et d'ouverture économique. La Principauté veut attirer des investisseurs étrangers et des entreprises pour développer les secteurs de son économie en lien avec le tourisme. Il s'agit donc de sécuriser les interventions des acteurs économiques. Mais la France doit y trouver son compte aussi. La part de marché de la France en Andorre n'a cessé de reculer depuis le début des années 2000 ; elle occupe à présent la deuxième place, avec 16% des importations, bien loin derrière l'Espagne, qui en assure 63%. Cette convention nous donne ainsi l'occasion de renforcer notre présence en Andorre. Par ailleurs, c'est un moyen de densifier les échanges entre les administrations fiscales des deux pays, et ainsi de mieux lutter contre la fraude fiscale.
Entrons à présent dans le détail des stipulations. La convention est bâtie sur le modèle de l'OCDE, qui est le principal vecteur d'organisation de la fiscalité internationale. Elle s'applique à l'impôt sur le revenu, à l'impôt sur les sociétés et à ses contributions en France, et à l'ensemble des impôts directs andorrans. La convention se fonde sur la définition de la notion de résident fiscal pour déterminer les règles d'imposition par catégorie de revenus, lorsque les deux Etats se partagent un même revenu ou un même contribuable.
Grosso modo, deux situations peuvent être identifiées. Soit la convention transfère exclusivement le droit d'imposer à l'un des deux Etats contractants. C'est par exemple le cas pour les salaires, qui sont par principe imposés dans l'Etat d'exercice de l'activité, même si leur bénéficiaire est un résident de l'autre Etat contractant.
Soit, deuxième situation, les Etats se partagent le droit d'imposer : le bénéficiaire des revenus pourra alors obtenir, dans l'Etat dont il est résident, l'application d'un crédit d'impôt correspondant aux sommes acquittées pour l'imposition des mêmes revenus dans l'autre Etat contractant. C'est le cas, par exemple, des dividendes, des intérêts ou des redevances. Ceux-ci sont en principe imposés dans l'Etat de résidence de leur bénéficiaire ; mais si ces revenus ont leur source sur le territoire de l'autre Etat contractant, ce dernier conserve la possibilité d'opérer un prélèvement à la source dont le taux, fixé par la convention, varie de 5 à 15%. Quant aux bénéfices, ils sont en principe imposés dans l'Etat de résidence de l'entreprise bénéficiaire, même s'ils sont tirés d'activités exercées sur le territoire de l'autre Etat contractant, à moins que cette activité n'y soit exercée par l'intermédiaire d'un établissement stable.
La convention précise ensuite les modalités d'élimination des doubles impositions, lorsque les deux Etats conservent tous deux le droit d'imposer un même revenu. La France généralise la pratique du crédit d'impôt, même lorsque la convention a transféré exclusivement le droit d'imposer un revenu à l'Andorre. Dans cette situation, il était auparavant de coutume d'exempter d'impôt en France. Mais l'exemption ne permet pas d'appréhender les revenus globaux des contribuables pour l'application du barème progressif. A l'inverse, la méthode du crédit d'impôt permet à la France de préserver cette progressivité en prenant en compte l'ensemble des revenus globaux pour déterminer le taux, l'impôt acquitté en Andorre étant ensuite retranché de l'impôt dû en France, dans la limite du montant de l'impôt français sur ces revenus. Les contribuables ne sont ainsi ni lésés, ni privilégiés.
La matière fiscale est complexe et sans doute un peu aride aussi. C'est pourquoi je ne vous imposerai pas le détail des stipulations ce matin ; vous le trouverez dans mon rapport. Somme toute, ces stipulations sont habituelles dans les conventions fiscales signées par la France, sous réserve de quelques adaptations liées aux spécificités du système fiscal andorran. La fiscalité andorrane demeure en effet nettement plus légère qu'en France, et ne couvre pas l'ensemble des domaines couverts par les impôts français similaires. Il convient donc d'éviter que les bénéficiaires ne fassent un usage abusif de la convention, qui conduirait à des situations de non imposition ou au développement de schémas d'optimisation. Pour cette raison, la convention comporte de nombreuses clauses anti-abus, qui permettent d'apporter des garanties suffisantes à la partie française.
Dans ces conditions, la convention pourra être d'application mutuellement bénéfique, et je vous encourage à l'adopter. Le Parlement andorran l'a ratifiée à l'unanimité jeudi dernier. Il s'agit de la première convention fiscale conclue par la Principauté. J'ai été surpris de constater, en m'entretenant avec l'Ambassadrice d'Andorre, à quel point les Andorrans attendent notre approbation – presque avec une certaine fébrilité : il ne faut pas sous-estimer qu'il s'agit d'une étape essentielle de leur nouvelle stratégie d'ouverture économique.