Madame la présidente, madame la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, monsieur le secrétaire d’État chargé du budget, mesdames et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui d’un budget qui s’élève à près de 500 milliards d’euros. Nous débattons d’un budget qui concerne notre système de protection sociale, qui est au bord du gouffre : un système à bout de souffle qui met en péril la pérennité de notre modèle social français.
La Cour des comptes, dans son rapport d’information sur l’application du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014, l’a rappelé de manière on ne peut plus claire : « La permanence de ses déficits sape sa solidité et sa légitimité. Revenir au plus vite à l’équilibre des comptes sociaux, en affermir la trajectoire, sont autant d’enjeux fondamentaux. La réussite est possible. »
Il y a donc urgence à prendre des décisions fortes. Or, le Gouvernement préfère le colmatage aux réformes de structure. Il recherche le mariage des contraires et slalome entre les difficultés plutôt que de les prendre à bras-le-corps.
Vous préférez la ration à la réforme et l’ajustement au changement. Ce n’est pas de cette manière que les comptes de la Sécurité sociale sortiront du rouge. Vous répétez en boucle, en particulier Mme la ministre de la santé, que vous menez une action résolue pour résorber les déficits de la Sécurité sociale, et vous l’avez encore fait lors de la présentation de ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Mais les chiffres vous démentent.
Vous annoncez 9,6 milliards d’économies sur la Sécurité sociale. Nous avons cherché, nous avons pris nos calculettes et le compte n’y est pas. Il manque 5,2 milliards : 5,2 milliards qui ne sont pas détaillés dans ce PLFSS. Le Haut Conseil des finances publiques s’en est lui-même étonné. Au moment de rendre son avis, il s’est montré surpris : « s’agissant des dépenses sociales, les mesures d’économies du projet de loi de financement de la Sécurité sociale n’ont pas été portées dans leur totalité à la connaissance du Haut Conseil. »
Une partie des économies annoncées n’existe pas et l’autre partie, qui est inscrite dans ce texte, n’est pas convaincante. Elle s’apparente davantage à une faible réduction du déficit qu’à une restructuration durable et efficace de notre système.
L’ONDAM, Objectif national des dépenses d’assurance maladie, sera fixé à 2,1 % en 2015, contre 2,4 en 2014. Cela revient à dire que l’assurance maladie sera seulement contrainte à diminuer son déficit sans qu’aucun retour à l’équilibre ne soit prévu pour le moment. Et une nouvelle fois, vous demanderez à la médecine de ville de faire le plus gros des efforts, ceci malgré votre tentative de masquer cette réalité par un ONDAM en trompe-l’oeil qui lui semble plus favorable.
En effet, l’ONDAM pour la médecine de ville sera de 2,2 %, contre 2 % pour l’hôpital. Et c’est bien là qu’il y a supercherie, puisque c’est la médecine de ville qui va prendre en charge le traitement de l’hépatite C, ce qui représente un transfert sur cette enveloppe d’environ 1 milliard d’euros.
À ce propos, la mesure de taxation des entreprises prévue pour l’hépatite C pose très clairement la question de la prise en charge des médicaments innovants dans notre pays. Elle ne règle en rien la question de l’impact sur les comptes sociaux de certaines pathologies et thérapies ciblées et envoie un signal dangereux à l’égard des entreprises innovantes.
Je pense qu’il faut s’interroger, dans les années à venir, sur le financement de l’innovation médicale en ne considérant pas seulement son coût, mais aussi les économies qu’elle permet pour notre société tout en allégeant les souffrances des patients.
L’innovation pharmaceutique, secteur stratégique, doit rester en France. C’est essentiel pour notre industrie, nos emplois, la recherche et le développement de notre pays. Il est trop facile et démagogique de taper sur le médicament et d’en faire la véritable variable d’ajustement de nos comptes sociaux.
Le médicament va supporter 1 milliard d’économies. Tout à l’heure, vous accusiez l’opposition de rechercher des boucs émissaires. Eh bien, je dois reconnaître que vous faites figure d’expert, car vous faites du médicament le véritable bouc émissaire de la dérive des comptes de l’assurance-maladie. Le Gouvernement fait une fois de plus le choix de la facilité en recourant à l’expédient de mesures comptables, pour la troisième année consécutive.
Plus de 50 % des efforts pèsent sur ce secteur, qui ne représente que 15 % des dépenses. En tout, ce seront 3 milliards sur les trois années à venir. Année après année, vous pénalisez fortement l’industrie pharmaceutique. Vous détériorez durablement les capacités de recherche et d’innovation de notre pays. Vous affaiblissez un outil de production source d’emplois et d’investissement.
En traçant une telle perspective sur le moyen terme, vous prenez le risque de pousser à la délocalisation la production de médicaments, avec toutes ses conséquences : la dépendance à l’égard de pays étrangers, le risque de ruptures d’approvisionnement, la perte de traçabilité des médicaments, ou encore le développement de la contrefaçon.
L’industrie pharmaceutique, je le rappelle, représente en France un secteur pourvoyeur d’emplois et d’exportations. Le médicament demeure un puissant, et rare, générateur de devises pour la France. Les échanges commerciaux de médicaments ont représenté en 2013 un excédent commercial de 8,8 milliards d’euros, soit 6,9 % de nos exportations totales, juste derrière l’aéronautique et l’aérospatiale.
D’ailleurs, le Président de la République François Hollande avait identifié l’industrie du médicament comme un secteur stratégique pour notre pays. Vous en faites un secteur tragique. Un secteur qui, pour la première année, vient de passer sous la barre symbolique des cent mille emplois, alors que nous avions l’habitude d’en compter cent vingt mille. Une nouvelle fois, vos actes ne sont pas conformes à vos paroles. D’où une véritable défiance des industriels, qui se traduit au sein même du Conseil stratégique des industries de santé, une instance qui ne s’est pas réunie depuis juillet 2013.
Vous faites du médicament la source de tous les maux, alors que l’audition par la commission des affaires sociales de M. Giorgi, président du comité économique des produits de santé, fin 2013, a mis en lumière qu’il fallait se garder de tout propos généralisateur sur la question du prix des médicaments.
Nous savons que les prix des médicaments en France sont souvent inférieurs à ceux observés dans les cinq premiers pays européens. Par l’effort demandé au médicament, vous fragilisez ainsi toute une filière, des laboratoires aux officines pharmaceutiques en passant par les grossistes, dont les équilibres sont de plus en plus fragiles. J’en profite pour saluer la position de sagesse de la ministre sur le monopole pharmaceutique car, s’agissant d’une véritable question de santé publique, il est effectivement responsable de sortir des postures et des caricatures.
Cela étant, il est plus qu’indispensable que nous posions la question des modalités de la fixation du prix du médicament dans notre pays. Le cas du traitement de l’hépatite C doit nous interpeller. La prise en charge de nouvelles molécules va poser de plus en plus de questions, en particulier celle de l’accès de nos compatriotes aux nouveaux traitements.
Ensuite, je considère qu’il est indispensable que nous favorisions le développement du générique, non par de constantes baisses de prix, ce que vous faites depuis des années, mais par le développement de la prescription.
Le rapport de la Cour des comptes sur l’application du PLFSS pour 2014 contient un chapitre entier sur la politique de diffusion des génériques. Il a mis en lumière que le passage de 40 à 60 % de la part des médicaments substituables générerait une économie de 500 millions d’euros, et de 1,12 milliards si l’on passait à 85 %. L’engagement et la responsabilisation des médecins, qui sont à l’origine de 75 % de la prescription de médicaments, sont essentiels.
Donner aux médecins un rôle central, élargir voire supprimer à terme le répertoire, améliorer l’information des assurés sociaux, imposer la prescription en DCI – dénomination commune internationale – sont autant d’actions qui permettraient d’accroître la diffusion des médicaments génériques.
Les mesures sur le médicament illustrent la vision à très court terme du Gouvernement, alors que la politique de santé requiert de la perspective. Et, à défaut de vouloir définir des perspectives, vous continuez votre politique du rabot. La réforme de l’hôpital public est un tel tabou que vous préférez proposer une réduction de la dépense de l’hôpital de 520 millions d’euros, en mutualisant les systèmes d’information ou les achats, plutôt que de parler de la réforme de la carte hospitalière.
L’hôpital représente 45 % des dépenses, mais vous ne lui demandez que 15 % des économies, prisonniers que vous êtes de votre conception hospitalo-centrée du système de santé. C’est dommage.
C’est dommage, parce que l’opposition est prête à travailler avec vous sur ce sujet. Car nous savons aussi combien l’hôpital est important. Nous saluons d’ailleurs le travail des soignants du secteur public. L’hôpital mérite toute notre attention – mais « attention » ne veut pas dire « immobilisme ».
Vous refusez d’ouvrir le débat sur le fonctionnement de l’hôpital et d’ouvrir le dialogue sur le rétablissement du jour de carence à l’hôpital, alors que cette mesure est réclamée par les gestionnaires d’hôpitaux eux-mêmes.