Intervention de Sébastien Darrigrand

Réunion du 16 octobre 2014 à 10h00
Commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposeer des réponses concrètes et d'avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le

Sébastien Darrigrand, délégué général de l'Union des employeurs de l'économie sociale et solidaire, UDES :

L'emploi associatif présente certaines spécificités : métiers caractéristiques, présence majoritaire de femmes, proportion de 12 % de contrats à durée déterminée (CDD) – soit un peu plus que dans le secteur privé lucratif –, horaires atypiques, notamment liés à une forte saisonnalité, et recours au temps partiel – 42 % des emplois – souvent choisi, parfois subi, surtout dans les secteurs liés aux services à la personne.

Le projet de créer une association est avant tout bénévole et c'est ensuite, éventuellement, que se développe une activité d'emplois et que surgissent des questions liées aux responsabilités d'employeur, responsabilités que nous assumons, au sein de l'UDES, à travers treize branches associatives parmi lesquelles l'ensemble des secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux, l'aide à domicile, l'animation périscolaire… Notons que la pyramide des âges vieillissante peut constituer une difficulté pour le recrutement.

J'aborderai sept points.

J'évoquerai pour commencer la paupérisation des publics pris en charge. Les associations n'ont pas été les premières victimes de la crise de 2008 dont on sait les effets immédiats sur les entreprises commerciales, notamment celles soumises aux aléas financiers. C'est dans un second temps, en effet, dans les années 2010-2011, que la crise a affecté le monde associatif, longtemps fortement pourvoyeur d'emplois – davantage que le privé lucratif. Certains secteurs ont été plus touchés que d'autres comme le tourisme, la culture, l'enseignement et, surtout, l'aide à domicile qui a perdu plus de 10 000 emplois. Si le secteur associatif se maintient globalement en 2012-2013, et mieux que le secteur privé qui perd pendant cette période 0,5 % de ses emplois, il n'en demeure pas moins que certains domaines – j'ai évoqué les services à la personne – souffrent et éprouvent non seulement des difficultés à maintenir leur activité mais aussi, désormais, à maintenir l'emploi.

Ce phénomène se traduit, second point, par une concurrence accrue avec les entreprises privées lucratives. De plus en plus d'entreprises commerciales investissent les champs couverts, historiquement, par les associations. Ainsi, la Fédération du service aux particuliers (FESP), affiliée au MEDEF, et la Fédération française des services à la personne et de proximité (FEDESAP), affiliée à la CGPME, investissent le secteur de l'aide à domicile depuis quelques années sous l'effet du plan Borloo et des réglementations leur permettant d'étendre leur activité à ces domaines. Les associations n'ont donc plus le quasi-monopole pour les services à la petite enfance, les établissements d'hébergement pour les personnes âgées dépendantes (EHPAD)… Les entreprises commerciales s'engagent dans le secteur en baissant les prix et en prenant des parts de marché sans reporter sur les prix le coût des politiques de professionnalisation que les associations ont à supporter en raison du développement de la qualité de l'emploi depuis quelques années, et de la mise en place de dispositifs conventionnels.

Le désavantage concurrentiel est quelque peu « accompagné » par les pouvoirs publics dès lors qu'est menée une politique de l'offre et de baisse des charges. Car la baisse des charges entraîne une diminution des cotisations sociales et patronales et remet donc en question le financement des politiques sociales et des politiques familiales. Dès lors que les pouvoirs publics mettent en place des crédits d'impôt pour accompagner des entreprises commerciales dans le développement de leurs activités, dès lors que certaines de ces entreprises sont en concurrence directe avec les associations dans le secteur des services à la personne, on crée un désavantage concurrentiel qui nuit au développement de l'activité, qui nuit au développement de l'emploi et menace la pérennité du monde associatif.

L'UDES s'est, dans un premier temps, montrée favorable au passage de 6 000 à 20 000 euros de l'abattement forfaitaire de taxe sur les salaires. Or le récent rapport parlementaire relatif à l'impact de l'application du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) sur la fiscalité du secteur privé non lucratif constate que « pour le décile des associations les plus grosses, qui concerne environ 80 % des emplois, l'abattement de la taxe sur les salaires sera moins avantageux qu'une mise en oeuvre théorique du CICE ».

L'UDES a réalisé cet été, en collaboration avec un cabinet spécialisé, une étude fondée sur l'analyse de cas concrets, objectivés et modélisables, qui a permis d'établir, dans quatre secteurs d'activités – les EHPAD, la petite enfance, l'aide à domicile et l'animation périscolaire –, que la différence de traitement fiscal subie par les organismes non lucratifs correspond en moyenne à 4 % des rémunérations qui seraient éligibles au CICE si leurs activités étaient lucratives. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015, nous avons donc soumis aux députés un projet d'amendement visant à faire bénéficier les entreprises associatives – qui, contrairement à ce qu'on dit, paient un impôt sur les sociétés à taux réduit – des sommes liées à la baisse des charges dans le périmètre du CICE. Cela contribuerait à développer l'emploi et l'activité.

J'en viens à mon troisième point : la généralisation des appels d'offres. Si on peut comprendre que pour certains acteurs, localement, elle doit favoriser la qualité des prestations et l'application des réglementations et faciliter l'assujettissement à la commande publique, les appels à projets sont assez lourds et complexes à mettre en oeuvre, notamment pour les petites associations qui n'ont pas forcément les reins assez solides pour y répondre. S'il est important de s'adapter à la baisse des budgets sociaux des conseils généraux, la question du financement des projets d'intérêt général reste posée : on passe d'une logique de subventions à une logique d'appels à projets, d'appels d'offres, dont les critères quantitatifs ne sont pas toujours adaptés aux associations.

Quatrième point, en ce qui concerne les politiques de professionnalisation, nous sommes confrontés à une sorte de paradoxe : les pouvoirs publics constatent que, pour soutenir certaines associations – notamment les associations réglementées –, il faudrait obérer leurs capacités à développer la professionnalisation qui pèse sur le coût des prestations ; or on répète depuis des années que le secteur associatif doit développer l'emploi, la qualité de l'emploi et donc être outillé en conséquence. Nous avons ainsi formé nos employeurs, limité le plus possible les contentieux prud'homaux – certes encore nombreux. On ne peut donc pas nous inviter aujourd'hui à limiter la professionnalisation qui pèse sur le coût de la prestation alors que les métiers associatifs sont de plus en plus reconnus comme de vrais métiers. Si certains considèrent qu'il n'est pas opportun de développer le diplôme d'État d'auxiliaire de vie sociale dans le cadre des interventions à domicile, nous tenons quant à nous absolument à ce que la professionnalisation se développe dans le monde associatif afin d'améliorer la qualité de l'emploi.

Mon cinquième point porte sur la réglementation : trop lourde, elle constitue un frein au développement de l'activité. Certes, des initiatives de simplification des démarches administratives ont été prises et nous nous en réjouissons. Nous reconnaissons bien sûr la valeur du dialogue social ; d'ailleurs, six de nos branches professionnelles ont mis en place des délégués du personnel à partir de six salariés, dérogeant ainsi au seuil de onze salariés. Cela étant, il nous semble nécessaire de simplifier les obligations de négocier, notamment à partir de quarante-neuf ou cinquante salariés. Au reste, la notion de seuil ne nous paraît pas être nécessairement le bon critère. Nous plaidons également pour la rationalisation, la dématérialisation de certaines procédures administratives, un meilleur fonctionnement des instances représentatives du personnel (IRP), dans un cadre un peu simplifié – et nous suivons de près la négociation en cours entre les partenaires sociaux.

Avant-dernier point, la réforme territoriale nous pose problème après une position initiale pourtant plutôt favorable de notre part puisque nous nous sommes réjouis de la perspective d'une diminution du nombre des couches du millefeuille. Or il nous paraît quelque peu dangereux aujourd'hui d'occulter le fond au seul profit de la forme. À nos yeux, en effet, la réforme de l'organisation territoriale de la République comporte le risque d'une fragmentation des politiques sociales et d'une évolution de leur financement – l'Association des départements de France s'en est récemment émue. C'est que de nombreuses associations agissent dans le cadre des politiques sociales menées par les conseils généraux, concernant la famille, le handicap, les personnes âgées, les personnes handicapées. Nous appelons à plus de concertation sur le sujet. Nous nous félicitons de la mise en place du Conseil national des services publics. Néanmoins, on peut se poser la question de savoir quelle politique on veut dans les territoires au service de l'intérêt général. En outre, la suppression de la clause de compétence générale nous paraît remettre en cause certains principes : quel budget consacré aux politiques sociales sera affecté à la fois aux conseils généraux, destinés à être chefs de file en la matière, et éventuellement aux métropoles ? Quelles priorités ? Quelles politiques ? Quels acteurs seront concernés ? Enfin, le développement social doit être un enjeu à part entière de la réforme et il convient d'y impliquer les acteurs de proximité que sont les associations.

Mon dernier point portera sur le service public de l'emploi, qui n'est pas toujours au fait de la réalité de nos métiers. Pour développer l'emploi, il faut être accompagné par les prescripteurs. Or nous constatons que, parmi ces derniers – et mon propos ne concerne pas les missions locales, avec lesquelles nous avons accompli un travail tout à fait conséquent sur les emplois d'avenir –, Pôle emploi a encore du mal à comprendre qu'une association ne se résume pas au bénévolat, qu'elle recouvre des emplois, l'exercice de vrais métiers, qui peuvent être intégrés à un vrai parcours professionnel pour un salarié. Il faut renforcer le lien avec les prescripteurs mais aussi développer les relations entre l'école et l'entreprise en développant la coopération avec le monde professionnel. Nous avons formulé des propositions dans le cadre des assises de l'apprentissage le 19 septembre dernier au palais de l'Élysée. L'alternance au sens large, l'apprentissage en particulier, est en effet un levier possible d'évolution de la pyramide des âges. On pourrait procéder à des assouplissements dans certains secteurs afin de faciliter l'accès à l'apprentissage, et de favoriser un volume d'accueil et un volume d'heures correspondant à des réalités professionnelles. De même, il nous paraît important de neutraliser le coût financier des interventions en binôme, impératives pour l'accompagnement d'un apprenti lors d'interventions auprès de personnes fragiles ou de jeunes enfants. Le tutorat doit donc être valorisé.

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