La réunion

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L'audition débute à dix heures trente-cinq.

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Les associations créent du lien social et elles le revendiquent à juste titre. Nous savons tous qu'une partie du tissu associatif oeuvre à réparer les blessures causées par le chômage ou la précarité dans l'emploi. Mais qu'en est-il des associations elles-mêmes ? Quelles difficultés rencontrent-elles dans leur fonction d'employeur ?

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander, madame, messieurs, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Tiphaine Perrichon, MM. Sébastien Darrigrand, Bernard Bazillon, Frédéric Amiel, Vincent Laurent et Matthieu Hély prêtent serment)

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Sébastien Darrigrand, délégué général de l'Union des employeurs de l'économie sociale et solidaire, UDES

L'emploi associatif présente certaines spécificités : métiers caractéristiques, présence majoritaire de femmes, proportion de 12 % de contrats à durée déterminée (CDD) – soit un peu plus que dans le secteur privé lucratif –, horaires atypiques, notamment liés à une forte saisonnalité, et recours au temps partiel – 42 % des emplois – souvent choisi, parfois subi, surtout dans les secteurs liés aux services à la personne.

Le projet de créer une association est avant tout bénévole et c'est ensuite, éventuellement, que se développe une activité d'emplois et que surgissent des questions liées aux responsabilités d'employeur, responsabilités que nous assumons, au sein de l'UDES, à travers treize branches associatives parmi lesquelles l'ensemble des secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux, l'aide à domicile, l'animation périscolaire… Notons que la pyramide des âges vieillissante peut constituer une difficulté pour le recrutement.

J'aborderai sept points.

J'évoquerai pour commencer la paupérisation des publics pris en charge. Les associations n'ont pas été les premières victimes de la crise de 2008 dont on sait les effets immédiats sur les entreprises commerciales, notamment celles soumises aux aléas financiers. C'est dans un second temps, en effet, dans les années 2010-2011, que la crise a affecté le monde associatif, longtemps fortement pourvoyeur d'emplois – davantage que le privé lucratif. Certains secteurs ont été plus touchés que d'autres comme le tourisme, la culture, l'enseignement et, surtout, l'aide à domicile qui a perdu plus de 10 000 emplois. Si le secteur associatif se maintient globalement en 2012-2013, et mieux que le secteur privé qui perd pendant cette période 0,5 % de ses emplois, il n'en demeure pas moins que certains domaines – j'ai évoqué les services à la personne – souffrent et éprouvent non seulement des difficultés à maintenir leur activité mais aussi, désormais, à maintenir l'emploi.

Ce phénomène se traduit, second point, par une concurrence accrue avec les entreprises privées lucratives. De plus en plus d'entreprises commerciales investissent les champs couverts, historiquement, par les associations. Ainsi, la Fédération du service aux particuliers (FESP), affiliée au MEDEF, et la Fédération française des services à la personne et de proximité (FEDESAP), affiliée à la CGPME, investissent le secteur de l'aide à domicile depuis quelques années sous l'effet du plan Borloo et des réglementations leur permettant d'étendre leur activité à ces domaines. Les associations n'ont donc plus le quasi-monopole pour les services à la petite enfance, les établissements d'hébergement pour les personnes âgées dépendantes (EHPAD)… Les entreprises commerciales s'engagent dans le secteur en baissant les prix et en prenant des parts de marché sans reporter sur les prix le coût des politiques de professionnalisation que les associations ont à supporter en raison du développement de la qualité de l'emploi depuis quelques années, et de la mise en place de dispositifs conventionnels.

Le désavantage concurrentiel est quelque peu « accompagné » par les pouvoirs publics dès lors qu'est menée une politique de l'offre et de baisse des charges. Car la baisse des charges entraîne une diminution des cotisations sociales et patronales et remet donc en question le financement des politiques sociales et des politiques familiales. Dès lors que les pouvoirs publics mettent en place des crédits d'impôt pour accompagner des entreprises commerciales dans le développement de leurs activités, dès lors que certaines de ces entreprises sont en concurrence directe avec les associations dans le secteur des services à la personne, on crée un désavantage concurrentiel qui nuit au développement de l'activité, qui nuit au développement de l'emploi et menace la pérennité du monde associatif.

L'UDES s'est, dans un premier temps, montrée favorable au passage de 6 000 à 20 000 euros de l'abattement forfaitaire de taxe sur les salaires. Or le récent rapport parlementaire relatif à l'impact de l'application du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) sur la fiscalité du secteur privé non lucratif constate que « pour le décile des associations les plus grosses, qui concerne environ 80 % des emplois, l'abattement de la taxe sur les salaires sera moins avantageux qu'une mise en oeuvre théorique du CICE ».

L'UDES a réalisé cet été, en collaboration avec un cabinet spécialisé, une étude fondée sur l'analyse de cas concrets, objectivés et modélisables, qui a permis d'établir, dans quatre secteurs d'activités – les EHPAD, la petite enfance, l'aide à domicile et l'animation périscolaire –, que la différence de traitement fiscal subie par les organismes non lucratifs correspond en moyenne à 4 % des rémunérations qui seraient éligibles au CICE si leurs activités étaient lucratives. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015, nous avons donc soumis aux députés un projet d'amendement visant à faire bénéficier les entreprises associatives – qui, contrairement à ce qu'on dit, paient un impôt sur les sociétés à taux réduit – des sommes liées à la baisse des charges dans le périmètre du CICE. Cela contribuerait à développer l'emploi et l'activité.

J'en viens à mon troisième point : la généralisation des appels d'offres. Si on peut comprendre que pour certains acteurs, localement, elle doit favoriser la qualité des prestations et l'application des réglementations et faciliter l'assujettissement à la commande publique, les appels à projets sont assez lourds et complexes à mettre en oeuvre, notamment pour les petites associations qui n'ont pas forcément les reins assez solides pour y répondre. S'il est important de s'adapter à la baisse des budgets sociaux des conseils généraux, la question du financement des projets d'intérêt général reste posée : on passe d'une logique de subventions à une logique d'appels à projets, d'appels d'offres, dont les critères quantitatifs ne sont pas toujours adaptés aux associations.

Quatrième point, en ce qui concerne les politiques de professionnalisation, nous sommes confrontés à une sorte de paradoxe : les pouvoirs publics constatent que, pour soutenir certaines associations – notamment les associations réglementées –, il faudrait obérer leurs capacités à développer la professionnalisation qui pèse sur le coût des prestations ; or on répète depuis des années que le secteur associatif doit développer l'emploi, la qualité de l'emploi et donc être outillé en conséquence. Nous avons ainsi formé nos employeurs, limité le plus possible les contentieux prud'homaux – certes encore nombreux. On ne peut donc pas nous inviter aujourd'hui à limiter la professionnalisation qui pèse sur le coût de la prestation alors que les métiers associatifs sont de plus en plus reconnus comme de vrais métiers. Si certains considèrent qu'il n'est pas opportun de développer le diplôme d'État d'auxiliaire de vie sociale dans le cadre des interventions à domicile, nous tenons quant à nous absolument à ce que la professionnalisation se développe dans le monde associatif afin d'améliorer la qualité de l'emploi.

Mon cinquième point porte sur la réglementation : trop lourde, elle constitue un frein au développement de l'activité. Certes, des initiatives de simplification des démarches administratives ont été prises et nous nous en réjouissons. Nous reconnaissons bien sûr la valeur du dialogue social ; d'ailleurs, six de nos branches professionnelles ont mis en place des délégués du personnel à partir de six salariés, dérogeant ainsi au seuil de onze salariés. Cela étant, il nous semble nécessaire de simplifier les obligations de négocier, notamment à partir de quarante-neuf ou cinquante salariés. Au reste, la notion de seuil ne nous paraît pas être nécessairement le bon critère. Nous plaidons également pour la rationalisation, la dématérialisation de certaines procédures administratives, un meilleur fonctionnement des instances représentatives du personnel (IRP), dans un cadre un peu simplifié – et nous suivons de près la négociation en cours entre les partenaires sociaux.

Avant-dernier point, la réforme territoriale nous pose problème après une position initiale pourtant plutôt favorable de notre part puisque nous nous sommes réjouis de la perspective d'une diminution du nombre des couches du millefeuille. Or il nous paraît quelque peu dangereux aujourd'hui d'occulter le fond au seul profit de la forme. À nos yeux, en effet, la réforme de l'organisation territoriale de la République comporte le risque d'une fragmentation des politiques sociales et d'une évolution de leur financement – l'Association des départements de France s'en est récemment émue. C'est que de nombreuses associations agissent dans le cadre des politiques sociales menées par les conseils généraux, concernant la famille, le handicap, les personnes âgées, les personnes handicapées. Nous appelons à plus de concertation sur le sujet. Nous nous félicitons de la mise en place du Conseil national des services publics. Néanmoins, on peut se poser la question de savoir quelle politique on veut dans les territoires au service de l'intérêt général. En outre, la suppression de la clause de compétence générale nous paraît remettre en cause certains principes : quel budget consacré aux politiques sociales sera affecté à la fois aux conseils généraux, destinés à être chefs de file en la matière, et éventuellement aux métropoles ? Quelles priorités ? Quelles politiques ? Quels acteurs seront concernés ? Enfin, le développement social doit être un enjeu à part entière de la réforme et il convient d'y impliquer les acteurs de proximité que sont les associations.

Mon dernier point portera sur le service public de l'emploi, qui n'est pas toujours au fait de la réalité de nos métiers. Pour développer l'emploi, il faut être accompagné par les prescripteurs. Or nous constatons que, parmi ces derniers – et mon propos ne concerne pas les missions locales, avec lesquelles nous avons accompli un travail tout à fait conséquent sur les emplois d'avenir –, Pôle emploi a encore du mal à comprendre qu'une association ne se résume pas au bénévolat, qu'elle recouvre des emplois, l'exercice de vrais métiers, qui peuvent être intégrés à un vrai parcours professionnel pour un salarié. Il faut renforcer le lien avec les prescripteurs mais aussi développer les relations entre l'école et l'entreprise en développant la coopération avec le monde professionnel. Nous avons formulé des propositions dans le cadre des assises de l'apprentissage le 19 septembre dernier au palais de l'Élysée. L'alternance au sens large, l'apprentissage en particulier, est en effet un levier possible d'évolution de la pyramide des âges. On pourrait procéder à des assouplissements dans certains secteurs afin de faciliter l'accès à l'apprentissage, et de favoriser un volume d'accueil et un volume d'heures correspondant à des réalités professionnelles. De même, il nous paraît important de neutraliser le coût financier des interventions en binôme, impératives pour l'accompagnement d'un apprenti lors d'interventions auprès de personnes fragiles ou de jeunes enfants. Le tutorat doit donc être valorisé.

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Bernard Bazillon, vice-président de l'Institut des dirigeants d'associations et fondations, IDAF

L'IDAF rassemble environ 150 associations et fondations dont l'objet est d'échanger les pratiques, les expertises, de mettre en place des dispositifs de formation à travers des journées, des matinales, des conférences. Je suis aussi consultant chargé de l'économie sociale auprès du cabinet d'audit et de finances KPMG. J'observe ce secteur depuis quelque vingt-cinq ans et, à travers le prisme du praticien, je ferai deux « zooms » : l'un sur le fait que pour renforcer l'emploi il faut renforcer les associations et les fondations ; l'autre sur le renforcement des politiques d'adaptation des compétences.

Sur le premier point, je rappellerai que le secteur associatif est un employeur à part entière et représente environ 10 % de la population active, et que 56 % des associations travaillent dans le secteur sanitaire et social, dont 7 % pour la santé, 19 % pour l'hébergement médico-social, 30 % dans le domaine social sans hébergement. L'évolution est positive sur le long terme d'un point de vue quantitatif mais la qualité de l'emploi tend à se dégrader à cause du recours à des CDD, de l'augmentation du temps partiel et du recrutement de personnes faiblement qualifiées dans le cadre, notamment, de missions d'insertion.

Le secteur associatif subit un effet de ciseaux : les ressources publiques de l'État et de certaines collectivités locales se dégradent, les ressources provenant de la générosité du public stagnent voire diminuent – phénomène récent –, cependant que les dépenses augmentent du fait de la demande sociale et des besoins sociaux qui ne cessent de croître, notamment dans les domaines de l'éducation, de la formation, de la cohésion sociale et des soins aux personnes âgées. Je ne peux pas ne pas ajouter que l'inflation législative et réglementaire pèse sur le monde associatif – je pense à la taxe sur les salaires, au versement transports, aux temps partiels. Relevons également le coût de l'immobilier – le coût de la construction s'est envolé en effet ces dix dernières années. Il est de plus en plus difficile, par conséquent, pour le secteur associatif, de réaliser ses missions.

Or il est absolument nécessaire de préserver sa mission de service public. Pour cela, il convient de renforcer ses fonds propres et ses moyens d'action. La loi relative à l'économie sociale et solidaire adoptée en juillet 2014 y contribue mais il faut aller encore plus loin et mettre en place des dispositifs d'innovation financière. Il s'agit de mobiliser des financements à long terme pour servir le court terme et l'activité de ces associations et donc, indirectement, renforcer l'emploi associatif.

Mon second « zoom » concerne l'évolution de l'adaptation des compétences. En effet, le secteur associatif doit s'adapter aux mutations liées aux nombreuses innovations sociales et aux nouveaux besoins sociaux, s'adapter également aux mutations technologiques, en particulier dans les domaines de l'insertion professionnelle, les donneurs d'ordre étant en train de se repositionner sur des activités très techniques, technologiques, et enfin s'adapter aux contraintes budgétaires et sociales. D'où la nécessité de l'accroissement de l'employabilité des salariés, le secteur lucratif n'étant pas seul concerné, le secteur associatif le devenant de plus en plus.

Quels sont les atouts du secteur associatif au regard de la nécessaire adaptation des compétences ? On peut en déceler deux : la gouvernance et les salariés.

Le secteur associatif bénéficie d'une gouvernance très particulière avec des bénévoles en général bien formés – et de mieux en mieux –, volontaires, impliqués. Grâce à eux, des projets associatifs très pertinents, pour la plupart, sont mis en oeuvre.

Quant aux salariés, il faut avoir présent à l'esprit qu'ils n'ont pas intégré une association par hasard. Je citerai l'exemple d'un directeur administratif et financier d'une filiale d'une entreprise japonaise venu dans une association qui travaille avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) : il a enregistré une chute de salaire de 30 à 40 %, effectue des trajets bien plus longs qu'auparavant et doit superviser une vingtaine d'établissements. Eh bien, malgré cela, cet engagement a donné un sens à sa vie. Ce genre de transition est de plus en plus fréquent et répond à un sens développé du service d'une cause.

Nous avons toutefois recensé un certain nombre de freins. Je pense à l'investissement important, financier et extra-financier, qu'il faut consentir pour le développement progressif d'une politique d'adaptation des compétences dans la durée ; à la très grande diversité des métiers et des parcours professionnels, qui exige une énergie certaine pour faire évoluer les compétences ; à l'ambivalence du statut – à la fois personne impliquée, parfois adhérente, et quand même toujours salarié obligé de rendre compte ; à une compréhension systémique de l'évolution de l'environnement qui reste parfois insuffisante, certains salariés s'imaginant que leur secteur d'activité peut continuer comme avant ; à la réticence inhérente à tout changement ; enfin, à la difficulté à bien percevoir individuellement mais aussi collectivement l'équilibre entre les gains et les pertes, entre l'engagement ou la démotivation autour de la mise en oeuvre du projet associatif.

Le projet associatif doit être co-construit avec les salariés qui souvent font partie de l'assemblée générale. Il s'agit en effet d'obtenir une implication optimale de l'encadrement, qui va impulser et accompagner les mutations. Vis-à-vis des salariés, la prise en compte de l'innovation sociale et de la qualité du service rendu est essentielle : il faut partir de là pour les impliquer, les motiver, et faire comprendre que leurs compétences devront s'adapter à l'évolution des besoins sociaux.

En matière d'organisation, des demandes sans cesse plus nombreuses nous viennent des entreprises adaptées – nous discutons d'ailleurs avec l'Union nationale des entreprises adaptées (UNEA). Certaines de ces entreprises travaillent en sous-traitance du secteur commercial, lui-même en difficulté, et demandent des diagnostics, des plans de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences pour pouvoir s'adapter et travailler pour des secteurs à forte valeur ajoutée – comme les nouvelles technologies de l'information. Ces organismes sont demandeurs d'accompagnement au changement pour leurs personnels.

Sans se placer dans une démarche de rupture, il faut convenir que l'on n'a pas inventé l'ampoule en améliorant la bougie. Si l'on peut toujours perfectionner les dispositifs existants, il faudra bien passer à un stade supérieur de changement. Une communication et une gouvernance adaptées seront nécessaires, d'où la nécessité de mettre en place des dispositifs conjoints élus-bénévoles-salariés pour définir les plans d'action.

Il faudra également, pour finir, « implémenter » des dispositifs de formation. Je rappelle que 70 % du changement et de l'expérience proviennent du terrain, donc de cadres intermédiaires capables, au quotidien, de faire évoluer les pratiques. Ensuite, 20 % du changement proviennent de la formation informelle, c'est-à-dire du partage de savoirs par les nouvelles technologies de l'information. Enfin seuls 10 % proviennent de la formation présentielle. Le coût de ce type de dispositif peut être allégé en ayant beaucoup moins recours à des prestations externes et en internalisant l'accompagnement du changement. Il faudra pour cela mettre en place des dispositifs locaux d'accompagnement (DLA), quitte à les renforcer, auxquels on pourra éventuellement associer, dans le cadre des hybridations de ressources, des fonds privés.

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Frédéric Amiel, secrétaire général du syndicat ASSO

Le syndicat ASSO (« Action pour les salariés du secteur associatif ») se félicite que l'emploi associatif soit traité par cette commission d'enquête avec l'importance qu'il mérite. Il est depuis plusieurs années en crise et je reviendrai sur les conséquences de certaines politiques publiques tant d'un point de vue quantitatif que qualitatif.

Les salariés associatifs sont très investis dans leur travail et la démotivation évoquée tout à l'heure n'est pas toujours le fait du salarié mais provient d'une perte de sens et de la difficulté que rencontrent les associations à mettre en oeuvre leur projet. Certains salariés ne voient plus l'intérêt de continuer à travailler dans le monde associatif puisqu'ils y retrouvent tant de travers du secteur privé.

Je prendrai l'exemple de deux types de contrats en commençant par celui lié au service civique – anciennement volontariat puis service civil volontaire. Ce contrat est très particulier puisque hors droit du travail. En tant que syndicat nous nous sommes posé la question de savoir comment travailler avec les volontaires qui, en entreprise, sont confrontés à des problèmes similaires à ceux des salariés alors qu'ils ne relèvent pas, je le répète, du droit du travail, d'un lien de subordination avec leur employeur, problèmes qui, par conséquent, ne peuvent pas être résolus de la même manière.

La politique du chiffre dans le volontariat a conduit à créer énormément de postes assortis de conditions « de papier » : pas de remplacement de postes de salariés, pas de missions pérennes, pas de missions indispensables pour l'association. Il suffit de consulter les propositions de volontariat pour constater que ces règles ne sont pas respectées et restent mal vérifiées. C'est pourquoi il faut veiller à ne pas multiplier, dans le secteur associatif, ce type d'expérimentations qui permettent, certes, d'extraire un certain nombre de jeunes du marché de l'emploi pendant un temps, voire de leur proposer une expérience professionnelle, mais qui ne résout pas le problème à long terme d'un emploi stable et correctement rémunéré ni d'une évolution de carrière. En effet, même si l'on note une amélioration, les volontariats sont relativement peu reconnus dans le cadre de l'insertion professionnelle.

Le second type de contrat que je souhaite mentionner est le contrat aidé : contrat d'aide à l'emploi (CAE) et contrat unique d'insertion (CUI). Ces contrats stipulaient, ce qui partait d'une bonne intention, que l'association allait recevoir de la part d'un bailleur – généralement une collectivité territoriale – une subvention sur trois ans, dégressive, qui lui permettrait, petit à petit, de mettre en place un système destiné à pérenniser l'emploi en le transformant en CDI s'il s'agissait d'un CDD ou, le cas échéant, à le maintenir en CDI. Seulement, cette convention était en fait semestrielle, renouvelable six fois. Aussi, au bout d'un semestre, certains bailleurs, se rendant compte que l'enveloppe budgétaire affectée à ces contrats n'était pas suffisante, ont réévalué l'attribution de leur ligne budgétaire. Et certains de ces contrats n'ont pas été reconduits, non pas pour des raisons valables – mauvais accompagnement de l'employé, absence de plan de formation… – mais uniquement par absence de budget. Des associations qui avaient pris le risque d'embaucher un salarié, parfois en CDI, pensant disposer de trois ans pour pérenniser l'emploi, ont dès lors dû procéder à des licenciements économiques au bout de six mois. Ce phénomène s'est peu reproduit, car les bailleurs institutionnels ont été instruits par l'expérience et n'ont par répété les erreurs de la première année en signant trop de conventions, mais montre les limites de l'accompagnement à l'emploi par les associations.

Nous vous avons communiqué plusieurs propositions suivant l'idée que l'accompagnement à l'emploi dans les associations doit être réellement pluriannuel, sur le fondement d'un budget clair et « sacralisé », à savoir insensible aux aléas des politiques budgétaires.

Nous souhaitons par ailleurs introduire le volontariat dans le code du travail ou, à défaut, créer une législation propre puisque le vide juridique qui le caractérise ne permet pas, j'y ai fait allusion, de résoudre les conflits entre un volontaire et son association d'accueil.

J'en viens à l'impact des politiques publiques, notamment budgétaires – qu'il s'agisse de l'État central ou de l'État décentralisé –, sur les associations. On a tout à l'heure évoqué « l'effet ciseaux » ; pour notre part, en tant que syndicat, nous parlons plutôt de la « double peine » du salarié associatif qui, à cause des réductions des subventions, se retrouve souvent à récupérer des missions de collègues licenciés ou non reconduits, ce qui conduit à une augmentation de la charge de travail due à une baisse des budgets. D'autre part, comme la crise économique frappe tout le monde, ou presque, en France, le nombre de ces missions augmente, en particulier dans les secteurs sociaux, de l'éducation, de la santé… Les salariés associatifs subissent donc une surcharge de travail due à la fois à des contraintes internes à l'association et à des contraintes externes.

Cette pression est accrue par les nouvelles politiques de subventions – on a mentionné les appels d'offres, les délégations de service public. Nous sommes certes tout à fait favorables à la co-construction et nous réfléchissons depuis longtemps à la manière dont les salariés pourraient être mieux associés au projet associatif. Mais quand un tel projet est dicté de l'extérieur par des appels d'offres ou par l'obligation d'obtenir des délégations de service public pour pérenniser des postes ou pour maintenir un budget à l'équilibre, il n'est même plus aux mains des bénévoles, sans parler des salariés dont l'activité perd de ce fait une grande partie de son sens. D'où une certaine démotivation.

Il s'agit par conséquent d'encadrer la manière dont les associations sont de plus en plus amenées à se substituer à des services publics de proximité. Je n'entends pas ici juger de la pertinence ou non d'avoir recours à des associations ou à des entreprises privées pour les substituer à des services publics ; en revanche, il est de notre point de vue inacceptable que ces délégations de service public ne se fassent pas à égalité de moyens. Les moyens investis dans un service public assuré par une collectivité territoriale sont sans commune mesure avec les faibles enveloppes qu'on alloue à des associations pour réaliser le même travail, notamment parce qu'on compte sur le bénévolat des associations – l'autre raison étant que l'on compte sur eux pour trouver des moyens innovants pour faire aussi bien avec moins de moyens. Il est donc important d'encadrer les délégations de service public et de s'assurer de la continuité des moyens qui y sont consacrés.

Je rappellerai ensuite que les aides aux associations, celles distribuées par l'État central comme celles dispensées par les collectivités territoriales, constituent la variable d'ajustement des budgets annuels ou des révisions semestrielles desdits budgets. Il faut dès lors s'assurer que, si l'on considère, comme vous l'indiquiez au début de cette table ronde, monsieur le président, que les associations ont un rôle social fondamental à jouer dans la construction du tissu national et comme facteur de cohésion sociale, elles doivent être protégées des aléas budgétaires, et les lignes dédiées aux associations doivent être préservées des politiques de rigueur du moment. Il convient de chercher le moyen pour les associations d'être moins touchées qu'aujourd'hui par ce phénomène si l'on veut éviter des pertes d'emplois massives.

Pour finir, le syndicat ASSO, affilié à l'Union syndicale solidaire, syndique également les salariés des comités d'entreprises. Quand nous entendons parler de la réforme des seuils sociaux, nous sommes très inquiets. L'argent versé aux comités d'entreprises ou à travers les différentes politiques sociales via les taxes sur l'emploi, est de l'argent qui revient très vite dans le circuit associatif via des prestations culturelles, des prestations de loisir, des prestations sociales. Aussi, abaisser les prélèvements revient à diminuer l'emploi dans des structures qui bénéficient de l'argent des politiques sociales et de l'argent des comités d'entreprises – vous n'ignorez pas qu'un comité d'entreprise va payer à ses employés des activités culturelles, de loisir, des vacances qui, pour une grande part, passent par des associations.

J'appelle votre vigilance sur l'équilibre à trouver entre la baisse des revenus qui profite à des emplois existants et les revenus qui pourraient être préservés par des employeurs associatifs pour créer de nouveaux emplois. Vous connaissez la solution : plutôt que de faire bénéficier les employeurs associatifs des mêmes réductions de charges qu'au secteur privé, il faut faire bénéficier le secteur privé de moins de réductions de charges.

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Matthieu Hély, chercheur au CNRS et à l'université Paris X-Nanterre

Certains parlent de crise du monde associatif : en ma qualité de sociologue, je parlerai plutôt d'un changement de configuration historique du monde associatif. Si l'on observe de façon superficielle les évolutions du monde associatif, le nombre de bénévoles, qui est passé de 8 à 16 millions, n'a jamais été aussi élevé, ainsi que le nombre d'emplois salariés, qui approche aujourd'hui les 2 millions, soit trois fois plus que dans les années quatre-vingts. Quant aux budgets des associations, ils n'ont jamais été aussi élevés. Le monde associatif n'a jamais disposé d'autant de ressources financières. Si l'on s'en tient à ces quelques données, on peut s'étonner d'entendre parler de difficultés du monde associatif.

Si l'on appréhende ces évolutions historiques au regard de catégories qui appartiennent au passé, on se trompe de diagnostic. Ce changement de configuration historique tient en trois points : un changement de nature des modes d'intervention de l'État dans le secteur associatif, un changement assez profond dans la pratique du bénévolat associatif et un statut nouveau du travail associatif. J'expliquerai en quelques mots pourquoi je préfère parler de travail associatif que d'emploi associatif.

On peut comprendre le changement de nature des modes d'intervention de l'État en observant la manière dont l'État marquait hier les causes associatives du sceau de l'intérêt général et celle dont il les consacre aujourd'hui.

Dans la configuration historique antérieure, l'intérêt général était monopolisé par l'État – le mécanisme de financement par la subvention en est l'illustration. La puissance publique, par la subvention, reconnaît qu'une cause associative participe à l'intérêt général et la consacre, indépendamment du coût des prestations qui découlent de cette cause associative.

Le développement des réductions fiscales sur les dons des particuliers et des entreprises a conduit à un changement assez profond dans la manière de consacrer l'intérêt général puisque c'est désormais le citoyen donateur qui, par son don, choisit la cause et qui, grâce au reçu fiscal que lui délivre l'association, bénéficie d'une réduction d'impôt. Donc, d'une certaine façon, ce n'est plus l'État qui consacre la cause, comme pouvait le faire la reconnaissance d'utilité publique attribuée par le Conseil d'État.

J'insiste sur ce point, car le coût fiscal de ces réductions n'est pas négligeable pour l'État. Selon les chiffres du rapport Bachelier de 2013, le coût fiscal des exonérations du mécénat d'entreprise et des dons des particuliers est de 1,9 milliard d'euros. Quant aux subventions publiques de l'État, qui figurent sur les jaunes budgétaires, elles s'élèvent à 1,8 milliard d'euros. Pour la première fois – et cette tendance va sans doute perdurer –, on constate que le coût des incitations publiques à la générosité privée est plus élevé que celui des subventions publiques consenties par l'État aux associations. C'est un point très important pour comprendre l'importance de l'évolution du mode d'intervention de l'État. On aurait tort de parler de financements privés puisqu'ils ont un coût fiscal pour la puissance publique. L'expression « financements privés » est impropre.

Certains parlent de désengagement de l'État à l'égard du monde associatif. Quand on prend en compte les réductions fiscales, les politiques de l'emploi en termes de contrats aidés et le soutien aux contrats de service civique, l'engagement de l'État n'est pas négligeable, même en termes financiers. Je serais presque tenté de parler d'un réengagement de l'État, sous de nouvelles formes d'intervention et de soutien au monde associatif.

Dans la configuration historique antérieure, le bénévolat associatif était considéré comme un engagement militant. Dans la configuration actuelle, le bénévolat associatif est considéré comme une source d'acquisition de capital humain. Alors que 2011 était l'année européenne du bénévolat, voici quelle était la première phrase du rapport de la Commission européenne clôturant cette année-là : « Le volontariat est générateur de capital humain et social. » On voit que le rapport à l'engagement a profondément changé.

Je prendrai l'exemple du bénévolat associatif des chômeurs. Dans les années 1990, les Assedic considéraient que l'engagement bénévole des chômeurs pouvait être contradictoire et entraver leur recherche d'emploi. À ce titre, les Assedic pouvaient suspendre l'indemnisation chômage des demandeurs d'emploi impliqués dans un bénévolat associatif. Aujourd'hui, le discours de Pôle emploi sur la pratique bénévole des chômeurs s'est inversé. Faire du bénévolat est perçu comme une activité renforçant l'employabilité des demandeurs d'emploi. D'ailleurs, France Bénévolat et Pôle emploi ont passé un accord pour développer des référentiels de compétences bénévoles afin de les valoriser sur le marché du travail. On pourrait multiplier les exemples, tels que le bénévolat d'entreprise, qui favorise ce brouillage de frontière entre la pratique bénévole et le marché du travail.

J'en viens au développement du travail associatif. Je préfère parler de travail associatif parce que les frontières en sont floues. Le cas du service civique, qui vient d'être évoqué, ne relève pas du code du travail puisqu'il n'y a pas de lien de subordination dans le contrat de service civique. Toutefois, on constate, dans l'usage qu'en font les associations, qu'il peut être utilisé comme un substitut d'emploi.

On peut évoquer également le cas des stagiaires, que je connais bien puisque je m'occupe d'un master professionnel à l'université de Nanterre, dans le cadre duquel les étudiants accomplissent un stage de trois mois. On voit bien, dans les missions confiées à ces stagiaires, la confusion qu'il peut y avoir avec l'exercice d'un emploi salarié. Il est important d'avoir cela en tête, les zones d'ombre entre le bénévolat et le volontariat sont nombreuses.

Il faut aussi rappeler qu'en dépit de la baisse conjoncturelle constatée en 2011, l'emploi associatif salarié a triplé depuis les années 1980. C'est une tendance forte, qui est assez peu soulignée. On a observé une transformation des mouvements associatifs, je dirais même de ces mouvements politiques associatifs, qui se sont constitués en branches professionnelles. L'éducation populaire, par exemple, est devenue, avec l'animation, une branche professionnelle. L'insertion par l'activité économique est devenue très récemment une branche professionnelle, avec la convention collective des ateliers et chantiers d'insertion. Le passage des mouvements associatifs à des branches professionnelles n'est pas terminé. La protection de l'environnement, qui n'a ni convention collective ni accords, le commerce équitable, les ONG ne sont pas constitués en branches. À mon avis, le mouvement n'est qu'enclenché.

Le travail associatif consiste très largement à assurer les missions du public dans les conditions du privé. La croissance de l'emploi associatif a été favorisée par les différents actes de décentralisation des compétences, notamment dans le secteur social, qui ont participé à un mouvement de délégation de service public dans le domaine social. On pourrait aussi évoquer le domaine périscolaire, avec la réforme des rythmes scolaires.

Les groupes professionnels qui composent le travail associatif sont très proches des caractéristiques de la fonction publique. Ce sont en majorité des femmes et le niveau de diplôme est globalement assez élevé. Puis, les enquêtes montrent que les travailleurs associatifs sont, plus fréquemment que dans le reste de la population active, des enfants de fonctionnaires, comme si, par un mécanisme de transmission sociale de valeurs d'utilité sociale, d'intérêt général etc., les travailleurs associatifs, faute de pouvoir réaliser leur destin professionnel dans le cadre de l'emploi public, trouvaient une alternative dans le monde associatif pour concilier leurs valeurs avec leur activité professionnelle.

C'est un phénomène très important, car on peut se demander si l'on n'assiste pas à la naissance d'une sorte de quatrième fonction publique du point de vue des missions, sans le statut puisque le travail associatif est réalisé dans les conditions du secteur privé, voire parfois en deçà. Si l'on se réfère aux données de l'URSSAF, la nature des contrats de travail dans les flux d'embauche montrent qu'en 2011, 6 % des embauches dans le secteur associatif étaient faites en CDI, contre 16 % dans le secteur privé. Si l'on consulte les déclarations annuelles de données sociales (DADS), on constate que 30 % des salariés non couverts par une convention collective ne relèvent d'aucune convention collective adaptée à leur branche professionnelle puisque la branche n'existe pas.

S'agissant des pratiques de rémunération, toutes choses étant égales par ailleurs, c'est-à-dire niveau de diplôme, sexe et l'ancienneté, on est moins bien payé dans une association que dans le secteur marchand.

Le lien avec le développement des commandes publiques de la part de l'État et des collectivités territoriales conduit à ce que le travail associatif soit de plus en plus considéré par les collectivités publiques comme une véritable variable d'ajustement. Je prends l'exemple d'un appel d'offres émanant du conseil général de l'Isère et relayé par l'Agence régionale de santé Rhône-Alpes, concernant une structure d'accueil pour des malades atteints d'Alzheimer. On trouve dans le cahier des charges de cet appel d'offres ces quelques lignes, que je vais vous lire, car elles reflètent bien la teneur des choses : « Le promoteur de l'appel d'offres devra optimiser sa masse salariale, soit en jouant sur les conditions de rémunération, accord d'entreprise plutôt que convention collective nationale, soit sur les classements conventionnels. L'employeur pourra avantageusement se limiter à une application partielle des conventions collectives du secteur médico-social ». C'est l'article 5. 1 du cahier des charges. Le fait que certaines collectivités publiques considèrent le travail associatif comme une variable d'ajustement aux politiques publiques est écrit noir sur blanc.

J'ai parlé, au début de mon intervention, d'un changement de configuration historique. La loi ESS promulguée cet été ne fait que la conforter. Nous sommes dans le cadre d'une table ronde associant des employeurs et un syndicat représentatif des travailleurs associatifs. Un des enjeux centraux du dialogue social interne au monde associatif réside dans l'articulation entre la cause que servent les entreprises associatives et l'organisation du travail qu'elles déploient pour servir cette cause dans les conditions les plus efficaces possible. Je voudrais souligner la contradiction qu'il peut y avoir entre la cause et le travail.

Dans un premier temps, ce qui est dénoncé à la fois par les employeurs et les salariés, la cause peut jouer contre le travail. Le brouillage des frontières fait que le temps de travail n'est pas respecté, qu'il n'y a pas de négociation sociale ni de représentation collective des salariés et que les normes du travail ne sont pas appliquées, au nom de la cause. Les dérives de ce type sont dénoncées par les deux parties. Ces dérives ne concernent pas seulement le travail salarié. Je pourrais citer l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation de 2002 au sujet des bénévoles de la Croix-Rouge, qui a requalifié une activité bénévole en contrat de travail.

À l'inverse, il y a des cas où le travail peut jouer contre la cause. Si la rationalisation de l'organisation du travail associatif est plutôt une bonne chose – car c'est la reconnaissance du fait que l'activité relève du travail, et dans certains cas, cela la protège –, on peut se demander si le travail associatif est rationalisable sur le même mode que les pratiques du secteur concurrentiel. Pour certains, ce débat n'a pas lieu d'être. Le secteur associatif doit être soumis aux normes du secteur concurrentiel et il faut en finir avec les avantages fiscaux accordés au monde associatif. Ce sont les prises de position du Medef et de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP), qui estiment que les entreprises associatives sont des entreprises comme les autres et qu'il faut les assujettir aux mêmes normes concurrentielles que le secteur marchand.

Le président de l'UDES, Alain Cordesse, dont le point de vue est différent, déclarait en 2012 : « Les entreprises de l'économie sociale ne sont pas des entreprises comme les autres. Mais, comme les autres, elles sont des entreprises. » Autrement dit, on a là un syndicat employeur qui entend incarner un patronat social et solidaire et qui ne se reconnaît pas dans l'assimilation des entreprises associatives au secteur marchand concurrentiel classique.

Ce débat est central, car l'enjeu autour du travail associatif est de redéfinir la sphère du travail non marchand en termes de statut. Quel statut donne-t-on au travail non marchand ? Et quel mode de valorisation ? On peut considérer que le travail associatif relève du secteur non marchand puisqu'il est essentiellement financé par des fonds publics. Cette richesse non marchande, que l'on peut qualifier, comme le fait la loi ESS, d'utilité sociale produite par les associations, est-elle produite à partir d'une valeur économique existante, c'est-à-dire prélevée sur la valeur produite par le secteur marchand ? Ou bien cette utilité sociale est-elle productrice de valeurs intrinsèques, que nos catégories comptables, pour l'instant, ne savent pas saisir ? C'est, selon moi, une vraie question politique. Vous conviendrez que le lieu est bien choisi…

La participation bénévole, du point de vue comptable, fait l'objet d'une valorisation. Pourquoi s'arrêter à la valorisation de la participation bénévole, en termes d'utilité sociale apportée à la société ? Par ailleurs, l'administration fiscale exonère certaines associations des impôts commerciaux lorsqu'elle estime qu'elles servent une utilité sociale. C'est la fameuse règle des « quatre P ». Cela veut dire que l'utilité sociale peut être monétarisée. Il y a du grain à moudre sur la question de la valeur produite par le travail associatif. Cet enjeu est central, à la fois pour les employeurs puisque c'est un moyen de se différencier du patronat traditionnel, mais aussi pour les salariés à qui cela éviterait d'être réduits au rôle de variables d'ajustement des politiques publiques.

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Nous assistons effectivement à un changement historique du monde associatif, qu'il faut situer dans le cadre d'une mutation profonde de notre société, du fait notamment de toutes les transformations liées au numérique. Aujourd'hui, les montages pyramidaux deviennent souvent des montages à l'horizontale. Et la solidarité est une dimension très importante.

Je n'ai pas très bien compris le sens de votre intervention sur le service civique. Certes, nous sommes hors droit du travail, mais l'objectif du service civique est tout autre. Il s'adresse à des jeunes qui veulent avoir une première expérience et qui manifestent un grand intérêt pour ce dispositif. Le service civique apporte beaucoup, et tant mieux s'il arrive à dynamiser le monde associatif. Je ne partage pas le point de vue du syndicat ASSO en la matière.

Pour le reste, il est évident que les associations ont de plus en plus besoin d'emplois qualifiés, notamment dans le domaine de l'économie sociale et solidaire, ce qui sous-entend de gros problèmes de formation. Ne faut-il pas de plus en plus de polyvalence, de mutualisation et de transversalité ?

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Le problème fiscal a été posé par l'UDES. Sur les quatre secteurs que nous avons investigués, hors CICE et à fiscalité comparable, nous n'avons pas noté de distorsion de concurrence avérée entre le secteur lucratif et le secteur non lucratif.

En revanche, l'abattement de la taxe sur les salaires, à hauteur de 300 ou 350 millions d'euros, ne suffit pas à compenser la distorsion de concurrence créée par le CICE, notamment pour les employeurs plus de vingt salariés. Cela étant, je ne crois pas que la mise en oeuvre du CICE sur la fiscalité du secteur privé non lucratif soit la solution. Nous pourrions peut-être progresser sur la question de la modulation de la taxe sur les salaires, qui est très pénalisante pour les associations et pour l'emploi associatif.

En ce qui concerne la générosité privée, j'en suis d'accord, l'expression « financement privé » pose problème quand on sait que la dépense fiscale en la matière s'élève à 2,4 milliards d'euros en 2014, dont 1,3 milliard d'euros de réduction d'impôt au titre des dons des particuliers, sachant que ce chiffre concernent seulement les contribuables qui paient l'impôt sur le revenu. Or ce sont au total 5,6 millions de ménages qui font des dons avec déduction fiscale, ce qui, hors aspect comptable, montre le degré de générosité de nos concitoyens. C'est donc un indicateur très important. Il y a également 750 millions d'euros au titre des dons de 37 000 associations d'intérêt général ou oeuvres d'utilité publique.

J'en viens à la question du seuil de lucrativité, que l'on va péniblement arriver à relever en l'indexant chaque année sur l'inflation. Compte tenu du taux actuel de l'inflation, c'est une « grande » victoire ! Ce sont encore 135 millions d'euros de dépenses fiscales. Au total, la dépense publique atteint bien 2,4 milliards.

Par ailleurs, si l'on se place du point de vue d'un syndicat de salariés relevant du droit du travail et d'un lien de subordination, on peut comprendre la position historique du syndicat ASSO sur la question du volontariat et du contrat d'engagement éducatif, sauf qu'on manie des notions qui sont un peu différentes : volontariat associatif. Dans la loi ESS, nous avons réitéré pour les plus de vingt-cinq ans. Il ne s'agit ni de bénévolat ni de salariat mais il faut effectivement que les règles et les frontières soient clairement établies – nous l'avons précisé dans la loi sur le service civique.

Si vous constatez sur le terrain des missions qui sont en concurrence avec des contrats de travail traditionnels pérennes, il faut les signaler. Les directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale sont là pour gérer ce type de problème. Nous faisons de même si nous repérons, sur le site de l'Agence du service civique, des missions qui pourraient être en concurrence avec celles de salariés. Nous avons demandé aux services de l'État de faire preuve d'une très grande vigilance sur cette question.

Nous devons être cohérents. Le service civique n'a pas été conçu pour être un élément du parcours d'insertion professionnelle : c'est un engagement citoyen dans une mission d'intérêt général, mais il faut veiller à ce que l'esprit de la loi soit respecté.

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Sébastien Darrigrand, délégué général de l'Union des employeurs de l'économie sociale et solidaire, UDES

Un effort conséquent a été fait dans le domaine de la formation. Les deux Organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) de l'économie sociale collectent plus de 700 millions d'euros pour la formation professionnelle de leurs salariés. Cette somme considérable les place au même niveau que les OPCA interprofessionnels.

Dans le secteur associatif, la notion de branche professionnelle est très importante. Nous comptons une vingtaine de conventions collectives mais tous les secteurs ne sont pas couverts. Ainsi, les ONG ou certains acteurs, notamment dans le domaine de l'insertion, ne sont pas complètement organisés en convention collective, ce qui pose la question de l'articulation entre le droit du travail et des dispositifs plus avantageux pour les salariés.

À l'UDES, nous estimons que nous n'avons pas intérêt à mégoter sur ces sujets, car les enjeux de renouvellement de la pyramide des âges dans les prochaines années conduisent à la qualification, à la certification. Nous avons besoin de gens formés pour des métiers qui sont de plus en plus complexes. Si le discours ambiant laisse à penser que, dans une association, on n'a pas forcément besoin de compétences plus avérées que dans d'autres secteurs, telle n'est pas la position de l'UDES, comme en témoigne le travail que nous menons avec nos branches professionnelles, même s'il est parfois difficile de le réarticuler par rapport aux politiques publiques.

Ainsi, nous avons du mal à émarger à certaines lignes du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, mis en place par les partenaires sociaux pour financer un certain nombre d'actions autour de la formation professionnelle, comme la lutte contre l'illettrisme, le socle de développement des compétences de base ou le développement des politiques de professionnalisation en direction des contrats de professionnalisation. À cet égard, nous nous réjouissons de l'entrée de l'UDES au Conseil national sur l'emploi, la formation et l'orientation professionnelle (Cnefop) et dans les Comités régionaux sur l'emploi, la formation et l'orientation professionnelle (Crefop) ; nous espérons que cela va améliorer les choses.

Nous avons aussi engagé des discussions sur la mutualisation des emplois. Vous le savez, les groupements d'employeurs sont en train de se reconfigurer. Cet été, a ainsi été créée une nouvelle organisation professionnelle des groupements d'employeurs, qui pourrait d'ailleurs adhérer à l'UDES dans quelques mois. La personnalisation des emplois et le temps partiel posent la question de la capacité à nouer, sur des bassins d'emploi, des liens entre plusieurs employeurs pour développer du temps plein. Nous avons engagé un travail avec les groupements d'employeurs, pour améliorer ce dispositif.

S'agissant de la fiscalité, nous ne comprenons pas pourquoi, pour la seule raison qu'ils génèrent une activité à but non lucratif, 200 000 employeurs ne bénéficieraient pas des allégements de charges prévus dans le cadre du CICE. Nous avons plaidé en faveur d'un allégement significatif – de 4 à 6 % – sur la taxe sur les salaires. Mais nous comprenons que cela pose des problèmes notamment par rapport au financement de la protection sociale. Cela étant, une étude montre des cas avérés, modélisables et objectivés, de désavantage compétitif dans quatre secteurs : les EHPAD, la petite enfance, l'aide à domicile et l'animation périscolaire, avec un différentiel de 4 % par rapport à une entreprise lucrative agissant sur les mêmes secteurs d'activité.

La nouvelle proposition que nous faisons dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015 ne consiste pas à revoir le logiciel du Gouvernement puisqu'elle s'appuie sur l'impôt sur les sociétés à taux réduit. Le CICE étant appliqué aux sociétés de droit commun, pourquoi ne serait-il pas étendu aux entreprises susceptibles d'être assujetties à l'impôt sur les sociétés à taux réduit, avec un différentiel de 4 % qui permettrait de résoudre un certain nombre de difficultés ?

Le relèvement de l'abattement de la taxe sur les salaires peut être une solution, mais ne résout malheureusement pas le problème pour les grosses entreprises associatives du secteur sanitaire et social, qui comptent un grand nombre de salariés. Il en est de même des propositions envisagées en matière d'appel à projets pour les entreprises à but non lucratif. Cela représente une part importante pour les EHPAD – puisque c'est désormais une démarche obligatoire dans le cadre de la loi de 2009. Dans d'autres secteurs, c'est moins le cas. C'est une entrée qui nous paraît assez réductrice au regard du préjudice constaté.

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Frédéric Amiel, secrétaire général du syndicat ASSO

Vous avez eu raison de rappeler quel était l'objectif du service civique. Cela étant, nous constatons sur le terrain l'usage qui est fait de ce dispositif dans un certain nombre de structures, et pas seulement dans les associations.

La première enquête, sortie en 2012, sur les bénéficiaires du service civique montrait qu'une majorité d'entre eux étaient là en dépit d'un contrat de travail. Ainsi, même si nous arrivons à cibler les gens qui veulent vraiment vivre un engagement associatif, nous touchons aussi indirectement ceux qui saisissent simplement une opportunité. J'en ai rencontré hier encore parmi les lauréats de l'Institut du service civique qui, à l'évidence, ont fait cette démarche parce qu'ils ne trouvaient pas d'emploi et que cela leur permettait d'avoir une première expérience dans leur secteur d'activité. C'est cela qu'il faut encadrer.

Cela étant, je suis ravi d'entendre vos propos sur la vigilance qui est exercée, vigilance que nous dont nous faisons preuve à notre échelle. Nous attendons avec impatience les prochaines conclusions qui permettront de faire un état des lieux de la situation. Aujourd'hui, si cela ne figure pas dans le droit du travail – et ce n'est peut-être pas souhaitable –, il faut tout de même garantir les moyens de recours pour un volontaire ou pour un syndicat qui voudrait dénoncer un mauvais usage du service civique. En l'état, ceux-ci ne sont pas efficaces partout.

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Bernard Bazillon, vice-président de l'Institut des dirigeants d'associations et fondations, IDAF

Je voudrais revenir sur la différenciation entre le secteur privé lucratif et les associations en ce qui concerne l'activité économique.

L'activité économique doit être partagée et exercée d'une façon professionnelle pour optimiser les ressources, qu'elles soient publiques ou privées, ce qui nécessite des compétences professionnelles. Mais le marqueur n'est pas vraiment là. Bien sûr, la délégation de service public doit être la meilleure possible. Ensuite, il y a la notion d'innovation sociale et celle d'impact social. S'agissant de la première, des structures de plus en plus nombreuses sont financées par des fonds privés – fondations d'entreprise, notamment. Sur la notion comptable de valorisation du bénévolat, ne serait-il pas intéressant de valoriser l'impact social ? Certes, le lien social n'est pas monétisable, mais il y a bien d'autres aspects qui peuvent être monétisés.

Dans une association, les fonds propres, qui sont faibles, n'ont aucune signification au regard de l'enjeu, à savoir l'impact environnemental et social. Ne pourrait-on pas « activer » en fonds propres et en patrimoine de ces associations leur impact économique et social avec un grand S afin de mettre en avant, lors des appels à projets ou des appels d'offres des acteurs publics, ces notions comme étant des critères de sélection ? Cela permettrait aussi d'asseoir des financements privés.

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Vincent Laurent, co-secrétaire du Syndicat Asso

Le coût d'un service civique, selon qu'on a ou non l'agrément, va de zéro à 100 euros : 100 euros pour l'association qui a l'agrément et zéro euro pour celle qui accueille un service civique via une association qui a obtenu l'agrément. Avec un budget de 110 millions d'euros – voire plus, après les annonces faites par M. Hollande lors de sa conférence de presse en septembre dernier –, le risque est de créer dans le secteur associatif un appel d'air privilégiant le service civique plutôt que l'embauche. Il faudrait au contraire favoriser l'apprentissage ou les contrats de professionnalisation.

Le risque était le même, il y a 9 ans, avec les stages. Promulguée le 10 juillet dernier, la loi sur l'encadrement des stages établit une claire distinction entre le stagiaire et le salarié. J'ignore quel est le nombre de contrats aidés dans le secteur associatif, mais pour le syndicat ASSO, ce secteur est, depuis des années, le laboratoire des contrats précaires. Ce sont les salariés du secteur associatif, souvent des jeunes et des femmes, qui sont les victimes de ces contrats précaires à bas coût et à bas salaire. Le service civique participe d'un phénomène global qui relève de ce laboratoire des contrats précaires que nous dénonçons. Et nous alertons les pouvoirs publics sur ces questions.

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Il faut prendre la mesure du risque de concurrence entre le service civique et les contrats de travail traditionnels. Cela étant, songez à l'appel d'air fantastique que représentent, cette année, ces 35 000 ou 40 000 engagés. L'objectif est d'aller jusqu'à 100 000. Nous n'y arriverons peut-être pas en 2017, mais il y en aura au moins 60 000 ou 70 000. Pour les jeunes, cette mission d'intérêt général est aussi un engagement dans la vie associative. Nous avons commandé une étude à l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP) pour savoir si cet engagement est déclencheur d'autres engagements ultérieurs. Pour avoir beaucoup échangé avec de jeunes volontaires, j'en suis personnellement convaincu.

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Madame, messieurs, je vous remercie pour votre apport aux travaux de notre commission d'enquête.

L'audition s'achève à douze heures.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d'avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social.

Réunion du 16 octobre 2014 à 10 h 35

Présents. – M. Alain Bocquet, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Régis Juanico, Mme Isabelle Le Callennec, M. Jean-René Marsac, M. Frédéric Reiss, M. André Schneider.

Excusés. – M. Martial Saddier, M. Jean-Louis Bricout.