L'IDAF rassemble environ 150 associations et fondations dont l'objet est d'échanger les pratiques, les expertises, de mettre en place des dispositifs de formation à travers des journées, des matinales, des conférences. Je suis aussi consultant chargé de l'économie sociale auprès du cabinet d'audit et de finances KPMG. J'observe ce secteur depuis quelque vingt-cinq ans et, à travers le prisme du praticien, je ferai deux « zooms » : l'un sur le fait que pour renforcer l'emploi il faut renforcer les associations et les fondations ; l'autre sur le renforcement des politiques d'adaptation des compétences.
Sur le premier point, je rappellerai que le secteur associatif est un employeur à part entière et représente environ 10 % de la population active, et que 56 % des associations travaillent dans le secteur sanitaire et social, dont 7 % pour la santé, 19 % pour l'hébergement médico-social, 30 % dans le domaine social sans hébergement. L'évolution est positive sur le long terme d'un point de vue quantitatif mais la qualité de l'emploi tend à se dégrader à cause du recours à des CDD, de l'augmentation du temps partiel et du recrutement de personnes faiblement qualifiées dans le cadre, notamment, de missions d'insertion.
Le secteur associatif subit un effet de ciseaux : les ressources publiques de l'État et de certaines collectivités locales se dégradent, les ressources provenant de la générosité du public stagnent voire diminuent – phénomène récent –, cependant que les dépenses augmentent du fait de la demande sociale et des besoins sociaux qui ne cessent de croître, notamment dans les domaines de l'éducation, de la formation, de la cohésion sociale et des soins aux personnes âgées. Je ne peux pas ne pas ajouter que l'inflation législative et réglementaire pèse sur le monde associatif – je pense à la taxe sur les salaires, au versement transports, aux temps partiels. Relevons également le coût de l'immobilier – le coût de la construction s'est envolé en effet ces dix dernières années. Il est de plus en plus difficile, par conséquent, pour le secteur associatif, de réaliser ses missions.
Or il est absolument nécessaire de préserver sa mission de service public. Pour cela, il convient de renforcer ses fonds propres et ses moyens d'action. La loi relative à l'économie sociale et solidaire adoptée en juillet 2014 y contribue mais il faut aller encore plus loin et mettre en place des dispositifs d'innovation financière. Il s'agit de mobiliser des financements à long terme pour servir le court terme et l'activité de ces associations et donc, indirectement, renforcer l'emploi associatif.
Mon second « zoom » concerne l'évolution de l'adaptation des compétences. En effet, le secteur associatif doit s'adapter aux mutations liées aux nombreuses innovations sociales et aux nouveaux besoins sociaux, s'adapter également aux mutations technologiques, en particulier dans les domaines de l'insertion professionnelle, les donneurs d'ordre étant en train de se repositionner sur des activités très techniques, technologiques, et enfin s'adapter aux contraintes budgétaires et sociales. D'où la nécessité de l'accroissement de l'employabilité des salariés, le secteur lucratif n'étant pas seul concerné, le secteur associatif le devenant de plus en plus.
Quels sont les atouts du secteur associatif au regard de la nécessaire adaptation des compétences ? On peut en déceler deux : la gouvernance et les salariés.
Le secteur associatif bénéficie d'une gouvernance très particulière avec des bénévoles en général bien formés – et de mieux en mieux –, volontaires, impliqués. Grâce à eux, des projets associatifs très pertinents, pour la plupart, sont mis en oeuvre.
Quant aux salariés, il faut avoir présent à l'esprit qu'ils n'ont pas intégré une association par hasard. Je citerai l'exemple d'un directeur administratif et financier d'une filiale d'une entreprise japonaise venu dans une association qui travaille avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) : il a enregistré une chute de salaire de 30 à 40 %, effectue des trajets bien plus longs qu'auparavant et doit superviser une vingtaine d'établissements. Eh bien, malgré cela, cet engagement a donné un sens à sa vie. Ce genre de transition est de plus en plus fréquent et répond à un sens développé du service d'une cause.
Nous avons toutefois recensé un certain nombre de freins. Je pense à l'investissement important, financier et extra-financier, qu'il faut consentir pour le développement progressif d'une politique d'adaptation des compétences dans la durée ; à la très grande diversité des métiers et des parcours professionnels, qui exige une énergie certaine pour faire évoluer les compétences ; à l'ambivalence du statut – à la fois personne impliquée, parfois adhérente, et quand même toujours salarié obligé de rendre compte ; à une compréhension systémique de l'évolution de l'environnement qui reste parfois insuffisante, certains salariés s'imaginant que leur secteur d'activité peut continuer comme avant ; à la réticence inhérente à tout changement ; enfin, à la difficulté à bien percevoir individuellement mais aussi collectivement l'équilibre entre les gains et les pertes, entre l'engagement ou la démotivation autour de la mise en oeuvre du projet associatif.
Le projet associatif doit être co-construit avec les salariés qui souvent font partie de l'assemblée générale. Il s'agit en effet d'obtenir une implication optimale de l'encadrement, qui va impulser et accompagner les mutations. Vis-à-vis des salariés, la prise en compte de l'innovation sociale et de la qualité du service rendu est essentielle : il faut partir de là pour les impliquer, les motiver, et faire comprendre que leurs compétences devront s'adapter à l'évolution des besoins sociaux.
En matière d'organisation, des demandes sans cesse plus nombreuses nous viennent des entreprises adaptées – nous discutons d'ailleurs avec l'Union nationale des entreprises adaptées (UNEA). Certaines de ces entreprises travaillent en sous-traitance du secteur commercial, lui-même en difficulté, et demandent des diagnostics, des plans de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences pour pouvoir s'adapter et travailler pour des secteurs à forte valeur ajoutée – comme les nouvelles technologies de l'information. Ces organismes sont demandeurs d'accompagnement au changement pour leurs personnels.
Sans se placer dans une démarche de rupture, il faut convenir que l'on n'a pas inventé l'ampoule en améliorant la bougie. Si l'on peut toujours perfectionner les dispositifs existants, il faudra bien passer à un stade supérieur de changement. Une communication et une gouvernance adaptées seront nécessaires, d'où la nécessité de mettre en place des dispositifs conjoints élus-bénévoles-salariés pour définir les plans d'action.
Il faudra également, pour finir, « implémenter » des dispositifs de formation. Je rappelle que 70 % du changement et de l'expérience proviennent du terrain, donc de cadres intermédiaires capables, au quotidien, de faire évoluer les pratiques. Ensuite, 20 % du changement proviennent de la formation informelle, c'est-à-dire du partage de savoirs par les nouvelles technologies de l'information. Enfin seuls 10 % proviennent de la formation présentielle. Le coût de ce type de dispositif peut être allégé en ayant beaucoup moins recours à des prestations externes et en internalisant l'accompagnement du changement. Il faudra pour cela mettre en place des dispositifs locaux d'accompagnement (DLA), quitte à les renforcer, auxquels on pourra éventuellement associer, dans le cadre des hybridations de ressources, des fonds privés.