Intervention de Frédéric Amiel

Réunion du 16 octobre 2014 à 10h00
Commission d'enquête chargée d'étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposeer des réponses concrètes et d'avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le

Frédéric Amiel, secrétaire général du syndicat ASSO :

Le syndicat ASSO (« Action pour les salariés du secteur associatif ») se félicite que l'emploi associatif soit traité par cette commission d'enquête avec l'importance qu'il mérite. Il est depuis plusieurs années en crise et je reviendrai sur les conséquences de certaines politiques publiques tant d'un point de vue quantitatif que qualitatif.

Les salariés associatifs sont très investis dans leur travail et la démotivation évoquée tout à l'heure n'est pas toujours le fait du salarié mais provient d'une perte de sens et de la difficulté que rencontrent les associations à mettre en oeuvre leur projet. Certains salariés ne voient plus l'intérêt de continuer à travailler dans le monde associatif puisqu'ils y retrouvent tant de travers du secteur privé.

Je prendrai l'exemple de deux types de contrats en commençant par celui lié au service civique – anciennement volontariat puis service civil volontaire. Ce contrat est très particulier puisque hors droit du travail. En tant que syndicat nous nous sommes posé la question de savoir comment travailler avec les volontaires qui, en entreprise, sont confrontés à des problèmes similaires à ceux des salariés alors qu'ils ne relèvent pas, je le répète, du droit du travail, d'un lien de subordination avec leur employeur, problèmes qui, par conséquent, ne peuvent pas être résolus de la même manière.

La politique du chiffre dans le volontariat a conduit à créer énormément de postes assortis de conditions « de papier » : pas de remplacement de postes de salariés, pas de missions pérennes, pas de missions indispensables pour l'association. Il suffit de consulter les propositions de volontariat pour constater que ces règles ne sont pas respectées et restent mal vérifiées. C'est pourquoi il faut veiller à ne pas multiplier, dans le secteur associatif, ce type d'expérimentations qui permettent, certes, d'extraire un certain nombre de jeunes du marché de l'emploi pendant un temps, voire de leur proposer une expérience professionnelle, mais qui ne résout pas le problème à long terme d'un emploi stable et correctement rémunéré ni d'une évolution de carrière. En effet, même si l'on note une amélioration, les volontariats sont relativement peu reconnus dans le cadre de l'insertion professionnelle.

Le second type de contrat que je souhaite mentionner est le contrat aidé : contrat d'aide à l'emploi (CAE) et contrat unique d'insertion (CUI). Ces contrats stipulaient, ce qui partait d'une bonne intention, que l'association allait recevoir de la part d'un bailleur – généralement une collectivité territoriale – une subvention sur trois ans, dégressive, qui lui permettrait, petit à petit, de mettre en place un système destiné à pérenniser l'emploi en le transformant en CDI s'il s'agissait d'un CDD ou, le cas échéant, à le maintenir en CDI. Seulement, cette convention était en fait semestrielle, renouvelable six fois. Aussi, au bout d'un semestre, certains bailleurs, se rendant compte que l'enveloppe budgétaire affectée à ces contrats n'était pas suffisante, ont réévalué l'attribution de leur ligne budgétaire. Et certains de ces contrats n'ont pas été reconduits, non pas pour des raisons valables – mauvais accompagnement de l'employé, absence de plan de formation… – mais uniquement par absence de budget. Des associations qui avaient pris le risque d'embaucher un salarié, parfois en CDI, pensant disposer de trois ans pour pérenniser l'emploi, ont dès lors dû procéder à des licenciements économiques au bout de six mois. Ce phénomène s'est peu reproduit, car les bailleurs institutionnels ont été instruits par l'expérience et n'ont par répété les erreurs de la première année en signant trop de conventions, mais montre les limites de l'accompagnement à l'emploi par les associations.

Nous vous avons communiqué plusieurs propositions suivant l'idée que l'accompagnement à l'emploi dans les associations doit être réellement pluriannuel, sur le fondement d'un budget clair et « sacralisé », à savoir insensible aux aléas des politiques budgétaires.

Nous souhaitons par ailleurs introduire le volontariat dans le code du travail ou, à défaut, créer une législation propre puisque le vide juridique qui le caractérise ne permet pas, j'y ai fait allusion, de résoudre les conflits entre un volontaire et son association d'accueil.

J'en viens à l'impact des politiques publiques, notamment budgétaires – qu'il s'agisse de l'État central ou de l'État décentralisé –, sur les associations. On a tout à l'heure évoqué « l'effet ciseaux » ; pour notre part, en tant que syndicat, nous parlons plutôt de la « double peine » du salarié associatif qui, à cause des réductions des subventions, se retrouve souvent à récupérer des missions de collègues licenciés ou non reconduits, ce qui conduit à une augmentation de la charge de travail due à une baisse des budgets. D'autre part, comme la crise économique frappe tout le monde, ou presque, en France, le nombre de ces missions augmente, en particulier dans les secteurs sociaux, de l'éducation, de la santé… Les salariés associatifs subissent donc une surcharge de travail due à la fois à des contraintes internes à l'association et à des contraintes externes.

Cette pression est accrue par les nouvelles politiques de subventions – on a mentionné les appels d'offres, les délégations de service public. Nous sommes certes tout à fait favorables à la co-construction et nous réfléchissons depuis longtemps à la manière dont les salariés pourraient être mieux associés au projet associatif. Mais quand un tel projet est dicté de l'extérieur par des appels d'offres ou par l'obligation d'obtenir des délégations de service public pour pérenniser des postes ou pour maintenir un budget à l'équilibre, il n'est même plus aux mains des bénévoles, sans parler des salariés dont l'activité perd de ce fait une grande partie de son sens. D'où une certaine démotivation.

Il s'agit par conséquent d'encadrer la manière dont les associations sont de plus en plus amenées à se substituer à des services publics de proximité. Je n'entends pas ici juger de la pertinence ou non d'avoir recours à des associations ou à des entreprises privées pour les substituer à des services publics ; en revanche, il est de notre point de vue inacceptable que ces délégations de service public ne se fassent pas à égalité de moyens. Les moyens investis dans un service public assuré par une collectivité territoriale sont sans commune mesure avec les faibles enveloppes qu'on alloue à des associations pour réaliser le même travail, notamment parce qu'on compte sur le bénévolat des associations – l'autre raison étant que l'on compte sur eux pour trouver des moyens innovants pour faire aussi bien avec moins de moyens. Il est donc important d'encadrer les délégations de service public et de s'assurer de la continuité des moyens qui y sont consacrés.

Je rappellerai ensuite que les aides aux associations, celles distribuées par l'État central comme celles dispensées par les collectivités territoriales, constituent la variable d'ajustement des budgets annuels ou des révisions semestrielles desdits budgets. Il faut dès lors s'assurer que, si l'on considère, comme vous l'indiquiez au début de cette table ronde, monsieur le président, que les associations ont un rôle social fondamental à jouer dans la construction du tissu national et comme facteur de cohésion sociale, elles doivent être protégées des aléas budgétaires, et les lignes dédiées aux associations doivent être préservées des politiques de rigueur du moment. Il convient de chercher le moyen pour les associations d'être moins touchées qu'aujourd'hui par ce phénomène si l'on veut éviter des pertes d'emplois massives.

Pour finir, le syndicat ASSO, affilié à l'Union syndicale solidaire, syndique également les salariés des comités d'entreprises. Quand nous entendons parler de la réforme des seuils sociaux, nous sommes très inquiets. L'argent versé aux comités d'entreprises ou à travers les différentes politiques sociales via les taxes sur l'emploi, est de l'argent qui revient très vite dans le circuit associatif via des prestations culturelles, des prestations de loisir, des prestations sociales. Aussi, abaisser les prélèvements revient à diminuer l'emploi dans des structures qui bénéficient de l'argent des politiques sociales et de l'argent des comités d'entreprises – vous n'ignorez pas qu'un comité d'entreprise va payer à ses employés des activités culturelles, de loisir, des vacances qui, pour une grande part, passent par des associations.

J'appelle votre vigilance sur l'équilibre à trouver entre la baisse des revenus qui profite à des emplois existants et les revenus qui pourraient être préservés par des employeurs associatifs pour créer de nouveaux emplois. Vous connaissez la solution : plutôt que de faire bénéficier les employeurs associatifs des mêmes réductions de charges qu'au secteur privé, il faut faire bénéficier le secteur privé de moins de réductions de charges.

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