Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 8 octobre 2014 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli, rapporteure :

J'essaierai d'être concise dans cette communication qui porte sur trois textes différents relatifs aux droits procéduraux. La Commission européenne a déposé le 27 novembre 2013, dans le cadre de la feuille de route sur les garanties procédurales en matière pénale du 4 décembre 2009 et du programme de Stockholm, trois textes, assortis de deux recommandations :

– une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant l'aide juridictionnelle provisoire pour les suspects et les personnes poursuivies privés de liberté, ainsi que l'aide juridictionnelle dans le cadre des procédures relatives au mandat d'arrêt européen ;

-– une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants soupçonnés ou poursuivis dans le cadre des procédures pénales ;

– une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil portant renforcement de certains aspects de la présomption d'innocence et du droit d'assister à son procès dans le cadre des procédures pénales.

Le programme de rapprochement des législations pénales nationales en cours de réalisation est sans précédent et n'a été possible que grâce au traité de Lisbonne, qui a permis de mettre fin au principe de l'adoption des textes à l'unanimité en matière de coopération judiciaire pénale. Il convient toutefois de remarquer que les négociations menées sont marquées par une approche anglo-saxonne du droit pénal et que des questions relatives à ce type de droit sont débattues.

Je vous propose d'examiner en premier lieu la proposition de directive relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants soupçonnés ou poursuivis dans le cadre des procédures pénales.

La proposition de directive examinée vise à définir un socle de garanties procédurales communes à tous les États membres de l'Union européenne pour les mineurs qui sont soupçonnés ou poursuivis dans le cadre d'une procédure pénale ou qui font l'objet d'un mandat d'arrêt européen.

Elle est accompagnée d'une recommandation relative aux garanties procédurales accordées aux autres personnes vulnérables, l'étude d'impact réalisée par la Commission européenne ayant souligné la difficulté de définir la notion d'adultes vulnérables et ayant exclu toute mesure juridiquement contraignante dans ce domaine.

La proposition de directive concerne les enfants, définis comme des personnes âgées de moins de 18 ans faisant l'objet d'une procédure pénale ou d'un mandat d'arrêt européen. Il s'agit des mineurs en droit français.

Sans entrer dans l'ensemble des détails du texte et des évolutions des négociations au Conseil, je vous propose de souligner rapidement certains points sur lesquels vous trouverez une étude détaillée dans le rapport.

La proposition crée de nouveaux droits spécifiques aux mineurs. Elle prévoit :

– un droit à l'information plus étendu que pour les majeurs (droit à une évaluation personnalisée, droit à une protection de la vie privée, droit d'assister aux audiences, droit à la liberté et à un traitement particulier en détention, qui ne figurent pas parmi les droits actuellement notifiés aux mis en cause mineurs en droit français). Les personnes auditionnées ont souligné l'impact prévisible de ces dispositions pour les services enquêteurs ;

– le droit à l'assistance d'un avocat (article 6) ;

– le droit de faire l'objet d'une évaluation personnalisée (article 7) ;

– le droit d'être examiné par un médecin (article 8). En France, l'examen par un médecin est obligatoire pour les mineurs placés en garde à vue s'ils ont entre treize et seize ans. Pour les mineurs de plus de seize ans, c'est le représentant légal qui peut effectuer la demande ;

– le droit à la liberté (article 10) ;

– le droit à un traitement particulier en cas de privation de liberté (article 12). En droit français, de telles dispositions existent jusqu'à 18 ans et demi ;

– le droit à la protection de la vie privée (article 14) ;

– le droit des mineurs d'assister aux audiences du procès consacrées à l'examen de leur culpabilité (article 16) ;

– le droit à l'aide juridictionnelle (article 18). Il convient de relever que le texte tel qu'il est rédigé à l'issue des négociations au Conseil est en retrait par rapport à la proposition de la Commission européenne, selon laquelle les États membres devaient veiller « à ce que leur législation nationale en matière d'aide juridictionnelle garantisse l'exercice effectif du droit d'accès à un avocat ».

Par ailleurs, la proposition de directive présentée par la Commission européenne prévoit que l'interrogatoire des mineurs devrait systématiquement faire l'objet d'un enregistrement audiovisuel, à moins qu'un tel enregistrement ne soit disproportionné au regard de la complexité de l'affaire, de la gravité de l'infraction alléguée et de la sanction encourue (article 9). En droit français, l'enregistrement est obligatoire pour tout interrogatoire de mineur placé en garde à vue et, devant le juge, pour tout interrogatoire criminel. La proposition de directive conduirait donc à une extension très significative des procédures d'enregistrement en France (auditions libres, interrogatoires menés dans le cabinet du juge d'instruction ou du juge des enfants). Cette extension est apparue peu pertinente aux services enquêteurs et magistrats interrogés par votre rapporteure, notamment lorsqu'est exigée la présence de l'avocat.

Au Conseil, ce principe d'enregistrement a été restreint et renversé : les interrogatoires des seuls mineurs privés de liberté devraient être enregistrés si cela se révèle proportionné au vu de la complexité du cas, de la gravité de l'infraction et de la peine encourue. L'enregistrement audiovisuel ne serait pas obligatoire en cas de présence de l'avocat du mineur.

Plusieurs points devront faire l'objet d'une attention particulière.

Le texte proposé par la Commission européenne prévoit à son article 6 un « droit à l'assistance obligatoire d'un avocat ». « Il ne peut être renoncé au droit d'accès à un avocat », dispose cet article.

Ces dispositions ont été entièrement modifiées lors des négociations au sein du groupe de travail du Conseil. Dans le dernier état du texte, l'article 6 prévoit que les règles fixées par la directive 201348UE relative au droit d'accès à un avocat doivent être appliquées aux mineurs. L'article 9 de cette directive prévoit toutefois une possibilité de renonciation à ce droit. Un nouvel article 6a relatif à l'assistance par un avocat a été ajouté au Conseil. Ce nouvel article prévoit que les États membres doivent s'assurer que les mineurs sont obligatoirement assistés par un avocat :

– lorsqu'ils sont interrogés par la police ou par des autorités judiciaires (donc dans le cas des auditions libres), y compris lors du procès, à moins que cela ne soit disproportionné au regard de la complexité de l'affaire, de la gravité de l'infraction alléguée et de la sanction encourue. L'interprétation par chaque État sans un cadre commun précis pose à la fois un problème de principe et une question quant à l'harmonisation supposée obtenue ;

– lorsqu'il y a privation de liberté.

L'adoption de telles dispositions induirait d'importants changements dans le droit pénal français, notamment en ce qui concerne la garde à vue. En effet, en dehors du cas spécifique des mineurs de dix à treize ans placés en retenue, à titre exceptionnel, le droit actuellement en vigueur ne prévoit pas d'obligation de faire appel à un avocat lors d'une audition libre ou d'une garde à vue pour les mineurs. Selon les estimations du ministère de l'intérieur, seulement 40 % à 50 % des personnes placées en garde à vue (mineurs et majeurs confondus) font aujourd'hui appel à un avocat. Le coût de la mesure a été évalué, selon les informations transmises à votre rapporteure, à 16 millions d'euros par an.

Ce projet de texte affirmant des droits nouveaux ne prévoit malheureusement pas les mesures nécessaires à leur effectivité en matière d'aide juridictionnelle.

Le remboursement par le mineur condamné de certains coûts de procédure est proposé à l'article 21 de la proposition et devrait être rejeté. Cette disposition prévoit que les tribunaux puissent ordonner aux mineurs ayant été condamnés le remboursement des coûts résultant des examens médicaux, de l'évaluation personnalisée et des enregistrements audiovisuels (articles 7 à 9). Une telle disposition semble inacceptable.

Je vous propose d'examiner en deuxième lieu la proposition de directive concernant l'aide juridictionnelle provisoire pour les suspects et les personnes poursuivies privés de liberté, ainsi que l'aide juridictionnelle dans le cadre des procédures relatives au mandat d'arrêt européen.

Je rappellerai brièvement que nous avions, avec notre collègue Guy Geoffroy, dès la négociation de la directive sur l'accès à l'avocat, demandé le dépôt d'un texte sur l'aide juridictionnelle, qui permette la mise en oeuvre effective des droits proclamés.

La directive proposée s'appliquerait aux suspects et personnes poursuivies qui sont privés de liberté, dès la privation de liberté. Elle ne correspond donc pas au champ d'application de la directive sur l'accès à l'avocat qui vise toute personne soupçonnée, dès le stade des premiers interrogatoires.

En outre, la proposition de directive ne recouvre que la mise en oeuvre d' un système d'aide juridictionnelle provisoire aux tout premiers stades des procédures pénales. Elle ne règlemente pas les critères d'accès à l'aide juridictionnelle. Elle traite également de l'aide juridictionnelle dans le cadre du mandat d'arrêt européen.

L'aide juridictionnelle provisoire serait définie comme l'aide juridictionnelle accordée à une personne privée de liberté jusqu'à l'adoption d'une décision sur l'octroi de l'aide juridictionnelle.

L'aide juridictionnelle provisoire devrait être accordée sans retard indu après la privation de liberté et, en tout état de cause, avant tout interrogatoire (article 4).

L'aide juridictionnelle provisoire serait garantie jusqu'à l'adoption et la prise d'effet de la décision définitive relative à l'aide juridictionnelle.

Il s'agit bien là d'un pas important mais nous sommes loin d'une harmonisation réelle, malgré les efforts déployés, il faut le souligner, par les autorités françaises pour permettre le dépôt de cette proposition. La plupart des États membres y étaient hostiles ou étaient peu allant, du fait des coûts engendrés.

La recommandation qui accompagne la proposition de directive est nécessairement décevante en ce qu'elle n'aura pas de force juridique contraignante.

Cette recommandation prévoit notamment :

– qu'elle est applicable aux personnes soupçonnées ou poursuivies dans le cadre de procédures pénales ;

– un accès à l'aide juridictionnelle si une personne ne dispose pas de ressources suffisantes ou s'il est dans l'intérêt de la justice qu'elle bénéficie de cet accès.

Je vous propose en troisième et dernier lieu d'examiner la proposition de directive relative au renforcement de certains aspects de la présomption d'innocence et du droit d'assister à son procès.

La présente proposition a suscité des réserves, non dans son principe, mais dans les orientations choisies par la Commission européenne, tendant à introduire un certain nombre de notions de Common Law.

L'article 4 porte sur l'interdiction de porter des accusations publiques.

L'article 5, relatif à la charge de la preuve et au niveau de preuve requis, était problématique au regard du droit français, étant fondé, pour ses deux derniers alinéas, sur la notion de doute raisonnable (doute raisonnable pour réfuter une présomption de culpabilité et doute raisonnable impliquant l'acquittement), qui, si elle devait être transposée, aurait des implications majeures en droit pénal français. Les autorités françaises, soutenues en cela par de nombreuses autres délégations au Conseil ainsi que par la présidence italienne, ont demandé la suppression de la référence à la notion de doute raisonnable, telle qu'elle était initialement proposée, qui est une notion de Common Law. Notre droit repose en effet sur l'intime conviction du juge et des jurés.

La dernière version du texte en discussion au Conseil ne fait plus mention du doute raisonnable et ne traite plus, en son 1, que de la charge de la preuve qui doit reposer sur l'accusation, et en son 2, que du fait que toute présomption ayant pour effet de renverser la charge de la preuve doit en principe toujours être réfragable et doit respecter les droits de la défense.

L'article 6 porte sur le droit de ne pas coopérer et de ne pas s'auto incriminer et l'article 7 sur le droit de conserver le silence. Sur ces articles, largement modifiés au Conseil, il faut souligner que le droit de ne pas coopérer a été supprimé car très difficile à définir. Par ailleurs, une disposition prévoyant qu'il était interdit de tirer une quelconque conclusion de l'exercice du droit de ne pas s'auto incriminer et de garder le silence a été modifiée afin de se conformer à la jurisprudence de la CEDH, qui ne va pas jusque-là, l'exercice de ce doit pouvant venir corroborer d'autres éléments de preuves.

Les articles 8 et 9 portent sur le droit d'assister à son procès et ne suscitent pas de problème particulier au niveau français.

En conclusion, mes chers collègues, je vous propose une résolution européenne qui reprendrait les principaux points de ces textes.

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