Intervention de Joaquim Pueyo

Réunion du 8 octobre 2014 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoaquim Pueyo, rapporteur :

Je souhaite faire aujourd'hui avec vous un point sur l'action – d'aucuns préféreront dire l'inaction – de l'Union européenne dans cette crise depuis le mois d'août, sans revenir sur l'implication de la France.

Deux points m'apparaissent essentiels.

Sur le volet humanitaire : l'Union européenne a été plutôt réactive dès le mois d'août puisque la Commission européenne a annoncé le 12 août qu'elle allait accorder 5 millions d'euros supplémentaires à l'Irak, afin de venir en aide aux populations déplacées du fait de ce nouveau conflit. Cela porte l'aide totale de l'Union pour l'Irak seul à 17 millions d'euros en 2014. Même si, face à l'ampleur des besoins, certains peuvent juger cela insuffisant, cet effort est loin d'être négligeable compte tenu de la conjoncture économique en Europe. Il s'ajoute aux aides consenties pour l'ensemble de la région. Les 28 se sont mis d'accord pour renforcer la coordination humanitaire et en confier les rênes à la Commission.

Sur le volet politique et militaire : la décision de la France de livrer des armes aux Kurdes d'Irak, confirmée par François Hollande le 14 août, suite à la demande formulée par le Président du Gouvernement régional du Kurdistan d'Irak, Massoud Barzani, a fait un peu bouger les lignes au sein de l'Union européenne. Jusqu'alors, les 28 étaient seulement tombés d'accord sur l'envoi d'une aide humanitaire mais, réunis en urgence le 15 août, les États de l'Union européenne ont décidé d'apporter une réponse politique commune face au drame vécu par les minorités chrétienne et yazidie menacées d'extermination. Ce sont la France et l'Italie qui ont demandé cette réunion d'urgence. Laurent Fabius s'est fortement impliqué pour l'obtenir.

La position commune adoptée est un premier pas, certes mesuré, puisque le communiqué du Conseil Affaires étrangères du 15 août 2014 énonce que « l' Union européenne salue le fait que certains pays vont répondre favorablement à la demande des forces de sécurité kurdes ».

C'est néanmoins l'expression d'un soutien de l'Union en tant que telle à ceux de ses 28 États membres qui concrètement vont apporter une aide militaire en Irak, la décision de fournir cette aide continuant à revenir à chaque État membre.

Cette prise de position commune n'était pas évidente, les 28 s'étant montrés très divisés sur la façon de fournir une aide.

Les pays les plus engagés dans le soutien aux Kurdes se sont révélés être la France, qui a annoncé l'envoi d'armes « sophistiquées », mais aussi la Grande-Bretagne, qui a envisagé « favorablement » la possibilité d'armer les forces kurdes. Les Allemands, très réticents dans un premier temps, ont fait taire leurs réserves. Le ministre des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier a alors déclaré : « Les Européens ne doivent pas se limiter à saluer le combat courageux des forces kurdes. Nous devons aussi faire quelque chose pour répondre à leurs besoins ».

Par ses conclusions du 30 août, le Conseil européen a renforcé la prise de position commune du 15 août, en déclarant notamment : « L'Union européenne est déterminée à contribuer à contrer la menace que représentent « l'EIIL, l'État islamique en Irak et au Levant » à mettre entre guillemets car je n'aime pas beaucoup cette expression et les autres groupes terroristes en Irak et en Syrie, comme le demande la résolution 2170 du Conseil de sécurité des Nations unies. […] Le Conseil européen soutient la décision prise par certains États membres de livrer du matériel militaire en Irak, y compris aux autorités régionales kurdes ».

La question du niveau souhaitable de la concertation européenne est posée aujourd'hui. Si l'on ne peut que se féliciter de ces belles déclarations, de l'adoption d'une position européenne commune, via le soutien de principe des 28 aux efforts de certains dont la France, l'Union européenne ne pourrait-elle, ne devrait-elle aller plus loin dans cette concertation, voire dans son engagement ?

Il est clair que les 28 États membres n'ont pas tous les moyens ou la volonté de s'impliquer dans cette crise. Dès lors peut-on envisager une coopération dans un cercle plus restreint d'États membres volontaires, avec l'accord des 28 ?

En effet, plus de 40 pays ont annoncé leur souhait de participer, d'une manière ou d'une autre, à la coalition contre les djihadistes de l'État islamique. Sur cette quarantaine de pays, 9 États sont des membres de l'Union européenne. Je ne détaille pas les modalités de leur soutien qui figurent dans la communication.

Tous ces soutiens sont cependant des initiatives éparses et l'Union européenne gagnerait sans doute plus de poids et de visibilité sur la scène diplomatique internationale si elle parvenait à une plus grande coordination, sans pour autant porter atteinte à la souveraineté de décision de chaque État membre en la matière.

Cette coordination semble d'autant plus s'imposer que des demandes d'aides sont directement adressées à l'Union européenne : ainsi l'ancien patriarche de Mossoul a appelé le 16 septembre l'Union européenne à aider l'Irak ainsi que les chrétiens et yazidis du pays, victimes, a-t-il souligné, d'un véritable génocide. Il s'est déclaré favorable, outre à l'aide humanitaire, à l'envoi d'armes.

Rappelons qu'un dispositif de coopération, sur la base du volontariat des États membres, a été prévu par le Traité de Lisbonne en matière de politique de sécurité et de défense commune.

Le problème de la non mise en place de la Coopération structurée permanente – la CSP – a déjà été développé longuement dans les travaux de notre commission relatifs à l'Europe de la défense, en particulier dans le rapport d'information n° 911 d'avril 2013 que j'avais présenté avec mon collègue Yves Fromion. Ce rapport a détaillé les modalités de fonctionnement, les particularités et l'intérêt d'un tel dispositif.

Par ailleurs, dans ses conclusions des 19 et 20 décembre 2013, le Conseil européen a notamment déclaré qu'il « s'engage résolument à ce qu'une PSDC crédible et efficace continue d'être développée, conformément au Traité de Lisbonne et aux possibilités qu'offre celui-ci ». Nous avons donc tous les éléments pour renforcer cette coopération.

Nous nous retrouvons plus ou moins dans une configuration comparable à celle qui a prévalu au Mali et en Centrafrique, où la France, parmi les États de l'Union européenne, a joué le rôle moteur dans la lutte contre un terrorisme qui menace la sécurité de l'Europe, tout en souhaitant un engagement d'autres États européens à ses côtés.

Lors de la séance qui a eu lieu à l'Assemblée nationale le 24 septembre, pour permettre au Premier ministre d'informer la représentation nationale sur la décision d'engager des frappes aériennes, une belle unanimité s'est dégagée pour soutenir cette décision. Mais des orateurs de nos différents groupes politiques ont souligné également leur souhait que l'action de la France soit davantage soutenue par ses partenaires européens. Où est l'Europe de la défense ? Nous avons entendu cette question à plusieurs reprises.

Comme l'a exprimé à cette occasion Manuel Valls : « La France agit lorsque sa sécurité est en jeu ; mais elle agit aussi pour l'Europe. L'Europe ne peut toutefois pas remettre sa sécurité à un seul de ses États membres, fût-ce la France. C'est pourquoi nous n'abandonnons pas notre volonté de voir progresser une véritable Europe de la défense. »

Il ne faut pas que, dans la lutte anti-djihadiste, les partenaires européens de la France laissent celle-ci dans un isolement trop grand, faisant d'elle le portefaix des engagements verbaux de l'Union européenne. Nous accueillons avec satisfaction l'engagement du Royaume-Uni, de la Belgique, des Pays-Bas et du Danemark à rejoindre les rangs de la coalition mise en place pour mener des raids aériens. Faut-il nous en contenter ? Le temps n'est-il pas venu de mettre en place, au niveau européen, un début d'approche globale en matière de défense ? Encore une fois, nous avons tous les éléments pour le faire avec le Traité de Lisbonne et le Conseil européen de décembre 2013.

Je suis également prêt à intégrer à nos conclusions une proposition qui a été formulée lors du débat en séance publique du 24 septembre par le groupe écologiste, et qui a retenu mon intérêt : il s'agit de la proposition d'organisation d'une conférence internationale pour la paix et la sécurité au Moyen-Orient, qui aurait pour objet prioritaire la protection des minorités.

Nous semblons en effet tous d'accord sur la nécessité de trouver des débouchés politico-diplomatiques à la crise irakienne. La nature et la dimension de notre engagement actuel en Irak n'apportent par exemple pas de solution à la situation des Chrétiens d'Orient. Les Kurdes reprochent aujourd'hui à la communauté internationale de les abandonner. C'est à une « mobilisation humaniste » que les États membres devraient également s'employer et je me réfère là à nouveau aux propos tenus par le groupe écologiste.

Afin de conforter l'implication de l'Union européenne, trop en retrait jusqu'à présent, nous pourrions suggérer qu'elle prenne l'initiative de convoquer cette conférence, qui serait l'occasion d'aborder également le sujet de l'accueil des réfugiés dans nos différents États membres.

Voilà, rapidement résumée, la teneur de ma communication dont bien entendu je ne livre oralement devant vous qu'une synthèse.

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