Au cours des deux premières années de la présente législature, la Commission des affaires européennes a produit plusieurs travaux à propos de divers aspects de la biodiversité : l'accès aux ressources biologiques, l'incidence des projets d'infrastructures sur l'environnement, les espèces exotiques envahissantes, la lutte contre le trafic d'espèces de sauvages menacées d'extinction et les déchets plastiques. À l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la biodiversité, elle a publié un rapport pour observation décrivant l'ensemble des législations conduites dans ce domaine à l'échelle européenne. La semaine dernière encore, nous organisions une table ronde passionnante consacrée à la politique européenne de défense de la biodiversité dans la perspective de la 12e Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique, qui se tient en Corée du Sud en ce moment même.
Protéger la biodiversité est important au regard de sa valeur intrinsèque mais il s'agit également d'un gage de bien-être humain. Les écosystèmes en bonne santé, résilients et productifs offrent en effet de nombreux avantages, dits « services écosystémiques », aux sociétés humaines : nourriture, bois, carburant, eau potable, air pur, protection naturelle contre les inondations, stockage du carbone, recherche pharmaceutique, tourisme et loisirs.
La responsabilité qui incombe à la France en la matière est particulièrement forte, compte tenu des richesses en biodiversité qu'elle recèle dans ses départements et collectivités ultramarins. À cet égard, je rappelle au passage que je conteste le projet d'abandon de la procédure d'inscription des sites remarquables, prévue par le Gouvernement dans le projet de loi biodiversité.
Dans l'Union européenne comme partout dans le monde, malgré les législations et les politiques consacrées à la protection de l'environnement, la biodiversité continue de décliner. Près de 25 % des espèces animales d'Europe sont ainsi menacées d'extinction et la plupart des écosystèmes y sont dégradés.
En 2011, la Commission européenne a adopté une stratégie ad hoc sur dix ans afin de corriger les lacunes du corpus législatif européen. L'une des vingt actions qu'elle prévoit est intitulée « Aucune perte nette de biodiversité et de services écosystémiques ». Cela implique notamment que la Commission européenne poursuive ses travaux en vue de proposer, d'ici à 2015, une initiative visant à éviter toute perte nette pour les écosystèmes et leurs services.
À cet effet, elle a ouvert une consultation publique en direction des différentes catégories de parties prenantes, qui court jusqu'au 17 octobre.
Elle prévoit d'axer sa future initiative sur les causes suivantes de perte de biodiversité, domaines qui ne font actuellement pas l'objet de politiques européennes bien encadrées : le changement d'usage des terres ; la surexploitation des ressources naturelles ; la pollution diffuse des eaux.
Les moyens associés à l'initiative seraient concentrés sur les zones extérieures au réseau Natura 2000, afin d'y renforcer la sauvegarde et la restauration des services écosystémiques. L'un des enjeux cruciaux consiste en effet à défendre la « biodiversité ordinaire » pour limiter la segmentation et la fragmentation du territoire, au moins en constituant des corridors écologiques reliant les zones qui bénéficient d'un haut niveau de protection.
La Commission européenne semble privilégier l'option d'une initiative ne couvrant d'abord que l'environnement terrestre – y compris l'eau douce, les estuaires et les eaux côtières – puis, seulement dans un second temps, la haute mer. Il serait plus judicieux qu'elle couvre dès le début les systèmes terrestres et marins, au même titre. Cela ne pourra que contribuer au renforcement des recherches scientifiques sur les services écosystémiques du milieu marin, nécessaire pour compléter les faibles connaissances actuelles.
Plusieurs secteurs économiques sont envisagés pour figurer dans le périmètre de la future initiative « Aucune perte nette » : l'agriculture ; les bâtiments et travaux publics ; les infrastructures énergétiques ; les industries extractives ; la pêche et l'aquaculture ; la forêt ; les infrastructures de transport.
Aucun de ces secteurs ne saurait en effet être négligé. Tous ont des incidences directes sur la biodiversité et hiérarchiser l'impact global de chacun d'entre eux sur la biodiversité n'a aucun sens car tout dépend des projets d'aménagement pris individuellement.
Avant que ne soit envisagée une extension de leur périmètre ou de leur portée, il me semblerait opportun que les différentes directives environnementales soient mieux appliquées.
Je vous invite en outre à ce que nous nous prononcions en faveur de l'amélioration de la planification spatiale dans les environnements terrestres, côtiers et marins, de l'accroissement du verdissement de la PAC, de l'incorporation de l'objectif « Aucune perte nette » dans la stratégie forestière de l'Union européenne, de la sanctuarisation des moyens dédiés à la biodiversité dans le budget européen et de l'élaboration d'un cadre juridique européen pour la compensation – j'y reviendrai, car cette notion constitue le noeud de la problématique de la présente consultation publique.
Parmi les quatre types de modes opératoires suggérés par la Commission européenne, la plus pertinente me semble être de prendre des mesures pour améliorer l'efficacité de la législation et des politiques en vigueur, à travers une meilleure exécution, une sensibilisation plus active et l'élaboration de lignes directrices techniques. Il est en effet essentiel de commencer par faire appliquer le contenu des textes législatifs existants car la stabilité juridique est importante pour les pétitionnaires. Cela passe notamment par la pédagogie, en accompagnant mieux les aménageurs dans leur mise en oeuvre du séquençage de la hiérarchie d'atténuation, dans un souci de bonne gouvernance – notamment en France, pays qui se distingue par le grand nombre d'infractions au droit européen de l'environnement constatées par la Cour de justice.
J'en viens à la question de la compensation, qui s'inscrit dans la démarche de « hiérarchie d'atténuation ». Cette expression fait référence à une logique d'intervention systématique et par étape pour répondre à des actions entraînant des dommages à la biodiversité. La mesure à prendre en priorité est l'évitement, en renonçant à l'action ou en la réalisant ailleurs, s'il n'est pas démontré qu'elle répond à des raisons impératives d'intérêt public majeur. Vient ensuite la réduction des dommages, au stade de la conception comme à celui de la mise en oeuvre de l'action. Et, lorsque l'action a eu lieu, il est encore possible, dans certains cas, de procéder à la restauration du site abîmé. Au final, en dépit de tous les efforts d'évitement, de réduction et de restauration, s'il reste des dommages résiduels, ceux-ci doivent faire l'objet d'une compensation.
Il paraît donc utile d'inclure la notion de compensation dans l'initiative « Aucune perte nette », à condition qu'une grille de sélection stricte bloque l'éligibilité à cette option de projets ayant fait fi des trois premières étapes de la hiérarchie d'atténuation. Il convient en effet d'empêcher que les promoteurs s'autorisent à détruire de la biodiversité en se reposant sur l'alternative de la compensation. Celle-ci ne doit intervenir qu'en dernier recours et aucunement être conçue en amont du projet d'aménagement. La logique « pollueur-payeur » ne saurait prendre le pas sur la hiérarchie d'atténuation.
Par ailleurs, une compensation ne peut le plus souvent être qu'imparfaite car l'homme ne dispose pas toujours des outils et technologies pour refaire ce que la nature avait mis des milliers voire des millions d'années à fabriquer. Il ne sait tout bonnement pas recréer certains habitats remarquables comme les tourbières ou les forêts primaires, essentiels à la survie de nombreuses espèces végétales ou animales, qu'il s'agisse d'insectes, d'oiseaux ou de mammifères.
La compensation bute également sur la raréfaction du foncier disponible. En réalité, les mesures de compensation mises en oeuvre consistent souvent en la mise sous maîtrise foncière ou sous protection réglementaire d'un habitat identique à celui qui est détruit. La perte de biodiversité et de services écosystémiques n'est donc pas réellement compensée puisque la superficie sur laquelle l'habitat est sauvegardé accuse un solde négatif.
En outre, pour que les zones préservées ne soient pas utilisées abusivement à plusieurs reprises comme compensations à la destruction de plusieurs habitats similaires, mais aussi pour qu'elles soient sanctuarisées afin d'échapper à toute artificialisation ultérieure, l'Union européenne devrait se doter d'un outil de conservation de la mémoire foncière des mesures compensatoires.
La compensation peut être destinée à remplacer les éléments de biodiversité etou les services écosystémiques perdus par des éléments similaires ; une compensation de ce type est appelée « trait pour trait ». Dans d'autres cas, les éléments de biodiversité etou les services écosystémiques perdus sont remplacés par des éléments d'une valeur supérieure ; une compensation de ce type est appelée « avec avantage ». Que l'une ou l'autre des options soit choisie, le principe « Aucune perte nette » exige que les gains soient au moins équivalents à la perte ou aux dommages résiduels.
Une compensation trait pour trait réelle doit être privilégiée sur une compensation avec avantage illusoire, dans la mesure où il n'existe pas d'instrument pour mesurer la valeur des services écosystémiques. La comparaison entre la valeur des services écosystémiques rendus par deux éléments de biodiversité différents est donc aléatoire voire impossible. Pour compenser l'asséchement d'une zone humide, par exemple, serait-il « écologiquement rentable » de construire ou de moderniser une station d'épuration à proximité ou encore d'introduire des bouquetins supplémentaires dans les Pyrénées ou les Alpes ?
Par ailleurs, les mesures de compensation peuvent être prises sur le site où le dommage a eu lieu ou à proximité immédiate ; on parle alors de compensation « sur site ». Dans d'autres cas, la compensation est effectuée ailleurs, loin du site où les dommages ont été constatées ; on parle alors de compensation « hors site ».
Toujours pour prendre en compte la difficulté à mesurer et à comparer la valeur des services écosystémiques, la compensation sur site doit être imposée comme l'option de droit commun. S'il s'avère irréalisable d'assurer une compensation sur site, elle doit être effectuée dans une logique de proximité immédiate.
Une approche administrative et comptable de la compensation serait inopérante dans la plupart des cas. C'est pourquoi il n'est pas souhaitable de recourir à des fonds financiers censés collecter de l'argent auprès des aménageurs en vue de l'affecter à des opérations de compensation hors site.
Et la compensation doit être mise en oeuvre préalablement à la destruction des écosystèmes impactés par l'aménagement foncier, afin que les espèces qui en dépendent puissent migrer et trouver refuge avant la disparition de leur habitat d'origine.
Je vous propose donc, mes chers collègues, d'adopter la proposition de résolution européenne qui vous a été remise dans le dossier de séance, laquelle reprend tous les points que je viens de vous exposer.