Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 21 octobre 2014 à 17h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente :

Les institutions européennes ont engagé ces derniers mois une dynamique d'évaluation à mi-parcours de la stratégie Europe 2020.

Au cours de cette présidence italienne, toutes les formations du Conseil concernées doivent dresser un bilan provisoire de la stratégie Europe 2020. Lors du Conseil EPSCO du 16 octobre dernier, les ministres du travail ont ainsi fait le point sur les objectifs sociaux de cette stratégie, concluant que si la situation actuelle ne laisse que peu d'espoir d'atteindre ces objectifs, il ne fallait pas pour autant les revoir à la baisse.

Parallèlement, le Commission européenne a lancé une consultation publique afin « de tirer les enseignements de la mise en oeuvre à mi-parcours de la stratégie Europe 2020 » après avoir publié en mars 2014 une communication dressant un premier bilan de cette stratégie.

Il m'a semblé important que notre commission réponde à cette consultation, afin de rappeler quelle est la vision globale de l'Europe portée par notre assemblée.

Je crois également que cette consultation est un moyen de mettre en valeur les travaux réalisés par notre commission qui sont directement liées à la stratégie Europe 2020 : je pense par exemple au rapport de M. Hervé Gaymard et de Mme Axelle Lemaire sur la stratégie numérique de l'Union européenne ou au rapport de Mme Audrey Linkenheld et de M. Jacques Myard sur le huitième programme-cadre pour la recherche et l'innovation « Horizon 2020 », pour n'en citer que deux.

Pour rappel, la stratégie Europe 2020 de l'Union européenne, qui a été lancée en mars 2010, prend la suite de la stratégie de Lisbonne. Elle prône une croissance « intelligente, durable et inclusive ».

Cinq objectifs composent la stratégie Europe 2020.

Pour l'emploi, l'objectif est d'atteindre un taux d'emploi fixé à 75 % pour la population de 20 à 64 ans.

En matière d'éducation, l'objectif est de diminuer le taux de décrochage scolaire à moins de 10 % et d'augmenter la proportion de personnes âgées de 30 à 34 ans ayant obtenu un diplôme de l'enseignement supérieur à hauteur de 40 %.

En matière de réduction de la pauvreté, l'objectif est que 20 millions de personnes au moins cessent d'être confrontées au risque de pauvreté et d'exclusion.

En ce qui concerne la lutte contre le changement climatique, l'objectif est celui des « trois fois vingt », c'est-à-dire réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 %, augmenter l'efficacité énergétique de 20 % et atteindre 20 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie.

Enfin, pour la recherche et développement, le niveau des investissements publics et privés doit être porté à 3 % du PIB.

Chaque objectif européen est décliné en objectifs nationaux.

Afin que la stratégie repose sur des actions concrètes, la Commission européenne a lancé plusieurs « initiatives phares » dans chacune des grandes priorités : « Une stratégie numérique pour l'Europe », « Une Union pour l'innovation », « Jeunesse en mouvement », « Une Europe efficace dans l'utilisation des ressources », « Une politique industrielle à l'heure de la mondialisation », « Une stratégie pour les nouvelles compétences et les nouveaux emplois », « Une plateforme européenne contre la pauvreté ».

Sur certains aspects, la stratégie Europe 2020 a tiré les leçons de l'échec de la stratégie de Lisbonne. Les priorités, réduites en nombre, sont précisément définies, et les cinq objectifs répondent aux enjeux auxquels l'Union européenne doit faire face aujourd'hui, sans pour autant être exhaustifs. À titre de comparaison, la stratégie de Lisbonne comportait 28 objectifs principaux, 120 objectifs secondaires et 117 indicateurs. La multiplicité de ces objectifs avait été unanimement identifiée comme l'une des raisons majeures de l'échec de la stratégie de Lisbonne. Les objectifs choisis sont également plus réalistes.

Sur le fond, la stratégie s'inscrit en revanche pleinement dans la continuité de la stratégie de Lisbonne, qui visait à faire de l'économie de l'Union européenne une « économie de la connaissance » – l'objectif de 3 % de PIB en dépenses de recherche et développement reste d'ailleurs le même –, et l'économie « la plus compétitive et la plus dynamique du monde ».

La méthode utilisée reste également la même que pour la stratégie de Lisbonne : fondée sur la « pression par les pairs », elle n'est pas contraignante, à l'exception notable des objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d'utilisation des énergies renouvelables, qui s'appuient sur le cadre juridique du premier paquet énergie-climat.

Je ne vais pas vous présenter oralement toutes les réponses au long et vaste questionnaire soumis par la Commission européenne auquel nous avons souhaité répondre, mais plutôt dresser un bilan global de cette stratégie et esquisser des pistes de réflexion.

Dans quelle mesure les objectifs que l'Union s'est fixés ont-ils été atteints ? Le bilan est différent suivant les secteurs concernés mais il est dans l'ensemble décevant.

Il faut dire que le contexte économique a été très défavorable à la réalisation des objectifs d'Europe 2020.

En matière de pauvreté et d'emploi, je ne pense pas vous surprendre en vous disant que le bilan à mi-parcours de la stratégie Europe 2020 est très décevant. Le taux d'emploi dans l'Union européenne stagne depuis 2010 (68,5 % en 2010, 68,4 % en 2012), le nombre de personnes exposées au risque de pauvreté et d'exclusion a augmenté, passant de 114 millions en 2009 à 124 millions aujourd'hui. Je tiens à rappeler qu'il n'y a pas que les pays du Sud de l'Europe qui sont concernés par cette paupérisation, les pays de Nord de l'Europe le sont aussi, je pense par exemple à l'Allemagne.

En matière de recherche et développement, l'objectif symbolique de 3 %, qui était déjà celui fixé par le traité de Lisbonne, a très peu de chances d'être atteint : le niveau de PIB consacré à cet objectif stagne autour de 2 % (2,3 % en France), contre 2,8 % aux États-Unis et 3,4 % au Japon. Il faut noter que l'objectif affiché visait prioritairement le développement de la recherche dans le secteur privé.

En matière de bilan environnemental, le bilan est un peu plus positif.

Selon la Commission européenne, environ la moitié des États membres ont déjà atteint leur objectif Europe 2020 de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs non couverts par le système d'échange de quotas d'émission.

En matière d'énergies renouvelables, l'objectif pourrait être atteint au niveau européen, puisque la part d'énergie renouvelable dans la consommation finale est passée de 8,5 % en 2005 à 14,1 % en 2012 (13,4 % pour la France, dont l'objectif national est de 23 %).

En matière d'efficacité énergétique, les résultats sont plus mitigés : pour atteindre l'objectif de la stratégie Europe 2020, il faudrait réduire la consommation d'énergie primaire de 6,3 % supplémentaires d'ici à 2020.

Le bilan est également positif en matière d'éducation : en Europe, le taux de décrochage scolaire est passé de 14 % en 2010 à 12,7 % en 2012, la moitié des États membres ayant déjà atteint leurs objectifs ou s'en rapprochant. En France, où l'objectif national est fixé à 9,5 %, ce taux s'élevait à 11,6 % en 2012. La proportion de jeunes diplômés de l'enseignement supérieur dans l'Union a augmenté, passant de 33,5 % en 2010 à 35,8 % en 2012. En matière d'éducation, il faut aussi s'appuyer sur les bons exemples, comme la Finlande – qui je le rappelle a fait le choix d'une éducation publique.

Je crois toutefois que les insuffisances de la stratégie se traduit avant tout par un manque d'appropriation.

Comme la Stratégie de Lisbonne, et peut être encore plus, la stratégie Europe 2020 souffre d'un manque de visibilité.

Ce manque de visibilité se traduit d'abord, me semble-t-il, par un problème d'identification de la stratégie 2020, en partie dû à une question terminologique : on ne distingue pas nettement Europe 2020 d'autres programmes comme « Horizon 2020 » ou comme les objectifs « 202020 » du premier paquet énergie-climat.

Les initiatives phares, si elles ont permis de souligner des pistes d'actions qui me semblent tout à fait pertinentes, apportent une valeur ajoutée relativement limitée à la stratégie. Certaines, comme l'initiative phare « Une plate-forme européenne contre la pauvreté », n'ont pas donné lieu à beaucoup d'actions concrètes.

Toutefois, bien au-delà de ce manque d'identification d' « Europe 2020 », ses limites sont avant tout dues à un manque d'appropriation de cette stratégie à tous les niveaux.

En effet, les États membres ne se sont pas véritablement approprié ces objectifs : plutôt que de véritablement s'appuyer sur les lignes tracées par la stratégie dans l'élaboration des réformes, les programmes nationaux transmis à la Commission européenne apparaissent davantage comme une justification « ad hoc » des réformes menées.

Le peu de référence à Europe 2020 dans les recommandations de la Commission européenne sur le dernier programme national de réforme de la France, dans lequel les objectifs en matière de lutte contre le changement climatique et contre la pauvreté ne sont même pas cités, me semble également symptomatique.

Pour les États membres comme pour la Commission européenne, les objectifs budgétaires ont sans doute pris le pas sur les objectifs d'Europe 2020, qui sont absents des discours politiques et des médias. Pourtant, cette consolidation budgétaire doit être un moyen de parvenir à une croissance « intelligente, durable et inclusive » : elle ne peut pas et ne doit pas devenir une fin en soi. Une consolidation budgétaire faite à l'aveugle et sans avoir en tête ces objectifs globaux risque de nuire à la croissance potentielle de l'Union européenne : c'est ce que montre par exemple un récent article de l'institut Bruegel qui souligne que la situation budgétaire des États membres a eu un impact important sur leurs dépenses de recherche et développement, et qui considère que la Commission européenne n'utilise pas tous les outils à sa portée pour inciter les États membres à sanctuariser voire même à augmenter leurs dépenses publiques de recherche.

Il faut remettre la stratégie Europe 2020 au coeur de l'action de l'Union.

Malgré un bilan à mi-parcours de la stratégie Europe 2020 en demi-teinte, ces objectifs restent nécessaires et il ne faut pas les revoir à la baisse : face à la crise, l'Europe a plus que jamais besoin d'un cap, d'une stratégie de développement économique et social à moyen terme réaliste mais ambitieuse.

Il est tentant de souhaiter rajouter de nouveaux objectifs qui nous tiennent à coeur, mais il ne faut pas tomber dans le piège dans lequel était tombé la Stratégie de Lisbonne en multipliant les objectifs jusqu'à rendre les priorités illisibles. En revanche, des indicateurs intermédiaires pourraient utilement être créés, par exemple, en matière sociale, sur la qualité des emplois, sur le chômage de longue durée ou sur l'évolution des inégalités.

La réussite ou l'échec de la Stratégie Europe 2020 ne tiendra pas tant à un changement d'objectifs qu'à un renforcement des moyens et des mesures mises en oeuvre pour les atteindre. C'est ce que je vous propose de répondre à cette consultation publique, en rappelant les priorités que nous avons définies en juin dernier. La construction d'une véritable Europe sociale, en mettant en oeuvre la Garantie emploi jeunes, en instaurant le principe d'un salaire minimum européen différencié par pays et en augmentant les moyens de l'Union dédiés à la lutte contre la pauvreté, notamment ceux du Fonds européen d'assistance aux personnes démunies, est nécessaire afin de favoriser la « croissance inclusive » souhaitée par la Commission européenne. Enfin, il est urgent de mieux valoriser les « biens publics européens », ce qui pourrait passer par le lancement d'un grand plan européen d'investissement, par une politique industrielle commune et par la mise en place progressive d'une Communauté européenne de l'énergie. On pourrait également penser à la Communauté européenne de la défense, qui est aujourd'hui un sujet d'actualité.

Cela suppose aussi que l'on donne à l'Union les moyens d'agir, notamment en matière budgétaire. Pour pouvoir promouvoir une dynamique d'ensemble impliquant les politiques menées par les États dans les différents domaines concernés par la stratégie commune Europe 2020, il faut que l'Union dispose d'un bras de levier budgétaire suffisamment puissant. Or, les États ont encore réduit les moyens affectés à l'Union dans le cadre fixé pour la période 2014 – 2020, contrairement à la position prise par notre commission. Et ce alors même que le nombre d'États membres s'est encore accru par rapport à la période précédente et que les missions de l'Union ont été accrues par le Traité de Lisbonne. C'est notamment l'enjeu de la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel 2014-2020, prévu en 2016, et de l'introduction de ressources propres.

Enfin, je tiens à souligner que l'appropriation de cette stratégie Europe 2020 dépend également de la manière dont notre Assemblée y est associée. Pour cela, il est indispensable que le Parlement soit consulté suffisamment en amont non seulement sur le programme de stabilité mais également sur le programme de réforme avant sa transmission à la Commission européenne. C'est un des sujets que nous avons évoqué avec Pierre Moscovici lors de son audition le 14 octobre dernier.

Pour conclure, je tiens à souligner que mieux prendre en compte la stratégie Europe 2020, c'est contribuer à donner une image positive et optimiste de l'Europe, et je crois que nous en avons besoin.

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