Je serai moins optimiste que Mme la Présidente car avec la proposition de directive que nous allons examiner, nous avons un parfait exemple de byzantisme juridique : « obscurum per obscurius », « ce qui est obscur par quelque chose de plus obscur ».
Les ministres des transports de l'Union européenne ont donné leur accord, lors du conseil Transports du 8 octobre 2014, à l'adoption d'une nouvelle directive visant à faciliter la poursuite transfrontalière des auteurs d'infractions routières. Ce texte doit remplacer une directive annulée par la Cour de justice de l'Union européenne le 6 mai dernier, en raison d'une base juridique non valide. La Cour a laissé un an à l'Union européenne – jusqu'au 6 mai 2015 – pour la remplacer.
Notre commission avait appelé de ses voeux la mise en oeuvre de la directive du 25 octobre 2011, dont l'objet était de faciliter l'échange transfrontalier d'informations concernant les infractions en matière de sécurité routière et, partant l'application des sanctions, lorsque lesdites infractions avaient lieu dans un État membre autre que celui où le véhicule a été immatriculé.
Après des négociations difficiles, la directive avait vu le jour. Elle visait à établir une procédure d'échange d'informations entre États membres, relative à huit infractions déterminées routières.
Sous la précédente législature, notre ancien collègue Gérard Voisin, alors rapporteur, avait souhaité que cette directive aille au-delà de l'échange d'informations pour faire en sorte qu'une amende infligée dans un État puisse être exécutée par l'État de résidence du conducteur. C'était la proposition initiale de la Commission européenne. Les différences de législation entre États européens, en particulier le fait que dans certains pays le propriétaire du véhicule est également responsable du paiement des amendes, alors que dans d'autres la responsabilité pénale repose sur le seul conducteur, expliquent qu'il n'ait pas été possible d'aller au-delà du simple échange d'information.
On estime que le simple envoi de l'amende permet d'obtenir un taux de recouvrement d'environ 50 %. Sachant qu'environ 20 % des véhicules flashés sont pourvus de plaques étrangères, cette directive permettrait de majorer d'un peu moins de dix pour cent le produit des amendes. Actuellement l'administration ne traduit pas les amendes dans toutes les langues de l'Union européenne, ce qui ne permet pas d'adresser les procès-verbaux à l'ensemble des contrevenants.
Le dispositif élaboré difficilement est aujourd'hui remis en cause par un arrêt en date du 6 mai 2014 de la Cour de justice de l'Union européenne.
Estimant que la directive du 25 octobre 2011 reposait sur une base juridique erronée, la Commission européenne avait introduit un recours en annulation devant la CJUE, au motif que la directive ne se rattachait pas directement à l'objectif de coopération policière, qui avait été substitué à celui de sécurité routière au cours de la négociation.
Dans cet arrêt, la Cour au vu des finalités de la directive considère que les articles 87, paragraphe 2 et 91, paragraphe 1 c du TFUE – mesures d'amélioration de la sécurité des transports – constituent effectivement la base juridique correcte de la directive, donnant ainsi raison à la Commission.
En effet, pour la Cour, l'objectif de la directive est l'amélioration de la sécurité routière. La nécessité de mettre en place un système d'échange d'informations est née du fait que les infractions routières restent le plus souvent impunies, lorsqu'elles sont commises avec un véhicule immatriculé dans un État membre autre que celui de l'infraction. La directive vise à assurer que l'efficacité de l'enquête relative aux infractions en matière de sécurité routière soit garantie par la mise en oeuvre d'un système d'échange d'informations transfrontalier permettant à l'État où a eu lieu l'infraction d'accéder aux données relatives à l'immatriculation des véhicules.
Or, la Commission européenne a considéré que le Conseil avait eu tort de modifier la base juridique et que le but aussi bien que le contenu de la directive 201182 relevaient du domaine de la politique des transports (en particulier, de l'article 91 du TFUE). En effet, cette directive ne procédait à aucune harmonisation du droit pénal routier.
La création d'un système d'échange facilite l'identification des personnes ayant commis les huit infractions déterminées par la directive en matière de sécurité routière, que ces dernières soient de nature administrative ou pénale au regard de la loi de l'État membre concerné. Un tel système d'échange d'informations est susceptible d'accentuer, par son aspect dissuasif, le respect de la réglementation routière et d'inciter à la prudence les conducteurs de véhicules circulant dans un État membre différent, ce qui permettra de réduire le nombre de victimes d'accidents sur les routes. Il résulte de ce qui précède que l'objectif principal de cette directive est bien l'amélioration de la sécurité routière, qui constitue un objectif central de la politique des transports de l'Union.
Aussi, cette appréciation est-elle conforme à une jurisprudence constante de la Cour aux termes de laquelle le choix de la base juridique d'un acte de l'Union doit se fonder sur des éléments objectifs, susceptibles de faire l'objet d'un contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent la finalité et le contenu de cet acte. Si l'examen de l'acte concerné démontre que celui-ci poursuit une double finalité et si l'une de celles-ci est identifiable comme principale, tandis que l'autre n'est qu'accessoire, cet acte doit être fondé sur une seule base juridique, à savoir celle exigée par la finalité.
Je ne peux que prendre acte de la décision de la Cour, nous sommes dans un État de droit. Elle me semble juridiquement fondée mais, parallèlement regretter que des considérations juridiques ne conduisent à remettre en cause une négociation difficile qui a duré trois ans.
Si l'aboutissement de ce recours a pour effet de prolonger l'impunité des contrevenants nous estimons que l'action introduite par la Commission européenne aura été contreproductive au regard de l'intérêt général de l'Union européenne, en l'espèce la sécurité des transports.
Nous ne sommes, en effet, pas absolument certains que la directive puisse être publiée avant le 5 mai 2015 car le nouveau texte s'appliquera dorénavant au Royaume-Uni, à l'Irlande et au Danemark, qui avaient choisi l'« opt-out » que leur permettait l'ancienne base juridique.
Néanmoins il est encourageant de relever que le 8 octobre, les ministres européens des Transports ont accepté de réviser la base juridique de la directive sans toucher aux dispositions adoptées en 2011, ce qui devrait permettre d'aller rapidement de l'avant.
En effet, la nouvelle proposition de directive de la Commission européenne est quasiment identique au texte de la directive annulée. La directive fournit aux États membres l'accès réciproque aux données relatives à l'immatriculation des véhicules par le biais d'un réseau d'échange de données électronique. Une fois, le nom et l'adresse du propriétaire du véhicule connus, une lettre peut être envoyée à l'auteur de l'infraction. L'État membre où l'infraction a été commise conserve son droit de décider de la suite à donner à l'infraction au code de la route.
La Commission européenne ne propose d'introduire que des modifications mineures pour se conformer à l'arrêt de la Cour de justice. Elle choisit comme base juridique pour ce texte l'article 91, paragraphe 1 c du TFUE. Compte tenu de cette nouvelle base, les règles générales en matière de protection des données énoncées par la directive 9546CE du Parlement européen et du Conseil relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données devraient s'appliquer.
Nous ne ferons qu'une seule réserve : la liste des infractions retenues comporte la violation des règles d'alcoolémie, le non-port de la ceinture de sécurité et le fait de téléphoner en conduisant, qui sont des infractions qui impliquent l'arrêt du véhicule et l'identification du conducteur, qui doit verser une caution s'il n'est pas résident. Pour ces trois infractions la proposition de directive ne présente aucun intérêt, puisque le contrevenant est identifié, mais elles ont été introduites par des amendements du Parlement européen qui tenait à afficher, fut ce symboliquement, l'importance qu'il attachait à ces infractions.
Néanmoins, vu la nécessité d'adopter très rapidement cette nouvelle directive, je vous propose d'approuver la proposition de directive qui nous est soumise.