Intervention de Stéphane Pallez

Réunion du 22 octobre 2014 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Stéphane Pallez :

C'est un grand honneur pour moi de vous présenter ma candidature au poste de président-directeur général de La Française des Jeux. L'entreprise est importante pour la commission des Finances et plus généralement pour le Parlement, étant donné les enjeux budgétaires très significatifs pour la trajectoire des finances publiques qui y sont attachés et les enjeux de société qui sous-tendent la régulation du jeu – il doit être un divertissement populaire sans devenir le support de comportements addictifs ou le canal de trafics criminels.

Pour vous permettre de porter un jugement sur ma candidature et sur les atouts que mon expérience professionnelle peut me donner pour prendre la tête de La Française des Jeux, défi dont je ne sous-estime pas l'ambition, je commencerai par décrire mon parcours.

Sans parler de l'héritage familial transmis par mon père, que certains parmi vous ont pu connaître, mon parcours professionnel est placé sous le sceau de l'intérêt général, avec comme marqueurs majeurs la compétence dans le domaine financier et l'entreprise. Cet attachement à l'intérêt général est évidemment à l'origine de mon orientation vers une carrière publique et pour commencer vers l'École nationale d'administration. Lorsque j'en suis sortie, j'ai fait le choix du ministère des Finances et en particulier de la direction du Trésor, à l'époque dirigée par M. Michel Camdessus, auquel M. Daniel Lebègue allait succéder rapidement.

Je sais que le ministère – notamment la direction du Trésor – peut être parfois perçu, y compris par les parlementaires, voire par les ministres, comme une « forteresse technocratique ». En ce qui me concerne, j'y ai appris des éléments essentiels qui ont contribué à forger ma capacité d'analyse et de décision, et renforcé mon goût pour l'action publique et mon souci de l'intérêt général. En atteste le fait que j'y suis restée vingt ans, non par obligation mais par choix. Je ne renie pas l'importance de cet apprentissage, mais j'espère que cette audition vous persuadera que je ne me résume pas à « une technocrate de Bercy ».

À la direction du Trésor, j'ai donc beaucoup appris, en exerçant principalement trois métiers : régulateur financier, actionnaire d'entreprises publiques, négociateur international.

J'ai exercé le métier de régulateur du secteur financier dans le secteur bancaire et dans celui de l'assurance. À ce titre, j'ai participé à la négociation de nombreux textes prudentiels majeurs tels que Bâle III, et aux prémices de l'élaboration de Solvabilité II.

Actionnaire d'entreprises publiques, je l'ai été à titre principal lorsque, entre 1998 et 2000, j'ai eu la responsabilité, au sein d'un service qui ne s'appelait pas encore l'Agence des participations de l'État, d'un portefeuille de participations publiques dans les secteurs des technologies, avec Bull et Thomson Multimedia, de l'énergie, avec Gaz de France et la COGEMA, et des transports, avec Air France, Réseau ferré de France et les autoroutes. Dans cette fonction, j'ai été chargée de l'ouverture partielle du capital d'entreprises détenues majoritairement par l'État comme Air France, dans un cadre politique déterminé par le gouvernement de M. Lionel Jospin et piloté par MM. Dominique Strauss-Kahn et Jean-Claude Gayssot.

Mon troisième métier fut la négociation internationale. Je l'ai exercé quand j'ai représenté la France à la Banque mondiale entre 1988 et 1991, puis quand j'ai été responsable de l'élaboration de nos positions au FMI et à l'OCDE – notamment à l'époque où l'OCDE s'occupait beaucoup de la lutte contre le blanchiment des capitaux et contre la corruption – et surtout quand j'ai dirigé, de 2000 à 2004, le service des affaires internationales de la direction du Trésor. Dans ces fonctions, j'ai préparé de nombreuses réunions internationales et j'y ai participé – en particulier les G7, G8 et G20 des ministres des finances. J'ai aussi été la « sherpa finances » lors de la préparation, en 2003, du Sommet des chefs d'État du G8 à Évian, qui s'est tenu sous la présidence de Jacques Chirac, pour qui je ne peux manquer d'avoir une pensée.

J'ai donc travaillé sous l'autorité de nombreux directeurs du Trésor et de nombreux ministres, dans la tradition de loyauté et de neutralité de la fonction publique « à la française » à laquelle je me rattache volontiers. Je tiens à dire combien, en particulier, j'ai été fière de travailler, comme très jeune conseillère technique, sous les ordres de Pierre Bérégovoy, qui a contribué à forger en moi une très haute idée de la politique.

La deuxième partie de mon parcours a eu lieu en entreprise, dans des entreprises ayant une forte dimension de missions de service public et d'intérêt général.

Dans la première – France Telecom à l'époque, Orange aujourd'hui –, j'ai exercé pendant sept ans les fonctions de directeur financier délégué, membre du comité exécutif, à une époque de transformation profonde de la concurrence et aussi de forte contrainte financière après la crise de liquidité due au surendettement de l'entreprise en 2002. Mes responsabilités étaient larges : elles couvraient la gestion des financements et de la trésorerie de l'entreprise, la fiscalité, l'audit, le contrôle interne et la lutte contre la fraude. Elles m'ont donné une connaissance approfondie de l'entreprise et de son secteur, d'autant plus nécessaire que j'étais responsable des relations avec les agences de notation et appelée à participer aux relations avec les investisseurs financiers, portant donc l'image de l'entreprise sur les marchés. Les problématiques dont j'ai eu à connaître – concurrence, évolution de l'activité de l'entreprise dans un cadre concurrentiel, pilotage des réseaux de distribution, du développement de la vente et de services en ligne à l'époque balbutiants – ont constitué une expérience que je pense précieuse aujourd'hui.

En 2011, Mme Christine Lagarde, alors ministre de l'Économie et des finances, a proposé ma nomination à la tête de la Caisse centrale de réassurance – CCR –, en raison de mon double parcours dans l'administration et dans l'entreprise, et de ma connaissance de CCR, dont j'avais été administratrice en tant que sous-directrice des assurances. J'ai eu l'occasion, la semaine dernière, de remercier Mme Lagarde de m'avoir fait confiance en me proposant de diriger cette entreprise passionnante.

Pendant les presque quatre années où j'ai exercé mon mandat à la tête de CCR, je me suis attachée, avec le soutien des salariés de l'entreprise que je remercie chaleureusement, à remplir les objectifs qui m'ont été fixés par l'État actionnaire. L'entreprise a été recentrée sur ses missions d'intérêt général, en particulier la principale d'entre elles, qui est la gestion du régime des catastrophes naturelles pour le compte de l'État. La gestion de CCR a été modernisée et l'entreprise s'est ouverte sur des partenaires extérieurs pour améliorer la diffusion de l'information sur les risques en matière d'événements naturels et stimuler les politiques de prévention. La transformation accomplie pendant cette période me permet de dire qu'aujourd'hui, au-delà de sa solidité financière et de ses bons résultats, l'entreprise est reconnue comme un partenaire crédible et légitime au sein du secteur de l'assurance et de la réassurance, en France et à l'étranger. Elle a aussi noué des relations avec toutes les parties intéressées par la gestion et la prévention des risques en matière d'événements naturels, notamment les parlementaires et les élus locaux. Beaucoup reste à faire, mais je suis fière du parcours que j'ai accompli avec mes équipes pendant ces quatre années.

J'en viens à La Française des jeux – FDJ. Cette entreprise publique, que certains d'entre vous connaissent certainement mieux que moi, est constituée sous forme de société anonyme, dont les statuts sont approuvés par le ministre chargé du budget et le ministre de l'économie et des finances. L'État détient aujourd'hui 72 % de son capital ; 20 % sont détenus par les anciens émetteurs de billets de la Loterie nationale qui, créée en 1933, a été le terreau de l'entreprise, et 5 % par les salariés. La FDJ est le deuxième opérateur de loterie en Europe et le quatrième mondial. Avec un modèle de jeu extensif – beaucoup de joueurs misant de petites sommes – l'entreprise vise à proposer une offre de jeux de hasard et d'argent récréative et responsable au grand public – près de 27 millions de joueurs aujourd'hui, soit plus d'un Français sur deux en âge de jouer. En 2013, les jeux proposés ont généré plus de 12 milliards d'euros de mises ; près de 95 % sont redistribués, dont 23 % pour les finances publiques. Ce modèle garantit que les défis d'ordre et de sécurité publics liés à l'activité de l'entreprise peuvent être relevés.

Au-delà des chiffres, La Française des jeux, ce sont des femmes et des hommes à qui je veux rendre hommage pour le parcours remarquable accompli par cette magnifique entreprise au cours des dernières années. Le premier auquel je veux donner un coup de chapeau est M. Christophe Blanchard-Dignac, que je connais et que j'estime depuis longtemps et qui, en quatorze ans, a transformé et développé cette entreprise au bénéfice de tous, dans le respect des valeurs qui y sont attachées.

Je rappellerai brièvement le cadre de régulation dans lequel s'exerce l'activité de l'entreprise. Par décret du 9 novembre 1978, la FDJ exploite en monopole les jeux de loterie en point de vente et en ligne, et, depuis le 1er avril 1985, les paris sportifs en points de vente. Depuis la loi d'ouverture du marché des jeux en ligne du 12 mai 2010, son offre de paris sportifs sur Internet entre dans le cadre concurrentiel. L'entreprise est régulée par le ministre chargé du budget pour ses activités en monopole, soit 99,4 % de ses mises. Le ministre est conseillé pour ce faire par la Commission consultative des jeux et paris sous droits exclusifs, au sein de laquelle siègent deux parlementaires. Pour ses activités en concurrence, qui représentent 0,6 % des mises, l'entreprise est contrôlée par l'Autorité de régulation des jeux en ligne – ARJEL –, eu égard à ses responsabilités en matière de jeu responsable et de lutte contre la fraude et le blanchiment.

Par son histoire, son statut et sa culture d'entreprise, la FDJ est une entreprise très engagée au service de l'intérêt général. Sa politique de responsabilité sociétale est particulièrement développée ; elle est auditée chaque année, et la FDJ figure parmi les meilleures entreprises notées en la matière.

Au-delà de ses actions en faveur de la protection de l'ordre public et social, la FDJ se mobilise activement sur d'autres terrains : à travers sa fondation d'entreprise – dont le budget représente aujourd'hui près de 4 % de son résultat net, soit 18 millions d'euros sur cinq ans – pour soutenir le sport de haut niveau, la solidarité et le handicap. Premier partenaire du sport français, elle est un acteur engagé auprès de nombreuses fédérations sportives et auprès du Comité national olympique et sportif français, ainsi qu'avec son équipe cycliste, pour promouvoir et défendre les valeurs d'intégrité, de performance collective et de solidarité, contribuant ainsi au rayonnement du sport français. Héritière de l'Union des blessés de la face et de la tête – les Gueules cassées – et des associations d'anciens combattants, la FDJ est naturellement très active en matière de handicap et a une politique complète en ce domaine. Sa politique de ressources humaines se caractérise par un fort engagement en faveur de la diversité, du bien-être au travail et du développement des compétences. Ce profil d'entreprise atypique, fondé sur des valeurs très fortes que je partage, est une force pour contribuer, à l'échelle nationale et à l'échelle locale, à la prospérité économique et sociale de la France.

Je vous dirai en quelques mots ma vision de l'entreprise et des défis auxquelles elle doit faire face. Sa mission est claire : elle doit organiser, dans un circuit sûr et contrôlé, la demande de jeu du grand public et en prévenir les excès et les dérives pour faire respecter l'ordre public et l'ordre social.

Héritière, comme ses homologues dans le monde, d'une tradition multiséculaire, la FDJ fonde le développement de son activité sur un modèle responsable et durable. M. Blanchard-Dignac l'a engagée depuis 2006 dans une politique de jeu responsable, dont le très haut niveau d'exigence est connu. Cette politique a été construite avec des parties prenantes expertes de la société civile, et elle est partagée avec le réseau de distribution de l'entreprise. Mon intention, si vous m'accordez votre confiance, est de poursuivre cette dynamique.

La Française des jeux est aussi particulièrement impliquée dans la lutte contre la fraude, le blanchiment et la corruption sportive.

Le pilotage financier et opérationnel de l'entreprise suppose également un haut niveau d'exigence : il doit garantir le même niveau de contribution aux finances publiques dans le modèle de jeu responsable qui est celui de la FDJ, et maintenir une structure financière solide et saine dans une trajectoire maîtrisée des mises. Pour que ce modèle efficace soit pérenne, l'entreprise doit continuer d'investir pour moderniser son réseau de distribution et rendre toujours plus performants son système informatique et ses plateformes technologiques, dont la valeur est reconnue à l'international.

Je tiens à souligner l'importance de nos réseaux de distribution actuels, buralistes au premier chef et distributeurs de presse, dont je connais les difficultés économiques. Je compte les rencontrer dès ma prise de fonction, à l'issue de cette audition, si vous m'en jugez capable.

La Française des jeux a ainsi largement démontré, ces dernières années, sa capacité à concilier contribution économique et contribution sociétale, chacune des parties prenantes y trouvant son intérêt. Ces engagements sont pérennes ; ils participent de la stratégie de l'entreprise, et je compte poursuivre dans cette voie.

Quelques mots enfin sur les grands chantiers de demain. Certains ont déjà été lancés par M. Blanchard-Dignac, en particulier la réforme de la distribution, enjeu majeur. Il s'agit de développer le maillage des points de vente, dans le respect du réseau actuel, partenaire historique de l'entreprise, et en ayant en tête le rôle clé de ce réseau en termes de services de proximité dans nos territoires.

Le chantier de la digitalisation n'est pas moins important. Il s'agit de combiner la force du réseau physique actuel avec une politique d'innovation correspondant aux attentes de nos clients d'aujourd'hui et de demain, dans le respect des valeurs de l'entreprise.

À l'international, sujet plus débattu, la FDJ dispose d'atouts significatifs : son modèle de jeu, référence au niveau mondial ; ses savoir-faire, notamment technologiques ; la solidité de sa structure financière. La digitalisation de l'activité peut offrir de nouvelles opportunités qu'il conviendra d'étudier dans le cadre communautaire.

Au-delà de ces chantiers, ma priorité sera, si je suis nommée à la tête de l'entreprise, de continuer à construire, avec mes futurs collaborateurs et mes partenaires, une vision partagée de sa stratégie dans un secteur qui évolue très vite. Comprenez qu'il m'apparaisse nécessaire d'être au coeur de l'entreprise, de dialoguer avec l'ensemble de ses collaborateurs et de ses partenaires et d'aller sur le terrain avant de m'engager sur une stratégie.

Je ne doute pas, cependant, que vous m'interrogerez sur l'ouverture du capital de la FDJ, largement évoquée par la presse. Ce ne peut être qu'une décision de l'actionnaire ; j'attendrai donc que l'État fixe mes objectifs sur ce point, ce que, à ma connaissance, il n'a pas fait à l'heure où je vous parle. Si le choix était d'étudier cette perspective, cela devrait s'inscrire dans le cadre de la stratégie de l'entreprise et des chantiers que je viens de décrire, comme un éventuel levier de mise en oeuvre de cette stratégie et en tenant compte des spécificités de la FDJ liées à ses missions d'intérêt général.

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