Intervention de Jean-Jacques Guillet

Réunion du 24 octobre 2012 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Guillet, rapporteur pour avis :

Je dois préciser que nous avons travaillé à deux sur cet avis budgétaire – ce fut d'ailleurs une expérience intéressante que je recommande. Je me concentrerai, pour ma part, sur la réforme et les crédits de RFI et de France 24, puis François Rochebloine vous présentera la situation assez spécifique de TV5 Monde.

Du fait des missions assignées à RFI, Monte Carlo Doualiya, France 24 et TV5 Monde, l'AEF présente une importance particulière pour notre commission. Du reste, trois missions d'information ont été créées sur ce sujet, les deux premières, en 2003 et 2007, sous la présidence de François Rochebloine, et la troisième, en 2011, avec Christian Kert et Didier Mathus comme co-rapporteurs.

Un autre rapport a été remis, en juin dernier, par M. Jean-Paul Cluzel, ancien président de RFI, au ministre des affaires étrangères et à la ministre de la culture et de la communication, qui ont partiellement suivi ses recommandations. La multiplication de ces rapports témoigne certes d'un véritable intérêt pour l'audiovisuel extérieur, mais aussi de problèmes dans sa gestion.

Je ne reviens pas sur la contribution stratégique de l'audiovisuel extérieur en ce qui concerne la place, l'image et l'influence de notre pays dans le monde. Je tiens à souligner, en revanche, que l'audience des différentes chaînes s'est considérablement accrue. On peut penser que les progrès enregistrés par France 24 et MCD à l'occasion du printemps arabe ont permis de renforcer la présence de la France.

Celle de la francophonie a également progressé : France 24 est aujourd'hui regardée au Maghreb et en Afrique francophone, bien sûr, mais aussi au Proche-Orient où l'on observe une progression constante de son audience, même si les instruments de mesure sont encore imparfait. Ses concurrents sont des chaînes arabes, notamment Al Jazeera et Al Arabiya, ainsi que BBC Arabic dont l'enracinement dans la région est historiquement assez différent.

Il faut aussi noter la présence importante de RFI en Afrique francophone, où elle est de loin la première radio, toutes chaînes confondues. Son taux de pénétration dépasse 60 % dans certaines capitales. Cela me paraît important au moment où le Gabon adopte l'anglais comme deuxième langue officielle et où le Sénégal s'interroge sur le maintien du français comme seule langue officielle. J'ajoute que RFI est aussi écoutée en Afrique non-francophone grâce à sa diffusion en d'autres langues que le français, notamment le swahili.

Du point de vue de l'audience, l'audiovisuel extérieur fonctionne donc plutôt bien. C'est hélas moins vrai pour sa gestion. Je ne reviens pas sur certaines affaires qui appartiennent désormais au passé, ni sur la démission d'Alain de Pouzilhac, le 12 juillet, après la publication du rapport de M. Cluzel, sauf pour rappeler que Marie-Christine Saragosse, jusque-là directrice générale de TV5 Monde, lui a succédé après avoir fait l'objet d'un consensus au sein des commissions appelées à donner un avis sur sa nomination. Son succès à la tête de TV5 Monde est unanimement reconnu.

Deux décisions importantes ont été prises, au mois de juillet, concernant RFI et France 24 : d'une part, l'arrêt de la fusion des rédactions, très contestée et dont la mission d'information commune avait beaucoup débattu sans parvenir à un consensus, tout en émettant de fortes réserves ; d'autre part, la poursuite du déménagement de RFI, lui aussi critiqué.

Le « dé-fusionnement » des rédactions, qui pourrait susciter quelques difficultés en raison des nominations déjà décidées par M. de Pouzilhac, est justifié par des raisons de fond.

Tout d'abord, s'il y a incontestablement une convergence des médias à l'ère du numérique, la spécificité des métiers demeure. On ne peut pas fusionner entièrement les rédactions, comme le montrent l'exemple de la BBC et celui de Deutsche Welle. Cela ne signifie pas que des coopérations ou des « rencontres », pour reprendre l'expression de Mme Saragosse, sont impossibles ; en revanche, il ne suffit pas de filmer une émission de radio pour faire de la télévision, ni de faire de la télévision sans image pour produire une émission de radio. Du reste, la taille des équipes et la nature des studios varient.

En second lieu, l'identité et les spécificités de RFI et de France 24 constituent un capital, chèrement acquis, qu'il convient de préserver et de faire fructifier dans un contexte de concurrence très vive au plan international.

Pour autant, l'arrêt de la fusion ne doit pas conduire à un retour en arrière. La mutualisation des fonctions support, déjà effective, doit être préservée, car elle permet de véritables synergies. On peut aussi mutualiser certains équipements, notamment des studios. De même, l'objectif d'introduire plus de cohérence au sein de l'AEF conserve toute sa pertinence.

La seconde décision prise au mois de juillet concerne le déménagement de RFI à Issy-les-Moulineaux : il sera mené à son terme. Nous avons d'ailleurs pu constater, en visitant les locaux, que les fonctions support étaient déjà installées.

Le déménagement s'impose en raison de l'investissement financier réalisé par l'Etat – 24,3 millions d'euros, versés sous la forme d'une dotation exceptionnelle et d'une compensation pour une partie des doubles loyers dus pendant la période des travaux. Il ne serait pas compréhensible de passer cet investissement par pertes et profits. Si l'on prend en compte l'installation de France 24 dans le bâtiment voisin, l'Etat aura investi 60 millions d'euros au total.

Il nous semble que les difficultés techniques évoquées par les syndicats – des problèmes d'aménagement des espaces de travail, de climatisation, de vibrations et de bruit –devraient pouvoir être réglées dans le cadre d'une information-consultation du CHSCT et, le cas échéant, de travaux supplémentaires, sans doute minimes.

C'est dans ce cadre renouvelé et, il faut l'espérer, enfin stabilisé et apaisé, que les crédits pour 2013 seront exécutés. La dotation totale pour l'AEF, incluant TV5 Monde, devrait être stable par rapport à 2012, à hauteur de 314,2 millions d'euros. On ne peut que s'en féliciter dans le contexte budgétaire actuel. C'est probablement une sorte de cadeau de bienvenue pour Marie-Christine Saragosse, qui devrait ainsi avoir les marges de manoeuvre nécessaires pour mettre en oeuvre la réforme. C'est aussi une bonne nouvelle par rapport au projet de contrat d'objectifs et de moyens (COM) qui avait été arrêté par la tutelle, mais non signé par la direction de l'AEF. Il était prévu une réduction de 8 millions d'euros des crédits en 2013.

Malgré ces éléments positifs, je dois vous faire part de quelques réserves. La stabilisation des crédits est « conservatoire », car elle ne correspond à aucune priorité clairement établie dans le « bleu » budgétaire. Elle s'explique surtout par la nomination de Mme Saragosse, qui aura de lourds chantiers à mener : le déménagement, la pacification du climat social et l'élaboration d'un véritable projet d'entreprise. Il ne fallait pas la mettre en difficulté. En outre, l'AEF n'a pas aujourd'hui de projet clair, ni d'orientations stratégiques, ni de trajectoire financière, faute de contrat d'objectifs et de moyens. La stabilisation des crédits est donc un choix a minima qui n'engage pas l'avenir. Au-delà de 2013, le budget triennal laisse malheureusement peu de doutes sur l'évolution des dotations, et les ressources publicitaires risquent de connaître une évolution similaire.

Du reste, l'AEF devra réaliser des efforts dès l'année prochaine, car la stabilisation de ses crédits en valeur signifie une perte en euros constants – je rappelle que la prévision d'inflation du Gouvernement est de 1,75 % pour 2013. Même si elle a évoqué un certain nombre de pistes, Mme Saragosse n'a pas encore fourni d'indications sur les futures orientations. On peut le comprendre, puisqu'une stratégie devrait bientôt être définie dans le cadre de la négociation du COM, mais il en résulte un flou que l'on peut regretter tant il rend difficile l'appréciation des dotations pour 2013.

Une rationalisation et une optimisation des moyens s'imposent, mais il faudra veiller à ne pas abandonner l'objectif d'une présence globale dans le monde. L'idée d'un basculement sur Internet dans des langues ou des espaces géographiques jugés non-prioritaires, évoquée par Jean-Paul Cluzel, nous paraît également prématurée, car le développement du multimédia ne se traduit nullement par la caducité des autres formats, encore prédominants. On a toujours besoin de la diffusion hertzienne et du câble. Enfin, la suppression de la diffusion de RFI et de MCD en ondes courtes et moyennes conduirait à sacrifier une grande partie de l'audience. MCD a vu la sienne remonter spectaculairement alors qu'on envisageait de fermer la chaîne en 2008. Une mutualisation peut avoir lieu avec le pôle arabophone de France 24, mais la disparition de MCD n'aurait pas de sens.

D'autres incertitudes planent sur les dotations pour 2013 : l'absence de contrat d'objectifs et de moyens, contraire à la loi de 1986, ainsi que des zones d'ombre sur le coût final du déménagement. Une fois qu'elle aura été réalisée, l'installation à Issy-les-Moulineaux sera budgétairement neutre, mais il y aura des surcoûts transitoires. A cela s'ajoute la nécessité de renégocier les accords d'entreprise en raison de la fusion juridique, tout en établissant un « socle social » commun pour harmoniser les statuts. Tout nécessaire qu'il soit, ce chantier risque d'être long et coûteux.

Bien que des doutes entourent encore l'avenir de l'AEF, les résultats que cette société a obtenus contribuent à en faire un succès. Il y a une attente à l'égard de la France et je salue le travail réalisé par les journalistes. Il est vrai que la comparaison avec BBC World Service et World News peut conduire à espérer encore des efforts supplémentaires, mais l'AEF n'a pas la même expérience que ses concurrentes britanniques, ni le même soutien que celui fourni par la BBC. En outre, je tiens à rappeler la grande qualité des émissions en arabe de France 24 et les efforts engagés pour adapter sa politique éditoriale aux enjeux de la zone de diffusion.

Il faut espérer que la nouvelle réforme, tout juste engagée, permette à l'AEF de poursuivre son développement en engrangeant de nouveaux succès dans le paysage audiovisuel mondial, malgré les efforts de rationalisation et d'optimisation des moyens déjà indispensables et les évolutions budgétaires probables à l'avenir.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion