Intervention de François Rochebloine

Réunion du 24 octobre 2012 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Rochebloine, rapporteur pour avis :

Je m'associe aux propos de Jean-Jacques Guillet sur notre travail commun, en soulignant toutefois les difficultés que nous avons éprouvées pour obtenir des réponses à certaines de nos questions.

TV5 Monde est, elle aussi, concernée par la nouvelle réforme de l'AEF. Comme Jean-Paul Cluzel le recommandait dans son rapport, le Gouvernement a annoncé qu'il envisageait un changement de portage capitalistique. Il s'agit de remplacer l'AEF par France Télévisions dans le capital de TV5 Monde pour tenter de remédier aux dysfonctionnements actuels.

Je rappelle que la société en charge de l'AEF est devenue l'actionnaire principal, mais minoritaire, de TV5 Monde à la suite de la réforme de 2008. Si l'on y ajoute les participations détenues par France Télévisions, Arte France et l'INA, la France détient 66,67 % du capital, contre 11 % pour chacun des autres partenaires francophones

L'insertion de l'AEF dans TV5 Monde avait un sens, car la chaîne contribue à assurer la mission culturelle de promotion de notre patrimoine qui incombe à l'AEF, notamment au plan linguistique. On pouvait également espérer un certain nombre de coopérations entre les chaînes, voire des synergies.

En réalité, comme l'a constaté la mission d'information commune à notre commission et à celle des affaires culturelles et de l'éducation, dans son rapport de mars dernier, cette configuration a plutôt conduit à des dysfonctionnements. Il y avait d'ailleurs unanimité sur ce constat.

Tout d'abord, en tant que société de second rang, TV5 Monde n'a plus de relation directe avec la tutelle française, et elle n'a pas été associée à l'élaboration du projet de COM de l'AEF, alors qu'elle est directement intéressée : la contribution française à son budget est incluse dans les dotations prévues pour l'AEF dans son ensemble.

De ce fait, alors que la subvention de TV5 Monde est théoriquement fongible au sein du budget de l'AEF, elle a tendance à être sanctuarisée par cette dernière, qui ne sent pas responsable du bon usage des crédits. Le rapport d'octobre 2011 de l'Inspection générale des finances et celui de la mission d'information commune étaient pleinement en accord sur ce point.

Par ailleurs, le processus de fusion entre France 24 et RFI a suscité des inquiétudes chez les autres partenaires francophones : la nouvelle société doit désormais répartir les moyens qui lui sont alloués entre TV5 Monde et elle-même – et non plus RFI et France 24. On peut comprendre que cette curieuse situation ait conduit TV5 Monde à redouter une marginalisation au sein de l'AEF.

Afin d'améliorer son positionnement, le rapport de Jean-Paul Cluzel a proposé de rétablir France Télévisions dans son rôle historique d'actionnaire de référence. Le Gouvernement a indiqué que tel était son souhait dans un communiqué du 12 juillet, sans préciser quel serait le niveau de participation de France Télévisions. Il nous a été indiqué, très laconiquement, que « des contacts appropriés ont été pris avec les Etats francophones partenaires ».

Deux hypothèses sont dès lors envisageables : soit rétablir France Télévisions comme actionnaire minoritaire, détenant 49 % des parts de TV5 Monde, comme c'est aujourd'hui le cas de l'AEF, soit en faire l'actionnaire majoritaire. Quel que soit le choix retenu, il faudra réviser « l'entente intergouvernementale » conclue avec les autres partenaires francophones.

M. Cluzel a semblé être plutôt favorable à la deuxième solution qui ferait de TV5 Monde une filiale de France Télévisions au regard de la loi française. La contribution française à TV5 Monde pourrait alors être discutée dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions, dont elle constituerait un volet spécifique.

Nos partenaires risquent toutefois de voir cette solution d'un mauvais oeil, étant très attachés à la clause interdisant à toute société et à ses filiales de détenir ensemble plus de 49 % du capital, mesure qui vise à sauvegarder l'autonomie et le caractère multilatéral de la chaîne.

Comme pour France 24 et RFI, une stabilisation de la dotation française est prévue en 2013 pour TV5 Monde, à hauteur de 75 millions d'euros. En revanche, contrairement au reste de l'AEF, pour qui ce budget implique seulement des efforts de rationalisation et d'optimisation des moyens, la direction de TV5 Monde nous a dit être face à une impasse financière.

Du fait de l'accroissement mécanique d'une partie des dépenses, TV5 Monde aurait notamment besoin d'une hausse de 2 millions d'euros de la dotation française pour maintenir son activité.

Il faudrait également reconstituer le budget d'achat des programmes français, amputé de 2 millions d'euros entre 2007 et 2012, cette enveloppe ayant servi de variable d'ajustement pour la réduction des efforts de la France par rapport à ses engagements.

A cela s'ajoute le défi de la bascule technologique : TV5 Monde est dans l'obligation de renouveler intégralement son dispositif technique de production, post-production et diffusion au cours de l'année 2013. La direction évalue à 3 millions d'euros les surcoûts qui résulteront, à titre transitoire, de la double exploitation des systèmes pendant une durée d'au moins six mois.

Enfin, TV5 Monde bénéficie jusqu'à la fin de l'année 2012 d'un minimum garanti sur les ressources publicitaires qui ne sera pas reconduit. Compte tenu du chiffre d'affaires réalisé et des faibles perspectives de croissance du marché publicitaire, il paraît prudent de tabler sur une perte d'au moins un million d'euros.

Face à de tels surcoûts, TV5 Monde estime être quasiment arrivée à la limite des redéploiements possibles au plan interne, et craint un gouffre de 5 ou 6 millions d'euros.

On pourrait envisager de solliciter les autres partenaires francophones s'ils n'avaient pas consenti des efforts importants. Or, leur contribution a augmenté de plus de 60 % depuis 2008, quand la dotation française ne suivait même pas le niveau de l'inflation. De plus, certains partenaires se trouvent, eux aussi, dans une situation financière difficile.

Nous craignons donc une crise au sein de TV5 Monde : sans effort supplémentaire, il faudra soit « sortir » de certains pays pour diminuer les coûts, soit réduire le sous-titrage, pourtant essentiel afin de développer l'audience et les ressources propres, soit abandonner une partie des productions propres de la chaîne, soit amputer les investissements en matière de marketing et de communication. Toutes ces solutions constitueraient une régression et mettraient en péril le développement, voire la survie de la chaîne dans l'univers très concurrentiel qui est le sien.

Ce serait d'autant plus regrettable que TV5 Monde a obtenu de très beaux résultats depuis sa création, il y a déjà 28 ans : elle est parvenue à se hisser dans le peloton de tête des plus grands réseaux internationaux. Sa distribution a ainsi augmenté de 25 % par rapport à 2008 et elle s'est encore accrue de 6,5 % entre le 30 juin 2011 et le 30 juin 2012. La chaîne est aujourd'hui disponible dans plus de 235 millions de foyers TV.

Malgré ces réserves, je vous propose d'adopter les crédits prévus pour l'action audiovisuelle extérieure. Il nous semble que la réforme en cours va dans le bon sens et nous faisons confiance à Mme Saragosse, qui a réalisé un travail remarquable à la tête de TV5 Monde, à la suite de Serge Adda, pour rétablir de bonnes relations avec la tutelle comme avec les salariés et pour faire émerger un projet réaliste et partagé par tous, qui permettra à l'AEF de poursuivre son développement sur une ligne plus consensuelle.

S'agissant du lien avec le reste de l'AEF, le président Edouard Balladur s'était interrogé sur la possibilité de faire appel à TV5 Monde pour la création d'une « CNN à la française ». L'attelage finalement retenu, qui différait nettement des conclusions adoptées par la mission d'information, à l'unanimité, n'a pas donné satisfaction. On a fini par racheter à un prix relativement élevé les parts acquises par TF1 pour 18 500 euros. Ce rappel historique ne me semble pas inutile.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion