Intervention de Martine Martinel

Réunion du 22 octobre 2014 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Martinel, rapporteure pour avis :

J'ai consacré la partie thématique de mon rapport pour avis à Radio France qui, ces dernières années, a fait l'objet de beaucoup moins d'attention que les autres sociétés de l'audiovisuel public, en particulier France Télévisions et France Médias Monde.

L'année qui s'achève a été marquée à Radio France par la nomination d'un nouveau président, M. Mathieu Gallet, la fin de l'application du contrat d'objectifs et de moyens (COM) 2010-2014 et la préparation d'un nouveau COM pour la période 2015-2019. Il s'agit donc pour l'entreprise d'une période de bilan et de transition.

La Cour des comptes, dont le dernier contrôle remontait à 2005, devrait publier prochainement un rapport très attendu sur Radio France. Alors que le CSA annonce un bilan détaillé de France Télévisions sous la présidence de M. Rémy Pflimlin, je regrette qu'un travail similaire n'ait pas été réalisé pour Radio France. La loi du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public a pourtant prévu que le CSA rende un avis motivé sur les résultats des sociétés de l'audiovisuel public quatre ans après le début du mandat de leurs présidents. Ce bilan aurait été très utile pour éclairer le choix d'un projet stratégique et préparer l'avenir d'une entreprise confrontée à des défis majeurs.

La stratégie éditoriale constitue le premier de ces défis.

Radio France est confrontée à une crise de ses audiences. Si des évolutions favorables ont été constatées entre 2009 et 2013, depuis 2013, les résultats sont beaucoup plus inquiétants pour la plupart des antennes. Et les résultats de 2014 amplifient ces inquiétudes : France Inter est tombée à 9 % d'audience en juillet, son plus mauvais score depuis 2006, France Musique est à 1,4 % alors que Radio classique passe la barre des 2 %, et France Info ne dépasse pas les 7,5 %.

Radio France connaît aussi un vieillissement très préoccupant de ses auditeurs dont l'âge médian est supérieur de dix ans à celui des auditeurs du média radio : il frôle soixante ans pour certaines antennes et atteint soixante-huit ans pour France Musique. Le rajeunissement doit donc être au coeur de la stratégie du nouveau COM ; il en va de l'avenir du service public de la radio. Par ailleurs, les chiffres montrent que l'objectif affiché par le COM de voir les antennes s'adresser à tous les publics, en termes de profil sociologique, et favoriser la diversité sociale des auditeurs, est loin d'être atteint.

Le projet stratégique de M. Mathieu Gallet, que notre Commission a entendu le 18 juin dernier, comporte des propositions très intéressantes qui vont dans le sens d'une clarification de l'identité des antennes. Elle est nécessaire pour éviter les phénomènes de prédation de l'audience entre stations. L'un des objectifs consiste à rendre à France Info son identité de chaîne d'information en continu. Le COM devra également clarifier la place de la musique sur les antennes.

Je m'interroge fortement sur l'avenir du Mouv'. À l'heure où nous sommes contraints par des choix budgétaires, devons-nous conserver une antenne qui réunit un si petit nombre d'auditeurs et coûte 20 millions d'euros par an ? Pour le Mouv', le COM 2010-2014 devait être celui de la dernière chance. Le nouveau président annonce une relance fondée sur une nouvelle ligne éditoriale en cours de définition : il s'agirait de faire de la station la radio des jeunes et des cultures urbaines, notion qui n'a pas été clarifiée au cours des auditions. J'ai déjà eu l'occasion de regretter le caractère de chaîne « alibi » ou « ghetto » de France Ô. Je mets en garde contre le même risque pour le Mouv'. Le rajeunissement et la diversification de l'audience doivent au contraire irriguer l'ensemble des antennes et surtout constituer un axe majeur de la stratégie numérique. Si le choix est néanmoins fait de maintenir la station, il conviendra de bien clarifier son identité de service public par rapport à l'offre existante privée.

Enfin, pour diversifier les publics, il faut évidemment que l'antenne soit représentative de la diversité de la société française. À cet égard, je note que trop peu de femmes s'expriment encore à l'antenne – elles n'étaient que 37 % environ en 2013. Par ailleurs elles ne représentent que 33 % des cadres de direction alors que le COM fixe un objectif de 35 %.

Le numérique constitue un autre défi pour Radio France. Le démarrage en la matière a été tardif puisque l'entreprise ne l'a véritablement amorcé qu'en 2012 avec la création de la direction des nouveaux médias. Une grande partie du retard a pu être comblée, mais les résultats apparaissent contrastés. En matière de podcasts, ils sont remarquables pour France Culture mais demeurent assez modestes pour les autres antennes.

En ce qui concerne la fréquentation des sites, les comparaisons que j'ai établies dans mon rapport font état d'un retard de Radio France. Calculées en nombre de visiteurs uniques mensuel, les audiences, pour l'année 2013, des sites d'Europe 1 et de RTL atteignent à 2 millions contre un peu plus de 960 000 pour France Inter, et 580 000 pour France Culture. Par ailleurs, je note qu'on ne trouve aucune des applications mobiles de Radio France parmi celles qui ont été les plus fréquentées au mois de juillet 2014. Radio France ne fait donc pas encore suffisamment figure de « média de référence » sur les réseaux numériques, d'où l'urgence de définir des offres numériques communes à l'ensemble de l'audiovisuel public. Lors des cinquante ans de la Maison de la radio, le Président de la République a d'ailleurs affirmé que cette articulation était nécessaire.

Cette ambition figure dans le projet stratégique de M. Mathieu Gallet, et je m'en félicite, mais il ne peut agir seul. L'idée d'une coordination se fonde sur le constat qu'on ne peut plus raisonner par type de média à l'ère de la convergence, comme le montre la stratégie retenue avec succès par les groupes audiovisuels publics dans de nombreux pays européens, tels que la BBC en Grande-Bretagne, ou la RTBF en Belgique. Notre audiovisuel public est trop cloisonné : les relations entre les sociétés sont davantage marquées par la concurrence que par la recherche de complémentarités. Mme Véronique Cayla, présidente d'Arte, l'a rappelé : l'idée même de créer des renvois entre les sites des uns et des autres ou de faire des promotions croisées n'a jamais pu être menée à bien… Pour renforcer et pérenniser le service public audiovisuel à l'ère numérique, il me semble impératif de lancer ce chantier à la faveur de la négociation des nouveaux COM qui va avoir lieu pour l'ensemble des sociétés de l'audiovisuel public d'ici à 2016.

Dans la continuité de ce que nous avons été plusieurs à exprimer lors de l'audition de M. Mathieu Gallet, je réitère mon opposition à la remise en cause de la gratuité des podcasts dans le cadre de la nouvelle stratégie numérique. Cette solution me paraîtrait de nature à fragiliser l'acceptation de la redevance et les fondements mêmes de la notion de service public audiovisuel à l'ère numérique.

En ce qui concerne la couverture du territoire par Radio France, je rappelle qu'à travers la redevance, les contribuables financent les sept programmes du groupe. Il ne me paraît donc pas acceptable que certains n'en reçoivent que trois. C'est pourquoi je soutiens la volonté du président de Radio France de tout mettre en oeuvre pour les rendre accessibles. À cet égard, je souhaite également qu'un indicateur de couverture soit fixé par le futur COM selon la même méthodologie que celle appliquée par le CSA aux autres services.

Pour le nouveau président de Radio France, la clarification de la stratégie des formations musicales constituera par ailleurs un enjeu majeur du futur COM dans le contexte d'ouverture du nouvel auditorium en fin d'année.

La modernisation de la gestion apparaît comme un autre défi et comme une priorité dans un contexte de contrainte forte sur les ressources publiques et alors que les marges d'augmentation des ressources propres sont modérées.

La maîtrise de la masse salariale devrait rester le premier objectif de gestion du futur COM. Je rappelle qu'elle représente presque 60 % des dépenses de l'entreprise et qu'elle a continué d'augmenter de manière dynamique ces dernières années, au point que le CSA en octobre 2013 a appelé Radio France à une meilleure maîtrise de ses charges de personnel. Au cours des auditions, mon attention a été appelée sur un effet pervers du COM auquel il conviendra de remédier. Il fixe en effet un plafond d'emplois – 4 619 équivalents temps plein – qui ne prend pas en compte les cachets et les piges. L'entreprise est donc de facto encouragée à recourir à l'intermittence pour contourner ce plafond. À cet égard, je propose que soit évaluée l'idée de créer un groupement des employeurs de l'audiovisuel public sous forme d'une association loi de 1901, qui permettrait d'employer les intermittents dits « techniques » en CDI.

Dans un contexte de baisse des moyens de l'entreprise, l'augmentation continue de la masse salariale rend également indispensable la modernisation de la gestion des ressources humaines, qui est, selon les observateurs, « éloignée des standards applicables dans les grandes entreprises ». Cette modernisation passe d'abord par la renégociation encore en cours des conventions collectives. Le nouveau président a dit sa volonté de voir un nouvel accord collectif signé avant la fin de l'année.

Au cours des auditions, des observations sévères ont été formulées sur la gestion et ses étonnants archaïsmes. Ont notamment été relevés l'absence, jusqu'en 2012, de procédures formalisées, publiées, contrôlées dans leur mise en oeuvre, l'absence de comptabilité analytique, une organisation « en silo » marquée par un dialogue insuffisant entre les directions opérationnelles et les directions de soutien. S'y ajouteraient une architecture des systèmes informatiques obsolète, des défaillances dans la mise en oeuvre des règles applicables aux achats publics, et une gestion globalement lourde, inefficiente et insuffisamment contrôlée. La Cour des comptes apportera sans doute plus de précisions sur ces aspects. Quoi qu'il en soit, le renforcement du contrôle interne est logiquement affiché comme l'une des priorités du management.

Des améliorations de la gouvernance et de la transparence seraient également souhaitables. Je salue les efforts réels fournis en la matière par la nouvelle direction. Cependant, afin d'améliorer encore la transparence, je suggère que les comptes des entreprises publiques financées majoritairement par l'impôt soient rendus publics, et qu'ils soient accessibles sur la plateforme data.gouv.fr. En matière de gouvernance, les observateurs, y compris la direction, appellent de leurs voeux une dynamisation du conseil d'administration – ce qui ne concerne évidemment pas notre collègue Michel Françaix. (Sourires) Une clarification me paraît en outre nécessaire sur les rôles respectifs des tutelles et du CSA.

Je souhaite conclure sur un autre défi de taille : le chantier de réhabilitation de la Maison de la radio, qui a mis au jour les défauts de gestion que je viens d'évoquer. Depuis 2004, le coût total de ce chantier a fait l'objet de nombreuses réévaluations. Il est aujourd'hui estimé à 584 millions d'euros, dont 116 millions d'euros de coûts de fonctionnement, soit une augmentation de plus de 80 % par rapport aux prévisions sur lesquelles s'est fondé le choix des travaux en 2004.

Les objectifs du COM concernant le chantier sont donc loin d'être tenus. En termes de calendrier, la date prévisionnelle d'achèvement des opérations, fixée à août 2016 à la signature du COM, est désormais repoussée à la fin de l'année 2017 par le rapport d'exécution du COM pour 2013. Certains observateurs n'excluent pas une dérive supplémentaire du coût tandis que la fin des opérations ne devrait pas avoir lieu avant le début de 2018.

Lors de son audition, Radio France a mis en avant la complexité, réelle, d'une telle opération de réhabilitation en site occupé et estimé que les dépassements qui résultent nécessairement de la « vie d'un chantier » seraient « mesurés » compte tenu de la difficulté des travaux. Les auditions ont toutefois montré que la programmation des besoins et des opérations a été notoirement insuffisante. Une analyse des dépassements montre qu'ils sont dus pour au moins plus de la moitié, voire les deux tiers, à des décisions de l'entreprise.

La tutelle indique avoir été alertée très tardivement de ces surcoûts – pas avant février 2014. Cependant, la Cour des comptes et la mission de contrôle de Bercy s'accordent à estimer que la pression exercée par les tutelles – la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) du ministère de la culture, et la direction du budget à Bercy –, sur l'entreprise de manière générale, et dans ce dossier en particulier, a été insuffisante, le conseil d'administration s'étant contenté de constater les dépassements. La Cour des comptes apportera, je l'espère, plus de précisions concernant une gestion de chantier aujourd'hui très mal vécue par les salariés : ces derniers évoquent un « gouffre financier » et portent un regard sévère sur un dossier géré, disent-ils, avec « amateurisme ». Quoi qu'il en soit, on ne peut que regretter avec eux que les débordements de cette opération de réhabilitation soient amenés à peser lourdement sur l'équation financière du groupe, notamment sur ses marges d'investissement dans la stratégie éditoriale et numérique.

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