J'ai choisi cette année de consacrer l'avis budgétaire relatif au programme « Livre et industries culturelles » au jeu vidéo. En effet, longtemps dominé par le livre, le secteur des industries culturelles compte désormais un nouveau venu : le jeu vidéo, qui est devenu le bien culturel le plus vendu en France et représente le deuxième marché de divertissement. Il mérite d'autant plus notre attention qu'il constitue un enjeu culturel et économique pour notre pays.
Enjeu culturel, tout d'abord : le jeu vidéo n'est plus seulement une affaire de passionnés : son public élargi est même devenu familial. Quelques chiffres sont susceptibles de bouleverser les idées reçues : la moyenne d'âge du joueur tourne autour de quarante et un ans, et 52 % des joueurs sont des joueuses. Le jeu vidéo est un vecteur d'influence culturelle, et les jeux français se distinguent à la fois par la qualité de leur création et par leurs innovations technologiques. Notre savoir-faire est reconnu internationalement : 80 % de la production est destiné au marché étranger. La filière musicale n'a pas le monopole de la « touche française » !
Les studios français bénéficient d'équipes de qualité composées de graphistes, de scénaristes, de monteurs ou d'ingénieurs. Nos écoles de formation sont réputées dans le monde entier et notamment l'école des Gobelins à Paris, pour n'en citer qu'une.
Le jeu vidéo est ensuite un enjeu économique. On compte en France trente et un million de joueurs, et le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) estime qu'un joueur dépense en moyenne 40 euros par mois. La filière française est très dynamique, son chiffre d'affaires direct, qui était de 700 millions d'euros en 2002, a atteint presque 3 milliards d'euros en 2013. La société Ubisoft, troisième éditeur mondial de jeu vidéo, en est l'exemple même.
L'État soutient le secteur à travers deux dispositifs spécifiques : le crédit d'impôt pour les dépenses de création de jeu vidéo et le fonds d'aide au jeu vidéo.
Le premier permet aux entreprises installées en France de déduire de leur impôt sur les bénéfices 20 % de leurs dépenses affectées directement à la création de ces jeux. Ce dispositif contribue à éviter la délocalisation des entreprises en comblant partiellement la différence entre les coûts de conception dans les studios français et ceux des studios étrangers. De plus, il génère des recettes fiscales : en 2013, pour 1 euro de crédit versé, 1,80 euro de recettes fiscales et sociales a été perçu par l'État.
Le deuxième dispositif, le fonds d'aide au jeu vidéo, comprend trois aides : l'une destinée à la réalisation de prototypes de jeux – l'aide à la pré-production, une autre destinée à créer une valeur patrimoniale – l'aide à la création de propriétés intellectuelles, et la dernière consacrée à la promotion de ces jeux et de la profession – l'aide aux opérations à caractère collectif.
Malgré ce soutien, la position française s'effrite, concurrencée par le marché asiatique, canadien, mais aussi européen où se positionnent la Finlande, le Royaume-Uni ou l'Allemagne. En dix ans, nous sommes passés du cinquième au huitième rang des pays producteurs de jeu vidéo. L'emploi dans le secteur a été divisé par deux : seulement 12 000 salariés y travaillaient en 2013, alors qu'ils étaient 25 000 durant les années 2000.
Le Syndicat national du jeu vidéo et l'IDATE ont publié le 15 octobre dernier un baromètre annuel du jeu vidéo en France. On y apprend que 62 % des entreprises interrogées considèrent la France comme peu attractive. C'est pourquoi il est urgent que le soutien de l'État soit repensé. De nombreuses pistes existent, des solutions sont connues, des projets annoncés. Il est temps que ces annonces soient suivies d'effet, et que ces projets deviennent opérationnels. Trois grandes priorités devraient s'imposer.
Première priorité : l'aménagement du crédit d'impôt au jeu vidéo. Ce dispositif n'est plus adapté à l'évolution des jeux. De plus, il est concurrencé par des dispositifs extrêmement agressifs mis en place à l'étranger, notamment à Singapour qui propose un crédit d'impôt de 50 %. La production des jeux sur supports physiques, dits de nouvelle génération, nécessite de longues années de travail, c'est pourquoi la procédure d'agrément doit être revue – le délai entre l'agrément provisoire et l'agrément définitif doit être allongé. En revanche, les coûts de développement des jeux dématérialisés sur tablettes ou téléphones sont moindres, ce qui devrait permettre d'abaisser, pour ce qui les concerne, le seuil des dépenses éligibles au crédit d'impôt.
Ces points d'amélioration ont été identifiés et des aménagements ont été votés l'année dernière, lors de l'examen de la loi de finances pour 2014. Cependant, le nouveau dispositif n'est toujours pas applicable et il n'est pas certain qu'il s'appliquera en 2015. En effet, une aide d'État doit être notifiée à la Commission européenne et validée. Je m'étonne que la transmission à Bruxelles ne soit intervenue que cet été, retardant d'autant la mise en oeuvre effective du nouveau crédit d'impôt.
Deuxième priorité : inciter les entreprises du secteur à prétendre à des aides transversales liées à l'innovation, à la recherche ou à la compétitivité, comme les crédits d'impôts recherche ou innovation, le dispositif jeune entreprise innovante, ou des projets dans le cadre du fonds interministériel. Encore faut-il que l'administration fiscale joue le jeu ! Les entreprises du secteur peuvent prétendre au crédit d'impôt recherche. Malheureusement, depuis un an, les dépenses éligibles à ce crédit d'impôt qu'elles déclarent sont requalifiées, et nombre d'entreprises subissent de ce fait des redressements fiscaux. Je déplore cette instabilité juridique qui ne leur permet pas de rivaliser avec la concurrence internationale.
Troisième priorité : l'accès au financement. Il s'agit d'un enjeu crucial pour un secteur composé majoritairement de très petites entreprises qui ne disposent pas de fonds propres, ce qui menace leur pérennité. Le secteur bancaire, traditionnellement frileux à l'égard des industries culturelles, l'est plus encore lorsqu'il a affaire à un secteur méconnu où les risques sont grands.
Sur ce sujet également, plusieurs projets sont en gestation. En particulier celui d'un fonds d'octroi de prêts participatifs géré par l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), doté de 20 millions d'euros, qui servirait de levier aux entreprises pour trouver ensuite des crédits complémentaires auprès du secteur bancaire traditionnel. La Banque publique d'investissement (BPI France) devrait aussi s'impliquer davantage dans ce secteur. Son manque d'intérêt et sa prudence dans ce domaine doivent être dépassés. Un projet existe : la signature d'une convention cadre avec l'IFCIC lui permettrait de co-garantir des crédits et d'utiliser le réseau régional de ses agences.
Il est grand temps que tous ces dispositifs soient opérationnels afin de préserver un secteur culturel d'avenir, à forte valeur ajoutée.