Les évolutions numériques ne peuvent faire l'objet d'aucune solution miracle, d'autant que nous ne disposons pas en la matière d'une boule de cristal. L'évolution du numérique nous bouscule, si bien que nous ne pouvons pas nous projeter avec certitude sur le long terme – c'est déjà difficile à moyen terme.
En revanche, s'agissant de la presse, nous sommes bien au milieu du gué. M. Salles a raison : nous assistons à une baisse inexorable de la diffusion de la lecture sur papier sans disposer pour autant d'un modèle numérique abouti de la presse. Nous ne devons pas opposer le numérique au papier : les supports et les objectifs ne sont pas les mêmes, mais les deux sont de l'écrit, les deux sont de la presse, les deux sont du journalisme. Accompagner leur mutation est loin d'être facile, surtout en période de difficulté économique, mais demeure possible, d'autant que l'information sur internet a besoin de références fortes, qui permettent de guider le lecteur tout en étant susceptibles d'être enrichies par d'autres acteurs de l'information, plus petits.
Monsieur Herbillon, l'absence de titre de référence mondial en français peut s'expliquer en partie par le fait que le français est moins parlé que l'anglais dans le monde. Cela étant, les journaux français s'y préparent. Nous avons auditionné Mme Isabelle André, président-directeur général du Monde Interactif : pour elle, l'une des orientations du Monde est le développement à l'international via le numérique, avec, notamment, la possibilité de publier sur la Toile des éditions du Monde en plusieurs langues.
Les demandes de nos concitoyens sont pleines de contradictions : ils veulent de l'information qui soit à la fois en continu, disponible partout et de qualité. Les éditeurs de presse et les journalistes doivent s'atteler à répondre à cette demande en améliorant encore leur valeur ajoutée. C'est pourquoi je ne crois pas au tout gratuit sur internet : si l'on veut une valeur ajoutée, si l'on veut de la qualité, il faut des moyens, il faut bien payer les journalistes. Les aides de l'État doivent accompagner cette mutation en ne portant plus uniquement sur la presse papier. Un rééquilibrage est nécessaire.
Il faut également améliorer l'éducation aux médias, notamment dans le cadre des programmes scolaires – mon expérience de maire me le confirme – en enseignant le recul citoyen par rapport à la Toile. D'ailleurs, les jeunes générations s'y préparent.
Le fonds Google est le résultat d'un accord pragmatique. Google utilisant les contenus des journaux, les éditeurs de presse arguent fort légitimement qu'ils participent à la croissance du moteur de recherche et donc de ses capacités publicitaires et de ses gains. Il est donc normal à leurs yeux que Google abonde ce fonds. Mais face à ce géant tentaculaire, les éditeurs doivent faire converger leurs intérêts aux plans international et européen. Les éditeurs français, allemands ou suisses ne peuvent pas mener des stratégies différentes.
Le fonds Google nous pose la question de la fiscalité numérique. Google et les autres majors doivent participer au financement de la diffusion de l'information. Nous, parlementaires, devons réfléchir, à côté de l'État, à un modèle permettant de faire participer ces majors. Les éditeurs sont favorables à la proposition de création d'une taxe sur les appareils connectés mais par les temps qui courent, créer une nouvelle taxe, ce n'est pas terrible… De plus, l'instauration d'une telle taxe ne réglerait pas le problème de la participation de Google au financement de la diffusion de l'information.
Je regrette en outre l'opacité totale de l'accord commercial entre Google et les éditeurs, paraphé par les plus hautes autorités de l'État. Certes, un tel accord relève du droit privé des affaires mais nous y avons participé au plan financier. La moindre des choses serait d'en connaître la teneur. Ni la ministre ni nous-mêmes n'en avons eu connaissance, ce qui n'est pas normal.
Je regrette enfin que les éditeurs de presse ne s'entendent pas entre eux pour rationaliser le système de la presse papier. Si je ne crois pas à la disparition totale du papier, je pense en revanche qu'elle diminuera fortement en volume, pour atteindre un niveau que nous ne sommes pas aujourd'hui en mesure de calculer, mais qui sera à coup sûr très bas. Et pour imprimer beaucoup moins de journaux, il faudra évidemment moins d'imprimeries. Les éditeurs devront se mettre d'accord et comprendre que l'argent public ainsi économisé doit servir à mener à bien cette mutation en engageant comme il convient les négociations avec les personnels qui travaillent dans le secteur de la presse papier : les syndicats sont d'ailleurs ouverts à la discussion. Nous attendons de connaître les rapports commandés par Mme la ministre sur le sujet.