Intervention de Philippe Goujon

Séance en hémicycle du 28 octobre 2014 à 15h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 - projet de loi de finances pour 2015 — Justice

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Goujon :

Madame la garde des sceaux, ce budget que vous qualifiez de prioritaire augmente, certes, mais il ne rattrape pas pour autant le retard pris au plan européen, puisque la France, selon le récent rapport du Conseil de l’Europe, se classe au trente-septième rang des quarante-cinq pays, derrière la Géorgie et la Turquie.

Par ailleurs, si ces crédits auraient pu être tout juste acceptables à périmètre constant, ils ne peuvent être qualifiés que d’indigents compte tenu du surplus de charges que vous avez introduit par la loi du 15 août 2014. Le Conseil d’État vous a pourtant reproché l’insuffisance de l’étude d’impact qui accompagnait ce texte, pointant particulièrement la question cruciale du renforcement des moyens dans les juridictions d’application des peines et les services pénitentiaires d’insertion et de probation – SPIP. Vous n’avez pas tenu compte de cette observation, puisque vous vous appuyez dans le bleu budgétaire sur cette étude d’impact erronée.

Vous inquiétez, outre les forces de sécurité, qui doutent – c’est un euphémisme – de plus en plus de l’efficacité de la réponse pénale, l’ensemble du monde judiciaire, des magistrats du siège aux conseillers d’insertion et de probation, en passant par les procureurs eux-mêmes. Alors que les parquets doivent déjà résorber leurs retards, la contrainte pénale ajoutera des audiences supplémentaires. Les juges d’application vont devoir examiner les dossiers de tous les condamnés arrivés aux deux tiers de leur peine. Pour traiter ce flux, il faudrait, d’après mes calculs, au moins doubler les commissions d’application des peines !

Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation verront, quant à eux, leur tâche quadrupler. Comment pourront-ils en plus surveiller les personnes sous bracelet électronique et celles qui seront condamnées à des sursis avec mise à l’épreuve, pour des délits bien plus graves que ceux que vise la contrainte pénale ?

Comment garantirez-vous le suivi des condamnés qui, grâce à votre loi du 15 août 2014, se trouveront libérés prématurément ? Ce sera d’autant plus difficile que le recrutement des 1 000 conseillers de probation se fera sur trois années alors que la contrainte pénale sera, elle, pleinement effective dès cette année. Il est vrai que vous atteindrez ainsi votre objectif assumé de ne plus faire de la prison la sanction de référence, dans le droit fil de votre circulaire pénale du 19 septembre 2012 et du rapport Raimbourg, qui ne proposait rien de moins que l’application du numerus clausus en prison.

L’emprisonnement devenant l’exception, on pourrait presque s’étonner que vous prorogiez le moratoire sur l’encellulement individuel après l’avoir tant vilipendé quand vous étiez dans l’opposition. La réduction de moitié du nombre de places de prison annoncé l’an dernier – de 6 500 promises en 2014 à 2 881 prévues d’ici à 2017 – ne vous permet cependant pas d’éviter la surpopulation carcérale. Vous n’avez en fait aucun autre choix.

Vous avez affirmé en commission élargie que les propositions de notre rapporteur pour avis pour les crédits relatifs à l’administration pénitentiaire, Guillaume Larrivé, pour lutter contre l’islamisme radical en prison étaient déjà quasiment effectives. Cela nous a beaucoup surpris, car ce n’est pas du tout notre analyse. Qu’en est-il par exemple de la création d’unités spécialisées permettant d’isoler et de déradicaliser les djihadistes à leur retour en évitant leur dispersion sur tout le territoire, ou encore de la légalisation du téléphone portable en prison voulue par le Contrôleur des lieux de privation de liberté ? Voilà deux questions auxquelles vous devez apporter des réponses.

Avec la réforme de l’audition libre, vous avez encore aggravé la lourdeur procédurale qui affecte les forces de l’ordre. Les procédures peuvent représenter désormais jusqu’aux deux tiers du temps consacré au dossier contre un tiers à l’enquête, et même 40 % du temps de travail des officiers de police judiciaire. La disparition de l’indicateur du taux de réponse pénale dans le bleu budgétaire, qu’a évoquée voilà quelques jours notre collègue Étienne Blanc, traduirait-elle le renoncement de votre ministère à fournir ces données, dont ne disposent même pas les zones de sécurité prioritaires, et un aveu d’échec de l’interconnexion du logiciel Cassiopée avec les logiciels de la police et de la gendarmerie ?

Enfin, une question à 8 milliards, excusez du peu : dans quelle réforme du notariat vous engagez-vous ? Alors que vous peinez déjà à régler l’aide juridictionnelle, avec quels moyens entendez-vous indemniser les professionnels ?

Une seconde question, cette fois à 4 milliards : êtes-vous favorable à la création d’une grande profession de l’exécution rassemblant huissiers, administrateurs et mandataires judiciaires ? Comment indemniseriez-vous ceux qui y perdraient ?

Il est certain que ce budget ne donne pas à vos services les moyens d’appliquer votre propre loi, celle du 15 août 2014, alors même que les effectifs recrutés sont, depuis 2012, constamment inférieurs au plafond voté en loi de finances, un « mystère », pour reprendre vos propres termes, qui fait douter davantage encore de vos engagements.

Ce budget diminue également de moitié le nombre de places de prison à créer, annoncé pourtant l’an dernier, tout en prorogeant – comble du cynisme ! – le moratoire sur l’encellulement individuel, jusque-là très critiqué par les vôtres. Il ne relève pas non plus l’immense défi posé par la radicalisation en prison. Enfin, il est dans le déni de réalité quant au coût de la réforme des professions réglementées. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP ne votera pas ce budget.

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