Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 28 octobre 2014 à 15h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 - projet de loi de finances pour 2015 — Justice

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame et messieurs les rapporteurs, après des années de coupes budgétaires et de stigmatisation, le ministère dont vous avez la charge, madame la ministre, est l’une des priorités de ce gouvernement. Le fonctionnement de la justice s’en trouve amélioré, même si de grandes difficultés perdurent.

Pour rappel, le budget de la mission « Justice » pour 2013 était en augmentation de 4,2 %, avec 500 emplois créés ; la hausse en 2014 a été de 1,7 %, avec 555 emplois créés. La hausse sera équivalente en 2015, mais l’augmentation du budget se limite, pour l’essentiel, au budget de l’administration pénitentiaire.

Des points sombres demeurent. Tout d’abord, il n’y a pas d’amélioration notable des délais moyens de jugement des affaires, ce qui affecte la relation que nos concitoyens entretiennent avec la justice. Ensuite – vous en avez conscience, comme la représentation nationale dans son ensemble –, la surpopulation carcérale reste l’un des problèmes majeurs de votre ministère, malgré l’augmentation continue du nombre de places – environ 10 000 en à peine dix ans. Une part importante des créations de postes y est d’ailleurs consacrée.

Cette surpopulation a des conséquences lourdes sur la vie des détenus : promiscuité, violence, difficultés de suivi et un taux de suicide carcéral parmi les plus élevés d’Europe. Le fort taux de détention que connaît notre pays et cette surpopulation carcérale ne sont pas étrangers à ce taux de suicide : pas moins de 15,5 suicides pour 10 000 détenus en 2000 contre une moyenne de 6,7 pour l’ensemble des quarante-sept pays membres du Conseil de l’Europe.

La surpopulation carcérale se traduit par des cellules bondées et des matelas posés à même le sol. La situation est encore plus insupportable lors des grandes vagues de chaleur dans les quartiers de certains établissements au cours de l’été.

Outre-mer, où les taux d’occupation dépassent les 200 %, la situation est particulièrement dramatique. La surpopulation carcérale porte atteinte aux droits fondamentaux des détenus et rend impossible la mise en place d’un suivi effectif des personnes incarcérées.

Pour faire face à une situation budgétaire tendue, le Gouvernement propose de reporter trois mesures importantes, notamment l’abrogation des juridictions de proximité et la collégialité de l’instruction. Pour cette dernière, le projet de loi de finances pour 2014 avait prévu dix postes supplémentaires, ce qui était largement insuffisant. Aucune création de poste n’est carrément prévue cette année. Enfin, le Gouvernement propose par voie d’amendement de proroger le moratoire sur l’encellulement individuel en maison d’arrêt, lequel est ainsi reporté pour la quatrième fois en quinze ans, après la loi du 15 juin 2000, celle du 12 juin 2003 relative à la lutte contre la violence routière et la loi pénitentiaire du 25 novembre 2009, qui prévoyait un ultime report de cinq ans jusqu’en 2014.

Comme le souligne le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, plus l’encellulement individuel est reporté, moins cette mesure devient crédible. Rappelons que le principe de l’encellulement individuel en maison d’arrêt est inscrit dans notre droit depuis une loi de 1875. Il est donc temps de changer de stratégie et de mettre en oeuvre des alternatives à l’incarcération dans le droit fil de la réforme pénale que nous avons adoptée avec l’instauration de la contrainte pénale.

À ce sujet, je salue la création, comme l’an dernier, de 300 nouveaux postes de conseillers d’insertion et de probation. C’est un effort réel qui représente un rattrapage indispensable et un élément fondamental pour la réussite de la réforme pénale.

Plutôt que de reporter pour la quatrième fois l’encellulement individuel, nous vous suggérons de reprendre la proposition du contrôleur général qui visait à appliquer progressivement cette mesure en établissant des priorités et en prenant par exemple en compte l’état de fragilité de certains détenus. C’est le sens du sous-amendement que je défendrai dans la discussion.

Par ailleurs, le Gouvernement devrait faire preuve de davantage de transparence en nous communiquant davantage de chiffres. J’ai ainsi demandé en commission élargie que la représentation nationale soit informée du nombre de cellules et de leur ventilation en fonction de leur taille et du nombre de places. Il est également dommage que ne nous soient pas communiqués chaque mois le nombre de détenus en surnombre, prison par prison, ni le nombre de détenus dormant sur un matelas à même le sol.

Le taux global d’occupation masque le fait que certaines prisons ne sont pas en état de surpopulation. Par ailleurs, selon le chercheur Pierre-Victor Tournier, 1046 détenus dormaient sur un matelas à même le sol au 1er octobre, soit davantage encore que les autres années à la même époque. Que compte faire le ministère pour mettre fin à cette situation ? Enfin, loin des fantasmes et des déclarations inutilement alarmistes dont certains se sont fait une spécialité concernant l’endoctrinement en milieu pénitentiaire, je m’étonne que le projet de loi de finances pour 2015, contrairement aux deux années passées, ne prévoie aucun poste d’aumônier musulman supplémentaire alors que le déficit d’aumôniers musulmans est problématique, l’islam étant le deuxième culte dans notre pays.

Notre vigilance, madame la ministre, reste entière, surtout dans un contexte où le budget de l’État est très contraint. Il n’en est pas moins vrai, comme l’a rappelé notre collègue Marc Dolez, que nous avons conscience à la fois des progrès accomplis et des changements politiques à apporter pour sortir du tout-carcéral et du tout-répressif, mais aussi de la priorité que représente la justice pour ce Gouvernement. C’est pourquoi, pour la troisième année consécutive, le groupe écologiste votera votre budget.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion