Intervention de Michel Pouzol

Séance en hémicycle du 29 octobre 2014 à 15h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 - projet de loi de finances pour 2015 — Défense

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Pouzol :

Monsieur le président, madame la ministre, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, permettez-moi tout d’abord de me féliciter au nom du groupe SRC de la sanctuarisation des budgets de votre ministère pour les trois années à venir – une décision d’autant plus importante qu’en cette période de réduction de la dette de l’État, faire le choix de la culture n’est pas une évidence partagée par tous.

La loi du 15 novembre 2013 a renforcé l’indépendance des organismes de l’audiovisuel public. En cohérence avec cette réforme, notre majorité a donc souhaité, dans ce budget pour 2015, stabiliser les ressources de l’audiovisuel public et renforcer l’indépendance de ses financements dans un souci constant d’optimisation de la dépense publique.

Les efforts permettront notamment un accompagnement de l’Institut national de l’audiovisuel, l’INA, le soutien d’Arte et de France Médias Monde, ainsi que la tenue des engagements financiers de la France auprès de TV5 Monde. Permettez-moi également de souligner le fait que les budgets du Centre national du cinéma et de l’image animée – le CNC – ont été épargnés de toute ponction supplémentaire cette année, ce qui, en plus d’être une bonne nouvelle, est l’expression d’une promesse tenue. Nous pouvons nous réjouir de ce budget car soutenir l’audiovisuel, c’est soutenir une économie florissante ! Rappelons que les industries culturelles représentent 4 % du PIB et 1,2 million d’emplois, soit 5 % de l’emploi intérieur total français : en cette période de fort chômage, cela n’est pas neutre !

Pourtant, en matière de culture, d’éducation artistique, de diffusion de l’art et de professionnalisation de la création, tout n’est pas qu’une question de moyens, tant s’en faut. Il est de notre devoir de le rappeler : non, les oeuvres de création ne sont pas des produits commerciaux comme les autres, livrés aux seules lois du marché et de la concurrence.

La notion d’exception culturelle à la française ne s’est toutefois pas construite en opposition à un modèle qui aurait eu une définition plus commerciale, mais sur la base d’un certain nombre de convictions. L’une d’elles est l’importance de la culture dans l’idée même d’appartenance à la nation. Oui, notre rapport à la culture est fondateur de notre relation à la République, aujourd’hui comme hier. Et notre vision de l’espace culturel n’est pas liée à la demande, mais bien à l’offre.

Lorsque les révolutionnaires de 1789 décidèrent de créer des musées, ils n’ont pas eu la naïveté de croire que le peuple allait se ruer pour découvrir les toiles de peintres dont ils ignoraient parfois jusqu’à l’existence, mais ils lui ont donné la possibilité de le faire, avec la volonté d’offrir à chacun une nouvelle perspective, de nouveaux horizons.

L’idée n’est donc pas d’offrir à l’individu ce que nous pensons qu’il attend, mais de lui offrir le choix de nouvelles découvertes en dehors des sentiers qu’il a déjà empruntés. C’est le fondement même de notre exception culturelle et du développement de l’éducation artistique qui en est le pendant. Toute réflexion qui viendrait remettre en cause cette volonté fondatrice constituerait un contresens historique.

Et c’est bien là le défi posé par la révolution numérique et par les géants économiques qui en portent le modèle, de Netflix à Amazon en passant par Google et Apple. Eux, clairement, ne se préoccupent pas de l’émancipation, de l’ouverture d’esprit, de la curiosité ou du vagabondage intellectuel du citoyen : leur préoccupation est bien la capture du consommateur.

Notre cinématographie et la plus grande partie de la cinématographie mondiale indépendante auraient cessé d’exister sans une volonté de protéger notre modèle, de le doter d’une spécificité et d’objectifs propres, différents de ceux du secteur commercial.

La libéralisation de la télévision hertzienne et la création de chaînes à péage sont venues renforcer ce système en imposant, en contrepartie de la gratuité des franchises concédées, l’obligation de respecter des règles précises en matière de financement, de diffusion et de diversité du cinéma français et européen. La chronologie des médias est venue renforcer le système de la même façon à l’arrivée de la vidéo et du DVD.

Mais le modèle reste fragile, battu en brèche par les nouvelles technologies, les possibilités d’accès illimitées à l’image, le piratage et les grandes plates-formes internationales de vidéo à la demande. Ce bouleversement n’est pas neutre, ni économiquement, ni d’un point de vue sémantique. Il correspond à un moment où de nombreuses questions se posent sur la stratégie des entreprises publiques audiovisuelles, qu’il s’agisse de France Télévisions ou de Radio France.

Sommes-nous condamnés, par exemple, à constater la lente érosion des audiences de Radio France et le vieillissement de ses auditeurs ? N’y a-t-il pas d’autre modèle pour France Télévisions que celui des groupes privés ? Ne doit-on pas tenir compte du bouleversement de l’environnement, dont nous venons de parler, dans leur développement ?

Les mêmes questions pèsent sur le secteur privé de l’audiovisuel. Netflix, s’il parvenait par son offre à déstabiliser le groupe Canal Plus, premier financeur du cinéma français, provoquerait là encore un séisme tel que l’ensemble du champ culturel s’en trouverait menacé.

Ce changement d’environnement pose naturellement certaines questions quant à l’évolution de notre modèle : quels moyens pour améliorer le système de contribution à la production audiovisuelle ? Les chaînes françaises sont-elles toujours en mesure de remplir leurs obligations de diffusion ? Peuvent-elles encore participer au financement des oeuvres alors même que la part d’audience du cinéma, à force de ne plus être un événement exceptionnel, cède du terrain aux séries ou aux événements sportifs ? Peuvent-elles enfin assumer leurs obligations face à des opérateurs installés dans des pays à fiscalité avantageuse ?

Mais quelle que soit la façon dont on pose le problème, une chose est certaine : toute déstabilisation d’un des acteurs de cette chaîne a des conséquences sur l’ensemble. Remettre à plat le financement de ce secteur ne peut se faire en tournant le dos à nos objectifs initiaux.

Nous devrons construire ensemble des règles communes satisfaisantes pour armer le secteur culturel face à ces changements, en nous appuyant sur les rapports qui existent, que ce soit celui de Pierre Lescure ou celui de Jean-Patrick Gille sur l’intermittence, mais aussi en provoquant de nouveaux débats entre ces acteurs nombreux et aux intérêts divergents.

À nous d’écrire l’acte deux de l’exception culturelle française et ainsi de poser les bases d’une exception culturelle européenne.

Pour conclure, madame la ministre, la sanctuarisation de votre budget pour trois années nous laisse l’opportunité de le faire. J’espère que nous saurons porter ensemble ce flambeau pour que la force de la culture française continue à éclairer notre chemin. Et convenez avec moi, madame la ministre, qu’en ces temps sombres et de fortes inquiétudes, nous avons plus que jamais besoin de cette lumière.

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