Monsieur le président, madame la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, mes chers collègues, depuis qu’elle a été instituée par l’Assemblée constituante le 14 décembre 1789, la commune reste l’échelon de base de notre organisation territoriale et constitue le socle de l’ensemble de l’architecture.
Mais les 36 767 communes sont plus que des collectivités territoriales : chaque citoyen y puise une part importante de son identité, comme en témoigne l’attachement de chacun pour celle où il est né.
Deux cent vingt-cinq ans plus tard, le développement des compétences communales et la concentration de la population sur une part limitée du territoire rendent cet échelon administratif peu adapté à la conduite de réelles politiques publiques. Les trois quarts des communes de France regroupent moins de 1 000 habitants. Nos voisins ont souvent adopté des plans de réorganisation pour fusionner les leurs.
Face à cet émiettement, le développement de l’intercommunalité a pallié le maintien de la carte communale héritée des paroisses de l’Ancien Régime, mais nous arrivons aux limites de l’intégration intercommunale.
Même si les structures intercommunales ont permis de mettre en place des services à la population et des actions de développement inenvisageables à l’échelon d’une commune, la mutualisation des équipements et des moyens reste insuffisante. Il convient donc de renouer avec un mouvement de grande ampleur visant au rapprochement des communes, sur la base du volontariat et de l’expérience du travail en commun.
Rappelons les grands traits du régime de la commune nouvelle, mis en place par la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales. Pour relancer le rapprochement volontaire des communes, le législateur a tiré les leçons de l’échec de la loi du 16 juillet 1971, dite « loi Marcellin ». Malgré les tentatives pour réaliser des fusions à grande échelle, le nombre de communes n’a diminué en soixante ans que de 5,2 %.
Le dispositif Marcellin présentait de réelles difficultés, liées au fait que le régime de fusion-association comprenant la création de communes associées entraînait de plein droit la création de sections électorales correspondant au périmètre des anciennes communes. La présence de majorités divergentes entre les sections provoquait régulièrement des conflits et des blocages au sein des conseils municipaux. Elle affaiblissait la représentation communale.
Enfin, ce sectionnement électoral empêchait souvent les électeurs inscrits dans une commune associée de taille limitée de pouvoir voter pour les listes d’où seraient issus la majorité municipale et, in fine, les candidats à la fonction de maire. À l’initiative de la commission des lois, il a été mis fin à ce sectionnement au printemps 2013, dans le cadre de l’examen du paquet électoral.
La loi de décembre 2010 a remplacé ce dispositif par celui de la commune nouvelle. Cette commune à statut particulier est créée en lieu et place de plusieurs anciennes communes sur la base d’un consensus local exprimé par les conseils municipaux. À défaut de leur accord unanime, la création ne peut être décidée qu’après consultation référendaire. Tous les projets qui ont abouti à ce jour se sont réalisés sur la base de l’accord unanime des conseils municipaux.
En outre, le législateur a spécifiquement prévu la faculté pour des communes membres d’un même établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, de se transformer en commune nouvelle. Dans ce cas, l’EPCI et ses communes membres fusionnent pour créer une seule commune nouvelle.
À titre transitoire, jusqu’aux prochaines élections municipales, le conseil municipal de la commune nouvelle est composé de membres des anciens conseils municipaux et de tous les anciens maires et adjoints. Le préfet est chargé de composer ce conseil municipal, dans la limite d’un effectif de soixante-neuf membres.
Si les anciennes communes ne forment plus de sections électorales, elles peuvent conserver une identité dans le cadre de la mise en place de communes déléguées, sauf si le conseil municipal y renonce dans les six premiers mois de son existence. La commune déléguée dispose de droit d’une mairie annexe, compétente notamment en matière d’état-civil et où pourront continuer d’être célébrés les mariages, et d’un maire délégué, élu par le conseil municipal, qui peut y adjoindre un conseil de la commune déléguée. La plupart des dispositions relatives aux arrondissements de Paris, Marseille et Lyon sont applicables aux communes déléguées.
La commune nouvelle reçoit le montant des dotations perçues l’année précédente par les anciennes communes. Si un EPCI est fusionné au sein de la commune nouvelle, celle-ci conserve le bénéfice de la dotation d’intercommunalité précédemment versée, à titre de dotation de consolidation.
En outre, grâce à une disposition introduite à l’initiative de M. Pélissard, la loi de finances pour 2014 permet aux communes nouvelles créées avant le 1er janvier 2016 et regroupant une population inférieure ou égale à 10 000 habitants, ainsi qu’à toutes les communes nouvelles créées avant mars 2014, de bénéficier d’un montant garanti de dotation globale de fonctionnement pendant trois ans. Elles ne peuvent se voir appliquer, pour les exercices budgétaires 2014 à 2017, la baisse des dotations des collectivités territoriales.
Enfin, sur délibération concordante ou à la demande d’une commune ayant une pression fiscale inférieure de 20 % à celle de la commune la plus imposée, la commune nouvelle peut mettre en place un dispositif d’intégration fiscale progressive.
Le bilan, cependant, reste modeste. En quatre ans, seules treize communes nouvelles, regroupant au total trente-cinq communes, ont été créées. Notons qu’un regroupement a été annulé par le juge administratif et que trois communes nouvelles supplémentaires devraient voir le jour le 1er janvier 2015.
Demain, les communes seront confrontées à un double défi. D’une part, la baisse, pendant trois ans, des dotations budgétaires remettra en question les financements dont elles disposaient jusqu’ici. D’autre part, la remise en chantier de la carte intercommunale prévue par le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République fera disparaître des petites structures intercommunales parfois très intégrées.
Afin de transformer ces défis en occasions d’évoluer et de progresser dans le rapprochement des communes, on peut rendre le régime des communes nouvelles plus attractif en levant certains obstacles institutionnels, financiers, voire psychologiques, qui expliquent les hésitations des élus locaux et des populations.
Quand nous les avons auditionnés, les maires ou représentants de six communes nouvelles ont souligné les difficultés liées à la peur de voir disparaître l’échelon communal, notamment la représentation de chaque commune déléguée au sein du conseil municipal de la commune nouvelle. Ils ont pourtant souligné que cette solution permettait une mutualisation des moyens et des économies sans commune mesure avec celles liées à la mise en place de structures intercommunales. Dès la première année, dans plusieurs communes nouvelles, les frais de fonctionnement ont diminué de 6 % à 8 %, et l’enveloppe consacrée aux indemnités des élus a été réduite de 20 %.
Enfin, les élus ont regretté que le droit existant exclue certains conseillers municipaux, appelés à se prononcer sur la création de la commune nouvelle, dès sa mise en place.
C’est pourquoi les propositions de loi, issues de travaux convergents de M. Pélissard et de votre rapporteure, proposent non de modifier les conditions de création d’une commune nouvelle, mais d’en faciliter la constitution.
Elles visent à améliorer les dispositions organisant les premières années de vie de la commune nouvelle et la place des élus municipaux dans ses institutions. Elles garantissent le maintien d’une identité communale, notamment en matière d’urbanisme et d’architecture. Elles assouplissent les modalités de rattachement à un EPCI à fiscalité propre. Enfin, en proposant un pacte financier, elles garantissent pendant trois ans le niveau des dotations budgétaires des communes qui se lanceraient en 2015 ou 2016 dans la création d’une commune nouvelle regroupant moins de 10 000 habitants, ou de toutes les communes membres d’un EPCI à fiscalité propre.
Dans un premier temps, les propositions de loi améliorent la place des élus dans l’architecture de la commune nouvelle en modifiant les conditions de composition du conseil municipal de la commune nouvelle pendant la période transitoire. Afin que le rôle des maires délégués ne se limite pas au territoire de chaque commune déléguée, elles leur accordent de droit la qualité d’adjoint au maire de la commune nouvelle. Ils pourront ainsi recevoir des délégations couvrant l’ensemble du territoire de la commune nouvelle.
De la même manière, en adoptant un amendement cosigné avec M. Pélissard, elle a également prévu que le premier conseil municipal élu comporterait, pour un seul mandat, quelques membres supplémentaires, afin d’assurer la représentation de toutes les anciennes communes.
Ces évolutions se feront dans le cadre d’une enveloppe des indemnités des élus constante, sans surcoût pour les communes.
Pour garantir que l’identité des anciennes communes sera conservée dans le cadre de la commune nouvelle grâce à la mise en place de communes déléguées, échelon de proximité entre les élus et la population, la commission des lois a prévu que cette mise en place serait automatique, sauf lorsque les communes préexistantes auront préalablement exclu cette solution.
À l’initiative de M. Pélissard, elle a prévu que la modification des limites des départements et des régions, nécessaire à la création d’une commune nouvelle serait de droit, sauf opposition motivée des organes délibérants de ces collectivités territoriales.
Dans un deuxième temps, afin de répondre aux inquiétudes des habitants, les propositions de loi visent à assurer une meilleure prise en compte des spécificités des communes nouvelles en matière d’urbanisme. Ainsi a été offerte la possibilité de faire évoluer les documents d’urbanisme des anciennes communes avant la mise en place d’un document unique et d’introduire des plans de secteur au sein du plan local d’urbanisme pour prendre en compte les spécificités urbanistiques des anciennes communes.
Dans un troisième temps, ces propositions clarifient l’organisation du rattachement de la commune nouvelle à l’EPCI. Lorsque la commune nouvelle est issue de la fusion d’un ou plusieurs EPCI à fiscalité propre et de l’ensemble de leurs communes membres, ainsi que, le cas échéant, de communes isolées, les propositions de loi prévoient de lui laisser un délai de vingt-quatre mois pour décider à quel EPCI elle souhaite adhérer.
Lorsque la commune nouvelle regroupe des communes membres d’EPCI à fiscalité propre distincts, le conseil municipal dispose d’un mois pour choisir celui auquel il souhaite être rattaché.
Dans l’intervalle, les propositions de loi précisent que les règles de la représentation démocratique et les taux d’imposition préexistants continueront de s’appliquer.
Dans le même esprit, le dispositif de lissage des taux d’imposition a été assoupli afin de laisser aux élus la possibilité de décider d’un rythme de convergence plus rapide que les douze ans prévus actuellement.
Enfin, dans un quatrième temps, les dispositions fiscales et budgétaires visent à donner à certaines communes nouvelles une garantie sur le niveau des dotations composant la dotation globale de fonctionnement, voire un complément de ressources, pendant une durée de trois ans.
Elles garantissent le maintien, pendant trois ans, des dotations budgétaires précédemment perçues par les communes nouvelles regroupant moins de 10 000 habitants ou créées à partir d’un EPCI à fiscalité propre. Au-delà de la stabilité des dotations, deux incitations supplémentaires seraient réservées à des cas particuliers, afin d’éviter tout effet d’aubaine.
Mes chers collègues, ces textes ne prétendent pas revenir sur les dispositions de création des communes nouvelles, notamment sur la nécessité d’un volontariat des communes concernées. Cependant, en facilitant la transition et en offrant un pacte financier, ils permettront à beaucoup d’entre elles de sauter le pas vers des communes vivantes, plus fortes, absolument nécessaires pour conserver ce qui fait leur force : la capacité à maintenir sur tous nos territoires le lien social, les liens de solidarité que des services publics efficaces et pertinents permettront de concrétiser. C’est un des fondements de notre vivre-ensemble.
C’est à ce prix que la carte communale pourra évoluer et se mettre en accord avec les réalités locales.