À partir des années quatre-vingt, plusieurs secteurs industriels – notamment la cosmétique, l'agro-industrie et la pharmacie, qui pose des problèmes particuliers – ont développé une pratique contestée : la collecte de ressources naturelles de la planète et de connaissances traditionnelles relatives à leur bon usage, afin de les breveter et de les exploiter commercialement, avec le risque de brevetage du vivant que cela implique. Ces opérations, conduites sans démarches préalables d'autorisation auprès des autorités nationales et sans dispositifs de compensation en faveur des populations locales, constituent essentiellement un transfert de richesse du Sud – réservoir de la majeure partie de la biodiversité mondiale –, vers le Nord, sans compensations monétaires ou non monétaires.
Le protocole de Nagoya, dit « accès et partage des avantages » (APA), rédigé en octobre 2010, lors de la 10e Conférence des parties (CdP) à la Convention sur la diversité biologique (CDB), érige la « biopiraterie » en objet juridique et se donne pour ambition de venir à bout de cette pratique déloyale. Celle-ci étant courante parmi des entreprises françaises – comme L'Oréal, pour n'en citer qu'une –, nous sommes en première ligne.
Il s'agit de subordonner l'utilisation de ressources génétiques à trois conditions : l'obtention du consentement du pays fournisseur préalablement à toute démarche de prospection et de collecte ; le versement de contreparties monétaires ou non monétaires, pouvant donc prendre la forme de redevances financières ou de coopération en recherche et développement ; un réinvestissement d'une partie des bénéfices dans la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité.
Le protocole de Nagoya, s'il ne constitue pas la panacée, est le seul instrument international permettant d'agir contre la biopiraterie ; l'efficacité de sa mise en oeuvre dépendra de la détermination des parties signataires à intégrer dans leur droit des dispositions contraignantes pour les utilisateurs ressortissants de leur juridiction.
Les experts que nous avons auditionnés à leur retour de la 11e CdP d'Hyderabad ont insisté sur la spécificité de la France, pays à la fois « fournisseur » et « utilisateur » de ressources génétiques, ce qui la place dans une situation particulière.
Signé par l'Union européenne, le 23 juin 2011, ainsi que par vingt-quatre de ses États membres – dont la France, le 20 septembre 2011 –, le protocole n'a encore été ratifié par aucun pays de notre continent.
Le Mexique et l'Inde figurent en revanche parmi les huit pays l'ayant déjà ratifié. Ces gros fournisseurs de ressources génétiques et de savoirs traditionnels se protègent déjà par des lois nationales bien plus radicales que les mesures proposées par le protocole de Nagoya. Ainsi, plus nous tardons à interroger ce protocole et à le ratifier, plus nous laissons aux pays fournisseurs le loisir de bloquer les activités de nos entreprises utilisatrices, qui s'en inquiètent et nous demandent d'agir rapidement.
Ce rapport d'information a été élaboré au terme d'un court cycle d'auditions car nous avons estimé qu'il était urgent de nous pencher sur les propositions de la Commission européenne. Celles-ci risquent en effet d'être examinées au pas de course : la rapporteure de la Commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire, saisie au fond, pourrait rendre un premier rapport en février, en vue d'un vote en juin.
Notre objectif doit être de convaincre le Gouvernement que le protocole de Nagoya peut être ratifié en France, comme dans les autres États membres, sans attendre que l'Union européenne ait pris sa décision.
Nous devons aussi avoir le souci d'améliorer le contenu de la proposition de règlement, non seulement pour protéger efficacement les droits des pays du Sud et de leurs populations autochtones, mais aussi au regard de la situation spécifique de la France. Grâce à nos territoires ultra-marins, nous avons la chance – comme l'Espagne et le Portugal, dans une moindre mesure – d'être à la fois pays fournisseur et utilisateur, ce qui doit nous conduire à imaginer des propositions pilotes plus fortes et innovantes que les mesures en passe d'être adoptées au niveau européen.
Il convient de maintenir la digue contre la brevetabilité du vivant et l'appropriation du capital intellectuel des peuples autochtones. Notre vigilance peut contribuer à aider les populations concernées et à défendre la biodiversité.
Cette proposition de règlement n'enfreint nullement le principe de subsidiarité puisque chaque État membre gardera sa capacité à organiser l'accès à ses ressources génétiques propres.
Il serait utile de renforcer les mesures et les contrôles permettant d'assurer la traçabilité de la façon dont ont été collectées des ressources génétiques à l'étranger, afin qu'ils ne soient pas moins-disants par rapport à l'article 17 du protocole de Nagoya.
Je vous propose aussi de préconiser le remplacement de certaines formules alambiquées, dans l'article 5, alinéa 3, de la proposition de règlement, afin de rendre la rédaction plus injonctive.
Il serait intéressant que la France, dans ses départements et collectivités ultramarins, entreprenne des expérimentations administratives, destinées par la suite à être généralisées, visant à mieux associer les communautés autochtones aux processus de consultation et de décision sur les questions les concernant directement.
Enfin, la Commission européenne, sur ce dossier comme sur bien d'autres, prétend que des « bonnes pratiques » suffiront. Or chacun sait qu'elles n'engagent que les convaincus ; pour les autres, elles ne changent pas grand-chose…
À travers ce rapport d'étape, nous manifesterons notre intérêt vis-à-vis de ce sujet – sachant que d'autres États membres, exclusivement utilisateurs de ressources génétiques, y sont beaucoup moins sensibles que la France – ainsi que notre volonté de soutenir le travail engagé par les députés européens pour renforcer et clarifier la proposition de la Commission européenne.