Commission des affaires européennes

Réunion du 13 novembre 2012 à 16h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • brevet
  • erasmus
  • unitaire

La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 13 novembre 2012

Présidence de Mme Marietta Karamanli, Vice-présidente, puis de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 16 h 30

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J'ai souhaité aujourd'hui faire une communication d'étape sur Erasmus devant votre commission, compte tenu à la fois des difficiles négociations budgétaires en cours et de l'importance même de ce programme, comme des propositions de réformes avancées par la Commission européenne.

L'auberge espagnole, le film de Cédric Klapich, succès populaire, et néanmoins vecteur d'une démocratisation d'Erasmus, risque de n'être plus qu'un souvenir pour étudiants nostalgiques, si le Comité de conciliation entre le Parlement et le Conseil ne trouve pas de consensus pour accorder une rallonge budgétaire aux 90 millions d'euros manquants pour financer les programmes des années 2012 et 2013.

Quant au projet de règlement instituant Erasmus pour tous, qui doit être voté en Commission culture du Parlement européen, le 26 novembre, il risque de ressembler davantage aux Poupées russes, si les propositions de la rapporteure Mme Doris Pack sont suivies par la Commission, à savoir un redécoupage de l'ensemble des programmes à l'intérieur d'une enveloppe globale, sans que pour autant, l'ensemble du programme paraisse identifiable à travers le nouveau vocable suggéré « Yes Europe » pour Youth, Education and Sport. Le nouveau programme, pour 2014-2020, agrège, en effet, aux différents programmes pour l'éducation, Erasmus, Comenius, Grundtvig et Leonardo da Vinci, un programme spécifique pour la jeunesse ainsi qu'un programme spécifique pour le sport.

L'éducation, comme vous le savez, n'est ni une compétence exclusive de l'Union européenne, ni une compétence partagée, mais, aux termes du Traité, une compétence d'appui. Cette précision juridique et sémantique n'est en rien anodine. Elle met en exergue deux éléments : tout d'abord en cas d'assèchement budgétaire des financements en provenance de l'Union européenne, les agences nationales des différents Etats membres pourraient suppléer l'Union européenne, temporairement, pour financer ces programmes. Deuxièmement, l'action de l'Union dans ce domaine est possible, mais elle n'est pas véritablement obligatoire.

Dans le cas qui nous préoccupe, la pérennité du financement des programmes Erasmus pour l'année 2012 et pour l'année 2013, et le vote de crédits substantiels pour le projet de règlement Erasmus pour tous, programme de financement pluriannuel pour 2014-2020, n'est dès lors, en rien assuré, et repose clairement sur la volonté des Etats membres, en situation de crise financière et budgétaire, d'accepter une rallonge budgétaire pour financer les engagements qu'ils ont voté en 2006, et de ne pas obérer l'avenir en ce qui concerne les perspectives financières pour 2014-2020.

Dit autrement : le risque d'une renationalisation de la politique d'éducation, de la mobilité dans l'enseignement supérieur, de la mobilité des travailleurs européens est clairement à redouter. Ce sont bien des interlocuteurs inquiets que nous avons rencontrés lors des auditions que nous avons menées en amont de cette communication.

Ces inquiétudes pourtant ne sauraient s'expliquer. La stratégie « Europe 2020 » fait de la mobilité des travailleurs ainsi que de l'acquisition d'un haut niveau de qualification une des clés d'une croissance durable. Il semble dès lors paradoxal que les programmes Erasmus, par là nous entendons par souci de simplification sémantique, l'ensemble des programmes relatifs à l'éducation, répondant parfaitement aux objectifs d'une stratégie ayant été définie au plus haut niveau, soient l'objet de marchandages, sur des montants relativement peu élevés, alors qu'ils représentent un pourcentage relativement faible eu égard à l'ensemble du budget européen.

En effet, les programmes relatifs à l'éducation et à la mobilité ne répondent pas uniquement aux préoccupations légitimes consistant à assurer une « croissance intelligente, inclusive et durable », ils permettent également la fondation d'une identité et d'une citoyenneté européennes.

A ce titre, l'objectif d'une démocratisation des programmes Erasmus s'avère donc plus qu'essentielle, outre le respect du principe d'égalité inhérent à toute tentative de démocratisation, dans la mesure où il innerve la possibilité pour chaque citoyen européen par la mobilité professionnelle, lors de ces études, ou à n'importe quel autre moment de sa vie, d'aller à la rencontre d'autres citoyens européens pour une période plus ou moins longue.

Le projet de règlement Erasmus pour tous répond partiellement à cet objectif à travers trois dispositifs :

– une enveloppe globale consacrée à l'éducation, à la possibilité d' d'offrir à tous les âges de la vie, une mobilité professionnelle au sein de l'espace communautaire, sans distinction de programmes, sous différentes formes et durées, d'où le choix du vocable « Erasmus pour tous » ;

– la mise en place d'un dispositif destiné à élargir le financement de la mobilité, sous une forme autre que celle des bourses allouées aux étudiants, par un mécanisme de prêts, pour la préparation d'un master sur une ou deux années ;

– une augmentation du budget destiné à financer ces programmes pour les années 2014-2020, à hauteur de 70 %.

La Commission envisage de favoriser la mobilité de 5 millions de personnes d'ici 2020, à comparer à l'estimation de 2,8 millions de bénéficiaires du programme 2007-2013. Le programme pour 2014-2020 prévoit 19,1 milliards d'euros dont 63 % devrait être attribués à l'action clé (mobilité des individus à des fins d'apprentissage).

La démocratisation des programmes Erasmus, essentielle pour construire une Europe politiquement et économiquement forte, ne saurait se réduire à ces trois seuls dispositifs, elle sera développée dans le projet de rapport qui sera présenté ultérieurement devant votre commission.

Pour l'heure, dans le cadre de cette communication d'étape, il s'agit de répondre aux risques que les dissensions sur le texte en discussion font porter à ce dispositif.

En premier lieu le nom. Imagine-t-on sérieusement que le vocable « Yes Europe » puisse évoquer pour les citoyens européens le programme phare de la mobilité européenne ? Qu'en est-il dès lors de la sauvegarde du multilinguisme lorsque l'on choisit un acronyme anglais qui n'a de signification et de portée que dans la langue anglaise ?

“What's in a name? that which we call a rose By any other name would smell as sweet1” car contrairement aux vers de Juliet dans Romeo and Juliet, ce n'est pas le contenu qui importe lorsque le nom ne permet plus d'identifier ce même contenu !

Erasme ne représente-t-il pas, en effet, l'émergence, dès la Renaissance, d'une identité européenne comme aime à le rappeler Stephan Zweig dans l'excellente biographie qu'il lui a consacré ? Et l'expression “pour tous”, l'enjeu d'un programme qui souhaite s'adresser non plus aux seuls étudiants mais à l'ensemble des citoyens européens, à tous les âges de la vie ? Dans la crise de confiance que traverse actuellement l'Europe, il y aurait trop à perdre à sacrifier au symbolisme que le terme “Erasmus pour tous” représente, car outre la démocratisation, la mobilité, ce sont également les valeurs humanistes d'un des premiers pionniers de la République des Lettres qu'Erasme incarne.

Par ailleurs, il importe pour des raisons budgétaires que la globalisation de l'enveloppe demeure à condition de séparer les programmes Jeunesse et Sport adjacents au programme Education proprement dit. Une fongibilité des crédits au sein de ce même programme serait néanmoins bienvenue pour permettre une plus grande flexibilité dans l'attribution des bourses en fonction de la demande si un pourcentage de répartition de l'enveloppe globale était garanti a minima. Le volume global, celui demandé par la Commission, doit être soutenu afin de répondre aux objectifs de démocratisation du programme et à ceux d'une Europe de la connaissance fondée sur “une croissance durable, intelligente et inclusive” telle que définie par la stratégie Europe 2020. Ce ne sont pas les programmes assurant la cohésion sociale et l'identité européenne qui doivent faire l'objet de coupes sombres !

Les incertitudes de financement des programmes actuels mettent bien en évidence l'asymétrie de situations au sein de l'Union. Les agences nationales peuvent sur leurs fonds propres, temporairement, mais également avec l'aide des Etats membres, assurer le financement des bourses pour l'année en cours. Mais cela dépend de deux facteurs, les fonds propres des agences, mais également la volonté des Etats membres, au regard des objectifs nationaux d'assurer ce financement supplémentaire.

Selon les chiffres de la DG Culture ce sont les agences nationales suivantes qui ont demandé une rallonge budgétaire que la Commission, du fait du déficit de 2012, ne peut pas leur fournir : l'Allemagne (32 millions d'euros), l'Autriche (6,3 millions d'euros), la Belgique, communauté française (3 millions d'euros), la Belgique, communauté flamande (4 millions d'euros), l'Estonie (2,75 millions d'euros), l'Irlande (2,2 millions d'euros), la Lituanie (4,3 millions d'euros), la Pologne (29,5 millions d'euros), la République slovaque (5 millions d'euros), la République tchèque (7 millions d'euros), le Royaume-Uni (19 millions d'euros) et la Slovénie (2,7 millions d'euros). D'ici la fin de l'année d'autres demandes devraient venir pour un montant total de 100 millions d'euros, de la Lettonie, de la Suède, de la Belgique (communauté germanophone), du Danemark, de Malte, de la France, de la Croatie, de la Hongrie, des Pays-Bas, de la Suisse, de la Norvège, de la Roumanie et de la Grèce.

Dernier point : la création d'un mécanisme de prêt garantissant le financement d'une à deux années de master dans une université européenne partenaire. La Commission a bien précisé que ce mécanisme de prêt n'était destiné qu'aux seuls étudiants de master et ne devait en aucune manière remplacer les bourses existantes. C'est une novation s'adressant aux étudiants ne pouvant financer sur leurs fonds propres leur mobilité, non éligibles aux autres programmes, et souhaitant néanmoins effectuer une mobilité universitaire. La garantie qui leur est offerte n'est pas négligeable à condition que les seuls critères académiques soient pris en compte, quels que soient l'origine sociale des étudiants ou le cursus envisagé. Y renoncer serait préjudiciable à une possibilité d'élargissement du programme Erasmus. Néanmoins ces garanties doivent figurer dans le texte adopté de même que le caractère exceptionnel de ce dispositif qui n'a pour objectif de remplacer dans les autres programmes les bourses existantes.

Je terminerai par une citation extraite de l'Eloge de la Folie2 : “La fortune aime les gens peu sensés ; elle aime les audacieux et ceux qui ne craignent pas de dire: « Le sort en est jeté ». La sagesse, au contraire, rend timide.”

Soyons donc audacieux en soutenant un financement d'envergure des programmes Erasmus au moment où nous célébrons les 25 ans de leur création !

En attendant que notre commission se prononce sur le rapport «la démocratisation d'Erasmus» que je présenterai ultérieurement, je vous propose d'adopter les conclusions d'étape suivantes.

« La Commission des affaires européennes,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 6, 9 et notamment les articles 165 et 166 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu la décision no 17202006CE du Parlement européen et du Conseil du 15 novembre 2006 établissant le programme d'action « Education et formation tout au long de la vie »,

Vu la décision no 12982008CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 établissant le programme d'action « Erasmus Mundus »,

Vu les conclusions du Conseil de l'Union européenne du 12 mai 2009 appelant à la mise en place d'un cadre stratégique pour la coopération européenne dans le domaine de l'éducation et de la formation (Education et Formation 2020),

Vu la communication de la Commission du 29 juin 2011 intitulée «Un budget pour l'Europe » recommandant un programme unique dans le domaine de l'éducation, de la formation, de la jeunesse et du sport,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil (COM no 7882011 du 23 novembre 2011) établissant « Erasmus pour tous » le programme de l'Union européenne pour l'éducation, la formation, la jeunesse et le sport,

Vu la position adoptée par le Conseil le 11 mai 2012,

1. Rappelle que l'Union européenne et les Etats membres doivent assurer un niveau élevé d'éducation et de formation professionnelle, tout au long de la vie, conformément aux objectifs de la stratégie Europe 2020, afin de promouvoir « une croissance intelligente, durable et inclusive».

2. Rappelle également que pour assurer les objectifs de plein emploi, et la réalisation effective du marché intérieur, l'Union européenne et les Etats membres doivent favoriser la mobilité professionnelle des travailleurs européens, notamment à travers une reconnaissance des diplômes et des compétences professionnelles entre les Etats membres.

3. Précise que les programmes Erasmus, Comenius, Grundtvig et Leonardo da Vinci ont rencontré un succès confirmé dans la durée et participent autant à la construction d'une identité européenne, et à la mobilité des travailleurs européens qu'à une meilleure employabilité de ceux-ci au sein de l'espace communautaire.

4. Demande la levée de l'incertitude sur le financement de ces programmes pour les années 2012 et 2013 afin que :

- l'Union européenne respecte ses engagements conformément aux dispositions du programme 2007-2013 qu'elle a voté,

- les conditions d'une mobilité effective des étudiants et des travailleurs dans l'espace communautaire soient garanties pour réaliser les objectifs prévus dans ce domaine par la Stratégie Europe 2020,

- le principe d'égalité entre les Etats membres soit maintenu au sein de l'espace communautaire, certaines agences nationales ne pouvant pas, notamment du fait de la crise budgétaire actuelle, suppléer l'Union européenne en cas de difficultés de paiement.

5. Rappelle que le projet de règlement établissant « Erasmus pour tous », actuellement en discussion, prévoit une fusion de l'ensemble des programmes susmentionnés dans une même enveloppe, à laquelle s'ajoute également un programme relatif à la jeunesse et un programme relatif au sport.

6. Demande à ce que l'ensemble des programmes destinés à la mobilité étudiante et professionnelle soient fléchés au sein d'une même enveloppe budgétaire, distincte de celle finançant la jeunesse et de celle finançant le sport.

7. Soutient la position de la France au sein du Conseil en faveur du maintien du nom de ce programme sous le vocable « Erasmus pour tous », seul à même d'identifier précisément auprès des citoyens européens le contenu de celui-ci et également de respecter le multilinguisme.

8. Soutient le principe de la création d'un mécanisme de prêt pour financer les mobilités étudiantes dans le cadre d'un master, à condition que la Commission européenne apporte des garanties quant au fonctionnement de cette nouvelle possibilité financière, notamment en ce qui concerne l'égal accès des citoyens européens à ce financement sur la base exclusive de critères académiques objectifs.

9. Soutient le principe d'une démocratisation des programmes Erasmus, tant dans l'accessibilité à ces programmes et le principe d'une formation toute la vie, que dans leurs contenus et une plus grande diversité de l'offre offerte auprès de l'ensemble des catégories de citoyens européens.

10. Demande à ce que l'enveloppe budgétaire prévue par la Commission européenne pour le programme « Erasmus pour tous » sur la période 2014-2020 soit adoptée au niveau proposé.

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Après l'éloge de la folie, on pourrait parler du Traité de l'insolence ! Erasmus devrait être appliqué à certains dirigeants européens afin qu'ils puissent comprendre la culture des peuples européens. Quand Mme Merkel se rend au Portugal, il aurait sans doute été nécessaire qu'elle apprenne à connaître les autres. Je partage tout à fait les propositions de la rapporteure. Erasmus est un système qui incite les jeunes à bouger. Cela ne peut être que bénéfique d'autant que lorsque l'on revient, on s'aperçoit parfois que les conditions ne sont en définitive par si mauvaises dans notre pays

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Je partage les analyses de la rapporteure. Erasmus est en effet un exemple pour les citoyens européens et permet d'ancrer l'Europe dans les mentalités. S'agissant du financement, je regrette que le problème ne soit pas résolu. Il serait souhaitable que dans le rapport définitif, soit abordée la question de la contribution des collectivités territoriales dans l'ensemble des États membres . Elles sont en effet sollicitées et contribuent au financement du dispositif. Elles pourraient participer à son extension.

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Nous avons effectivement posé à l'agence 2E2F la question de la contribution des régions au financement du programme et à l'accompagnement des jeunes. S'agissant des niveaux de financement, il existe une grande disparité entre les régions. Ainsi la région Aquitaine finance onze programmes de ce type. En tout état de cause, je traiterai de la question dans le cadre de mon rapport.

Les conclusions proposées ont été adoptées à l'unanimité.

La Présidente Danielle Auroi remplace Mme Mariette Karamanli à la présidence de la réunion.

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Un brevet est un titre de propriété qui confère à son titulaire ou à quiconque détient une licence le droit d'exploiter une invention sur un territoire donné. Mais c'est aussi un outil de politique anti-concurrentielle, notamment avec la technique des brevets « en grappe », souvent pratiquée par les Américains.

Un brevet est constitué de revendications, à savoir deux ou trois pages expliquant en quoi consiste l'invention, puis d'une description, qui permet à l'homme de l'art de suivre la démonstration technique. La description s'étalant parfois sur cent ou cent cinquante pages, des efforts magistraux sont nécessaires pour comprendre de quoi il s'agit, surtout quand elle est rédigée dans une langue étrangère.

Il existe aujourd'hui deux types de brevets : le brevet national ; le brevet dit « européen », mis en place par la Convention de Munich et placé sous la responsabilité de l'Office européen des brevets (OEB). Il s'agit en réalité d'une sorte de faisceau de brevets nationaux permettant à l'inventeur de désigner les États dans lesquels il souhaite voir protéger ses droits, parmi trente-huit pays européens, dont les vingt-sept de l'Union européenne. Ce brevet européen fonctionne bien : 250 000 demandes sont instruites chaque année par l'OEB, qui accomplit un travail de qualité, reconnu au plan mondial.

Un autre accord international, le Patent Cooperation Treaty (PCT, ou Traité de coopération en matière de brevet), placé sous la responsabilité de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), permet d'étendre le brevet national ou européen à d'autres pays du monde, voire au monde entier.

Les Européens ont longtemps désiré instituer un brevet dit « communautaire » mais ce fut toujours un échec. Il s'agit aujourd'hui de créer un brevet dit « à effet unitaire », avec une construction juridique intéressante. Ce titre serait reconnu en bloc dans l'ensemble des États de l'Union européenne. La description serait rédigée dans l'une des trois langues de travail de l'OEB – l'anglais, le français et l'allemand –, les seules revendications étant traduites dans les deux autres langues, et la protection de la propriété industrielle serait uniforme, ce qui entraînerait une simplification des procédures de validation et une baisse des frais de traduction, de rémunération des intervenants et d'enregistrement des transferts de licences.

Le projet a buté sur un problème majeur : au terme de tractations assez rudes, l'Italie et l'Espagne ont refusé le projet, au nom de la défense de leurs langues. Deux États, et non des moindres, restent donc sur le côté. Il fallait bien avancer mais c'est un point très sensible, avec lequel il ne faut pas jouer et sur lequel je souhaite insister. L'Italie et l'Espagne ont d'ailleurs saisi la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) pour contester le principe de cette coopération renforcée – qui doit répondre aux règles définies aux articles 326 à 334 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. J'ai moi-même des interrogations car le véhicule juridique retenu est un hybride – mais les bâtards sont parfois les créatures vivant le plus longtemps et la perfection, dans ce domaine, est sans doute illusoire.

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En effet !

L'article 118, qui fonde le projet, dispose que « le Parlement européen et le Conseil […] établissent les mesures relatives à la création de titres européens pour assurer une protection uniforme des droits de propriété intellectuelle dans l'Union », alors que vingt-cinq États membres seulement sont ici concernés. La Cour tranchera dans les premiers mois de 2013.

Le paquet est constitué de deux règlements. Le premier est relatif au régime linguistique. Le second, qui porte sur la création du brevet à effet unitaire, renvoie à l'article 142 de la Convention de Munich, consacré aux brevets dits « européens », et reprend tout le processus de délivrance du brevet européen tel qu'il est bâti dans ladite Convention. Le brevet unitaire sera donc un titre de l'Union européenne mais s'appuiera sur les dispositions de la Convention de Munich, ce qui est assez intelligent.

Dans une vie antérieure, j'avais essayé de porter sur les fonts baptismaux le brevet dit « communautaire ». Il s'agissait, par convention, de créer un titre s'appliquant dans le strict champ du droit communautaire ; cette usine à gaz n'a jamais pu marcher.

J'ajoute que l'entrée en vigueur des deux règlements est subordonnée à la signature puis à l'adoption d'un accord international à vingt-cinq, qui devra être approuvé, pour ce qui concerne la France, conformément aux articles 52 et suivants de la Constitution.

Ce projet résulte donc d'une imbrication entre droit international public et droit communautaire.

La négociation entre les vingt-cinq États concernés a été extrêmement dure. Le dernier rebondissement s'est produit lorsque le Royaume-Uni a exigé d'extraire du règlement créant le brevet à effet unitaire ses articles 6 à 8, afin d'ôter à la Cour de justice sa capacité à juger du champ de la brevetabilité. Cette ultime modification ne me semble pas poser de problème, dès lors que l'accord international prévoit que toute question préjudicielle de droit européen sera renvoyée à la Cour de justice ; ses prérogatives seront donc préservées.

L'avant-dernière mouture de l'accord international adoptée par le Conseil, qui ne respectait pas ce principe, a justement été censurée par la Cour de justice, qui a réagi « comme une belle-mère », nous a-t-on indiqué, avec un humour suave, à la Commission européenne : la Cour a jugé illégal le dispositif prévu, au regard des obligations incombant aux États, au titre des traités de Rome et suivants, pour faire respecter le corpus des règles communautaires. Cette logique juridique est implacable.

Rappelons au passage une jurisprudence très ancienne de la Cour : elle reconnaît les titres nationaux créateurs de droits de propriété, puisque, en vertu de l'article 345 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le régime de la propriété relève du droit national, même s'il doit respecter les règles communautaires comme la libre circulation des produits, la libre concurrence et la non-discrimination. C'est d'ailleurs sur cette base que Mitterrand a fondé les nationalisations de 1981.

Nous arrivons là au bout du processus, avec, semble-t-il, un accord en train de se dessiner au Conseil. Les textes devraient entrer en vigueur au cours de l'année 2013.

Mais je ne vous cache pas qu'il s'agit d'abord, selon moi, d'un brevet politique, car le système en vigueur aujourd'hui répond à 95 % des besoins. Le nouveau titre permettra toutefois de compléter la boîte à outils, avec un brevet national, un brevet protégeant les droits de propriété industrielle dans quelques États et un brevet à effet unitaire, protecteur dans vingt-cinq pays.

Mais une dernière hypothèque reste à lever : le brevet à effet unitaire devra être compétitif en termes de coût, ce dont je suis beaucoup moins certain.

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Nous sommes donc en phase ; je suis même parvenue à convaincre Jacques Myard de l'intérêt des nationalisations…

La question du brevet unitaire est ancienne, les négociations ont été assez longues et difficiles. La Commission des affaires européennes a d'ailleurs déjà eu l'occasion d'évoquer la question au travers de deux communications de notre collègue Philippe Cochet, en mars 2011 puis en février 2012.

Les deux propositions de règlement étudiées dans cette seconde communication n'étant toujours pas adoptées, il nous a paru intéressant de nous repencher sur la question afin de produire un rapport d'information approfondi, au terme d'une série d'auditions, à Paris et à Bruxelles.

Au-delà des péripéties survenues et des discussions encore en cours, il nous semble important de faire savoir aux négociateurs français que ce projet de brevet européen à effet unitaire garde tout son intérêt pour l'Europe comme pour la France.

D'abord, ce dispositif constituera une incitation forte en faveur de l'innovation industrielle et un facteur de diffusion de la connaissance scientifique et technique, ce qui, dans un contexte de globalisation et de crise économique aggravée, n'est pas neutre pour l'Union européenne. Pour nos pays comme pour l'Union en général – on en a beaucoup parlé la semaine dernière –, il est nécessaire d'améliorer la compétitivité, en l'occurrence la compétitivité hors prix, en renforçant l'arsenal législatif européen.

S'agissant de la France, nous avons été collectivement sensibles aux négociations entre États participants. D'abord, le système proposé préserve le français comme langue de référence, avec l'anglais et l'allemand, conformément à la Convention de Munich, ce qui est important pour le poids économique de notre pays. En outre, une juridiction unifiée traitera les litiges de façon uniforme, avec une décision de justice unique, alors que, précédemment, il était nécessaire d'intenter des procès dans autant de pays que nécessaire pour faire valoir ses droits de propriété industrielle. Or Paris a été choisie comme siège de la cour centrale de cette future juridiction ainsi que comme siège de la présidence et son premier président sera français. Des sections décentralisées seront certes implantées à Munich et à Londres mais le choix de Paris comme siège est déterminant.

Cela constitue d'ailleurs un juste retour des choses, la France s'étant toujours montrée particulièrement active sur les projets successifs de brevet communautaire puis unitaire. Elle a aussi joué un rôle particulier dans le déclenchement de la coopération renforcée, à douze dans un premier temps, à vingt-cinq aujourd'hui.

Le ministre délégué chargé des affaires européennes, Bernard Cazeneuve, au conseil compétitivité de mai 2012, a encore rappelé l'intérêt de ce brevet et la nécessité de le faire réussir, ce qui dépend de deux conditions : il doit faire la démonstration de sa simplicité, ce qui semble acquis, mais aussi de ses avantages en termes de coût pour les inventeurs, sujet qu'il reste à travailler et sur lequel nous devons encourager les négociateurs français et européens à apporter des garanties. En tout cas, le développement de la traduction automatique, de ce point de vue, constitue un atout.

J'en arrive aux conclusions que nous vous proposons d'adopter.

Nous pensons que les orientations générales de ce « paquet européen à effet unitaire », malgré les soubresauts récents, notamment les dissensions entre le Conseil et le Parlement européen, vont dans le bon sens pour l'innovation et la connaissance dans l'Union européenne.

Il importe de continuer à travailler sur la question des coûts, afin qu'ils soient aussi peu pénalisants que possible pour les inventeurs et par conséquents attractifs, particulièrement pour les petites et moyennes entreprises, qui rencontrent aujourd'hui le plus de difficultés pour protéger leurs droits de propriété industrielle.

Il conviendra de veiller à ce que la future juridiction centrale – dotée d'une architecture complexe et néanmoins pertinente, avec cet éclatement en trois localisations – rende des décisions de justice de qualité afin d'assurer la sécurité juridique du système, ce qui contribuera aussi à ce que les inventeurs, dans l'avenir, optent pour le brevet à effet unitaire plutôt que pour le brevet national ou européen.

Pour notre part, après les auditions que nous avons menées, il ne nous semble pas dérangeant de renvoyer à l'accord international les articles 6 à 8, qui font l'objet de la divergence de vues entre le Conseil et le Parlement européen. En effet, les textes dont il est question aujourd'hui ne touchent pas au champ de la brevetabilité défini par les réglementations nationales et européennes, qu'il soit satisfaisant ou non pour les uns et les autres.

Il reste quelques obstacles à lever mais nous espérons qu'un compromis pourra être trouvé rapidement, pour des raisons politiques – qui concernent notamment le commissaire français, chargé du marché intérieur et des services – mais aussi économiques, car les entreprises européennes en général et les PME françaises en particulier ont à en espérer des gains de compétitivité.

Nous espérons aussi, une fois les propositions de règlement adoptées et l'accord international signé, que la France pèsera de tout son poids pour enclencher le processus de ratification dans les différents États membres. Il serait bon qu'elle soit l'un des premiers pays à approuver ce texte, dont la Commission des affaires étrangères pourra s'emparer quand il aura été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale.

Enfin, parce que nous sommes profondément Européens, nous souhaitons que l'Italie et l'Espagne, même si elles ont choisi de se tenir à l'écart du jeu de la coopération renforcée, rejoignent à court ou moyen terme le dispositif du brevet européen à effet unitaire. Cela irait dans le sens de l'Europe.

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Votre duo de co-rapporteurs s'est montré extrêmement efficace. Je vous remercie pour votre exposé très clair et très complet. Je trouve plutôt rassurante la proposition qui est sur la table, notamment en ce qui concerne le maintien de l'interdiction de la brevetabilité du vivant.

J'ai néanmoins une petite question complémentaire à vous poser, qui porte sur l'efficacité du logiciel de traduction automatique développé par l'OEB. Les logiciels de ce type proposent en effet parfois des traductions sympathiques mais pas tout à fait adaptées. Ainsi, lorsque j'étais députée européenne, dans le cadre d'un travail sur la protection des animaux et les modalités d'abattage, le logiciel de traduction automatique utilisé avait transformé « abattoirs itinérants » en « petites tueries locales » !

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Ce brevet unitaire européen, dont on parlait depuis longtemps, représente une avancée certaine : il aidera avant tout les PME à mieux se protéger et à innover, grâce à la diminution des coûts de traduction et de validation.

L'OEB, dont les examinateurs accomplissent un travail formidable, restera-t-il une agence indépendante gouvernée par le Traité de Munich ou est-il question que l'Union européenne en prenne le contrôle ?

Quelles sont les perspectives d'entrée de l'Italie et de l'Espagne dans le système, à court ou moyen terme ? Des discussions sont-elles en cours à ce sujet ?

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La qualité de la traduction automatique progresse et l'OEB s'en sert de plus en plus.

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Elle est déjà opérationnelle dans quatorze langues. Et l'Office – en coopération avec une entreprise bien connue du secteur Internet… – travaille à améliorer encore le système, spécifiquement adapté aux brevets. Du point de vue de l'OEB et des entreprises utilisatrices, ce logiciel est de plus en plus satisfaisant : les traductions, quoique imparfaites, sont de plus en plus compréhensibles et exploitables par les entreprises.

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L'important, pour un utilisateur, est de pouvoir accéder à la description dans sa propre langue ; cela favorise la diffusion des connaissances.

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La proposition législative, telle qu'elle est formulée, prévoit une période transitoire, pouvant courir de six à douze ans, durant laquelle l'anglais restera obligatoire. La fin de cette période transitoire sera précisément subordonnée à l'efficacité de la traduction automatique.

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Pour ce qui concerne les PME, à titre personnel, j'ai un doute. Le problème, ce n'est pas la traduction, ce sont les redevances, car l'enregistrement d'un brevet unitaire entraînera l'obligation de rémunérer les offices nationaux, qui font bénéficier les entreprises locales de leur savoir-faire. Il n'est donc pas certain que ce brevet « holistique » sera la panacée ; des brevets nationaux seront sans doute toujours demandés.

Il ne faut pas toucher au champ de la brevetabilité. Pour ce qui concerne la brevetabilité des logiciels, en particulier, la prudence s'impose : l'autoriser donnerait un avantage déterminant aux États-Unis et mettrait l'industrie européenne en coupe réglée !

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L'OEB fait l'unanimité en sa faveur. Le fait qu'il reste au coeur du dispositif incite à l'optimisme. Il n'est pas envisagé qu'il se transforme en une agence de l'Union européenne. L'accord international prévoit la constitution, au sein du conseil d'administration de l'OEB, d'un comité restreint, réunissant les vingt-cinq États participants, chargé notamment de la fixation du montant des redevances.

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Il a été intelligent de partir de l'acquis de la Convention de Munich, sans monter une usine à gaz avec un brevet dit « communautaire ».

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Quant à l'Italie et à l'Espagne, le problème est d'ordre linguistique. Elles ont déposé un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne, ce qui n'est pas de bon augure pour leur coopération… Nous n'en savons pas plus. Il n'en demeure pas moins que, du point de vue économique, il pourra être avantageux, pour ces deux États, de rejoindre le système à un moment ou un autre.

Paradoxalement, le fait qu'ils n'y soient pas intégrés actuellement facilite les négociations financières entre les trois pays principaux et les plus petits, qui comptent bénéficier de retombées de la part de l'OEB.

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Je ferai une dernière remarque incidente. À Bruxelles, dans les nombreux immeubles de la Commission européenne où nous nous sommes rendus, tous les visuels étaient en anglais. Pour l'anecdote, au Conseil européen de la recherche, il n'y avait qu'une exception, une affiche rédigée en français, que voici : « N'encouragez pas le vol ! » C'est inadmissible ! Nous devons absolument nous saisir de ce problème !

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Ce n'est pas nouveau mais je suis tout à fait d'accord. Nous devons lutter ensemble pour promouvoir l'utilisation de la langue française !

À l'issue du débat, la Commission a adopté les conclusions suivantes à l'unanimité :

« La Commission des affaire européennes,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le Traité sur l'Union européenne, notamment ses articles 3, alinéa 3, et 20,

Vu le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment ses articles 118 et 326 à 334,

Vu le Traité de coopération en matière de brevets, notamment son article 45, alinéa 1,

Vu la Convention sur la délivrance de brevets européens, notamment son article 142, alinéa 1,

Vu la décision du Conseil du 10 mars 2011 autorisant une coopération renforcée dans le domaine de la création d'une protection par brevet unitaire (2011167UE),

Vu les conclusions des communications de M. Philippe Cochet des 1er mars 2011 et 8 février 2012 relatives au brevet européen à effet unitaire,

Considérant la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil mettant en oeuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d'une protection par brevet unitaire (COM [2011] 215 no E 6205),

Considérant la proposition de règlement du Conseil mettant en oeuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d'une protection par brevet unitaire, en ce qui concerne les modalités applicables en matière de traduction (COM [2011] 216 no E 6206),

Considérant le projet d'accord international relatif à une juridiction unifiée en matière de brevet et le projet de statuts annexé ;

Considérant qu'elle juge utile de doter l'Union européenne d'un système de brevet à effet unitaire, afin de favoriser l'innovation scientifique et technologique, conformément aux visées de la stratégie Europe 2020, et d'enrichir le marché intérieur ;

Considérant qu'une coopération renforcée permettra de lever le veto posé par l'Espagne et l'Italie en raison de l'exclusion de leurs langues nationales du régime de traduction ;

1. Approuve les orientations générales du « paquet brevet européen à effet unitaire », constitué de deux propositions de règlement et d'un projet d'accord international ;

2. Invite les co-législateurs à trouver rapidement un compromis afin que les règlements puissent être adoptés et l'accord international signé ;

3. Se félicite, en particulier, que le dispositif proposé s'intègre dans l'organisation résultant de la Convention sur la délivrance de brevets européens ;

4. Demande aux autorités françaises la plus grande vigilance quant à la promotion du français dans ce domaine sensible pour la compétitivité hors-prix de notre pays ;

5. Souligne que ce « paquet » ne revisite pas le champ de la brevetabilité établi par les réglementations européennes et nationales existantes, notamment pour ce qui concerne l'exemption de sélection applicable aux semences végétales et les logiciels informatiques ;

6. Ne voit aucune objection à ce que le contenu des anciens articles 6 à 8 de la proposition de règlement mettant en oeuvre la coopération renforcée soit renvoyé à l'accord international relatif à une juridiction unifiée en matière de brevets ;

7. Fonde de grands espoirs sur le logiciel de traduction automatique développé par l'Office européen des brevets pour faire avancer la diffusion de la connaissance dans tous les États membres et mettre un terme aux querelles linguistiques ;

8. Juge crucial que le coût du brevet européen à effet unitaire, sur toute sa durée de vie – frais d'instruction de la demande, de délivrance du titre, de traduction des revendications et honoraires de juridiction –, soit le moins pénalisant possible pour les entreprises innovantes ;

9. Appelle l'attention sur la nécessité de s'assurer que l'éclatement en trois localisations – un siège et deux sections – de la division centrale du tribunal de première instance de la juridiction unifiée en matière de brevets ne nuise pas à la sécurité juridique des titres validés ;

10. Attend de cette future juridiction unifiée qu'elle rende des jugements d'une rapidité et d'une qualité exemplaires, afin d'assurer la sécurité juridique du futur brevet européen à effet unitaire ;

11. Souhaite que le Gouvernement, une fois l'accord international signé, dépose au plus vite l'instrument d'approbation sur le bureau de l'Assemblée nationale et que la Commission des affaires étrangères s'en empare immédiatement, afin que la France puisse être l'un des premiers États membres à mener la procédure à son terme ;

12. Émet le voeu que l'Espagne et l'Italie adhèrent au système du brevet européen à effet unitaire.

Sous réserve des observations formulées dans les conclusions, la Commission a approuvé les documents E 6205 et E 6206.

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À partir des années quatre-vingt, plusieurs secteurs industriels – notamment la cosmétique, l'agro-industrie et la pharmacie, qui pose des problèmes particuliers – ont développé une pratique contestée : la collecte de ressources naturelles de la planète et de connaissances traditionnelles relatives à leur bon usage, afin de les breveter et de les exploiter commercialement, avec le risque de brevetage du vivant que cela implique. Ces opérations, conduites sans démarches préalables d'autorisation auprès des autorités nationales et sans dispositifs de compensation en faveur des populations locales, constituent essentiellement un transfert de richesse du Sud – réservoir de la majeure partie de la biodiversité mondiale –, vers le Nord, sans compensations monétaires ou non monétaires.

Le protocole de Nagoya, dit « accès et partage des avantages » (APA), rédigé en octobre 2010, lors de la 10e Conférence des parties (CdP) à la Convention sur la diversité biologique (CDB), érige la « biopiraterie » en objet juridique et se donne pour ambition de venir à bout de cette pratique déloyale. Celle-ci étant courante parmi des entreprises françaises – comme L'Oréal, pour n'en citer qu'une –, nous sommes en première ligne.

Il s'agit de subordonner l'utilisation de ressources génétiques à trois conditions : l'obtention du consentement du pays fournisseur préalablement à toute démarche de prospection et de collecte ; le versement de contreparties monétaires ou non monétaires, pouvant donc prendre la forme de redevances financières ou de coopération en recherche et développement ; un réinvestissement d'une partie des bénéfices dans la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité.

Le protocole de Nagoya, s'il ne constitue pas la panacée, est le seul instrument international permettant d'agir contre la biopiraterie ; l'efficacité de sa mise en oeuvre dépendra de la détermination des parties signataires à intégrer dans leur droit des dispositions contraignantes pour les utilisateurs ressortissants de leur juridiction.

Les experts que nous avons auditionnés à leur retour de la 11e CdP d'Hyderabad ont insisté sur la spécificité de la France, pays à la fois « fournisseur » et « utilisateur » de ressources génétiques, ce qui la place dans une situation particulière.

Signé par l'Union européenne, le 23 juin 2011, ainsi que par vingt-quatre de ses États membres – dont la France, le 20 septembre 2011 –, le protocole n'a encore été ratifié par aucun pays de notre continent.

Le Mexique et l'Inde figurent en revanche parmi les huit pays l'ayant déjà ratifié. Ces gros fournisseurs de ressources génétiques et de savoirs traditionnels se protègent déjà par des lois nationales bien plus radicales que les mesures proposées par le protocole de Nagoya. Ainsi, plus nous tardons à interroger ce protocole et à le ratifier, plus nous laissons aux pays fournisseurs le loisir de bloquer les activités de nos entreprises utilisatrices, qui s'en inquiètent et nous demandent d'agir rapidement.

Ce rapport d'information a été élaboré au terme d'un court cycle d'auditions car nous avons estimé qu'il était urgent de nous pencher sur les propositions de la Commission européenne. Celles-ci risquent en effet d'être examinées au pas de course : la rapporteure de la Commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire, saisie au fond, pourrait rendre un premier rapport en février, en vue d'un vote en juin.

Notre objectif doit être de convaincre le Gouvernement que le protocole de Nagoya peut être ratifié en France, comme dans les autres États membres, sans attendre que l'Union européenne ait pris sa décision.

Nous devons aussi avoir le souci d'améliorer le contenu de la proposition de règlement, non seulement pour protéger efficacement les droits des pays du Sud et de leurs populations autochtones, mais aussi au regard de la situation spécifique de la France. Grâce à nos territoires ultra-marins, nous avons la chance – comme l'Espagne et le Portugal, dans une moindre mesure – d'être à la fois pays fournisseur et utilisateur, ce qui doit nous conduire à imaginer des propositions pilotes plus fortes et innovantes que les mesures en passe d'être adoptées au niveau européen.

Il convient de maintenir la digue contre la brevetabilité du vivant et l'appropriation du capital intellectuel des peuples autochtones. Notre vigilance peut contribuer à aider les populations concernées et à défendre la biodiversité.

Cette proposition de règlement n'enfreint nullement le principe de subsidiarité puisque chaque État membre gardera sa capacité à organiser l'accès à ses ressources génétiques propres.

Il serait utile de renforcer les mesures et les contrôles permettant d'assurer la traçabilité de la façon dont ont été collectées des ressources génétiques à l'étranger, afin qu'ils ne soient pas moins-disants par rapport à l'article 17 du protocole de Nagoya.

Je vous propose aussi de préconiser le remplacement de certaines formules alambiquées, dans l'article 5, alinéa 3, de la proposition de règlement, afin de rendre la rédaction plus injonctive.

Il serait intéressant que la France, dans ses départements et collectivités ultramarins, entreprenne des expérimentations administratives, destinées par la suite à être généralisées, visant à mieux associer les communautés autochtones aux processus de consultation et de décision sur les questions les concernant directement.

Enfin, la Commission européenne, sur ce dossier comme sur bien d'autres, prétend que des « bonnes pratiques » suffiront. Or chacun sait qu'elles n'engagent que les convaincus ; pour les autres, elles ne changent pas grand-chose…

À travers ce rapport d'étape, nous manifesterons notre intérêt vis-à-vis de ce sujet – sachant que d'autres États membres, exclusivement utilisateurs de ressources génétiques, y sont beaucoup moins sensibles que la France – ainsi que notre volonté de soutenir le travail engagé par les députés européens pour renforcer et clarifier la proposition de la Commission européenne.

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J'attends un éclaircissement quant à la brevetabilité du vivant. Le fait qu'il soit interdit de breveter une plante ou un animal découvert dans la nature semble aller de soi. Mais l'isolement d'un principe actif quelconque ou la mise au point d'une méthode pour, par exemple, produire un médicament ou des matières plastiques à partir d'un organisme vivant, peuvent être brevetés, à juste titre, pour encourager la recherche. Que signifie vraiment l'expression « brevetabilité du vivant » ?

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Je suis d'accord avec les propositions de conclusions, hormis les points 13 et 14. Leur formulation confère en effet à l'OEB une compétence qu'il ne possède pas et que nous ne voulons pas lui donner : il n'est pas de son ressort de décider ce qui est brevetable et ce qui ne l'est pas ; il doit se contenter d'examiner l'état du droit international, européen ou national. Je suggère donc que ces deux points soient reformulés.

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Le principe de la non-brevetabilité des espèces sources a été posé par la première Conférence de Rio. Il y a quelques années, la multinationale Limagrain s'est vantée auprès de moi de son intention de breveter une céréale tibétaine extrêmement rare. Je lui ai manifesté ma désapprobation, même si je ne voyais évidemment aucune objection à ce que cette céréale fasse l'objet de recherches. De ce point de vue, le protocole de Nagoya est clair : il est interdit de breveter l'espèce source. Mais peut-être pourrons-nous y revenir dans les travaux ultérieurs de notre Commission.

Le protocole de Nagoya est un assez bon compromis : il a pour objectifs de permettre la recherche mais aussi de faire participer les pays fournisseurs aux bénéfices, dans un cadre équilibré et équitable.

J'insiste aussi sur un point important : le savoir-faire des peuples autochtones, notamment dans le domaine des cosmétiques. Par exemple, l'on a découvert qu'une plante employée traditionnellement par une population du Pérou pour la cicatrisation des plaies avait une grande efficacité antirides. Ne pas reconnaître ce savoir-faire revient à réserver les bénéfices à l'entreprise industrielle, alors qu'il s'agit d'instituer un échange équitable. Le protocole de Nagoya prend aussi cette question en considération.

Concernant la rédaction du point 13 de la proposition de conclusion, je propose effectivement de remplacer les mots « l'Office européen des brevets » par les mots « l'Union européenne ».

Concernant le point 14, ce sujet est déjà en cours d'étude au sein de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI).

À l'issue du débat, la Commission a adopté les conclusions suivantes à l'unanimité :

« La Commission des affaires européennes,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'article 27, alinéa 2, de la Déclaration universelle des droits de l'homme,

Vu le traité sur l'Union européenne,

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment ses articles 4, alinéa 2 e), 192, alinéa 1, et 218, alinéa 6,

Vu la Convention sur la diversité biologique,

Vu le Protocole de Nagoya sur l'accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation à la Convention sur la diversité biologique,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions « La biodiversité, notre assurance-vie et notre capital naturel – Stratégie de l'UE à l'horizon 2020 » (COM [2011] 244), particulièrement son action 20, intitulée « Réglementer l'accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des bénéfices résultant de leur utilisation »,

Considérant la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'accès aux ressources génétiques et au partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation dans l'Union (COM [2012] 576 no E 7759),

Considérant la proposition de décision du Conseil concernant la conclusion du protocole de Nagoya sur l'accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la Convention sur la diversité biologique (COM [2012] 577 no E 7775),

Considérant que la biodiversité constitue un capital irremplaçable pour l'humanité et que sa préservation doit être l'une des deux priorités environnementales majeures pour la communauté internationale, sur le même plan que la lutte contre le changement climatique,

Considérant que les richesses biologiques ne sont pas des marchandises comme les autres et que leur commercialisation doit, de ce fait, être soumise à des règles particulières,

Considérant que les actes de collecte non encadrée, d'appropriation et de développement industriel de ressources génétiques etou de savoirs traditionnels associés avec une visée commerciale font peser une menace sur la biodiversité comme sur le droit de propriété intellectuelle des communautés et groupes autochtones lésés,

Considérant que, dans ce cadre, l'établissement de mesures de régulation universelles s'impose, d'une part, pour encadrer l'accès aux ressources génétiques et aux savoirs associés, et, d'autre part, pour assurer un partage juste et équitable des avantages qui en sont retirés,

1. Rappelle que le protocole de Nagoya à la Convention sur la diversité biologique constitue le cadre multilatéral de référence pour l'administration de l'accès aux ressources génétiques et le partage des avantages qui en découlent ;

2. Considère que l'efficacité de la lutte contre la « biopiraterie » dépend de la détermination des parties signataires à intégrer au plus vite dans leur droit national des dispositions contraignantes pour tous les utilisateurs ressortissants de leur juridiction ;

3. Souligne la spécificité de l'Union européenne, utilisatrice de ressources génétiques, du fait de ses capacités de recherche et de son niveau de développement industriel, mais aussi fournisseuse de ressources génétiques, notamment à travers ses États membres dont la souveraineté s'étend à des régions ultrapériphériques ;

4. Soutient, en conséquence, la démarche de ratification et de mise en oeuvre du protocole de Nagoya, initiée par la Commission européenne ;

5. S'étonne que la Commission européenne ait demandé aux États membres de ne pas ratifier le protocole de Nagoya avant elle, alors qu'il est urgent d'agir en la matière et essentiel que la ratification intervienne avant la prochaine Conférence des parties de la Convention sur la diversité biologique ;

6. Souhaite au contraire que la France et les autres États membres, comme l'Union européenne, adoptent au plus vite leurs instruments de ratification ;

7. Estime que la proposition de règlement n'enfreint pas le principe de subsidiarité, en ce qu'elle laisse aux États membres la latitude d'organiser l'accès à leurs ressources génétiques ;

8. Émet des doutes importants quant à l'efficacité des « bonnes pratiques » proposées par les utilisateurs, codifiées dans l'article 6 de la proposition de règlement ;

9. Serait favorable à un renforcement des mesures et des contrôles permettant d'assurer la traçabilité de la façon dont ont été collectées des ressources génétiques à l'étranger, afin qu'ils ne soient pas moins-disants par rapport aux prescriptions de l'article 17 du protocole de Nagoya ;

10. Craint que la labellisation des collections de ressources génétiques par le biais d'un registre européen des collections fiables, faute de moyens de contrôle dédiés et efficaces, ne repose essentiellement sur des bases déclaratives et ne garantisse pas les pays et les communautés fournisseurs contre des spoliations de la part de collecteurs européens ;

11. Préconise, en conséquence, dans l'article 5, alinéa 3, de la proposition de règlement :

a) de supprimer les mots « démontre sa capacité » ;

b) de remplacer, au a), les mots « d'appliquer » par le mot « applique » ;

c) de remplacer, au b), les mots « de fournir à des tiers » par les mots « fournisse aux tiers demandeurs » ;

d) de remplacer, au c), les mots « de consigner » par le mot « consigne » ;

e) de remplacer, au d), les mots « d'établir ou d'utiliser » par les mots « établisse ou utilise » ;

f) de remplacer, au e), les mots « d'utiliser » par le mot « utilise » ;

12. Recommande que la France, dans ses départements et collectivités ultramarins, entreprenne des expérimentations administratives, destinées par la suite à être généralisées, visant à mieux associer les communautés autochtones aux processus de consultation et de décision sur les questions les concernant directement ;

13. Invite l'Union européenne à faire preuve de la plus grande vigilance pour garantir qu'il ne soit créé aucun monopole de droit sur les espèces biologiques sources et ainsi éviter tout brevetage du vivant ;

14. Formule le voeu que l'Office européen des brevets et les agences nationales de brevets soient mandatés pour engager une réflexion sur les mesures à prendre pour mieux faire respecter les droits de propriété intellectuelle des communautés et groupes autochtones sur leurs savoirs traditionnels.

Sous réserve des observations formulées dans les conclusions, la Commission a approuvé les documents E 7759 et E 7775.

La séance est levée à 17 h 50