Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, à l'heure où nous achevons l'examen du projet de loi relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, il n'est pas inutile de rappeler que, pour ce type de texte, le débat ne peut se réduire à une querelle de comptables et une bataille de chiffres. Une loi de programmation a vocation à être l'un des instruments clefs de la politique économique, à en souligner les urgences et les priorités.
Avec l'adoption du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l'Union économique et monétaire et de la présente loi organique sur la gouvernance des finances publiques, le Gouvernement a choisi de se fixer pour objectif la réduction, à marche forcée, du poids de la dette dans la richesse nationale, par la voie de la réduction des déficits. Nous ne pensons pas, pour notre part, que la réduction des déficits soit l'instrument privilégié de la réduction de la dette : c'est la croissance qui nous permettra de réduire nos déficits et non la réduction des déficits qui fera advenir, comme par miracle, la croissance.
Nous ne nions pas qu'il était nécessaire de redresser la barre, de mettre un coup d'arrêt à la stratégie d'assèchement des finances publiques poursuivie aveuglément depuis dix ans au bénéfice des plus aisés et des grandes entreprises. Vous avez entamé, monsieur le miistre, un redressement fiscal utile et proposé l'adoption d'une série de mesures que nous approuvons, ayant pur objet la taxation du capital et la suppression ou le plafonnement de dispositifs fiscaux aussi dispendieux qu'inefficaces adoptés par la précédente majorité.
Le désaccord entre nous ne porte pas sur ces points. Il porte sur la stratégie économique.
La loi de programmation des finances publiques en cours d'examen par le Parlement est avant tout la programmation jusqu'en 2017, au nom de la convergence des politiques budgétaires européennes et de la réduction des déficits, de l'austérité de longue durée. Elle est faite de stagnation des effectifs de la fonction publique, de gel des investissements et de baisse des crédits, notamment en matière de logement, de politique de la ville et d'action sociale.
Quant aux collectivités locales, elles sont autorisées à se serrer la ceinture, avec une baisse drastique de leurs dotations à compter de l'année prochaine. Rappelons en effet que la loi de programmation propose que les concours de l'État en faveur des collectivités soient réduits de 750 millions d'euros par an en 2014 et 2015. Ces orientations, dangereuses à nos yeux, soulignent au moins qu'il est urgent d'engager une réforme du financement des collectivités locales.
De même, alors que les établissements hospitaliers du pays n'ont plus les moyens de répondre aux attentes de leurs patients et que les personnes âgées dépendantes ne peuvent être correctement prises en charge, la loi de programmation organise le quasi-gel des dépenses de santé et de sécurité sociale. On peut craindre de nouveaux déremboursements de médicaments ou encore une baisse du pouvoir d'achat des retraités, comme on le constate dès cette année.
Mes chers collègues, c'est bel et bien parce que nous estimons que la gauche doit porter une autre politique et changer de braquet en répondant enfin aux attentes sociales que nous ne saurions vous suivre. Le cap que vous vous êtes fixé conduit notre pays sur une voie dangereuse. Le risque est grand, en effet, de plonger notre économie dans la dépression et, au bout du compte, d'accroître encore l'endettement public, comme le montrent les exemples de nos voisins, l'Italie et l'Espagne, ou encore de la Grèce.
Ces mesures vont se traduire par une dégradation des conditions de vie de nos concitoyens, une dégradation aussi des services publics, que les efforts consentis en matière d'éducation, de justice ou de sécurité ne suffiront peut-être pas à compenser. Les collectivités locales réalisent aujourd'hui plus des deux tiers des investissements publics. Elles seront demain privées de la possibilité de le faire, avec des conséquences, encore une fois, très concrètes sur la vie quotidienne de nos concitoyens : baisse de la qualité ou renchérissement du coût des services publics de proximité, difficultés accrues sur le terrain de la solidarité, par exemple.
Vous avez décidé d'opter pour la rigueur afin de mieux préparer l'avenir, dites-vous. Préparer l'avenir, c'est aussi, pour nous, autre chose. C'est, par exemple, faire des salaires et de l'emploi, de la croissance et de la transition écologique vers un nouveau mode de production, de la lutte contre la pression croissante qu'exercent les marchés sur notre système productif, les priorités et les leviers d'action de la gauche. C'est réhabiliter l'impôt, en permettant à nos concitoyens d'en voir les fruits dans des dépenses publiques utiles. C'est aussi développer l'investissement public et privé avec l'appui d'un pôle financier public. C'est enfin moduler l'imposition des entreprises en fonction de l'usage qu'elles font de leurs bénéfices, selon qu'elles investissent dans l'emploi, la recherche et la formation, ou au contraire versent des dividendes pour satisfaire l'avidité de leurs actionnaires.
L'alternative serait de donner enfin à l'État et aux collectivités, comme aux établissements de santé et à l'ensemble de nos services publics, les moyens d'assurer leurs missions dans l'intérêt de tous.
Les déclarations de M. le Président de la République, la semaine dernière, confirment que la voie choisie n'est pas celle d'une politique de gauche ambitieuse. C'est ainsi qu'au lieu de s'attaquer à la charge financière des intérêts et aux dividendes qui étouffent le système productif français, le Gouvernement propose de poursuivre la réduction de l'imposition des entreprises et de compenser le manque à gagner en transférant la charge vers les ménages par une hausse de la TVA. Il s'agit donc, en clair, de rétablir l'équivalent de la TVA sociale que nous avons supprimée ensemble l'été dernier, car nous la considérions à juste titre comme inéquitable.
Nous paierons de surcroît ces mesures d'une nouvelle réduction des dépenses publiques, donc d'une réduction du périmètre de l'action publique et d'un recul des services au public, au risque d'atteindre l'essentiel et de flirter avec le démembrement de l'État.
Comment se fait-il qu'aucune mesure ne soit avancée pour remettre en cause le coût du capital, qui pénalise l'emploi et l'investissement, alors qu'en trente ans le montant des dividendes versés aux actionnaires a été multiplié par vingt, au détriment des salaires, et que depuis 2003 le montant de ces dividendes dépasse celui des investissements réalisés dans les entreprises ? Les 20 milliards d'euros de cadeaux nouveaux au patronat ne sont assortis que de peu de contreparties ! Qu'en est-il de la promesse de lancer une grande réforme fiscale et de s'attaquer à la toute-puissance de la finance ? Déciderez-vous, par exemple, de résister au lobby patronal et d'abandonner les recettes de la pensée unique, qui nous conduisent depuis des années à l'échec ?
Certes, la situation est difficile, nous en convenons. Notre pays connaît un taux de chômage record, qui risque encore de s'aggraver l'an prochain, et la pauvreté progresse dans des proportions alarmantes. Raison de plus pour changer de cap, sortir de l'impasse de l'austérité, forger les instruments d'une réponse à l'attente de toutes les forces sociales qui, au printemps dernier, ont voulu le changement. Nous formulons pour cela des propositions comme, entre autres, la modulation de l'imposition des entreprises, que j'évoquais à l'instant, la mise en oeuvre d'une taxe sur la réimportation des productions délocalisées ou la création d'un pôle financier public. Nous proposons encore une augmentation des salaires et des retraites, afin de soutenir la demande, qui seule peut véritablement accompagner la réindustrialisation et la transition écologique de notre système productif.
Bref, nous proposons des mesures fortes et concrètes pour changer la donne face au pouvoir de la finance, et pour une autre répartition des richesses. Dans l'attente de cette rupture que nous espérons, les députés du Front de gauche ne seront pas en mesure d'approuver le projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.