Intervention de professeur François Bricaire

Réunion du 4 novembre 2014 à 18h00
Commission des affaires sociales

professeur François Bricaire, chef du service des Maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière :

Vous aurez d'abord l'avis d'un clinicien, puis celui, peut-être plus scientifique, d'un homme de l'art en matière de virologie.

S'agissant de la transmission du virus, monsieur Door, le virus est « endormi » pendant une certaine période, dans le réservoir principal qu'est la chauve-souris. Cet animal vivant dans les parties hautes des forêts équatoriales et tropicales, il est très difficile de répondre à votre question, car intervenir dans ces zones est quasiment impossible. Nos collègues français qui travaillent au Gabon savent à quel point il est difficile d'atteindre les chauves-souris.

Le virus, présent principalement chez les singes, mais aussi chez d'autres animaux qui sont chassés, comme les antilopes, est susceptible d'atteindre l'homme. Plus qu'en mangeant – la viande étant cuite, en général, il n'y a plus de problèmes viraux –, c'est en tuant, en manipulant, en dépeçant les animaux malades que l'homme se contamine. À partir de là, il y a une transmission interhumaine. Pour autant, comme l'a dit Jean-François Delfraissy, lors de la table ronde précédente, nous sommes loin de tout savoir sur ce virus et sur les possibilités de sa transmission,

Un phénomène épidémique est une règle générale en matière de maladie infectieuse. Heureusement, les épidémies s'éteignent à partir d'un certain seuil, soit du fait de conditions météorologiques, soit parce que la population la plus sensible a été atteinte et que celle susceptible de mieux résister fait ralentir, puis s'arrêter l'épidémie.

Bien entendu, il faut compter aussi avec l'intervention humaine avec, s'agissant notamment d'Ébola, la mise en place de mesures d'hygiène, absolument fondamentales. Toutes les épidémies observées depuis 1976 ont montré que, dès lors qu'on intervenait en mettant en oeuvre des mesures d'hygiène dans les villages concernés, on stoppait le phénomène.

S'agissant d'une transmission autre que par contact direct avec les fluides, sauf avis contraire de mon voisin, à ma connaissance, il est acquis que la transmission respiratoire n'existe pas. La transmission se fait par le sang, les vomissements, la diarrhée, les voies génitales, et notamment le sperme. En revanche, même si le virus est présent dans la salive, elle ne semble pas pouvoir se faire à partir de ce que l'on appelle les gouttelettes de Pflügge, qui sont le mode de transmission de la grippe ou d'autres viroses, comme le MERS-Coronavirus, dont on parle beaucoup actuellement. Il y a contamination, en cas de contact étroit avec les malades – nous l'avons constaté avec le personnel de santé, qui est très exposé. Il est vraisemblable que les quelques personnels de santé contaminés aux États-Unis ou en Espagne, aient contracté le virus en ôtant, et donc, en touchant leur matériel de protection, lequel a été au contact du malade et souillé.

La réponse à la question sur le risque de contagion pendant la période d'incubation est non : pas de transmission entre quarante-huit heures à vingt et un jours. Elle intervient dès l'apparition des premiers symptômes – la fièvre. Il a même été dit – bien que je n'en aie pas la confirmation – qu'au tout début des symptômes, la transmission était très faible, voire inexistante, selon certains. Pour ma part, je n'irai pas jusque-là.

S'agissant de la potentialité d'autres virus, la pathologie infectieuse émergente a commencé depuis plusieurs années et ne fera que s'amplifier dans le futur. La mondialisation, le fait que l'homme va de plus en plus dans des zones où il n'allait jamais vont nous mettre en contact avec des virus présents dans des réservoirs animaux. Cela va, dans une certaine mesure, réveiller quelques risques infectieux. C'est ce qui s'est passé en Amérique du sud, lors de la construction de la Transamazonienne : les ouvriers qui allaient couper les arbres dans la forêt amazonienne ont été au contact de virus que l'on ne connaissait pas. On en a assez peu parlé car cela s'est manifesté de façon locale ou locorégionale, mais c'est une possibilité.

Le petit frère d'Ébola, le virus Marburg, qui fait aussi partie des Filoviridae, est susceptible de se développer à nouveau, comme il l'a fait il y a quelques années. La fièvre de Lassa, qui a également généré des phénomènes épidémiques dans cette zone géographique, a sévi pas plus tard qu'il y a quelques semaines en Ouganda. Nous devons compter avec ces phénomènes de réémergence. Comment faire en sorte d'en réduire les risques ? C'est un problème, car nous ne connaissons sans doute pas suffisamment les chaînes de transmission pour être le plus efficaces possible.

Quant à la guérison, elle est possible. Marburg et Ébola sont des virus particulièrement toxiques. À l'origine, le taux de mortalité d'Ébola était de 90 %. Au début de l'épidémie en Guinée, il était de 86 %. Aujourd'hui, il se situe aux alentours de 50 %, ce qui veut dire qu'on a tout de même une chance sur deux de guérir.

On guérit peut-être parce que les moyens de prise en charge sont un peu moins mauvais dans certaines zones géographiques. À cet égard, réhydrater les malades est extrêmement important. Même si l'on n'a pas aujourd'hui de traitement spécifique, une prise en charge avec réhydratation des malades souffrant de diarrhée importante ou de vomissements donne une chance supplémentaire de guérison.

Au-delà de la prise en charge, si certains guérissent et d'autres pas, c'est que nous sommes inégaux devant la maladie. Certaines personnes se défendent bien contre les infections, d'autres mal. Nous ne pouvons ignorer les facteurs d'immunité. Cela a été montré, les sujets qui ne montent pas leurs anticorps ont davantage de risques de décéder que ceux qui les augmentent rapidement et qui, de ce fait, ont des moyens de défense corrects pour lutter contre le virus.

Il est difficile de répondre, madame la présidente, à votre question sur la durée de l'immunité. Les études n'ayant pas été suffisamment poussées pour pouvoir donner des réponses définitives, nous ne pouvons faire qu'un parallèle avec les autres pathologies infectieuses. La majorité de celles qui atteignent l'homme, et qui sont des virus relativement stables, permettent d'acquérir une immunité généralement de qualité. On peut donc dire qu'a priori, un individu qui a été malade ne risque pas de l'être à nouveau. Cela étant, il faut être prudent, car il n'y a pas un seul type d'Ébola. Ainsi, le virus Ébola qui s'est développé en République démocratique du Congo n'est pas tout à fait le même que celui qui sévit en Guinée. On ne peut donc pas exclure le fait que quelqu'un retombe malade quelques années plus tard.

Quant au vaccin, il faut être d'autant plus prudent que, sauf s'il est extraordinaire, la vaccination est en général une protection de moins bonne qualité que la maladie naturelle. Nous aurons un vaccin, qui assurera une protection. Mais combien de temps celle-ci durera-t-elle ? Pour le moment, nous ne sommes pas capables de répondre à cette question.

Enfin, il faut savoir que les gens meurent d'autre chose que d'Ébola. C'est un souci pour les cliniciens, confrontés à une symptomatologie qui n'est pas très spécifique : fièvre, courbatures, mal de tête. Ces symptômes sont aussi bien ceux de la grippe que ceux d'autres viroses. Par conséquent, il faut être méfiant dans l'approche diagnostique et ne pas dire systématiquement qu'il s'agit d'Ébola. Je pense en particulier à une maladie extrêmement fréquente, le paludisme.

M. Mantion a souligné tout à l'heure qu'à Conakry, les gens qui n'allaient plus au CHU de peur d'attraper Ébola, mourraient du paludisme. À Conakry, aujourd'hui, on meurt plus du paludisme que d'Ébola ! Nous répétons sans cesse à nos collaborateurs que ce n'est pas parce qu'un Européen arrivera de Guinée dans le délai réglementaire des vingt et un jours porteur de symptômes qu'il s'agira automatiquement d'Ébola. Il serait catastrophique de passer à côté d'un cas de paludisme parce qu'on est persuadé que c'est une fièvre Ébola.

J'y insiste, car les protocoles prévoient – ce que l'on peut comprendre – qu'à partir du moment où il y a une suspicion d'Ébola, il ne faut rien faire d'autre que de vérifier s'il s'agit bien de ce virus, ce qui nécessite un certain délai. Or un délai chez quelqu'un qui fait une crise de paludisme, ce n'est jamais bon !

Il faut que le corps médical, en France comme ailleurs, soit particulièrement vigilant s'agissant d'Ébola, mais plus encore du paludisme.

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