COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mardi 4 novembre 2014
La séance est ouverte à dix-huit heures dix.
(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission)
La Commission des affaires sociales entend le Professeur François Bricaire, chef du service des Maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, et M. Sylvain Baize, directeur du centre national de référence (CNR) des fièvres hémorragiques virales de l'Institut Pasteur de Lyon, au cours d'une table ronde sur les risques épidémiques du virus Ébola.
Mes chers collègues, nous entamons la deuxième partie de cette table ronde sur le virus Ébola, sous un angle plus médical et scientifique.
Nous accueillons le professeur François Bricaire, médecin chef du service des Maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, spécialiste reconnu bien au-delà de nos frontières et auteur de nombreux ouvrages.
Nous entendrons également M. Sylvain Baize qui, après avoir travaillé sept ans au Gabon, a intégré l'Institut Pasteur, à l'Unité de biologie des infections virales émergentes, l'UBIVE, basée à Lyon. En 2011, il est devenu chef d'unité de l'UBIVE et est également responsable du centre national de référence des fièvres hémorragiques virales de l'Institut Pasteur de Lyon.
Je donne tout de suite la parole aux parlementaires, car M. le professeur Bricaire doit impérativement nous quitter à dix-neuf heures quinze.
Un excellent article paru dans Le Figaro daté d'hier résumait parfaitement la situation du virus Ébola.
Monsieur Baize, je vous remercie d'être venu de Lyon. C'est un grand plaisir de vous avoir parmi nous, d'autant que nous connaissons tous votre expérience dans le domaine des virus.
Ma première question portera sur la vie du virus Ébola. Ce virus, différent des autres, n'est pas émergent. Cela fait des années qu'il est sur le terrain et qu'il se réveille de temps en temps. Comment vit-il lorsqu'il n'est pas « virulent » ? Entre 1976 et aujourd'hui, il est resté relativement calme, à l'exception de quelques cas sporadiques. Quelle est sa chaîne de transmission ? Alors que les grands singes étaient au départ impliqués, il se transmet désormais via les chauves-souris.
Monsieur Baize, comment élevez-vous ce virus, dans le laboratoire P4, qui abrite une magnifique « virothèque » ?
Monsieur Bricaire, on nous a expliqué que la contagion se faisait par contact direct avec des fluides. Toutefois, il semblerait que cela ne soit pas vérifié à 100 % et qu'il pourrait y avoir aussi une contamination aérienne. Y a-t-il vraiment un doute ? Ou confirmez-vous que la contamination ne passe que par les fluides ?
S'agissant des chauves-souris, le virus est en pleine croissance. Une action préventive est-elle menée dans ce domaine par des experts scientifiques ?
Enfin, confirmez-vous que, pendant la phase d'incubation de la maladie, le patient n'est pas contagieux ?
Vous déclarez qu'il y a peu de risques de pandémie. Pourriez-vous développer des arguments permettant de rassurer une partie de la population ?
Pour ce qui est des autres fièvres hémorragiques, comme Lassa, Marburg etc., quels sont les potentiels d'émergence d'épidémies dans les pays concernés ? Comment faudrait-il développer la recherche pour être prêts avant l'apparition d'une propagation épidémique ?
Monsieur Baize, le titre du document que vous nous avez remis m'interpelle. Vous êtes responsable de l'Unité de biologie des infections virales émergentes. Parle-t-on précisément d'Ébola ? Est-ce un virus spécifique, un cas particulier ? Ou bien sommes-nous malheureusement amenés à connaître, du fait de l'évolution de notre société, ce type d'événement à travers d'autres virus qui pourraient émerger ?
J'ai lu, dans les documents parus sur le virus Ébola, que certaines personnes contaminées guérissaient. Avez-vous une idée des raisons qui font que ces personnes arrivent à s'en sortir ? Est-ce lié à un traitement mieux suivi ou à une résistance particulière ?
Quand on a contracté, une fois dans sa vie, le virus Ébola, l'immunité est-elle à vie, ce qui pourrait préfigurer d'un vaccin efficient avec une seule injection, voire deux ? A-t-on pu suivre l'immunologie, la sérologie de personnes qui ont attrapé ce virus et ont survécu ?
Ébola est un virus ARN. On connaît l'un de ses proches voisins, le virus Marburg. Des expériences ont été menées en utilisant de petites séquences d'ADN. Il s'agit de cibler les gènes codants avec ces petits ARN. Des essais ont-ils été faits sur le virus Ébola ?
Les malades sont nombreux dans les pays où il y a une forte prévalence du sida, du paludisme et de la tuberculose. Ces malades meurent-ils d'Ébola ou d'une autre pathologie ?
Vous aurez d'abord l'avis d'un clinicien, puis celui, peut-être plus scientifique, d'un homme de l'art en matière de virologie.
S'agissant de la transmission du virus, monsieur Door, le virus est « endormi » pendant une certaine période, dans le réservoir principal qu'est la chauve-souris. Cet animal vivant dans les parties hautes des forêts équatoriales et tropicales, il est très difficile de répondre à votre question, car intervenir dans ces zones est quasiment impossible. Nos collègues français qui travaillent au Gabon savent à quel point il est difficile d'atteindre les chauves-souris.
Le virus, présent principalement chez les singes, mais aussi chez d'autres animaux qui sont chassés, comme les antilopes, est susceptible d'atteindre l'homme. Plus qu'en mangeant – la viande étant cuite, en général, il n'y a plus de problèmes viraux –, c'est en tuant, en manipulant, en dépeçant les animaux malades que l'homme se contamine. À partir de là, il y a une transmission interhumaine. Pour autant, comme l'a dit Jean-François Delfraissy, lors de la table ronde précédente, nous sommes loin de tout savoir sur ce virus et sur les possibilités de sa transmission,
Un phénomène épidémique est une règle générale en matière de maladie infectieuse. Heureusement, les épidémies s'éteignent à partir d'un certain seuil, soit du fait de conditions météorologiques, soit parce que la population la plus sensible a été atteinte et que celle susceptible de mieux résister fait ralentir, puis s'arrêter l'épidémie.
Bien entendu, il faut compter aussi avec l'intervention humaine avec, s'agissant notamment d'Ébola, la mise en place de mesures d'hygiène, absolument fondamentales. Toutes les épidémies observées depuis 1976 ont montré que, dès lors qu'on intervenait en mettant en oeuvre des mesures d'hygiène dans les villages concernés, on stoppait le phénomène.
S'agissant d'une transmission autre que par contact direct avec les fluides, sauf avis contraire de mon voisin, à ma connaissance, il est acquis que la transmission respiratoire n'existe pas. La transmission se fait par le sang, les vomissements, la diarrhée, les voies génitales, et notamment le sperme. En revanche, même si le virus est présent dans la salive, elle ne semble pas pouvoir se faire à partir de ce que l'on appelle les gouttelettes de Pflügge, qui sont le mode de transmission de la grippe ou d'autres viroses, comme le MERS-Coronavirus, dont on parle beaucoup actuellement. Il y a contamination, en cas de contact étroit avec les malades – nous l'avons constaté avec le personnel de santé, qui est très exposé. Il est vraisemblable que les quelques personnels de santé contaminés aux États-Unis ou en Espagne, aient contracté le virus en ôtant, et donc, en touchant leur matériel de protection, lequel a été au contact du malade et souillé.
La réponse à la question sur le risque de contagion pendant la période d'incubation est non : pas de transmission entre quarante-huit heures à vingt et un jours. Elle intervient dès l'apparition des premiers symptômes – la fièvre. Il a même été dit – bien que je n'en aie pas la confirmation – qu'au tout début des symptômes, la transmission était très faible, voire inexistante, selon certains. Pour ma part, je n'irai pas jusque-là.
S'agissant de la potentialité d'autres virus, la pathologie infectieuse émergente a commencé depuis plusieurs années et ne fera que s'amplifier dans le futur. La mondialisation, le fait que l'homme va de plus en plus dans des zones où il n'allait jamais vont nous mettre en contact avec des virus présents dans des réservoirs animaux. Cela va, dans une certaine mesure, réveiller quelques risques infectieux. C'est ce qui s'est passé en Amérique du sud, lors de la construction de la Transamazonienne : les ouvriers qui allaient couper les arbres dans la forêt amazonienne ont été au contact de virus que l'on ne connaissait pas. On en a assez peu parlé car cela s'est manifesté de façon locale ou locorégionale, mais c'est une possibilité.
Le petit frère d'Ébola, le virus Marburg, qui fait aussi partie des Filoviridae, est susceptible de se développer à nouveau, comme il l'a fait il y a quelques années. La fièvre de Lassa, qui a également généré des phénomènes épidémiques dans cette zone géographique, a sévi pas plus tard qu'il y a quelques semaines en Ouganda. Nous devons compter avec ces phénomènes de réémergence. Comment faire en sorte d'en réduire les risques ? C'est un problème, car nous ne connaissons sans doute pas suffisamment les chaînes de transmission pour être le plus efficaces possible.
Quant à la guérison, elle est possible. Marburg et Ébola sont des virus particulièrement toxiques. À l'origine, le taux de mortalité d'Ébola était de 90 %. Au début de l'épidémie en Guinée, il était de 86 %. Aujourd'hui, il se situe aux alentours de 50 %, ce qui veut dire qu'on a tout de même une chance sur deux de guérir.
On guérit peut-être parce que les moyens de prise en charge sont un peu moins mauvais dans certaines zones géographiques. À cet égard, réhydrater les malades est extrêmement important. Même si l'on n'a pas aujourd'hui de traitement spécifique, une prise en charge avec réhydratation des malades souffrant de diarrhée importante ou de vomissements donne une chance supplémentaire de guérison.
Au-delà de la prise en charge, si certains guérissent et d'autres pas, c'est que nous sommes inégaux devant la maladie. Certaines personnes se défendent bien contre les infections, d'autres mal. Nous ne pouvons ignorer les facteurs d'immunité. Cela a été montré, les sujets qui ne montent pas leurs anticorps ont davantage de risques de décéder que ceux qui les augmentent rapidement et qui, de ce fait, ont des moyens de défense corrects pour lutter contre le virus.
Il est difficile de répondre, madame la présidente, à votre question sur la durée de l'immunité. Les études n'ayant pas été suffisamment poussées pour pouvoir donner des réponses définitives, nous ne pouvons faire qu'un parallèle avec les autres pathologies infectieuses. La majorité de celles qui atteignent l'homme, et qui sont des virus relativement stables, permettent d'acquérir une immunité généralement de qualité. On peut donc dire qu'a priori, un individu qui a été malade ne risque pas de l'être à nouveau. Cela étant, il faut être prudent, car il n'y a pas un seul type d'Ébola. Ainsi, le virus Ébola qui s'est développé en République démocratique du Congo n'est pas tout à fait le même que celui qui sévit en Guinée. On ne peut donc pas exclure le fait que quelqu'un retombe malade quelques années plus tard.
Quant au vaccin, il faut être d'autant plus prudent que, sauf s'il est extraordinaire, la vaccination est en général une protection de moins bonne qualité que la maladie naturelle. Nous aurons un vaccin, qui assurera une protection. Mais combien de temps celle-ci durera-t-elle ? Pour le moment, nous ne sommes pas capables de répondre à cette question.
Enfin, il faut savoir que les gens meurent d'autre chose que d'Ébola. C'est un souci pour les cliniciens, confrontés à une symptomatologie qui n'est pas très spécifique : fièvre, courbatures, mal de tête. Ces symptômes sont aussi bien ceux de la grippe que ceux d'autres viroses. Par conséquent, il faut être méfiant dans l'approche diagnostique et ne pas dire systématiquement qu'il s'agit d'Ébola. Je pense en particulier à une maladie extrêmement fréquente, le paludisme.
M. Mantion a souligné tout à l'heure qu'à Conakry, les gens qui n'allaient plus au CHU de peur d'attraper Ébola, mourraient du paludisme. À Conakry, aujourd'hui, on meurt plus du paludisme que d'Ébola ! Nous répétons sans cesse à nos collaborateurs que ce n'est pas parce qu'un Européen arrivera de Guinée dans le délai réglementaire des vingt et un jours porteur de symptômes qu'il s'agira automatiquement d'Ébola. Il serait catastrophique de passer à côté d'un cas de paludisme parce qu'on est persuadé que c'est une fièvre Ébola.
J'y insiste, car les protocoles prévoient – ce que l'on peut comprendre – qu'à partir du moment où il y a une suspicion d'Ébola, il ne faut rien faire d'autre que de vérifier s'il s'agit bien de ce virus, ce qui nécessite un certain délai. Or un délai chez quelqu'un qui fait une crise de paludisme, ce n'est jamais bon !
Il faut que le corps médical, en France comme ailleurs, soit particulièrement vigilant s'agissant d'Ébola, mais plus encore du paludisme.
En réponse à la question relative à l'histoire naturelle de ces virus qui conquièrent de nouveaux territoires en Afrique de l'Ouest où ils étaient, jusque-là, inconnu, il faut rappeler que les filovirus, tels Ébola et Marburg, sont filamenteux et pleiomorphes. Il existe six espèces de filovirus dont cinq sont pathogènes pour l'homme : « Zaïre », évidemment répandue en République démocratique du Congo et qui sévit actuellement en Guinée ; « Soudan » ; Taï forest, qui a été identifiée en Côte d'Ivoire il y a vingt ans. L'incubation est de trois à vingt et un jours, en moyenne de neuf jours, avec une évolution biphasique typique des fièvres hémorragiques virales et un syndrome pseudo-grippal qui rend le diagnostic difficile car cela ressemble beaucoup à des maladies tropicales fréquentes telles le paludisme ou la typhoïde. C'est cela qui conduit à parler de diagnostic différentiel sur lequel a été mis l'accent au centre de traitement de Macenta que nous venons de monter. Il faudra conduire ce type de diagnostic sur les patients que nous recevrons ; d'autres maladies seront systématiquement recherchées comme le paludisme, la typhoïde ou d'autres fièvres hémorragiques – Lassa ou Crimée-Congo. Bien heureusement, tous les gens que nous recevons ne sont pas atteints par Ébola.
Après cette phase peu spécifique, on assiste à une aggravation de la maladie avec des saignements divers puis, à la fin, une défaillance multiviscérale conduisant à un choc terminal mortel dans un délai de six à quatorze jours après l'apparition des symptômes. Les mêmes symptômes pseudo-grippaux sont présents chez les personnes qui survivent et se poursuivent jusqu'à la convalescence. Une prise en charge spécifique se montre efficace en Afrique et, pour les sujets revenant dans les pays du Nord, connaît une très faible mortalité même en l'absence de traitements antiviraux. La maladie est cependant moins mortelle qu'avec les autres espèces de virus Zaïre connues jusqu'à présent.
L'historique de cette maladie montre que la découverte initiale par l'homme de ces virus, présents depuis bien longtemps, remonte à 1967 pour Marburg et 1976 pour Ébola. Plus rien ne s'est passé pendant une vingtaine d'années, puis, à partir de 1994, on a constaté, des émergences très fréquentes, annuelles, dans divers pays dont le Gabon, et, la même année, en Côte d'Ivoire avec un seul décès humain. Il s'agissait en fait d'une épizootie, qui avait touché des chimpanzés. On note un grand dynamisme de ces virus dans la forêt tropicale, et puis, une émergence récente de la maladie en Guinée. La question est de savoir comment le virus, qui a ainsi quitté l'Afrique Centrale, a franchi 2 500 kilomètres pour conquérir de nouveaux territoires. Le phénomène est assez inquiétant.
L'étude des réservoirs du virus permet de comprendre pourquoi celui-ci a émergé en Afrique de l'Ouest. Cela correspond à l'habitat de trois espèces de chauves-souris arboricoles et frugivores qui hébergent le virus dans leur organisme depuis des milliers d'années, sans que la maladie soit déclarée et avec une transmission verticalehorizontale. La contamination de l'homme se produit par la mise en contact avec le réservoir, ce qui pourrait être le cas en Guinée – mais ce n'est pas encore démontré ; en Afrique Centrale, ce sont plutôt les grands singes qui jouent un rôle d'intermédiaires. L'homme se contamine à Marburg, par contact, et, à Ébola, particulièrement à cause de la consommation de viande de brousse. Il est tout à fait regrettable que la seule consommation de viande aboutisse à de tels désastres sanitaires. Grandes migratrices, les chauves-souris ont ainsi véhiculé le virus, expliquant son arrivée en forêt guinéenne. La caractérisation de la souche qui circule montre que le virus s'est échappé d'Afrique Centrale en 2004, ce qui constitue un événement tout à fait récent.
La transmission inter-humaine est intéressante car elle permet de comprendre la dynamique de l'épidémie. Celle-ci survient lors de contact avec les fluides biologiques d'un patient en phase symptomatique. Par chance, on n'est pas contagieux tant que la maladie n'est pas déclarée, contrairement à d'autres maladies virales telles la rougeole où on l'est avant. Les fluides sont diversement vecteurs du virus. Ainsi, la sueur est vectrice mais c'est le fluide le moins chargé en virus. C'est ce qui explique qu'au début de la maladie, le sujet soit faiblement contagieux car elle est alors le seul fluide de contact, ce qui explique la faible transmissibilité au début de la maladie. Par la suite, lorsque le patient est plus excrétant, avec du sang, des vomissures et des selles, il devient beaucoup plus contagieux. L'acmé de la contagion survient avec la mort qui induit une forte charge virale et l'excrétion de nombreux fluides du cadavre.
La contamination par voie aérienne est très peu probable et n'a jamais été documentée. Cependant, si une personne porteuse d'Ébola vous tousse au visage, cela ne saurait vous rassurer. La contamination aérienne connue avec des maladies respiratoires ne concerne pas Ébola : il faut un contact physique proche. Par ailleurs, le virus est indétectable pendant la phase d'incubation, ce qui interdit le diagnostic des cas en dehors de la phase symptomatique. À ce titre, il est inutile de chercher à poser des diagnostics en amont, cela constituerait une perte de temps et ne ferait que rassurer faussement les populations. La maladie ne survient qu'à l'occasion de trois événements particuliers qui constituent les principaux facteurs de dissémination du virus : les soins à domicile par les proches, la contamination des personnels soignants au cours de l'hospitalisation et les funérailles.
La capacité du virus à se disséminer est limitée au sein de la population car elle nécessite des contacts étroits, de proche en proche. Par ailleurs, la contagion ne se produisant qu'au cours de la phase symptomatique, cela limite les contacts. Enfin, la survenue brutale des signes cliniques conduit rapidement les patients à s'aliter avec une asthénie extrême qui contribue, elle aussi, à limiter les risques de diffusion. Ainsi, Ébola n'a pas de potentiel pandémique. Nous n'avons donc pas affaire au MERS-Corona, ni au SRAS, ni à la grippe, ce qui est plutôt rassurant. La présence d'un réservoir animal conduit certes à un risque permanent d'introduction chez l'homme dans les pays concernés où le virus circule, mais cette présence est restreinte à l'aire de distribution du réservoir. Aussi, le virus Ébola ne va pas s'installer de façon pérenne en France en dehors d'une épidémie humaine, très peu probable.
En ce qui concerne le risque épidémique, il est crucial d'éviter que les malades prennent l'avion et viennent dans les pays du Nord. Il faut procéder à des contrôles avant l'embarquement, la prise de température est efficace et suffisante.
On ne peut malheureusement pas empêcher des personnes en phase d'incubation de voyager, ce qui peut provoquer l'importation de cas. Le système de veille épidémiologique mis en place en France, et auquel participe le Centre national de référence (CNR), a prouvé son efficacité : il permet l'identification et la mise à l'isolement rapide des cas suspects ainsi que le diagnostic des cas classés possibles. Il ne faut surtout pas arrêter les dessertes des pays touchés. Une telle mesure aurait des conséquences graves : les intéressés ne manqueraient pas de revenir quelques semaines plus tard par d'autres moyens – cela ne ferait donc que retarder pour peu de temps l'importation des cas – en outre, cela freinerait considérablement la lutte sur le terrain. La solidarité internationale est indispensable pour le contrôle des épidémies. En France, nous n'avons pas à craindre de risque d'épidémie de grande ampleur, au pire, quelques cas autour de cas d'importation. Notre système, très efficace permettrait, le cas échéant, de contrôler la situation.
La circulation du virus montre que de nouveaux territoires sont menacés avec de nouveaux risques. L'épidémie est toujours dans sa phase exponentielle et n'est pas encore contrôlée. On est passé d'une circulation restreinte à une zone d'Afrique Centrale très reculée, avec juste quelques villages de brousse en contact, à une diffusion qui s'étend du Sénégal à la Tanzanie provoquant une augmentation considérable du nombre des personnes qui vont désormais vivre en risque avec le virus. Nous devons avoir connaissance de ces faits et prendre les mesures nécessaires pour empêcher de nouvelles émergences, qui conduiront en Afrique de l'Ouest à l'épidémie dramatique, difficile à contrôler, que nous constatons aujourd'hui.
Les moyens de lutte efficaces en Afrique Centrale pour circonscrire les épidémies telles l'isolement des patients, le suivi des contacts et la protection des personnels soignants sont en effet inopérants. Les différences socioculturelles et économiques ainsi que la plus grande densité de population en Afrique de l'Ouest qu'en Afrique Centrale expliquent le phénomène. En outre, le maillage routier n'existe plus en Afrique Centrale et, c'est grâce à cela, paradoxalement, que le virus se répand moins vite qu'il ne l'a fait en 1976 : le réseau routier était, à l'époque, meilleur qu'aujourd'hui et Kinshasa avait été touchée. Cela n'est pas le cas en Afrique de l'Ouest où l'on circule beaucoup et où l'on assiste à une diffusion transfrontalière qui frappe rapidement les capitales. Il faut avoir conscience de cet état de fait et anticiper les futures émergences qui ne manqueront pas de survenir.
La seule solution consiste à pratiquer la vaccination en masse ces populations à risque en développant des vaccins. Contrairement à d'autres pandémies telles le VIH, on sait heureusement fabriquer des vaccins - deux sont en cours de test et donnent de bons résultats chez le primate. La vaccination massive est donc accessible puisque ces vaccins sont faciles à dessiner et à produire ; il s'agit d'une question de volonté et de moyens, les deux ayant fait défaut jusqu'à présent.
D'autres virus peuvent-ils présenter les mêmes menaces qu'Ébola ? La réponse est malheureusement oui, le virus Lassa notamment, qui lui est pandémique, et se répand dans les mêmes pays que ceux où sévit Ébola aujourd'hui : Guinée, Nigeria, Sierra Leone et Libéria. Lassa fait moins de bruit qu'Ébola mais provoque 100 000 à 300 000 cas par an avec 5 000 à 6 000 morts, à bas bruit, en Afrique de l'Ouest. On n'en parle pas. Certes, le virus se transmet moins à l'homme, il se dissémine moins facilement et les symptômes sont moins sévères. Mais il est présent et, avec une dynamique puissante, se diffuse sur le même mode qu'Ébola en traversant les frontières, infestant de nouveaux pays comme le Mali et le Burkina Faso. D'autres virus proches de Lassa émergent dans des pays d'Afrique où ils n'étaient pas connus auparavant : Afrique du Sud et Zimbabwe. Il convient, là aussi, de se prémunir contre des épidémies massives en recourant à la vaccination, la fabrication de vaccins, pour Lassa comme pour Ébola, étant largement à notre portée.
Il faut donc développer les activités de recherche afin d'anticiper une propagation épidémique et ne pas laisser se développer des situations catastrophiques. Il faut réfléchir à ce qui peut être fait pour les prévenir. C'est triste à dire mais le coût d'une vaccination massive contre Ébola en zone tropicale africaine aurait été moindre que celui de la lutte contre cette seule épidémie, qui va se chiffrer en dizaines de millions de dollars, auquel il faut ajouter les milliards de dollars inhérents au retard économique résultant de l'épidémie. Ce drame qui aurait pu être évité est une leçon à retenir pour l'avenir.
En ce qui concerne l'immunité post-guérison, des cas de guérisons spontanées d'Ébola ont été observés. Il s'agit de patients ayant rapidement développé une réponse immune, notamment humorale et cellulaire – les malades se défendent avec une réponse classique au virus. Cela n'est pas le cas de ceux qui meurent : ceux-ci sont immuno-supprimés. Au cours de travaux effectués au Gabon, il y a une vingtaine d'années, on a constaté qu'Ébola était capable de faire en une semaine ce que le sida fait en des années, à savoir détruire complètement le compartiment lymphocytaire T voire B, ce qui provoque un phénomène de pathogénèse très puissant. Si nous ignorons pourquoi des gens meurent et d'autres non, nous savons que ceux qui survivent développent une défense auto-immune. Le virus Ébola n'ayant jamais sévi à deux reprises au même endroit, c'est donc la première fois que des personnes pourraient potentiellement se recontaminer. Nous pensons néanmoins que celles qui ont été victimes d'une première infection sont immunisées à vie contre la même espèce. Ainsi, un Guinéen ayant survécu qui se rendrait en République démocratique du Congo et rencontrerait le virus Zaïre serait sans doute immunisé. En revanche, il n'en irait sans doute pas de même s'il se retrouvait en contact avec le virus Bundibugyo ou Soudan.
Un vaccin a toutes les chances de bien fonctionner à long terme à l'instar de ce qui a été observé pour la rougeole ou la fièvre jaune : lorsqu'un protocole de primo vaccination est mis en place, on constate une protection à très long terme. On prévoit un rappel de vaccination contre la fièvre jaune tous les dix ans, mais je suis convaincu, même s'il ne faut pas l'ébruiter, qu'en l'absence de rappel, on serait néanmoins protégé. Même s'il n'est pas souhaitable d'ébruiter cette réalité, il en va de même pour la rougeole et Ébola entre dans ce schéma.
En ce qui concerne les ARN interférents, ils ont été utilisés contre le virus Marburg et testés contre Ébola mais ils demeurent très spécifiques de chaque souche virale dans le sens où les ARN interférents disponibles, les TKM, ne sont pas complètement efficaces contre la souche guinéenne à cause d'une différence génétique. Ils font partie de l'arsenal thérapeutique sans pour autant être très efficients.
Lorsqu'on est porteur d'Ébola, on peut mourir d'autre chose. Le virus crée en effet une grande perméabilité vasculaire et détruit le compartiment gastro-intestinal, ce qui peut conduire à des infections bactériennes secondaires, jusqu'à un choc septique mortel. C'est ce qui a failli arriver au médecin de l'OMS rapatrié à Hambourg, qui a pu être sauvé grâce à des soins très intensifs mais, en Afrique, de telles complications aboutissent systématiquement à la mort.
L'application pratique de ce qu'a dit M. Baize se traduit dans le protocole de prise en charge thérapeutique mis au point en Afrique par MSF et dont notre objectif est qu'il soit relayé par la Croix-Rouge : il consiste à associer systématiquement à la réhydratation des malades un traitement antipaludéen, ainsi qu'une antibiothérapie très facilement prescrite.
Comment expliquer, monsieur Baize, la dynamique que vous avez décrite ? On a constaté en 1976 et sporadiquement ensuite, quelques rares cas de la maladie à virus Ébola. La recrudescence majeure de la maladie constatée ces derniers mois tient-elle à ce que le virus est plus virulent cette fois ? D'autre part, si je vous entends bien, vous faites le reproche aux uns et aux autres d'avoir manqué de vigilance depuis 1976 et d'avoir négligé la recherche sur cette pathologie ; est-ce bien cela ?
Connaît-on le récepteur moléculaire du virus Ébola ? Les traitements inhibiteurs de la transcriptase inverse ont-ils un effet sur cette virose ?
Quel devrait être l'engagement de la recherche publique et de la recherche privée avant la prochaine crise, que vous dites inéluctable ? Comme le montre le test de diagnostic rapide mis au point par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, la recherche publique me paraît plus intéressée par ces questions que la recherche privée, qui attend un retour sur investissement assez rapide. Ne pourrait-on demander à l'industrie de la santé de s'investir davantage dans la recherche sur des maladies orphelines qui peuvent finir par donner lieu à ce que vous avez décrit ?
Comme vous l'avez rappelé, monsieur Door, jusqu'à cet épisode, il n'y avait que très peu de cas et la contagion s'arrêtait assez vite – et il faut se placer dans le contexte général : la lutte contre la maladie à virus Ébola n'est pas une priorité dans une Afrique autrement plus durement touchée par le VIH et le paludisme, et aussi par la tuberculose, dont la prise en charge se fait très mal. En réalité, c'est pour chaque pathologie que l'on n'en fait pas assez. Je serai donc plus indulgent que vous, d'autant que même si l'on n'en parle pas beaucoup, nombreux sont ceux qui ont énormément travaillé sur cette maladie, en particulier les équipes françaises réunies au Gabon autour du virologue Éric Leroy. On ne peut donc dire que rien n'a été fait. Cela ne signifie pas qu'il faille s'en tenir là, et si l'on peut favoriser la recherche par l'industrie pharmaceutique, chacun s'en félicitera. Mais alors il faudra tout mener de front – la recherche sur Ébola mais aussi sur Lassa et sur Marbug – car, la prochaine fois, c'est un autre virus qui émergera. Il convient, comme y a justement insisté M. Baize, de trouver des antiviraux et de préparer des vaccins.
À ma connaissance, les animaux domestiques ne sont pas vecteurs de la maladie à virus Ébola. On a beaucoup discuté de cette hypothèse pour les chiens et même si quelques-uns ont été abattus dans l'entourage de malades aux États-Unis, il n'y a aucune preuve que ces animaux étaient contaminés. Je ne saurais vous dire ce qu'il en est pour les chats ou les cochons d'Inde…
M. Baize répondra mieux que moi à M. Touraine sur les récepteurs lymphocytaires. Il a été dit que la molécule antirétrovirale 3TC utilisée pour traiter le VIH-sida serait active contre la fièvre Ébola, mais il faut le vérifier scientifiquement.
Aucune donnée ne figure dans la littérature spécialisée sur les animaux domestiques, sinon que l'équipe d'Éric Leroy avait montré la présence d'anticorps contre Ébola chez des chiens dans un village touché au Gabon ; mais aucun chien n'a jamais développé la maladie, et je ne pense pas que les animaux domestiques soient un vecteur. Pour la faune sauvage, l'antilope est un vecteur – de manière très anecdotique – et la transmission par les chauves-souris et les grands singes est avérée ; pour les autres animaux, c'est peut-être possible mais ce n'est pas bien documenté.
Les travaux qui ont conduit à l'identification de récepteurs moléculaires sont très récents. Le tropisme viral initial est pour les cellules présentatrices d'antigènes. Cela permet au virus de se disséminer dans les organes lymphoïdes secondaires, et il en résulte une infection systémique. Le tropisme viral évolue alors vers les cellules endothéliales et épithéliales, si bien que l'on aboutit à une infection touchant tous les organes. On trouve alors le virus dans tous les fluides, ce qui explique pourquoi le malade symptomatique est très contagieux par contact.
Les médicaments inhibiteurs de la transcriptase inverse agissent sur l'ADN ; il reste à démontrer qu'ils agissent sur le virus Ébola, virus à ARN pur qui ne passe jamais par un état d'ADN.
Je ne dirais pas que rien n'a été fait depuis 1976. J'ai fait équipe avec Éric Leroy pendant sept ans au Gabon et nous avons beaucoup travaillé sur le virus Ébola dès sa réémergence en 1994 – et je travaillais moi-même depuis vingt sur ce sujet. Mais, comme l'a souligné M. Bricaire, cette maladie n'était pas un véritable problème de santé publique. D'ailleurs, après 2001, le financement de nos travaux se faisait sur les crédits alloués à la recherche sur le bioterrorisme bien davantage que sur les crédits consacrés à la santé publique, malheureusement.
Pourquoi, depuis 1994, ces réémergences régulières et croissantes des virus Ébola et Marburg ? Ce n'est pas lié à une évolution du virus, inchangé depuis des milliers d'années, mais à l'activité humaine, aux incursions toujours plus profondes dans la forêt où l'on trace des pistes de plus en plus avancées pour exploiter le bois. Cela bouleverse tous les territoires des grands singes, qui se déplacent et sont en contact avec des chauves-souris – ce qui n'était pas forcément le cas auparavant. Il a d'ailleurs été démontré que la forte transmission du virus Ébola dans les années 1990 en Afrique Centrale était secondaire à une épizootie qui a balayé la population de chimpanzés et de gorilles de ces régions. Le virus a ravagé ces grands singes ; pendant des années, ils ont régulièrement été malades, et régulièrement l'homme qui les capturait pour les manger se contaminait à leur contact. Telle est la dynamique à l'oeuvre.
Toujours, car ils y sont encore plus sensibles que l'homme. Aujourd'hui en Guinée, les choses sont différentes : la contamination se fait par le biais des chauves-souris. Mais, là encore, les bouleversements de l'écosystème sont sans doute pour beaucoup dans la dynamique de ces virus.
Il faudrait effectivement demander à l'industrie pharmaceutique de s'investir davantage dans la recherche contre les filovirus mais, quand elles développent un vaccin, les actionnaires de ces entreprises demandent une perspective de rentabilité. On ne peut tout attendre des industriels : la puissance publique devrait avoir aussi la volonté politique d'investir dans la recherche sur ces maladies. Les industriels voudront sans doute développer un vaccin contre le virus Ébola mais avant le déclenchement de cette épidémie, ils n'en avaient certainement pas envie. Il faut donc définir une politique de la recherche publique axée sur ce type de recherches. Cela suppose une motivation et une volonté fortes, car il n'est pas très facile de financer des programmes de recherche sur ces pathologies exotiques plutôt que sur d'autres, plus proches de nous. Malheureusement, ces viroses sont doublement négligées : parce que les fonds manquent pour poursuivre la recherche qui les concerne et parce qu'elles ne sont même pas inscrites sur la liste des maladies négligées qui permet d'accéder aux financements de la Fondation Bill Gates et d'autres organismes du même type. On ne peut véritablement en faire le reproche : il est logique, en termes de santé publique, de travailler beaucoup plus sur le VIH et sur le paludisme que sur le virus Ébola. Mais peut-être est-il temps de changer cela, car nous le payons malheureusement très cher.
Je vous remercie, messieurs, pour ces échanges très riches, et aussi de nous avoir rassurés. Mes remerciements vont également à M. Jean-Pierre Door, à l'initiative duquel ces auditions ont eu lieu.
La séance est levée à dix-neuf heures dix.