Intervention de Sylvain Baize

Réunion du 4 novembre 2014 à 18h00
Commission des affaires sociales

Sylvain Baize, directeur du Centre national de référence des fièvres hémorragiques virales de l'Institut Pasteur de Lyon :

En réponse à la question relative à l'histoire naturelle de ces virus qui conquièrent de nouveaux territoires en Afrique de l'Ouest où ils étaient, jusque-là, inconnu, il faut rappeler que les filovirus, tels Ébola et Marburg, sont filamenteux et pleiomorphes. Il existe six espèces de filovirus dont cinq sont pathogènes pour l'homme : « Zaïre », évidemment répandue en République démocratique du Congo et qui sévit actuellement en Guinée ; « Soudan » ; Taï forest, qui a été identifiée en Côte d'Ivoire il y a vingt ans. L'incubation est de trois à vingt et un jours, en moyenne de neuf jours, avec une évolution biphasique typique des fièvres hémorragiques virales et un syndrome pseudo-grippal qui rend le diagnostic difficile car cela ressemble beaucoup à des maladies tropicales fréquentes telles le paludisme ou la typhoïde. C'est cela qui conduit à parler de diagnostic différentiel sur lequel a été mis l'accent au centre de traitement de Macenta que nous venons de monter. Il faudra conduire ce type de diagnostic sur les patients que nous recevrons ; d'autres maladies seront systématiquement recherchées comme le paludisme, la typhoïde ou d'autres fièvres hémorragiques – Lassa ou Crimée-Congo. Bien heureusement, tous les gens que nous recevons ne sont pas atteints par Ébola.

Après cette phase peu spécifique, on assiste à une aggravation de la maladie avec des saignements divers puis, à la fin, une défaillance multiviscérale conduisant à un choc terminal mortel dans un délai de six à quatorze jours après l'apparition des symptômes. Les mêmes symptômes pseudo-grippaux sont présents chez les personnes qui survivent et se poursuivent jusqu'à la convalescence. Une prise en charge spécifique se montre efficace en Afrique et, pour les sujets revenant dans les pays du Nord, connaît une très faible mortalité même en l'absence de traitements antiviraux. La maladie est cependant moins mortelle qu'avec les autres espèces de virus Zaïre connues jusqu'à présent.

L'historique de cette maladie montre que la découverte initiale par l'homme de ces virus, présents depuis bien longtemps, remonte à 1967 pour Marburg et 1976 pour Ébola. Plus rien ne s'est passé pendant une vingtaine d'années, puis, à partir de 1994, on a constaté, des émergences très fréquentes, annuelles, dans divers pays dont le Gabon, et, la même année, en Côte d'Ivoire avec un seul décès humain. Il s'agissait en fait d'une épizootie, qui avait touché des chimpanzés. On note un grand dynamisme de ces virus dans la forêt tropicale, et puis, une émergence récente de la maladie en Guinée. La question est de savoir comment le virus, qui a ainsi quitté l'Afrique Centrale, a franchi 2 500 kilomètres pour conquérir de nouveaux territoires. Le phénomène est assez inquiétant.

L'étude des réservoirs du virus permet de comprendre pourquoi celui-ci a émergé en Afrique de l'Ouest. Cela correspond à l'habitat de trois espèces de chauves-souris arboricoles et frugivores qui hébergent le virus dans leur organisme depuis des milliers d'années, sans que la maladie soit déclarée et avec une transmission verticalehorizontale. La contamination de l'homme se produit par la mise en contact avec le réservoir, ce qui pourrait être le cas en Guinée – mais ce n'est pas encore démontré ; en Afrique Centrale, ce sont plutôt les grands singes qui jouent un rôle d'intermédiaires. L'homme se contamine à Marburg, par contact, et, à Ébola, particulièrement à cause de la consommation de viande de brousse. Il est tout à fait regrettable que la seule consommation de viande aboutisse à de tels désastres sanitaires. Grandes migratrices, les chauves-souris ont ainsi véhiculé le virus, expliquant son arrivée en forêt guinéenne. La caractérisation de la souche qui circule montre que le virus s'est échappé d'Afrique Centrale en 2004, ce qui constitue un événement tout à fait récent.

La transmission inter-humaine est intéressante car elle permet de comprendre la dynamique de l'épidémie. Celle-ci survient lors de contact avec les fluides biologiques d'un patient en phase symptomatique. Par chance, on n'est pas contagieux tant que la maladie n'est pas déclarée, contrairement à d'autres maladies virales telles la rougeole où on l'est avant. Les fluides sont diversement vecteurs du virus. Ainsi, la sueur est vectrice mais c'est le fluide le moins chargé en virus. C'est ce qui explique qu'au début de la maladie, le sujet soit faiblement contagieux car elle est alors le seul fluide de contact, ce qui explique la faible transmissibilité au début de la maladie. Par la suite, lorsque le patient est plus excrétant, avec du sang, des vomissures et des selles, il devient beaucoup plus contagieux. L'acmé de la contagion survient avec la mort qui induit une forte charge virale et l'excrétion de nombreux fluides du cadavre.

La contamination par voie aérienne est très peu probable et n'a jamais été documentée. Cependant, si une personne porteuse d'Ébola vous tousse au visage, cela ne saurait vous rassurer. La contamination aérienne connue avec des maladies respiratoires ne concerne pas Ébola : il faut un contact physique proche. Par ailleurs, le virus est indétectable pendant la phase d'incubation, ce qui interdit le diagnostic des cas en dehors de la phase symptomatique. À ce titre, il est inutile de chercher à poser des diagnostics en amont, cela constituerait une perte de temps et ne ferait que rassurer faussement les populations. La maladie ne survient qu'à l'occasion de trois événements particuliers qui constituent les principaux facteurs de dissémination du virus : les soins à domicile par les proches, la contamination des personnels soignants au cours de l'hospitalisation et les funérailles.

La capacité du virus à se disséminer est limitée au sein de la population car elle nécessite des contacts étroits, de proche en proche. Par ailleurs, la contagion ne se produisant qu'au cours de la phase symptomatique, cela limite les contacts. Enfin, la survenue brutale des signes cliniques conduit rapidement les patients à s'aliter avec une asthénie extrême qui contribue, elle aussi, à limiter les risques de diffusion. Ainsi, Ébola n'a pas de potentiel pandémique. Nous n'avons donc pas affaire au MERS-Corona, ni au SRAS, ni à la grippe, ce qui est plutôt rassurant. La présence d'un réservoir animal conduit certes à un risque permanent d'introduction chez l'homme dans les pays concernés où le virus circule, mais cette présence est restreinte à l'aire de distribution du réservoir. Aussi, le virus Ébola ne va pas s'installer de façon pérenne en France en dehors d'une épidémie humaine, très peu probable.

En ce qui concerne le risque épidémique, il est crucial d'éviter que les malades prennent l'avion et viennent dans les pays du Nord. Il faut procéder à des contrôles avant l'embarquement, la prise de température est efficace et suffisante.

On ne peut malheureusement pas empêcher des personnes en phase d'incubation de voyager, ce qui peut provoquer l'importation de cas. Le système de veille épidémiologique mis en place en France, et auquel participe le Centre national de référence (CNR), a prouvé son efficacité : il permet l'identification et la mise à l'isolement rapide des cas suspects ainsi que le diagnostic des cas classés possibles. Il ne faut surtout pas arrêter les dessertes des pays touchés. Une telle mesure aurait des conséquences graves : les intéressés ne manqueraient pas de revenir quelques semaines plus tard par d'autres moyens – cela ne ferait donc que retarder pour peu de temps l'importation des cas – en outre, cela freinerait considérablement la lutte sur le terrain. La solidarité internationale est indispensable pour le contrôle des épidémies. En France, nous n'avons pas à craindre de risque d'épidémie de grande ampleur, au pire, quelques cas autour de cas d'importation. Notre système, très efficace permettrait, le cas échéant, de contrôler la situation.

La circulation du virus montre que de nouveaux territoires sont menacés avec de nouveaux risques. L'épidémie est toujours dans sa phase exponentielle et n'est pas encore contrôlée. On est passé d'une circulation restreinte à une zone d'Afrique Centrale très reculée, avec juste quelques villages de brousse en contact, à une diffusion qui s'étend du Sénégal à la Tanzanie provoquant une augmentation considérable du nombre des personnes qui vont désormais vivre en risque avec le virus. Nous devons avoir connaissance de ces faits et prendre les mesures nécessaires pour empêcher de nouvelles émergences, qui conduiront en Afrique de l'Ouest à l'épidémie dramatique, difficile à contrôler, que nous constatons aujourd'hui.

Les moyens de lutte efficaces en Afrique Centrale pour circonscrire les épidémies telles l'isolement des patients, le suivi des contacts et la protection des personnels soignants sont en effet inopérants. Les différences socioculturelles et économiques ainsi que la plus grande densité de population en Afrique de l'Ouest qu'en Afrique Centrale expliquent le phénomène. En outre, le maillage routier n'existe plus en Afrique Centrale et, c'est grâce à cela, paradoxalement, que le virus se répand moins vite qu'il ne l'a fait en 1976 : le réseau routier était, à l'époque, meilleur qu'aujourd'hui et Kinshasa avait été touchée. Cela n'est pas le cas en Afrique de l'Ouest où l'on circule beaucoup et où l'on assiste à une diffusion transfrontalière qui frappe rapidement les capitales. Il faut avoir conscience de cet état de fait et anticiper les futures émergences qui ne manqueront pas de survenir.

La seule solution consiste à pratiquer la vaccination en masse ces populations à risque en développant des vaccins. Contrairement à d'autres pandémies telles le VIH, on sait heureusement fabriquer des vaccins - deux sont en cours de test et donnent de bons résultats chez le primate. La vaccination massive est donc accessible puisque ces vaccins sont faciles à dessiner et à produire ; il s'agit d'une question de volonté et de moyens, les deux ayant fait défaut jusqu'à présent.

D'autres virus peuvent-ils présenter les mêmes menaces qu'Ébola ? La réponse est malheureusement oui, le virus Lassa notamment, qui lui est pandémique, et se répand dans les mêmes pays que ceux où sévit Ébola aujourd'hui : Guinée, Nigeria, Sierra Leone et Libéria. Lassa fait moins de bruit qu'Ébola mais provoque 100 000 à 300 000 cas par an avec 5 000 à 6 000 morts, à bas bruit, en Afrique de l'Ouest. On n'en parle pas. Certes, le virus se transmet moins à l'homme, il se dissémine moins facilement et les symptômes sont moins sévères. Mais il est présent et, avec une dynamique puissante, se diffuse sur le même mode qu'Ébola en traversant les frontières, infestant de nouveaux pays comme le Mali et le Burkina Faso. D'autres virus proches de Lassa émergent dans des pays d'Afrique où ils n'étaient pas connus auparavant : Afrique du Sud et Zimbabwe. Il convient, là aussi, de se prémunir contre des épidémies massives en recourant à la vaccination, la fabrication de vaccins, pour Lassa comme pour Ébola, étant largement à notre portée.

Il faut donc développer les activités de recherche afin d'anticiper une propagation épidémique et ne pas laisser se développer des situations catastrophiques. Il faut réfléchir à ce qui peut être fait pour les prévenir. C'est triste à dire mais le coût d'une vaccination massive contre Ébola en zone tropicale africaine aurait été moindre que celui de la lutte contre cette seule épidémie, qui va se chiffrer en dizaines de millions de dollars, auquel il faut ajouter les milliards de dollars inhérents au retard économique résultant de l'épidémie. Ce drame qui aurait pu être évité est une leçon à retenir pour l'avenir.

En ce qui concerne l'immunité post-guérison, des cas de guérisons spontanées d'Ébola ont été observés. Il s'agit de patients ayant rapidement développé une réponse immune, notamment humorale et cellulaire – les malades se défendent avec une réponse classique au virus. Cela n'est pas le cas de ceux qui meurent : ceux-ci sont immuno-supprimés. Au cours de travaux effectués au Gabon, il y a une vingtaine d'années, on a constaté qu'Ébola était capable de faire en une semaine ce que le sida fait en des années, à savoir détruire complètement le compartiment lymphocytaire T voire B, ce qui provoque un phénomène de pathogénèse très puissant. Si nous ignorons pourquoi des gens meurent et d'autres non, nous savons que ceux qui survivent développent une défense auto-immune. Le virus Ébola n'ayant jamais sévi à deux reprises au même endroit, c'est donc la première fois que des personnes pourraient potentiellement se recontaminer. Nous pensons néanmoins que celles qui ont été victimes d'une première infection sont immunisées à vie contre la même espèce. Ainsi, un Guinéen ayant survécu qui se rendrait en République démocratique du Congo et rencontrerait le virus Zaïre serait sans doute immunisé. En revanche, il n'en irait sans doute pas de même s'il se retrouvait en contact avec le virus Bundibugyo ou Soudan.

Un vaccin a toutes les chances de bien fonctionner à long terme à l'instar de ce qui a été observé pour la rougeole ou la fièvre jaune : lorsqu'un protocole de primo vaccination est mis en place, on constate une protection à très long terme. On prévoit un rappel de vaccination contre la fièvre jaune tous les dix ans, mais je suis convaincu, même s'il ne faut pas l'ébruiter, qu'en l'absence de rappel, on serait néanmoins protégé. Même s'il n'est pas souhaitable d'ébruiter cette réalité, il en va de même pour la rougeole et Ébola entre dans ce schéma.

En ce qui concerne les ARN interférents, ils ont été utilisés contre le virus Marburg et testés contre Ébola mais ils demeurent très spécifiques de chaque souche virale dans le sens où les ARN interférents disponibles, les TKM, ne sont pas complètement efficaces contre la souche guinéenne à cause d'une différence génétique. Ils font partie de l'arsenal thérapeutique sans pour autant être très efficients.

Lorsqu'on est porteur d'Ébola, on peut mourir d'autre chose. Le virus crée en effet une grande perméabilité vasculaire et détruit le compartiment gastro-intestinal, ce qui peut conduire à des infections bactériennes secondaires, jusqu'à un choc septique mortel. C'est ce qui a failli arriver au médecin de l'OMS rapatrié à Hambourg, qui a pu être sauvé grâce à des soins très intensifs mais, en Afrique, de telles complications aboutissent systématiquement à la mort.

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