Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 27 octobre 2014 à 16h00
Commission élargie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, président :

Je suis, moi aussi, très heureux d'accueillir M. le ministre de l'intérieur. Cette année, la commission des lois a désigné deux rapporteurs pour avis : M. Michel Zumkeller, pour les programmes « Administration territoriale » et « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », et M. Paul Molac, pour le programme « Vie politique, cultuelle et associative ».

Conformément à l'approche retenue par la commission des lois, les rapporteurs se sont penchés sur un thème particulier dans leur avis. Notre collègue Michel Zumkeller s'est attardé aux conséquences de la réforme territoriale sur les préfectures, où une mutation profonde des services est en cours. Le Sénat examinera demain le projet de loi relatif à cette réforme.

Quant à M. Paul Molac, empêché par un déplacement en Corse prévu avant le changement de date de cette réunion, il sera suppléé par notre collègue Sergio Coronado. Il s'est livré à un travail approfondi sur le référendum d'initiative partagée, qui permet de comprendre pourquoi les textes d'application de la réforme constitutionnelle ont demandé autant de temps.

M. Romain Colas, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire. La mission porte tout d'abord sur les crédits relatifs au réseau préfectoral. Le programme 307 prévoit à ce titre des crédits à hauteur de 1,7 milliard d'euros pour 2015, en légère baisse par rapport à 2014.

Le réseau préfectoral poursuit sa contribution au redressement des finances publiques puisque 180 postes seront supprimés en 2015. J'appelle votre attention sur le fait que 11 % des effectifs du réseau préfectoral ont été supprimés depuis 2010, soit plus de 3 000 emplois. Ces réductions se sont faites parallèlement à une modernisation du réseau et à une amélioration de la relation à l'usager. Pour preuve, depuis le 1er juillet 2013, l'ensemble des préfectures de métropole et des hauts-commissariats ont reçu le label Marianne ou Qualipref.

Il faut saluer la compétence et le dévouement des agents qui ont su mettre en oeuvre cette modernisation du réseau préfectoral. Je tiens aussi à souligner l'effort budgétaire qui a été accompli ces dernières années pour améliorer l'accueil des étrangers – effort qui a permis de supprimer ces longues files d'attentes que l'on voyait trop souvent devant certains bâtiments préfectoraux. C'était un point sensible.

Comme chacun sait, le réseau préfectoral est organisé sur trois niveaux : le niveau régional, le niveau départemental et le niveau infradépartemental. Le niveau régional est appelé à évoluer du fait de la réforme de la carte régionale. Mais, c'est aujourd'hui le niveau infradépartemental qui suscite le plus d'interrogations. Les agents, les élus et les citoyens ont besoin de clarté sur les évolutions à venir. Le remodelage de la carte des arrondissements, qui n'a pas été remaniée depuis 1926, paraît donc désormais incontournable. Une expérimentation réussie a été menée en Alsace en en Moselle. Monsieur le ministre, pouvez-vous dresser un bilan de cette expérimentation et nous dire quelles sont les orientations du Gouvernement sur l'organisation infra-départementale du réseau préfectoral ?

Le programme 232 rassemble quant à lui les moyens nécessaires à l'organisation des élections et les moyens dédiés au financement public des campagnes électorales et des partis politiques. Il joue donc un rôle fondamental, qui appelle l'attention de notre assemblée, car ces crédits représentent le coût affecté à la démocratie. Je ne crois pas que ce coût soit déraisonnable, lorsque l'on constate que le programme 232 représente un millième des dépenses du budget général de l'Etat.

Le projet de loi de finances prévoit cependant deux mesures pour réduire ce coût. La première est une baisse des dotations aux partis politiques de 15 %, qui intervient après celle de 10 % décidée l'an dernier. Ainsi, sur deux ans, les dotations aux partis politiques auront été réduites d'un quart.

Aller au-delà reviendrait à remettre en cause le principe d'un financement public des partis politiques. Ce principe est pourtant une garantie contre les financements illégaux. Il serait donc inopportun de poursuivre ces baisses après 2015. Peut-être pourrez-vous, monsieur le ministre, nous apporter des éclaircissements sur vos intentions.

Il est à noter toutefois que les dépenses de l'État concourent également au financement des partis politiques du fait des réductions d'impôt pour les dons ou cotisations qu'ils reçoivent. Aussi est-il faux de dire qu'un appel aux dons lancé par une formation politique à la suite d'un rejet des comptes de campagne de son candidat serait neutre pour le contribuable. Il n'en est rien, car ces dons font nécessairement naître les dépenses fiscales correspondantes.

La seconde est la suppression de l'envoi papier au domicile des électeurs de ce que l'on appelle la propagande électorale. Cette mesure avait déjà été prévue l'an dernier pour les élections européennes puis avait été abandonnée face aux réticences du Parlement. Si j'estime, à titre personnelle, qu'une telle suppression est inéluctable, je considère néanmoins que l'année 2015 n'est pas la meilleure année pour abandonner l'envoi de la propagande électorale. En effet, la totalité des circonscriptions cantonales et la plupart des circonscriptions régionales seront modifiées. Moins médiatisées que les scrutins nationaux, les élections départementales et régionales sont celles pour lesquelles les citoyens ont le plus besoin d'information sur les candidats et sur leurs arguments. Le groupe socialiste a déposé un amendement prévoyant le maintien de l'envoi papier : j'y suis favorable. La diffusion numérique pourrait cependant être expérimentée en parallèle en vue d'une application ultérieure.

J'en termine par le programme 216, qui assure les fonctions de pilotage du ministère de l'intérieur, avec des crédits de paiement d'environ 750 millions d'euros pour 2015.

Pour la première fois cette année, la masse salariale des inspecteurs des permis de conduire est rattachée à ce programme. Ces inspecteurs participent à la mise en oeuvre d'une réforme essentielle qui vise à réduire les délais de passage des examens du permis B. La réforme tend à rendre les inspecteurs du permis de conduire plus disponibles pour faire passer les épreuves pratiques.

Je considère qu'il est indispensable, pour la réussite de cette réforme, que soient respectés les engagements pris dans le cadre du triennal visant à maintenir les effectifs des inspecteurs du permis de conduire. À ce sujet, quelles suites connaîtra l'appel à des retraités de la gendarmerie et de la police, voire à des prestataires extérieurs, pour faire passer le code ? Dans quelle mesure le Gouvernement peut-il garantir que l'organisation des épreuves du permis de conduire, examen national qui recueille le plus de candidatures, demeurera une prérogative exclusive du service public ? Enfin, comment la réforme du permis de conduire, qui vise à fluidifier son passage, s'articulera-t-elle avec une réflexion sur la qualité de la formation et des enseignements dans les auto-écoles ?

M. Michel Zumkeller, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. En tant que rapporteur pour avis de la commission des lois, je me suis plus particulièrement intéressé cette année à une question à la fois actuelle et prospective : celle des conséquences sur les préfectures de la réforme territoriale.

Pour préparer mon rapport pour avis et disposer de deux exemples très contrastés, je me suis rendu à la préfecture des Hauts-de-Seine, à Nanterre, et à Belfort, préfecture du Territoire de Belfort. J'en profite pour remercier de leur accueil les préfets concernés et leurs équipes. La réforme territoriale, lancée cette année par le président de la République, ouvre une période d'incertitudes quant à l'avenir des préfectures et à l'évolution de leurs fonctions.

Ces incertitudes restent d'autant plus grandes que, sur beaucoup d'aspects, les intentions du Gouvernement ne sont pas des plus claires : le calendrier des prochaines élections départementales et régionales est particulièrement flottant ; la nouvelle carte des régions n'est pas encore stabilisée ; l'avenir des départements et des conseils généraux fait, semble-t-il, l'objet d'intenses tractations entre les différentes composantes de la majorité ; on ne sait pas si le projet de loi Lebranchu sur les compétences des collectivités territoriales sera adopté avant ou après les prochaines élections départementales...

De tels flottements se ressentent nécessairement sur le terrain et créent de l'incertitude chez les différents acteurs. Dans le cas de l'administration déconcentrée de l'Etat, la difficulté est d'autant plus grande que les préfectures régionales et départementales n'ont cessé, depuis plusieurs années, de s'adapter à une multitude de réformes qui ont affecté leurs attributions, leurs moyens et leurs modalités de gestion. Il leur faut donc à la fois absorber les effets des réformes passées, dans un cadre budgétaire toujours plus serré, et se préparer à de nouvelles évolutions, dont les contours sont loin d'être clairs.

Je souhaiterais donc, monsieur le ministre, vous poser quelques questions. D'abord, puisque le budget de l'État est désormais triennal, comment voyez-vous l'évolution des effectifs des préfectures au cours des trois prochaines années ? Les suppressions d'emplois vont-elle se poursuivre ? Si oui, dans quelle mesure ?

Ensuite, quel sera l'impact sur les préfectures de région de la nouvelle carte régionale ? Tous les services seront-ils regroupés en un seul et même lieu ? Comment seront choisis les préfets de ces « super-régions » ? Pensez-vous maintenir la règle actuelle selon laquelle le préfet de région est le préfet du département où se trouve le chef-lieu de région ? Par ailleurs, comment voyez-vous l'avenir des préfectures de département, à l'heure des grandes régions et dans un contexte où, quel que soit le meccano institutionnel qui sera finalement retenu, vous prévoyez de diminuer sensiblement les compétences des conseils généraux ? N'y-t-il pas là un risque de recentralisation, au profit du préfet de département, de certaines compétences ?

Le Gouvernement a récemment annoncé une prochaine « revue des missions », qui concernera notamment l'administration territoriale de l'État. De mes travaux et de mes déplacements, il ressort que l'on attend beaucoup, sur le terrain, une clarification des missions des préfectures, tout particulièrement au niveau départemental. En effet, au cours des dernières années, les préfectures ont multiplié les gains de productivité, les efforts de mutualisation, l'appel à des vacataires, etc. Mais aujourd'hui, les préfectures font face à un éparpillement de leurs compétences. Il faut donc réfléchir à une hiérarchisation de leurs missions et aller beaucoup loin dans la simplification des procédures, ce qui profiterait à la fois aux préfectures et aux citoyens.

Je vous soumets quelques exemples concrets. Pourquoi ne pas aller jusqu'au bout du transfert aux professionnels de l'automobile de la compétence en matière d'immatriculation des véhicules, principalement pour les véhicules d'occasion ? Pourquoi ne pas aller plus loin avec le nouveau titre sécurisé de permis de conduire et ne pas offrir, grâce à la puce électronique que contient désormais le permis, de nouvelles fonctionnalités aux usagers ? Pourquoi ne pas relancer le dossier de la carte d'identité électronique, au point mort depuis 2012, alors que la réforme des passeports est désormais bien entrée dans les moeurs ?

S'agissant maintenant du corps préfectoral, ne pensez-vous pas nécessaire de profiter de la réforme territoriale en cours pour remettre à plat sa gestion ? Je rappelle à cet égard que la Cour des comptes a récemment relevé une « dérive des effectifs des préfets hors cadre » et suggéré de supprimer la catégorie des préfets en mission de service public. Qu'en pensez-vous ?

Enfin, deux dernières questions : où en est-on de la redéfinition du rôle et du réseau des sous-préfectures ? Comment comptez-vous garantir une présence de l'État au plus près des territoires et des citoyens ? Où en est le contentieux, en cours devant le Conseil d'État, du redécoupage général des cantons, en vue des élections départementales de 2015?

M. Sergio Coronado, rapporteur pour avis suppléant de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Je supplée aujourd'hui M. Paul Molac, rapporteur pour avis du programme « Vie politique, cultuelle et associative », qui s'excuse de ne pouvoir participer à nos travaux et me donne l'occasion d'aborder un sujet qui me tient à coeur.

Monsieur le ministre, je souhaiterais vous poser d'abord deux questions portant sur des aspects budgétaires du programme « Vie politique, cultuelle et associative ».

Le budget proposé révèle une forte baisse du financement public des partis politiques. L'enveloppe prévue pour 2015 est de 58,3 millions d'euros de crédits, soit 10,3 millions d'euros de moins qu'en 2014, ce qui représente une diminution de pas moins de 15 % en un an.

Cette diminution s'inscrit dans un processus de baisse continue du financement public des partis. Il avait déjà été diminué de près de 10 % dans la loi de finances pour 2013 et de 5 % dans la loi de finances pour 2012. Je rappelle qu'en 2000, l'aide publique aux partis atteignait 80 millions d'euros, à comparer aux 58,3 millions d'euros proposés pour 2015.

Le système actuel de financement public doit, certes, être amélioré : le contrôle des comptes des partis doit être renforcé, la parité entre femmes et hommes mieux assurée. Mais la démocratie a un coût. Et certains partis politiques pourront difficilement supporter ces coupes budgétaires successives.

Ma question est donc double : selon quels critères a été décidée cette baisse de 15 % de l'aide publique aux partis? Jusqu'où ira cette réduction continue, d'année en année, du financement des partis ? Avez-vous fixé un seuil de survie pour les partis politiques. En ce cas, pouvez-vous nous éclairer sur leurs perspectives financières ? En tout cas, vous l'aurez compris, je proposerai tout à l'heure un amendement de crédits maintenant le financement des partis au même niveau qu'en 2014.

Deuxième question ayant des incidences budgétaires : l'article 46 du projet de loi de finances, rattaché à la mission dont nous discutons aujourd'hui, prévoit de dématérialiser la propagande électorale aux élections départementales et régionales. Je comprends la nécessité de s'adapter aux nouveaux moyens de communication. Je suis également conscient des contraintes budgétaires qui s'imposent à nous, l'économie attendue en 2015 étant de 131 millions d'euros.

Mais il me semble audacieux, pour mettre en oeuvre cette dématérialisation, de commencer par les élections départementales de mars, qui seront les premières à être organisées sur l'ensemble du territoire, dans le cadre de grands cantons entièrement remodelés et en vertu de règles qui imposent des binômes paritaires de candidats. Et croyez-vous pertinent d'expérimenter la dématérialisation de la propagande électorale aux élections régionales qui auront lieu, de façon tout à fait inhabituelle, en décembre, dans le cadre d'une nouvelle carte régionale en cours d'élaboration et qu'aujourd'hui personne ne connaît ?

Pour terminer, monsieur le ministre, je souhaiterais vous poser quelques questions plus ciblées sur le thème qu'a retenu cette année M. Paul Molac dans son avis budgétaire, à savoir la mise en oeuvre du référendum d'initiative partagée.

Cette procédure, prévue à l'article 11 de la Constitution, entrera en vigueur le 1er janvier 2015. Je ne m'étendrai pas sur les obstacles juridiques qui ont été dressés par le constituant de 2008 sur le chemin de l'organisation d'un référendum de ce type : je rappelle seulement qu'il sera bien difficile de rassembler 185 parlementaires et environ 4,5 millions de signatures d'électeurs pour déclencher une procédure qui n'aboutira, dans la plupart des cas, qu'à un débat au Parlement, et non à un référendum.

D'ici au 1er janvier 2015, il revient au ministère de l'intérieur de prendre les mesures techniques et réglementaires permettant de faire fonctionner cette nouvelle procédure. Tout en renvoyant sur ce point au rapport de mon collègue Molac, trois questions se posent aujourd'hui : où en est la préparation et la publication des décrets d'application des lois du 6 décembre 2013 qui mettent en oeuvre la procédure d'initiative partagée ? Dès lors que le recueil des signatures des électeurs se fera sous forme électronique, selon quelles modalités les citoyens devront-ils s'identifier sur le futur site internet dédié au référendum d'initiative partagée ? Enfin, comment l'identité, mais aussi la qualité d'électeur, du citoyen apportant son soutien électronique à la proposition de loi seront-elles contrôlées, tant par le ministère de l'intérieur que par le Conseil constitutionnel ?

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