Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 27 octobre 2014 à 16h00
Commission élargie

Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur :

Avant de répondre à vos questions, je vais apporter quelques éléments généraux sur la réforme territoriale en cours et sur la manière dont l'État engage ses moyens pour faire monter parallèlement en gamme les services de son administration territoriale. La réforme de cette administration revêt un rôle particulièrement important au moment où s'engage la réforme des collectivités territoriales. Il en va de la cohérence de cette politique, l'administration générale et territoriale se plaçant au coeur du projet.

Les efforts portent dans trois directions. D'abord, la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles a créé de grandes métropoles compétentes en matière de transition énergétique, de transport et de recherche. La métropole de Lyon exerce déjà ces compétences, d'autres capitales régionales s'y préparent encore. Ensuite, dans son discours de politique générale, le Premier ministre s'est engagé à faire naître de grandes régions. Le projet sera examiné demain au Sénat et s'inspire notamment de rapports parlementaires, tel le rapport Raffarin-Krattinger. Ces grandes régions compteront demain grâce à leur force démographique et à leur capacité d'investissement. Je rappelle que les régions françaises actuelles n'ont en moyenne que 2,6 millions d'habitants, alors que leurs consoeurs italiennes en comptent 4,1 millions et les régions allemandes 5,3 millions. Il convient donc de s'adapter à la compétition européenne. Enfin, l'intercommunalité devrait être réformée et une nouvelle répartition des compétences voir le jour entre départements et régions, grâce à une loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dans la foulée de la réforme régionale. Il apparaît en effet que les intercommunalités de moins de 21 000 habitants sont particulièrement dispendieuses en argent public, leurs dépenses de fonctionnement et de personnel ayant crû de manière spectaculaire au cours des dernières années, comme l'a mis en lumière la Cour des comptes.

Tel est le cadre de la mission Administration générale et territoriale de l'État, qui tiendra compte également de la disparition des conseils départementaux en zone urbaine et de la reconfiguration des cantons en zone rurale. Avec le ministre chargé de la réforme de l'État, je travaille à la rénovation parallèle des services de l'État. Nous avons pour principe de nous fonder sur le nouveau cadre de l'organisation territoriale. La région devenant le territoire de référence, l'État doit organiser ses services à l'échelle des régions fusionnées et répartir les compétences entre ses services en tenant compte de cette réforme.

Nous nous sommes fixés pour deuxième principe de définir de manière précise, au sein des services de l'État, le partage des missions entre les services centraux et les services territoriaux. Une revue des missions est désormais engagée sous la houlette du secrétariat général du Gouvernement et du secrétariat général du ministère en charge de la réforme de l'État. Mission par mission, administration par administration, nous examinons si les compétences aujourd'hui exercées méritent d'être prises en charge à l'avenir par les services centraux ou par les services territoriaux – ou bien si elles doivent être abandonnées, car les collectivités territoriales les exercent désormais, seules, de manière plus efficace. Actuellement, des doublons et des enchevêtrements nuisent encore à la rationalité et à l'efficacité de l'action de l'État.

Les contours précis de cette réflexion en cours seront connus d'ici à la fin de l'année 2014, mais je peux d'ores et déjà vous donner quelques indications. Les compétences économiques et les compétences d'aménagement du territoire seront dévolues au niveau régional. Les services de l'État ayant perdu beaucoup d'emplois, les marges de manoeuvre sont étroites et il faut veiller à ce que les réformes soient soutenables en termes de ressources humaines. Mais des plateformes mutualisées au niveau régional devraient pouvoir être mises en place, quand le service rendu ne relève pas d'une mission de proximité. Ainsi, des plateformes interdépartementales de naturalisation devraient voir le jour au niveau régional, pour accomplir ces actes uniques au cours d'une existence.

Après la formation de grandes régions, la proximité s'incarnera quant à elle au niveau départemental. Certes, en zone urbaine, les conseils départementaux peuvent disparaître, mais la zone administrative subsiste. Il faut faire vivre l'interministérialité à ce niveau-là, qui offre aussi le cadre naturel de la fongibilité budgétaire. Dans ce contexte, l'État central ne gardera pas tous les pouvoirs. La coordination interministérielle s'animera autour des préfets de département. D'ici à la fin de l'année, une charte de la déconcentration définira la répartition des compétences entre l'État central et les services déconcentrés.

Après la revue des missions et l'adoption de cette charte, un dialogue sera conduit avec les élus et les organisations de personnel sur les perspectives de niveau infra-départemental. Il n'est pas question de supprimer ou de réorganiser les sous-préfectures. Aucune carte de ce genre ne reflète une prétendue volonté du ministère de l'intérieur. Des réflexions d'inspection ont eu lieu, mais elles ne répondaient pas à une commande de notre part. En Alsace-Moselle, en revanche, les deux préfets de région ont proposé aux élus des jumelages de sous-préfectures et la construction parallèle de maisons de l'État. Sur la base de cette expérience, j'ai proposé au président de la République et au Premier ministre de confier à chaque préfet de région un mandat de négociation pour se concerter d'ici à 2017 avec les élus et les organisations de personnels sur la meilleure manière de couvrir le territoire.

Cela suppose naturellement de disposer de crédits. Dans le projet de loi de finances pour 2015, les crédits consacrés aux maisons de l'État passent ainsi à deux millions d'euros, contre 1,3 million d'euros en 2014. Ces crédits permettront d'en ouvrir une dizaine dans les départements concernés. Je souligne également que la déflation des effectifs sera moindre que les années précédentes. Messieurs les rapporteurs, vous avez dit que 3 000 emplois ont été supprimés entre 2010 et 2013, dont plusieurs milliers avant 2012. Depuis cette date, les postes étaient supprimés au rythme de 550 par an. En 2015, ce seront 180 postes supprimés. Pour l'administration générale et territoriale de l'État, cela ne devrait pas déboucher sur des apories de fonctionnement, grâce à la mutualisation accrue et aux plateformes régionales. Couplés à l'augmentation des effectifs de sécurité, ces efforts explique la création nette d'emplois au ministère de l'intérieur : alors qu'il en perdait 289 en 2014, il en gagnera 116 en 2015. Voilà pour la philosophie qui inspire la réforme en cours et les moyens alloués à l'accomplissement de nos missions.

Quant au corps préfectoral, il faudra réfléchir à de nouvelles manières de l'organiser. Si le nombre des régions se réduit de vingt-deux à treize ou quatorze, les perspectives de carrière des préfets de région ne peuvent demeurer identiques. La Cour des comptes a formulé à ce sujet des remarques qui ont nourri des reportages et des articles de presse à l'emporte-pièce. Le rapport dénonçait une prétendue dérive des préfets hors cadre. Cette dénomination est impropre, car elle suggère qu'ils sont inoccupés, ce qui n'est pas le cas.

Vous sachant soucieux du bon emploi de l'argent public, je tiens à vous rassurer : les préfets sans mission ou sans affectation sont au nombre de six. Ceux qui viennent en appui temporaire sur une mission ponctuelle sont dix-neuf, parmi lesquels, par exemple, un est chargé de la coordination des services contre l'épidémie d'Ebola, un autre de l'accueil des minorités persécutées en Syrie et en Irak. Non moins de 93 préfets occupent un emploi permanent au ministère de l'intérieur, ou dans une autre administration ou dans le secteur privé. Huit d'entre eux sont en cabinet ministériel. Pour le corps préfectoral, il est d'ailleurs souhaitable que ses membres aient des expériences variées pour enrichir leur parcours. Les magistrats de la Cour des comptes ne sont-ils pas d'ailleurs eux-mêmes actifs à 40 % hors des juridictions financières ?

Au sujet des propositions de la Cour des comptes, le Premier ministre a répondu qu'il ne remettrait pas en cause l'existence du corps préfectoral pour y substituer un simple cadre fonctionnel. Mais une réflexion peut s'engager sur la gestion du corps. La notion de préfet hors cadre, qui stigmatise à tort certains de ses membres, sera supprimée. La professionnalisation sera en outre renforcée, tandis qu'un accompagnement à la prise de poste et un accompagnement de carrière seront mis en place. Des réflexions sont en cours sur la durée des carrières et sur la titularisation.

Monsieur Zumkeller, vous avez appelé mon attention sur la question des inspecteurs du permis de conduire. Nous avons engagé en ce domaine une réforme qui doit fait baisser le coût du permis de conduire. Ce sont 800 000 candidats qui le passent chaque année, le plus souvent des jeunes, et en tout cas rarement des personnes de plus de trente ans. Beaucoup ne sont pas très argentés. Or le coût moyen d'un permis de conduire s'élève à 1 500 euros pour ceux qui réussissent dès le premier passage. Pour les candidats qui doivent le passer deux à trois fois, les délais s'allongent, parfois jusqu'à six mois. En moyenne, il faut 98 jours en France pour repasser le permis, alors que la moyenne européenne s'établit à 45 jours. Cela porte le coût total des leçons à 2 500 ou 3 000 euros.

Aussi concentrons-nous désormais les inspecteurs sur les épreuves du permis B hors surveillance du code. L'épreuve de conduite a également été diminuée de trois minutes pour dégager des places. Depuis l'été, des réservistes font passer l'épreuve du code ; l'expérience est positive. Ainsi, 145 000 possibilités de passage supplémentaires ont pu être offertes aux candidats. Alors que les effectifs d'inspecteur ont diminué de 35 postes en 2014, ils seront stables en 2015 et tous les postes budgétaires seront pourvus.

Nous avons géré dans le dialogue le mouvement revendicatif qui a eu lieu. Il n'y aura donc pas de privatisation du service, mais seulement une délégation de service public sur les épreuves du code. Ni la formation, ni le passage du permis poids lourds ne seront privatisés. Nous fournirons des efforts pour intégrer plus franchement les inspecteurs du code dans notre administration. J'ai formulé en ce sens des propositions à Nevers à l'occasion de la sortie de leur dernière promotion.

Quant à la propagande électorale, elle engendrera une économie de 130 millions d'euros si elle est dématérialisée. Cette dématérialisation est effective dans toute l'Union européenne. Aucune corrélation n'est observable entre la diffusion sur papier et la participation électorale. La numérisation peut elle aussi renforcer la proximité, en permettant des mises à jour en continu ou en améliorant à terme les modalités d'inscription sur les listes. Pour les prochaines élections cantonales, elle semble cependant compliquée à mettre en place compte tenu des délais ; pour les régionales, qui auront lieu dans un cadre nouveau, cela ferait sans doute trop de changement à la fois.

Hier comme ministre du budget, aujourd'hui comme ministre de l'intérieur, je suis partisan de la dématérialisation, même si le Parlement a ses propres souhaits. Elle mérite à tout le moins d'être expérimentée en parallèle de la diffusion sur papier, si vous faisiez le choix de conserver cette dernière au moins pour les élections cantonales. En bénéficiant de retours d'expérience, nous pourrions alors nous engager progressivement dans la voie de la numérisation.

La réduction des déficits publics exige des efforts de tous et les partis politiques, qui sont titulaires de financement public, ne font pas exception. Ce financement passe d'ailleurs non seulement par des subventions, mais aussi par des mécanismes de remboursement, qui font naître des dépenses budgétaires ou fiscales. Les crédits exécutés en 2014 n'étaient supérieurs que de cinq millions d'euros aux crédits proposés en projet de loi de finances initiale pour 2015. Or, l'année 2014 a été marquée par des élections. Il est donc exagéré de soutenir que les crédits baisseront de 15 %. L'économie concrète est beaucoup plus faible si l'on prend en considération les dépenses effectivement réalisées par les partis. Certes, la démocratie n'a pas de prix mais elle a un coût, et chacun doit faire des efforts. En revanche, il ne s'agit pas d'une peine au long cours. Les efforts qui sont demandés pour 2015 le seront pour solde de tout compte. Je m'y engage devant vous. Au total, c'est donc assurément mieux que de ne rien faire, et beaucoup moins horrible que la rumeur le voudrait.

Pour le référendum d'initiative partagée, prévu par la loi organique du 6 décembre 2013, prise en application de l'article 11 de la Constitution, il doit entrer en vigueur le 1er janvier 2015. Compte tenu de la phase parlementaire de l'initiative et du contrôle de constitutionnalité prévu, les premiers soutiens à une initiative de ce genre pourront s'exprimer au plus tôt à partir de mars 2015 sur le site de communication grand public du Gouvernement. Un décret en Conseil d'État, rendu après avis motivé de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, fixera les délais de dépôt, les modalités de réclamation et de recours. Un avant-projet a déjà été transmis pour avis aux collectivités d'outre-mer, au Conseil national d'évaluation des normes, à la CNIL et au Conseil d'État, et sera présenté au Conseil constitutionnel, qui veillera à la régularité des opérations de recueil des soutiens. Les développements informatiques se poursuivent de telle sorte que le système sera opérationnel le 1er mars 2015.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion