Intervention de Claude Goasguen

Réunion du 3 novembre 2014 à 16h00
Commission élargie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClaude Goasguen :

, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire. Force est de le reconnaître, les crédits de la mission « Santé » sont en diminution : si le programme « Protection maladie », constitué à plus de 90 % des crédits destinés à l'aide médicale de l'État (AME), voit sa dotation augmenter de près de 14 %, le programme « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » subit, lui, une baisse de 25 %. À périmètre constant, c'est-à-dire abstraction faite du transfert de plusieurs organismes au budget de la sécurité sociale, la baisse est de 2 %.

Le rapporteur pour avis ayant traité de l'important sujet de la transplantation, j'insisterai pour ma part sur le budget le plus controversé de la mission, car le plus critiquable : celui de l'AME. Pour en être chargé depuis quelque temps comme rapporteur spécial, j'ai pu étudier de près les lignes budgétaires correspondantes, et je n'ai pas été déçu par les contrôles multipliés dont elles ont fait l'objet.

La présentation du budget de l'AME est proprement inadmissible. On prétend faire des économies alors que les dépenses d'AME flambent, augmentant de 72,6 millions d'euros en toute impunité pour atteindre un niveau de plus de 675 millions d'euros pour 2015, prévision au demeurant largement sous-estimée, comme chaque année. Cette fois, néanmoins, la sous-budgétisation est assumée : le projet annuel de performances annonce clairement une dépense tendancielle de 717 millions d'euros au titre de l'AME de droit commun alors que la budgétisation correspondante n'est que de 632 millions.

Comment expliquer cet écart, qui relève manifestement de la supercherie ? Outre les 29 millions d'euros attribués à la fin de la majoration des tarifs hospitaliers et 5 millions de baisse des dépenses sur les médicaments – passe encore, à la limite ; nous verrons –, le Gouvernement escompte 51 millions d'euros d'économies supplémentaires de la réforme du droit d'asile, malgré la hausse inexorable du nombre de bénéficiaires, qui atteint 4 % cette année.

Pour bien connaître les mécanismes de l'immigration et la procédure de demande d'asile, je doute que la réforme, même si elle est votée l'an prochain, permette une telle économie dès la première année. Il est même probable qu'elle créera des charges supplémentaires pour l'AME. En effet, ce sont les déboutés du droit d'asile qui bénéficient de celle-ci, et non les demandeurs. Il faudrait donc qu'avant la fin de l'année non seulement la loi soit votée, mais tous les déboutés soient expulsés, ce qui, étant donné le rythme des expulsions, est impossible, de sorte que ces 51 millions sont totalement fictifs. On peut même avancer que les événements du Moyen-Orient auront tendance à grossir les rangs des bénéficiaires de l'AME.

Il faut se rendre à l'évidence : le dispositif est au bord de l'explosion ; pourtant, aucune limite n'est posée à l'apport de crédits. Au contraire, afin de corriger la décorrélation croissante entre les crédits votés et la dépense réelle, on abonde constamment l'AME en loi de finances rectificative.

L'ensemble de ces constats légitime un sentiment d'injustice, particulièrement flagrant cette année. Quelles mesures allez-vous prendre, madame la ministre, au vu des recommandations de la Cour des comptes qui juge ce budget « à la limite de l'illégalité budgétaire » ? Au 31 décembre 2013, le nombre de bénéficiaires de l'AME s'élève à 282 425, en hausse de 30 % en quatre ans et de près de 85 % depuis 2002.

On parle de contrôle a priori, mais seulement 160 ETP se consacrent à l'instruction des dossiers, soit une moyenne de 1 355 dossiers traités par agent. Quant au bilan des fraudes – a posteriori, donc – fourni par la Caisse nationale d'assurance maladie, il est ridiculement bas : une quarantaine de fraudes seulement relevées en 2013, dont deux fraudes à l'identité ! Je ne sous-estime pas la difficulté de la tâche. Mais comment contrôler un tel dispositif, qui se fonde par nature sur des conditions d'éligibilité telles que l'identité ou la résidence ?

Tout cela témoigne d'un problème de présentation globale.

Nous l'avons constaté en Seine-Saint-Denis, les hôpitaux sont eux-mêmes victimes des carences de la gestion de l'AME. Conjuguée aux modifications des tarifs hospitaliers, elle fait peser sur eux une charge supplémentaire de 135 millions d'euros, qui ne sont évidemment pas intégrés aux crédits de l'AME mais doivent être pris en compte dans le budget destiné aux immigrés clandestins.

Enfin, il faudra bien un jour que l'AME concerne aussi Mayotte. A-t-on prévu les moyens nécessaires ? J'ai interrogé à la direction générale de la santé (DGS), qui m'a dit ne pas disposer des chiffres de la santé publique à Mayotte. Je me suis alors tourné vers la CNAM, laquelle a fini par m'indiquer que l'ensemble des dépenses de santé s'y élevaient à 250 millions d'euros en 2013, dont près de la moitié pour seul hôpital public de Mayotte, première maternité de France…

Levons le voile sur les dépenses de santé de l'État en faveur des immigrés en situation irrégulière. Voici quelle est la situation pour 2015 : 677,5 millions d'euros de crédits inscrits dans la mission ; un dépassement estimé au plus bas à 100 millions d'euros, sur la base de la consommation 2014 de l'AME de droit commun ; une dette non recouvrée à la sécurité sociale de 51 millions d'euros ; un transfert de charges aux hôpitaux évalué à 29 millions d'euros ; un coût prévisionnel que j'évalue à au moins 100 millions d'euros pour les étrangers en situation irrégulière de Mayotte. Soit, au total, une dépense annuelle d'au moins 390 millions d'euros pour 2015, auxquels s'ajoutent de nombreuses zones grises, dont les surcoûts en gestion et les pertes de recettes pour les hôpitaux.

Il n'est évidemment pas question d'approuver une telle ligne budgétaire.

Madame la ministre, abstraction faite de tous les exposés philosophiques et humanitaires, on ne peut continuer de présenter ainsi le budget de l'aide aux immigrés clandestins. Une telle dissimulation ne peut que provoquer des problèmes économiques et financiers, mais aussi politiques. Je vous conseille d'en revenir à la pratique de nos voisins européens, qui concentrent ces prestations sur les soins d'urgence, les soins prophylactiques et gynécologiques et ceux qui sont prodigués à l'enfance.

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