Intervention de Jacques Bompard

Réunion du 12 novembre 2014 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Bompard :

Je suis un adepte du localisme. Parmi les poisons du jacobinisme, il en est un dont la France n'a jamais cessé de s'étourdir : le centralisme. Celui-ci aime à prendre des habits de lumière : « rationnel », « économe », « républicain », « équitable », « citoyen », tout un lexique de mots vidés de leur contenu par le dirigisme parisien et par les très pauvres heures des réponses de notre Premier ministre.

Tout a été dit sur ce projet de loi : ses économies seront inconsistantes, sa méthode est parfaitement oublieuse de l'histoire de France et ses négociations furent pour le moins hasardeuses si ce n'est plus proches du copinage que de l'échange démocratique. Je me souviens avoir reçu dans la même enveloppe des fascicules prônant, d'un côté l'union des Pays de la Loire à la Bretagne, et de l'autre faisant de cette fusion une horreur inacceptable. Il faut être souverainement méprisant pour les identités terriennes et provinciales pour traiter de la sorte les contours de nos territoires.

Tous nos médias, tous nos experts célébraient hier le sacrifice héroïque de la France des provinces dans les tranchées et l'honneur de ceux qui y ont offert leur vie. Nombre d'entre eux doivent se retourner dans leur tombe quand on vend leurs pierres sur l'autel des injonctions bruxelloises et leurs clochers en réponse à des impératifs budgétaires nés d'une crise organisée pour et par le cosmopolitisme financier. Le labeur et l'identité seront une nouvelle fois les victimes du cortège d'énarques qui a préparé à la va-vite ce qui ressemble davantage à un mauvais songe d'administrateurs médiocres qu'à la recherche de la concorde sur les territoires français.

Je défendrai deux amendements qui montrent que les auteurs de cette farce gravissime ont bien conscience qu'elle n'aura d'assentiment que dans les couloirs de quelques ministères. Le premier souligne qu'il est tout à fait délirant de laisser au Conseil d'État le soin de désigner un chef-lieu pour une nouvelle région. Comment peut-on, en effet, imaginer que la classe politique, après tant d'années à vanter la décentralisation, en soit encore à demander à la haute administration de déterminer pour les provinces leur métropole ? En agissant de la sorte, la représentation politique ne fait que creuser sa tombe, trop heureuse par la suite de pleurer sur la désaffection des Français pour son action.

Vous laissez la possibilité de ne pas installer l'hôtel de région à l'endroit du chef-lieu de région. C'est à n'y plus rien comprendre. Voulez-vous inciter les collectivités à réaliser des économies ou n'agitez-vous qu'un nouveau monstre froid médiatique que l'on décrira dans dix ans comme une insulte au bon sens ? Laisser une telle possibilité au coeur de votre texte, c'est au moins inviter à la suspicion. Est-ce une possibilité laissée aux barons régionaux mécontents ? Cherchez-vous à éviter des échauffourées au bureau politique du parti socialiste ?

Dans l'idée de décentralisation, un grand Français a donné il y a longtemps déjà le programme de toute réelle décentralisation. Il écrivait : « Pour sauver le patriotisme, il faut réformer la patrie, comme il faut réformer l'État pour sauver la notion de gouvernement. L'État français sera conçu non pas moins un, sans doute, mais uni suivant des principes plus souples, plus conformes aux richesses de sa nature, plus convenables à nos moeurs et qui établiront une meilleure division du travail politique. Aux communes les affaires proprement communales, les provinciales aux provinces ; et que les organes supérieurs de la nation, dégagés de tout office parasitaire, président avec plus d'esprit de suite et de vigueur à la destinée nationale ». C'est en grand lecteur de mon compatriote provençal que François Mitterrand voulut s'y employer, mais ce texte trahit toutes les vertus qu'il faut pour retrouver l'énergie nationale. Il faut que les bureaux parisiens priment sur les territoires, préférer l'agitation du Premier ministre à la sagesse d'une paix réelle. En définitive, on n'a qu'une ambition : faire de l'État un parasite dans la vie de notre territoire plutôt que de l'encourager à se gorger des dynamiques régionales pour développer le bien commun, pourtant la seule chose qui justifie notre présence ici.

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